COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
JC/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 19/00939 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EQAF
jugement du 01 Avril 2019
Tribunal de Grande Instance d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 17/00419
ARRET DU 09 AVRIL 2024
APPELANTS :
Monsieur [I] [R]
né le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 8]
S.C.I. ADCP
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentés par Me Jean philippe MESCHIN de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de [Localité 11]
INTIMEE :
Madame [H] [S] épouse [E]
née le [Date naissance 4] 1970 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Magali GUIGNARD de la SELARL 08H08 AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 22 Janvier 2024 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. CHAPPERT, conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
M. CHAPPERT, conseiller
Mme GANDAIS, conseillère
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 09 avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Par un acte sous seing privé du 20 octobre 2009, M. [I] [R] a consenti à Mme [H] [S] épouse [E] (Mme [S]) un bail commercial au rez-de-chaussée d'un immeuble du [Adresse 1] à [Localité 11] (Maine-et-Loire), pour l'exploitation d'un salon de coiffure et pour un loyer mensuel de 663,99 euros TTC hors charges.
Le 29 décembre 2010, M. [R] a vendu l'immeuble à la SCI ADCP.
Des fissures sont apparues au niveau du plafond et sous le balcon du premier étage, surplombant le salon de coiffure. Mme [S] dit s'en être plaint verbalement à son bailleur puis elle lui a adressé une lettre du 25 novembre 2014.
Des étais provisoires ont été installés.
Le 3 février 2015, un procès-verbal de constat a été dressé par Maître [N] [F], huissier de justice.
Deux nouvelles mises ne demeure ont été adressées au bailleur par l'assureur de protection juridique de Mme [S], le 3 avril 2015 et le 3 juin 2015.
Ces mises en demeure étant demeurées vaines, Mme [S] a obtenu la désignation, en référé, d'un expert judiciaire par une ordonnance du 10 septembre 2015.
L'expert judiciaire a clôturé ses opérations le 20 juillet 2016.
Des travaux de réparation ont été réalisés jusqu'au mois de septembre 2016 et les étais ont été enlevés.
Mme [S] a néanmoins fait assigner M. [R] devant le tribunal de grande instance d'Angers par un acte d'huissier du 2 février 2017, en responsabilité et pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices économiques et de jouissance.
La SCI ADCP est intervenue volontairement à l'instance.
Par un jugement du 1er avril 2019, le tribunal de grande instance d'Angers a :
* condamné M. [R] solidairement avec la SCI ADCP à payer à Mme [S] la somme de 10 800 euros en réparation de son préjudice de jouissance et économique en application du contrat de bail du 20 octobre 2009,
* condamné M. [R] solidairement avec la SCI ADCP à payer à Mme [S] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et de constat d'huissier de justice,
* prononcé l'exécution provisoire du jugement,
Par une déclaration du 13 mai 2019, M. [R] et la SCI ADCP ont interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs, intimant Mme [S].
M. [R] et la SCI ADCP d'une part, Mme [S] d'autre part, ont conclu.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 janvier 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par des dernières conclusions remises au greffe par la voie électronique le 27'mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [R] et la SCI ADCP demandent à la cour :
- de les dire recevables et fondés en leur appel, demandes, fins et conclusions,
- d'infirmer le jugement entrepris,
- de déclarer irrecevables les demandes de Mme [S] contre M. [R], et le mettre hors de cause,
- de débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes,
- de la condamner à verser à la SCI ADCP une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction.
Par des dernières conclusions remises au greffe par la voie électronique le 11'janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mme [S] demande à la cour :
- de débouter M. [R] et la SCI ADCP de leurs demandes, fins et conclusions et de les déclarer mal fondés en leur appel,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* dit et jugé qu'elle était recevable bien-fondée en ses demandes, fins et conclusions,
* dit et jugé que M. [R] et la SCI ADCP responsables des dommages qu'elle a subis,
* condamné M. [R] solidairement avec la SCI ADCP au paiement de la somme de 10'800 euros au titre des préjudices de jouissance et économiques, outre les dépens comprenant les frais d'expertise et le coût du constat d'huissier, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [R] et la SCI ADCP à lui verser une somme de 4'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel,
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la recevabilité de l'action à l'encontre de M. [R] :
M. [R] soutient que Mme [S] n'est pas recevable à agir à son encontre, dès lors qu'il n'est plus le propriétaire de l'immeuble qu'il a cédé à la SCI ADCP depuis le 29 décembre 2010, ce dont l'intimée a eu connaissance à l'occasion de l'envoi des avis d'échéances.
