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02/04/2024 | FRANCE | N°20/00406

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre a - civile, 02 avril 2024, 20/00406


COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE







YW/ILAF

ARRET N°:



AFFAIRE N° RG 20/00406 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EUR2



jugement du 17 Décembre 2019

Tribunal de Grande Instance du MANS

n° d'inscription au RG de première instance 18/03058





ARRET DU 02 AVRIL 2024



APPELANTS :



Monsieur [D] [P]

né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 8] - BRESIL

[Adresse 4]

[Localité 5]



Représenté par Me Virginie CONTE de la SC

P PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS





INTERVENANTE VOLONTAIRE



ASSOCIATION TUTELAIRE HELIANTHE -ATH-

en qualité de curateur de M. [D] [P]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE

YW/ILAF

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 20/00406 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EUR2

jugement du 17 Décembre 2019

Tribunal de Grande Instance du MANS

n° d'inscription au RG de première instance 18/03058

ARRET DU 02 AVRIL 2024

APPELANTS :

Monsieur [D] [P]

né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 8] - BRESIL

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Virginie CONTE de la SCP PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS

INTERVENANTE VOLONTAIRE

ASSOCIATION TUTELAIRE HELIANTHE -ATH-

en qualité de curateur de M. [D] [P]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me Virginie CONTE de la SCP PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 66281

INTIMEES :

S.A.M.C.V. MACIF

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Cyrille GUILLOU de la SELARL BOIZARD - GUILLOU SELARL, avocat postulant au barreau D'ANGERS et par Me Philippe ARION, avocat plaidant au barreau de RENNES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SARTHE

[Adresse 1]

[Localité 5]

N'ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 19 Juin 2023 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. WOLFF, Conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme MULLER, conseillère faisant fonction de présidente

Mme GANDAIS, conseillère

M. WOLFF, conseiller

Greffière lors des débats : Mme LEVEUF

Greffière lors du prononcé : Mme GNAKALE

ARRET : réputé contradictoire

Prononcé publiquement le 02 avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Yoann WOLFF, conseiller pour la présidente empêchée et par Flora GNAKALE, greffiière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 2 novembre 2015 vers 19 heures 20, M. [D] [P] a été victime d'un accident de la circulation [Adresse 10]. Alors qu'il conduisait un cyclomoteur sur lequel se trouvait un autre passager et qu'il circulait en direction de la rue Chanzy, son véhicule a percuté l'avant droit d'une automobile qui, conduite par M. [C] [Z] et arrivant d'en face, était en train de tourner à gauche vers la [Adresse 9]. M. [P] a alors été éjecté de son cyclomoteur. Il a, dans les suites de cet accident, subi une amputation du membre inférieur droit.

Faisant valoir que M. [P] avait commis des fautes justifiant que l'indemnisation des dommages qu'il a subis soit limitée à la moitié, l'assureur de M. [Z], la société Macif (la Macif), société d'assurance mutuelle, l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance du Mans par acte d'huissier de justice du 19 septembre 2018.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe (la caisse) a été appelée à la cause.

Par jugement du 17 décembre 2019, le tribunal a notamment :

Dit que le droit à indemnisation de M. [P] serait réduit dans la proportion d'un tiers ;

Dit que chaque partie conserverait la charge des frais et dépens qu'elle a exposés ;

Rejeté toute autre demande.

Pour ce faire, le tribunal a considéré que s'il n'était pas démontré que l'alcoolisation de M. [P] au moment des faits, mesurée deux heures après ceux-ci à 0,80 gramme par litre de sang, avait concouru à la réalisation de l'accident, il résultait d'un témoignage et d'une étude technique produite par la Macif que l'intéressé circulait à une vitesse nettement supérieure à celle autorisée en agglomération, et que cela avait contribué à ses blessures.

Intimant l'ensemble des autres parties, M. [P] a relevé appel de ces chefs du jugement par déclaration du 3 mars 2020, signifiée à la caisse, qui n'a pas constitué avocat, le 18 juin suivant.

L'Association tutélaire Hélianthe (l'ATH) est ensuite intervenue volontairement en tant que curatrice de M. [P].

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 10 mai 2023.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2022 et signifiées à la caisse le 19 septembre suivant, M. [P] et l'ATH demandent à la cour :

D'infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

De dire et juger que l'accident a pour cause exclusive la violation par M.'[Z] des obligations particulières de sécurité et de prudence imposées aux conducteurs par le code de la route, et que le droit à indemnisation de M. [P] est intégral ;

De condamner la Macif aux dépens de première instance et d'appel en accordant le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile à leur avocat ;

De condamner la Macif à verser à M. [P] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [P] et l'ATH soutiennent que :

Seule la faute inexcusable du conducteur du véhicule est susceptible de limiter ou d'exclure son droit à indemnisation. Pour qu'une faute inexcusable puisse être retenue, deux conditions cumulatives doivent être réunies : la démonstration d'un comportement fautif du conducteur victime, et la preuve d'un lien de causalité exclusif entre cette faute et le dommage tel qu'il s'est réalisé. En l'espèce, il ressort de l'enquête pénale que la conduite de M. [P] n'est pas la cause exclusive de l'accident. Le comportement fautif de M. [Z], qui n'a pas réalisé les contrôles préalables nécessaires en marquant l'arrêt avant de tourner à gauche, et ce, malgré le défaut de visibilité sur la chaussée dans les deux sens de circulation, est la cause directe de l'accident.

Le taux d'alcool dans le sang mesuré chez M. [P] après l'accident est à lui seul insuffisant pour caractériser une faute ayant un lien de causalité exclusif avec cet accident.

En ce qui concerne la vitesse du cyclomoteur de M. [P] au moment des faits, le témoignage de M. [L] [S] constitue une appréciation subjective de cette vitesse, laquelle est insuffisante pour déterminer la vitesse réelle du véhicule. Quant au rapport produit par la Macif, il ne peut démontrer à lui seul l'existence d'une vitesse excessive, dès lors qu'il s'agit d'une expertise non contradictoire réalisée uniquement sur pièces plusieurs mois après les faits, que le cabinet qui l'a rédigée a été mandaté par la Macif pour démontrer une vitesse excessive, et qu'il fait état d'un mode de calcul se basant sur plusieurs données combinées, certaines étant hypothétiques et donc non acquises. En outre, c'est à la Macif qu'il appartient d'établir l'existence d'une faute de M. [P].

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 avril 2023, la Macif demande à la cour de confirmer le jugement et de juger que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel et qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La Macif soutient que :

La question posée est simplement limitée, d'une part, au point de savoir si les éléments de l'enquête pénale, complétés par ceux qu'elle verse aux débats, permettent d'établir la faute de conduite de M. [P], et, d'autre part, à la détermination du poids qu'il convient d'accorder à cette faute. Dès lors, sont totalement hors sujet les développements de M. [P] et de l'ATH sur la faute de conduite de M. [Z]. M. [P] n'étant pas une victime non-conductrice, une faute de conduite, même simple, suffit à entraîner une réduction de son droit à indemnisation, sans qu'il soit besoin de la caractériser sous l'angle de la faute inexcusable, ni même sous celui de la causalité exclusive.

Les dégâts objectivés sur les deux véhicules, leur positionnement et celui du corps de M. [P] démontrent résolument l'excès de vitesse non négligeable commis par ce dernier. Par ailleurs, il peut être retenu un défaut de maîtrise qui procède de l'existence même de l'accident. De plus, l'excès de vitesse n'a pu qu'être favorisé par l'euphorie ou la griserie de l'alcool, et n'a pu qu'être à l'origine de dommages corporels malheureusement conséquents. Les éléments factuels au regard desquels le cabinet ERGET a établi son rapport et sa note qu'elle produit sont étayés par les témoignages objectifs qui ont été recueillis lors de l'enquête.

MOTIVATION

L'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, selon lequel les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident, n'est pas applicable en l'espèce, M.'[P] ayant été au moment de l'accident litigieux conducteur d'un véhicule terrestre à moteur.

Seul l'est l'article 4 de la même loi, aux termes duquel la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis.

Cette faute doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de l'autre conducteur impliqué dans l'accident.

Elle peut limiter ou exclure le droit de la victime à réparation intégrale que si elle a joué un rôle causal dans la réalisation de son préjudice.

La preuve de cette faute appartient à celui qui l'invoque.

En l'espèce, au soutien du dépassement de la vitesse réglementaire et de l'état alcoolique qu'elle invoque, la Macif produit deux notes techniques rédigées par la société ERGET, l'une du 19 avril 2016, et l'autre, en réponse aux conclusions de M. [P], du 22 mars 2019. Ces notes concluent :

La vitesse de collision du cyclomoteur peut être estimée à 70 km/h minimum. Un accident à vitesse réglementaire en agglomération ne peut pas provoquer de dommages aussi importants que ceux constatés sur les véhicules de l'accident, ni même permettre à un occupant d'être projeté à 18 mètres.

Si le motard n'a pas pu éviter l'accident, il n'est que deux raisons plausibles :

Soit il circulait à une vitesse un peu supérieure à 70 (proche de 80 km/h) et il n'a pu que ralentir/freiner jusqu'à 70 km/h environ avant l'impact ;

Soit il circulait « seulement » à 70 km/h mais n'a pas réagi du tout ou a réagi bien trop tard à cause de son état d'alcoolémie avancé.

Quoi qu'il en soit, il est manifeste qu'à vitesse réglementaire pour ce type de cyclomoteur (45 km) et/ou hors alcoolémie, le scootériste n'aurait eu aucun problème pour prendre connaissance du danger et ralentir en conséquence ; l'accident n'aurait pas dû avoir lieu.