Mme [S] répond que M. [R] ne l'a jamais avisée de ce changement de propriétaire et qu'il ne l'a pas plus fait savoir lors des opérations d'expertise. Elle oppose qu'il n'est pas justifié de l'existence de la société, dont les statuts ne sont pas produits. Elle invoque la théorie du mandat apparent pour demander la condamnation solidaire de M. [R] et de la SCI ADCP, en faisant valoir que [C] s'est toujours comporté à son égard comme le véritable propriétaire.
Sur ce,
Mme [S] invoque plusieurs fondements juridiques au soutien de son action en responsabilité. Elle se prévaut en effet, d'une part, de l'ancien article 1386 du code civil pour invoquer la responsabilité délictuelle du propriétaire de l'immeuble au titre des dommages causés aux tiers par sa ruine. D'autre part, elle invoque la responsabilité contractuelle du bailleur à son obligation de délivrance, de jouissance paisible et de réparation, au sens de l'article 1719 du code civil.
Il est également important de déterminer la date du manquement reproché. Mme [S] ne le précise pas. Toutefois, cette date peut se déduire, d'une part, des termes de la lettre du 25 novembre 2014 dans laquelle elle dit '(...) rencontre[r] depuis maintenant un an et deux mois de gros soucis avec le balcon qui se trouve au-dessus de mon salon de coiffure' et, d'autre part, de sa demande d'indemnisation correspondant à une période de 36 mois antérieure à la fin des travaux de remise en état qu'elle situe à mi-septembre 2016. La cour en déduit que l'inexécution alléguée et le dommage dont la réparation est poursuivie couvrent la période de mi-septembre 2013 à mi-septembre 2016.
Le bail commercial a certes été signé entre M. [R] et Mme [S], le 20'octobre 2009. M. [R] justifie toutefois qu'il a cédé l'immeuble du [Adresse 1] à [Localité 11] (Maine-et-Loire), comprenant le local commercial du rez-de-chaussée, à la SCI ADCP par une acte du 29 septembre 2010. La production de l'attestation notariée de la vente ainsi intervenue, mentionnant le numéro Siren et l'immatriculation au Registre du commerce et des sociétés d'Angers, suffit à s'assurer de la réalité de cette société et rend superflue la production des statuts dans le cadre de la présente instance.
A compter de cette date, la SCI ADCP est donc devenue la propriétaire du bâtiment tel qu'il est désigné par l'article 1386 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131du 10 février 2016.
Il découle par ailleurs de l'article 1743 du code civil que le bail commercial est transmis de plein droit et par accessoire au nouvel acquéreur de l'immeuble. Le nouveau propriétaire devient dès lors seul responsable des inexécutions commises après qu'il a acquis l'immeuble. Il en va précisément ainsi en l'espèce, le début de la période d'indemnisation (mi-septembre 2013) étant postérieure à la date de l'acquisition du bien immobilier par la SCI ADCP (29 septembre 2010).
Mme [S] se plaint de ne pas jamais avoir été avisée du changement d'identité de son bailleur, M. [R] ne l'ayant même pas fait savoir au cours des opérations d'expertise judiciaire. Elle invoque la théorie de l'apparence pour tenter d'engager la responsabilité de M. [R] aux côtés de la SCI ADCP.
La théorie de l'apparence est un mécanisme correctif qui permet de valider un acte accompli par son auteur sans titre ni pouvoir, au profit d'un tiers qui a cru de bonne foi à la situation apparente à la faveur d'une erreur commune ou d'une croyance légitime
Cette théorie de l'apparence connaît plusieurs déclinaisons. Mme [S] invoque ainsi, d'une part, l'existence d'un mandat apparent mais sans toutefois développer son argumentaire sur ce point ni mettre la cour en mesure de comprendre la portée de son moyen. La théorie du mandat apparent consiste en effet à faire produire à l'encontre d'un prétendu mandant les effets d'un acte juridique conclu par un mandataire apparent hors de tout mandat ou au-delà des limites de son mandat, au profit de celui qui a légitimement et de bonne foi pu croire aux pouvoirs du mandataire apparent. Or, Mme [S] ne soutient aucunement que la SCI ADCP ait pu agir comme potentielle mandataire de [C] de sorte à pouvoir engager ce dernier, ni même d'ailleurs ne poursuit l'exécution d'un acte juridique puisqu'elle recherche la responsabilité de M. [R].
Mme [S] invoque, d'autre part, sa croyance légitime en la qualité apparente de propriétaire bailleur de M. [R], lequel lui oppose qu'elle a pu se convaincre du changement de propriétaire grâce à l'envoi des avis d'échéance.
Il appartient à Mme [S] de rapporter la preuve, non pas seulement qu'elle a légitimement pu croire aux pouvoirs de M. [R], mais qu'elle a été victime d'une erreur commune sur la qualité et le titre de M. [R]. L'erreur commune est celle qu'une personne normalement raisonnable n'aurait pas pu surmonter compte tenu d'investigations et de vérifications normales auxquelles il convient de procéder. Or, Mme [S] ne propose pas de rapporter une telle preuve. Il n'est certes pas démontré, ni même allégué, que Mme [S] a été informée de la cession du 29 septembre 2010 et il se trouve que M. [R] est également le gérant de la SCI ADCP. Mme [S] n'a certes pas aisément pu se convaincre du changement de qualité de ce dernier, ce d'autant plus sûrement qu'il n'en a pas non plus fait état au cours des opérations d'expertise judiciaire. Pour autant, M. [R] justifie que le changement de propriétaire figurait sur les avis d'échéance envoyés par l'agence gestionnaire à Mme [S] et la cour relève que les documents d'urbanisme remis à l'expert judiciaire sont bien libellés à l'intention de la SCI ACDP, ce qui exclut toute erreur commune.
Il en résulte que M. [R] n'a aucune qualité à défendre à l'action en responsabilité engagée par Mme [S] à l'encontre du propriétaire de l'immeuble et à l'encontre de son bailleur. De ce fait, le jugement entrepris sera infirmé et l'action de Mme [S] sera déclarée irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre M. [R].
- sur la responsabilité :
Mme [S] renvoie aux constatations matérielles et aux conclusions de l'expertise judiciaire pour conclure que la responsabilité de son bailleur est engagée sur le fondement de l'ancien article 1386 du code civil ou sur celui de l'article 1719 du code civil en raison du manquement aux obligations de délivrance, de jouissance paisible, d'entretien et de réparation. Elle reproche à son bailleur son inertie pendant de très nombreux mois, malgré les réclamations réitérées qu'elle lui a adressées. Elle conteste que les travaux d'embellissement entrepris par la commune aient été de nature à empêcher la réalisation des travaux sur le balcon.
La SCI ADCP répond que Mme [S] s'est uniquement plainte de l'état du balcon, lequel ne fait pas partie de l'assiette du bail commercial, et qu'elle n'a fait état de désordres à l'intérieur du local pour la première fois qu'au moment du constat d'huissier du 3 février 2015 mais qu'il n'a jamais été constaté la réalité des infiltrations qu'elle dénonce. Elle explique qu'elle a pris les mesures pour sécuriser le balcon dès qu'elle a été avisée des désordres par sa locataire mais que les travaux qui ont été réalisés par la commune entre octobre 2013 et juin 2015, qui ont entraîné la fermeture de la [Adresse 10] à la circulation automobile, ont empêché toute intervention lourde sur le balcon, outre le fait qu'ils ont eu pour effet d'aggraver les fissures dans le salon de coiffure. Elle rappelle que son projet initial de suppression du balcon a été refusé par la commune et qu'elle a donc dû envisager des travaux de remise en état, qu'elle n'a pu concrétiser qu'après la fin des travaux publics en faisant établir un devis par la SARL Théodore du 3'novembre 2015, en sollicitant (9 février 2016) puis en obtenant l'autorisation de travaux (22 mars 2016). C'est ainsi que les travaux ont été finalement réalisés en septembre 2016. Dans ce contexte, elle se défend de toute faute.