Si la cour ne peut refuser d'examiner ces pièces régulièrement versées aux débats et soumises à la discussion contradictoire, elle ne peut, pour retenir la faute de M. [P] et limiter son droit à indemnisation, se fonder exclusivement sur cette expertise non judiciaire réalisée à la demande de la Macif, laquelle, pour pouvoir être prise en compte, doit être corroborée par d'autres éléments (Ch.'mixte, 28 septembre 2012, pourvoi n° 11-18.710, Ch. Mixte, Bull. 2012, n°'2).

S'agissant de l'excès de vitesse, celui-ci n'est évoqué que par un témoin, M.'[L] [S], qui, dans le procès-verbal de son audition par la police du 6'novembre 2015, indique : « Ce dernier [le cyclomoteur] m'a dépassé sur sa voie de circulation. ['] Une voiture étant en stationnement irrégulier à mon avis, il s'est déporté pour la dépasser et a continuer a grande vitesse à mon avis. Je dirai à 60/70 km/h ['] Tout ce que je peux dire c'est que ce cyclomoteur allait vite» (sic).

Ce témoignage est néanmoins imprécis et approximatif : on ne sait à quelle distance du lieu de l'accident se trouvait le témoin lorsqu'il a été dépassé par le cyclomoteur de M. [P] et a constaté la vitesse de celui-ci, et, alors qu'il était à pied et qu'il faisait nuit, il n'apprécie cette vitesse que de manière subjective et en donnant une fourchette relativement large pour une conduite en agglomération.

De même, on ne peut tirer aucune conséquence fiable des dégâts causés aux véhicules impliqués dans l'accident et de la distance à laquelle M. [P] a été éjecté, lesquels n'ont fait l'objet d'aucune analyse technique autre que celle réalisée à la demande de la Macif.

Enfin, le cyclomoteur en cause, dont la fiche technique a été versée à la procédure pénale par l'enquêteur, ne peut en principe rouler à plus de 45 km/h, et aucune constatation technique ne vient établir qu'il ait été modifié sur ce point, ce qui vient contredire le témoignage de M. [S] et les notes de la société ERGET.

Le policier qui a clos la procédure d'enquête doit donc être approuvé lorsqu'il conclut, en ce qui concerne l'excès de vitesse : « Faits non établis par l'enquête ».

Cependant, il ressort également du témoignage de M. [S] les éléments suivants : « il [M. [P]] zigzaguait en plus après avoir dépassé la voiture en stationnement [...] Le cyclomoteur n'a pas ralenti et a percuté de plein fouet l'avant droit de la voiture. » Il ne s'agit pas cette fois-ci de l'appréciation subjective d'un paramètre délicat à mesurer, mais de la description objective d'un comportement facile à observer. Les déclarations du témoin sont corroborées en outre par l'enquête de police, qui a confirmé la présence d'un véhicule en stationnement à proximité de l'intersection où l'accident s'est produit, et qui n'a relevé aucune trace de freinage. Elles ne sont pas contestées par M. [P], qui n'a gardé aucun souvenir de la scène et qui évoque lui-même dans ses conclusions une « attitude louvoyante [pouvant] être imputée à l'alcoolémie » et confirmée par l'enquête pénale.

À cet égard, il est établi, et non contesté là encore, qu'un taux d'alcool de 0,80'gramme par litre de sang a été mesuré chez M. [P] après l'accident. Comme le rapport de police l'a justement conclu, cette «alcoolémie de B1 [M.'[P]] a pu jouer un rôle dans sa perception des faits et dans ses reflexes » (sic).

Ainsi, il en résulte de l'ensemble de ces éléments que, alors tout d'abord qu'il faisait nuit et qu'il présentait un état alcoolique de nature délictuelle qui altérait nécessairement sa perception et ses réflexes, ce qui constituait déjà une faute et devait l'obliger à redoubler de prudence, ensuite que la largeur de la voie où il circulait était réduite par un véhicule en stationnement, et enfin qu'il s'apprêtait à tout le moins à croiser d'autres véhicules arrivant d'en face, M. [P] a abordé l'intersection où l'accident a eu lieu sans être totalement maître de son véhicule, puisqu'il conduisait celui-ci en zigzaguant, et sans réduire pour autant sa vitesse.

En renforçant le caractère frontal de l'accident et le choc entre les véhicules impliqués, ce comportement fautif n'a pu que jouer un rôle causal direct dans la réalisation du préjudice subi par M. [P], lequel est lié à son éjection, à une distance significative, de son cyclomoteur.

La gravité de ce comportement justifie la réduction d'un tiers du droit à indemnisation de M. [P], comme le tribunal l'a retenu.

En conséquence, le jugement sera entièrement confirmé.

Chaque partie conservera la charge des dépens d'appel qu'elle aura exposés et la demande faite par M. [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant :

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés ;

Rejette la demande faite par M. [D] [P] sur le fondement de l'article 700'du code de procédure civile.

LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE empêchée

F. GNAKALE Y. WOLFF


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre a - civile
Numéro d'arrêt : 20/00406
Date de la décision : 02/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-02;20.00406 ?
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