Sur ce,
Bien que l'expertise judiciaire ait relevé la présence de fissures à l'intérieur du local exploité par Mme [S], cette dernière concentre son argumentation sur les désordres qui ont affecté le balcon surplombant l'entrée et la vitrine de son salon de coiffure, à l'origine selon elle d'un préjudice de jouissance et d'une perte d'attractivité de son commerce. Ce sont d'ailleurs uniquement ces désordres affectant le balcon que Mme [S] a dénoncés dans sa lettre du 25 novembre 2014, qui ont été repris par son assureur dans la lettre du 3 avril 2015 et qui ont justifié la mise en place d'un dispositif d'étaiement par la société propriétaire. La question de l'aggravation des fissures intérieures par l'effet des travaux réalisés dans la [Adresse 10], de même que l'existence ou pas d'infiltrations à l'intérieur des lieux sont donc indifférentes.
L'expertise judiciaire met suffisamment au jour la réalité des désordres qui affectent le balcon ainsi que leur cause. Il est en effet décrit '(...) de nombreuses fissures traversantes. Les aciers qui normalement sont noyés dans le béton, sont en partie visibles et très corrodés. Cette corrosion provoque une déformation des aciers et se traduit par l'éclatement du béton. Ce phénomène est visible à trois endroits. L'enduit de sous-face du balcon se détache par plaques et menace de tomber sur les passants malgré la présence de l'étaiement composé d'un platelage en acier' (page 22). L'expert judiciaire conclut que ' les désordres constatés ont pour origine une absence totale d'entretien de la part du défendeur (propriétaire de l'immeuble), qui s'est contenté de faire mettre en place un étaiement afin d'éviter la chute du balcon sur la voie publique et sur la vitrine du salon de coiffure. Le balcon est dans un état de dégradation qui ne permet plus d'envisager la moindre réparation' (page 28).
Mme [S] envisage plusieurs fondements pour engager la responsabilité de la SCI ACDP.
Elle invoque, en premier lieu, les dispositions de l'article 1386 du code civil, devenu l'article 1244 du même code, qui prévoient que le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu'elle est arrivée par suite du défaut d'entretien ou par le vice de sa construction.
Toutefois, la notion de ruine du bâtiment s'entend très strictement et suppose de démontrer l'effondrement de tout ou partie de ce bâtiment ou encore la chute de l'un de ses éléments constitutifs. L'article 1386 précité ne permet en revanche pas d'engager la responsabilité du propriétaire pour un simple risque de ruine. Or en l'espèce, il n'est pas démontré l'effondrement du balcon. Le fait que l'expert judiciaire ait relevé qu'un morceau de la corniche était tombé ne suffit pas à caractériser la ruine du balcon. De même, le fait que le balcon n'ait plus tenu que grâce à l'étaiement mis en place n'a plus fait peser sur les tiers, dont Mme'[S], qu'un risque de ruine, dont il a précédemment été expliqué qu'il est insusceptible d'engager la responsabilité de la SCI ACDP sur le fondement de l'article 1386 du code civil.
Mme [S] recherche, en seconde lieu, la responsabilité de la SCI ACDP en tant que bailleresse pour des manquements à diverses obligations, dont il lui revient d'en rapporter la preuve.
C'est ainsi qu'elle invoque un manquement par l'appelante à son obligation d'entretien et de réparation. L'article 1719 du code civil impose en effet au bailleur d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, tandis que l'article 1720 du même code l'oblige à faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives. Ces dispositions n'étant pas d'ordre public, il revient aux parties de définir le champs et les conditions d'application de l'obligation d'entretien et de réparation. Or, la SCI ADCP oppose que le balcon litigieux ne fait pas partie de l'assiette du bail commercial. En effet, la consistance des lieux donnés ressort de l'article 1 du contrat et se limite au '(...) rez-de-chaussée comprenant un local, réserve, buanderie, WC, pour une surface totale d'environ 27 m²'. Et c'est au regard de cette consistance que doit être lue l'obligation d'entretien et de réparation définie à l'article 5 de ce même contrat, qui impose au preneur de tenir '(...) les lieux loués de façon constante en parfait état de réparations locatives et de menus entretiens au sens de l'article 1754 du code civil, le Bailleur s'obligeant de son côté à exécuter et prendre en charge les grosses réparations limitativement visées à l'article 606 du code civil'. La SCI ACDP n'assumait donc, envers sa locataire et en exécution du bail commercial, aucune obligation d'entretien et de réparation du balcon. Sa responsabilité ne peut donc pas être engagée à ce titre.
Mme [S] invoque par ailleurs le manquement par la SCI ACDP à son obligation de délivrance d'une chose louée conforme à sa destination stipulée au contrat. Il découle en effet de l'article 1719 (1°) du code civil que le bailleur est tenu, au titre de son obligation de délivrance, de remettre au preneur des lieux conformes à l'usage auxquels ils étaient contractuellement destinés. L'article 3 du bail commercial définit en l'espèce la destination en renvoyant à '(...) l'activité de salon de coiffure mixte esthétique, vente de produits dérivés et liés à l'activité de coiffure, vente de bijoux fantaisie à l'exclusion de toute autre utilisation'. Or, Mme'[S] ne démontre pas, ni même ne soutient, que les désordres ayant affecté le balcon et même le dispositif d'étaiement mis en place pour y répondre, aient rendu impossible l'accès par la clientèle au salon de coiffure ou aient empêché l'exercice de son activité. L'expert judiciaire indique au contraire que '(...) l'accès au salon de coiffure n'est pas entravé par l'échafaudage et la surface de la vitrine est accessible' (page 26). Le manquement à l'obligation de délivrance ne peut donc pas être retenu à l'encontre de la SCI ACDP.
En revanche, Mme [S] invoque un manquement par l'appelante à son obligation de jouissance paisible. Cette obligation est mise à la charge du bailleur par l'article 1719 (3°) du code civil, qui l'oblige à faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail. A ce titre, le bailleur engage sa responsabilité notamment pour les troubles de toute nature qui nuisent à l'usage de la chose d'autrui, dès lors qu'ils résultent du fait personnel du bailleur, de celui d'une personne dont il répond ou d'une chose sur laquelle il exerce un pouvoir. S'agissant d'une obligation de résultat, le simple constat de l'inexécution suffit à engager la responsabilité du bailleur. Il revient alors à ce dernier de s'en exonérer en discutant l'imputabilité du manquement caractérisé par la démonstration d'un cas de force majeure.
Le manquement à l'obligation de jouissance paisible est, en l'espèce, suffisamment caractérisé par le fait que la dégradation de l'état du balcon de l'immeuble appartenant à la SCI ACDP et l'étaiement qui a été mis en place ont perturbé les conditions de l'usage du local donné à bail.
La SCI ACDP fait valoir que la commune de [Localité 11] a entrepris des travaux de voirie sur la période d'octobre 2013 à juin 2015 qui ont rendu la [Adresse 10] inaccessible aux véhicules et qui l'ont ainsi empêchée de faire procéder aux travaux puis, qu'à l'issue, elle a effectué toutes les diligences suffisantes pour faire exécuter les travaux de remise en état du balcon dans les meilleurs délais compte tenu des démarches administratives nécessaires. Pour autant, toute son argumentation est tournée vers la conclusion d'une absence de faute de sa part, alors qu'une telle faute est indifférente, sans jamais évoquer la force majeure ni développer les conditions propres à cette notion.
La responsabilité de la SCI ACDP est donc engagée envers Mme [S].
- sur les préjudices :
Mme [S] se plaint d'avoir été dans l'impossibilité d'exploiter les lieux loués conformément à leur destination pendant 36 mois. Elle demande la réparation d'un préjudice de jouissance mais également d'un préjudice économique, dans la mesure où la présence des étais a privé le salon de son attractivité et qu'il en est résulté un impact négatif sur le développement de son activité. Elle approuve l'appréciation de son préjudice faite par le tribunal de grande instance à raison de 300 euros par mois, soit 10 800 euros au total.
Pour la SCI ADCP, Mme [S] ne rapporte pas la preuve des préjudices dont elle demande la réparation. Elle insiste notamment sur le fait que Mme [S] n'a jamais communiqué à l'expert judiciaire ni produit aux débats aucun élément comptable pour établir la réalité d'un préjudice économique. Elle conteste également tout préjudice de jouissance en relevant que le salon de coiffure est toujours resté accessible, que Mme [S] a donc pu continuer à exploiter son commerce sans gêne et qu'il est impossible de déterminer si une baisse de fréquentation serait imputable de façon directe et certaine à l'état du balcon plutôt qu'aux perturbations induites par les travaux de voirie réalisés par la commune.
Sur ce,
Le tribunal de grande instance a retenu l'existence d'un préjudice économique et d'un préjudice de jouissance, dont il a assuré la réparation sur une base mensuelle globale de 300 euros.
Il appartient à Mme [S] de rapporter la preuve de la réalité et la consistance des dommages dont elle demande la réparation. Or, l'intimée n'a jamais produit aucun document, qu'il soit comptable ou autre, pour établir son préjudice économique. L'expert judiciaire retient d'ailleurs au contraire que 'l'accès au salon de coiffure n'est pas entravé par l'échafaudage et la surface de la vitrine est accessible. On peut faire état d'une gêne esthétique tout au plus. Dans ces conditions, l'impact sur le chiffre d'affaires est impossible à mesurer. Aucune réclamation n'a été formulée à ce sujet par la demanderesse. L'évaluation de la perte d'exploitation est évaluée à 0 euro.' (page 26). Mme [S] sera donc déboutée de son indemnisation au titre du préjudice économique, faute de rapporter la preuve de la réalité ni du montant de la perte de croissance voire de la décroissance qu'elle allègue.
La cour rejoint en revanche l'expert judiciaire lorsqu'il retient l'existence d'un préjudice de jouissance lié à la présence, devant la vitrine du salon, de l'échafaudage constitué de trois poteaux avec des fourreaux de couleur rouge, de consoles et d'un plancher métalliques. Il en résulte une gêne esthétique, d'autant plus réelle et pénalisante s'agissant d'un commerce dédié aux soins à la personne, qui n'est aucunement remise en cause par le fait que l'accès au salon est resté possible et que l'activité a pu être poursuivie. Le montant de l'indemnisation doit également tenir compte de la durée pendant laquelle la présence de cet échafaudage a été imposée à la locataire, soit 36 mois. A cet égard, le rappel par la SCI ACDP de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'intervenir sur le balcon pendant la durée des travaux de voirie se heurte à la même difficulté que précédemment, liée au fait que seule la force majeure - non alléguée - est de nature à l'exonérer de sa responsabilité.
En conséquence de quoi, la réparation du préjudice de jouissance subi par Mme [S] sera réparé par une somme de 2 500 euros, le jugement étant infirmé et la SCI ACDP étant condamnée au paiement de cette somme.
- sur les demandes accessoires :
La SCI ACDP, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles, les dispositions du jugement étant confirmées mais seulement en ce qu'elles ont condamné la SCI'ACDP aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
Elle sera également condamnée à verser à Mme [S] une somme de 2'500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la SCI ACDP aux dépens de première instance, incluant les frais d'expertise judiciaire et le constat d'huissier, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;
statuant à nouveau sur les autres chefs,
Déclare irrecevable l'action dirigée par Mme [S] à l'encontre de M. [R]';
Déboute Mme [S] de sa demande d'indemnisation du préjudice économique ;
Condamne la SCI ACDP à verser à Mme [S] une somme de 2 500 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance ;
y ajoutant,
Condamne la SCI ACDP à verser à Mme [S] une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
Condamne la SCI ACDP aux dépens d'appel ;
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL