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28/03/2024 | FRANCE | N°21/00360

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 28 mars 2024, 21/00360


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale











ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00360 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3DC.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 10 Juin 2021, enregistrée sous le n° 20/00001





ARRÊT DU 28 Mars 2024





APPELANT :



Monsieur [B] [I]

chez Me [F] [D], [Adresse 1]

[Localité 2]



représenté par M

e COAGUILA, avocat substituant Me Didier LACOMBE de la SELARL LEX ARENA - AVOCAT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMÉE :



S.A. SASP [10]

[Adresse 7]

[Adresse 8]

[Localité 3]



représentée...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00360 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3DC.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 10 Juin 2021, enregistrée sous le n° 20/00001

ARRÊT DU 28 Mars 2024

APPELANT :

Monsieur [B] [I]

chez Me [F] [D], [Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me COAGUILA, avocat substituant Me Didier LACOMBE de la SELARL LEX ARENA - AVOCAT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

S.A. SASP [10]

[Adresse 7]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représentée par Me Samuel CHEVRET de la SELARL DERBY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS - N° du dossier 39371

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Décembre 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame CHAMBEAUD, conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Madame Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 28 Mars 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société SASP [10] (ci-après dénommée le [10]) est une société sportive constituée par l'association [10] et composant avec elle le groupement Sportif [10]. Il s'agit d'un club de football dont l'équipe fanion joue en seconde division (L2) - en troisième division (national) à l'époque des faits. L'équipe réserve évoluait au cinquième échelon national à savoir le national 3.

Le [10] a embauché M. [B] [I] en qualité «d'entraîneur principal de l'équipe senior réserve », par contrat de travail à durée déterminée spécifique du 28 juin 2019, pour une durée fixe de deux saisons sportives, à compter du 1er juillet 2019 et jusqu'au 30 juin 2021.

M. [I] avait le statut « agent de maîtrise, classification C» de la convention collective nationale du sport (CCNS). Sa rémunération mensuelle brute de base était fixée à la somme de 2500 euros. Il bénéficiait de primes individuelles sur objectifs et d'une clause de réévaluation salariale sur objectifs.

Le 7 octobre 2019, le [10] a publié un communiqué officiel faisant en substance état d'une altercation - qu'il condamnait - entre M. [I] et le directeur sportif de l'équipe adverse, M. [E], survenue à l'issue d'une rencontre opposant l'équipe réserve du [10] au [4] le samedi 5 octobre précédent.

Par courriel du 12 octobre 2019, le secrétaire général du [10], M. [H] [J], après avoir indiqué qu'il n'avait pas reçu le rapport du délégué, uniquement la notification de la Ligue, a informé M. [I] qu'il était mis à pied à titre conservatoire 'jusqu'à décision' par la ligue de football tout en lui précisant qu'il serait reçu par le directoire du club le jeudi 17 octobre 2019.

Le 17 octobre 2019, M. [I] a déposé une plainte à l'encontre de l'auteur des agressions verbales et des intimidations dont il a été victime lors de la rencontre de national 3 contre le [4].

A l'issue de l'entretien du 17 octobre 2019, par courrier remis en mains propres et daté du même jour, M. [I] a, de nouveau, été mis à pied à titre conservatoire et convoqué pour un entretien préalable à une éventuelle rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée, qui s'est tenu le 25 octobre 2019.

Par correspondance du 21 novembre 2019, le [10] a notifié à M. [I] la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée spécifique.

Par requête du 3 janvier 2020, M. [I] contestant les motifs invoqués à l'appui de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée et relevant des irrégularités de procédure, a saisi le conseil de prud'hommes de Laval afin de voir le [10] être condamné à lui payer les sommes suivantes :

'I. 5 000 euros au titre de dommages et intérêts nés du non-respect de la procédure ;

II. 15 000 euros au titre du préjudice professionnel, d'image et extrapatrimonial (6 mois de salaire) ;

III. 48 250 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail à durée déterminée (salaire restant à courir jusqu'au terme contractuel du contrat ' 19 mois et 9 jours) ;

IV. 2 917 euros au titre de la rémunération de la période de mise à pied ;

V. 291 euros au titre des congés payés sur mise à pied ;

VI. Exécution provisoire de la décision à intervenir ;

VII. Intérêts au taux légal ;

VIII. 3 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

IX. entiers dépens.'

Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Laval a statué en ces termes :

'Dit et constate régulière et recevable l'action engagée par M. [I] [B] ;

Dit que des irrégularités de procédures doivent être relevées et sanctionnées ;

Constate et juge sans faute grave la rupture anticipée à l'initiative de l'employeur du contrat de M. [I] [B] notifiée le 21 novembre 2019,

Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse

Condamne la société SASP [10] à payer à M. [I] [B] les sommes suivantes avec production d'intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale :

- 800 euros au titre de dommages et intérêts nés du non-respect de la procédure,

- 1000 euros au titre du préjudice professionnel, d'image et extrapatrimonial,

- 2 917 euros pour la période de mise à pied à titre conservatoire,

- 291 euros au titre des congés payés sur la mise à pied à titre conservatoire,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [I] [B] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée ;

Déboute la société SASP [10] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [I] [B] et la société SASP [10] aux dépens pour moitié ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit, dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois pour les jugements qui ordonnent le paiement des sommes dues au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R.1454-14 du code du travail, ainsi que pour toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire pour le surplus.'

M. [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 22 juin 2021, sa déclaration étant ainsi libellée : 'Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : En ce que le Conseil de Prud'hommes après avoir relevé des erreurs de procédure et constaté l'absence de faute grave, a considéré que la rupture des relations contractuelles reposait sur un motif réel et sérieux, ce qui est impossible car les parties étaient liées par un CDD spécifique régi par les dispositions des articles L 222-2-1 à L 222-2-8 du code du sport. En requalifiant la rupture anticipée pour faute grave du CDD spécifique de M. [I] en licenciement pour motif réel et sérieux, le conseil commet une erreur de droit manifeste. Du fait de cette erreur, le conseil ne tire pas les conséquences nécessaires nées de l'absence de faute grave, en estimant à tort : « Attendu que le conseil a requalifié le licenciement de M. [B] [I] en licenciement pour cause réelle et sérieuse. En conséquence, le Conseil Déboute M. [I] [B] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat à durée déterminée.'

La SASP [10] a constitué avocat en qualité de partie intimée le 28 juin 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 novembre 2023.

L'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 7 décembre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [I], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 17 septembre 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- dire et constater régulier et recevable son appel partiel ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a « dit que des irrégularités de procédures doivent être relevées et sanctionnées » ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il « constate et juge sans faute grave la rupture anticipée à l'initiative de l'employeur du contrat de M. [I] [B] notifiée le 21 novembre 2019 » ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a « dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse » ;

Statuer à nouveau :

- constater et juger sans faute grave la rupture anticipée à l'initiative de l'employeur de son contrat notifiée le 21 novembre 2019,

Et par conséquent et en tout état de cause :

- condamner le [10] à lui payer les sommes suivantes avec production d'intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale :

* 5000 euros au titre de dommages et intérêts nés du non-respect de la procédure,

* 15 000 euros au titre du préjudice professionnel, d'image et extrapatrimonial (6 mois de salaire),

* 48 250 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail à durée déterminée (salaire restant à courir jusqu'au terme contractuel du contrat ' 19 mois et 9 jours),

* 2917 euros au titre de la rémunération de la période de mise à pied,

* 291 euros au titre des congés payés sur mise à pied,

- condamner le [10] à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner le [10] aux entiers dépens d'appel et de première instance.

La SASP [10], par conclusions régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 13 décembre 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- dire et juger recevable son appel incident,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Laval du 10 juin 2021 en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Laval du 10 juin 2021 pour le surplus,

Statuant de nouveau :

- débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [I] à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour rappelle, à titre liminaire, que selon l'article L.222-2-1 du Code des Sports dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-261 du 1er mars 2017, le code du travail est applicable au sportif professionnel salarié et à l'entraîneur professionnel salarié, à l'exception des dispositions des articles L.1221-2, L.1241-1 à L.1241-5, L.1242-7 à

L.1242-9, L.1242-12, L.1242-13, L.1242-17, L.1243-7 à L.1243-10, L.1243-13 à L.1245-1, L.1246-1 et L.1248-1 à L.1248-11 relatives au contrat de travail à durée déterminée.

Sur la rupture du contrat de travail à durée déterminée spécifique

Sur l'irrégularité de la procédure

M. [I] prétend avoir été sanctionné à deux reprises par une mise à pied conservatoire, une première fois, par courriel de M. [J], Secrétaire Général du [10], du 12 octobre 2019 et une seconde fois, par courrier de convocation à un entretien préalable du 17 octobre 2019 remis contre décharge.

Il estime que cette seconde mise à pied a été prononcée en violation du principe selon lequel on ne peut pas être sanctionné deux fois pour les mêmes faits et qu'elle doit être requalifiée de mise à pied disciplinaire. Il en déduit que la rupture de son contrat de travail à durée déterminée spécifique est irrégulière.

Le [10] conteste toute double sanction pour les faits du 5 octobre 2019 reprochés à M. [I]. Il fait observer que l'appelant ne reprend pas pour son compte l'argumentaire retenu par le conseil de prud'hommes de Laval tiré du non-respect du délai restreint pour juger sans faute grave la rupture anticipée à l'initiative de l'employeur et le condamner au paiement de dommages et intérêts en réparation.

En premier lieu, la cour constate que M. [I] ne soulève pas le moyen tiré du non-respect du délai restreint retenu à tort par les premiers juges. Outre que ce moyen de droit n'était pas invoqué par les parties en première instance, il est surtout non fondé au regard de la chronologie des évènements. En effet, la rupture du contrat de travail de M. [I] recruté depuis le 1er juillet 2019 en tant qu'entraîneur du [10] nécessitait pour ses dirigeants de connaître la position de la Fédération Française de Football et de disposer d'un temps de réflexion pour apprécier les répercussions pour le club en pleine saison de championnat. Dès lors, le délai de 10 jours ouvrables entre les deux évènements, à savoir la connaissance exacte des faits fautifs et la mise en 'uvre de la procédure disciplinaire, ne peut être, au vu des circonstances de la cause, considéré comme excessif.

En second lieu, l'examen des pièces versées aux débats révèle que par décision du 11 octobre 2019, la Commission Régionale de Discipline de la Fédération Française de Football, Ligue de football des Pays de la Loire, a, sur la base des pièces versées au dossier et en application de l'article 3.3.3 du règlement disciplinaire, décidé au regard de la gravité des faits de suspendre à titre conservatoire jusqu'à décision à intervenir M. [I] [B], n°1020125442, entraîneur du [5].

Interrogé par mail le 12 octobre 2019 par M. [I] sur la réception du rapport du délégué suite au match de samedi, M. [J], Secrétaire Général du club, lui a répondu par courriel du même jour ainsi rédigé « [B], Je n'ai pas reçu le rapport du délégué, uniquement la notification de la Ligue '. Tu es suspendu à titre conservatoire jusqu'à décision. Pour information : tu seras reçu jeudi matin par le directoire du SLMFC. Cordialement».

Il en résulte que M. [I] n'a pas fait l'objet de deux mises à pied successives pour les mêmes faits par son employeur mais d'une seule laquelle lui a été régulièrement notifiée le 17 octobre 2019 lors de la remise de sa convocation à entretien préalable en vue de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée spécifique pour faute grave. D'ailleurs, le bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 révèle que la mise à pied a été déduite du salaire concerné à compter du 17 octobre et non du 12 octobre, ce qui démontre que la suspension à titre conservatoire prononcée par la Ligue n'est pas une sanction disciplinaire prise par l'employeur.

En conséquence, au vu de ce qui précède, la cour infirmera le jugement déféré en ce qu'il a dit que des irrégularités de procédure doivent être relevées et sanctionnées.

Sur la faute grave

M. [I] considère qu'aucun des faits invoqués à l'appui de la lettre de rupture ne sont constitutifs d'une faute grave.

Tout d'abord, il fait valoir que les dirigeants du club, dont il estime qu'ils font preuve d'une particulière mauvaise foi, ont été défaillants dans la police du terrain et des tribunes qui leur incombe, n'ayant pas mis en 'uvre les mesures nécessaires pour que cessent les troubles causés par les spectateurs lors du match. A cet égard, il fait observer que le [10] a été condamné par la fédération française de football à une amende pour infraction à la police des terrains et en déduit qu'il ne peut pas se prévaloir de ses propres insuffisances et de son inconstance en sa qualité d'organisateur et d'employeur pour lui reprocher des faits qui en sont la conséquence lesquels, en toute hypothèse, n'auraient dûs être sanctionnés que par 15 jours de mise à pied disciplinaire conformément à l'article 35 alinéa 6 du règlement intérieur du [10], édition 2019/2020.

Ensuite, il prétend que les faits du 7 octobre 2019 n'ont pas été évoqués lors de l'entretien préalable, ne le concernent pas dans l'exercice de ses fonctions et qu'ils sont en tout état de cause prescrits.

Enfin, il souligne que les faits relatifs à la mise à disposition pour le poste d'entraîneur des gardiens de la Fédération de Football de la République islamique de Mauritanie du 11 novembre au 20 novembre 2019 sans l'autorisation et l'accord de son employeur, à les supposer établis, sont inconnus au moment de l'entretien préalable car postérieurs à celui-ci.

Le [10] soutient que même si chaque faute commise pouvait, à elle seule, justifier la rupture du contrat à durée déterminée pour faute grave, il est évident que leur succession dans un laps de temps extrêmement rapproché rendait impossible le maintien de M. [I] à son poste.

Selon les dispositions d'ordre public de l'article L.1243-1 alinéa 1 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations du travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Prononcée pour faute grave, la rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée constitue une sanction. Dès lors, l'employeur est tenu de respecter la procédure disciplinaire des articles L.1332-1 à L. 1332-4 du code du travail et ne peut invoquer d'autres griefs que ceux énoncés dans la lettre notifiant la rupture.

L'employeur qui invoque la faute grave pour rompre le contrat de travail à durée déterminée doit en rapporter la preuve. Tenu d'apprécier la faute in concreto, le juge n'est pas lié par les indications figurant dans le règlement intérieur ou une convention collective. S'il subsiste un doute, celui-ci doit profiter au salarié.

La lettre de rupture du 21 novembre 2019 qui fixe les limites du litige est rédigée en ces termes :

'M. [B] [I],

En date du 25 octobre 2019, nous vous avons reçu à un entretien préalable pour une éventuelle mesure de rupture de contrat à durée déterminée pour faute grave.

Nous vous y avons exposé les motifs de la mesure envisagée et écouté vos explications.

Le 5 octobre dernier, lors du match se déroulant au centre d'entraînement de la plaine des gandonnières contre [Localité 6] pour le compte de la 6ème journée de championnat National 3, vous avez été à l'origine d'une bagarre et avez agressé physiquement à la fin de la rencontre un dirigeant du club adverse.

Vous avez, pour votre défense, affirmé que l'intéressé vous avait provoqué, voire insulté durant tout le match.

1- Outre le fait que si cet aspect était avéré (sujet en cours de vérification devant la commission de discipline), vous n'aviez pas à vous faire justice et encore moins à créer une bagarre dans une enceinte sportive, montrant par-là aux jeunes du centre de formation un exemple déplorable en tant qu'éducateur et entraîneur salarié du [10]-SASP.

En fonction de vos compétences et formation professionnelle vous saviez qu'il vous suffisait, si les propos qui vous étaient adressés étaient inacceptables, de demander au délégué du match de prendre les mesures appropriées pouvant aller jusqu'à l'interruption du match et l'évacuation du « fauteur de troubles », et vous n'en avez rien fait.

Nous vous rappelons que le 11/10/2019 la ligue des Pays de la Loire vous a suspendu à titre conservatoire jusqu'à la décision de la commission de discipline.

2- Sachant que la commission de discipline de la Ligue de Football des pays de la Loire vous avait déjà suspendu pour trois matchs à effet au 7/10/2019, suite à des propos injurieux envers l'arbitre assistant de la rencontre des U17 contre le [9] le 15/09/2019, alors que vous étiez spectateur et non acteur de cette compétition.

Ce jour-là c'est l'observateur de la ligue de football des Pays de la Loire et le délégué du match qui vous ont identifié en tant qu'éducateur du [10] et confirmé vos propos.

3- De plus, nous avons appris à notre grand regret que vous avez répondu favorablement à la mise à disposition pour le poste d'entraîneur des gardiens de la fédération de football de la République Islamique de Mauritanie du 11/11 au 20/11/2019 sans l'autorisation et l'accord de votre employeur, le [10]-SASP.

Nous vous rappelons que depuis le 17/10/2019 et compte tenu des faits qui vous sont reprochés vous faites l'objet d'une mise à pied conservatoire par votre employeur le SLMFC-SASP.

Cette situation totalement inacceptable nous amène à mettre fin à votre contrat à durée déterminée pour faute grave.

Nous vous confirmons par ailleurs la mise à pied conservatoire qui vous a été notifiée le 17/10/2019 dans l'attente de la décision définitive vous concernant.

La mesure prend effet immédiatement et votre solde de tout compte sera établi dans les délais d'usage.»

Trois griefs sont donc formulés de M. [I] :

1° s'être rendu coupable lors du match du 5 octobre 2019 d'une bagarre et d'une agression physique à l'égard d'un spectateur,

2° s'être rendu coupable d'injures lors d'une rencontre de football le 15 septembre 2019,

3° d'avoir exercé une activité auprès d'un autre employeur sans l'autorisation préalable de son club.

En l'espèce, il ressort des pièces produites devant la cour (décision non contestée par M. [I] de la commission de discipline de la Ligue de football des Pays-de-la-Loire du 5 décembre 2019 l'ayant condamné à un an de suspension dont quatre mois avec sursis pour acte de brutalité à l'encontre d'un spectateur à l'issue de la rencontre ; témoignages concordants et circonstanciés contenus dans le rapport d'instruction pour la Ligue de M. [K] et rapports des officiels et arbitres de match), que les faits reprochés à M. [I] lors du match du 5 octobre 2018 sont établis à savoir d'avoir enjambé la main courante séparant l'espace de jeu (le terrain) de celui réservé aux spectateurs, pour saisir et mettre au sol M. [E], dirigeant de l'équipe adverse et provoquer ainsi une bagarre générale.

M. [I], qui ne conteste pas la matérialité des faits, estime qu'il n'a fait que répondre aux provocations de M. [E] lesquelles auraient dû être traitées en amont par le service de sécurité présent lors du match. Or, le fait qu'il ait été verbalement agressé et menacé par M. [E] durant le match ne saurait en aucun cas justifier qu'il franchisse, à l'issue de celui-ci, la main courante pour aller agresser physiquement ce dernier et se faire ainsi justice étant souligné qu'il ressort du rapport de M. [K] qu'il s'agit d'un acte prémédité puisque M. [I] avait annoncé qu'il retrouverait M. [E] à l'issue de la rencontre

Par ailleurs, contrairement à ce qu'il soutient, aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'a été mise en évidence par la commission de discipline de la Ligue de football même si elle l'a sanctionné, tout comme le club adverse, d'une amende au titre de l'échauffourée générale avec les joueurs, dirigeants et spectateurs. A cet égard, il sera relevé que plusieurs membres du [10] avaient invité M. [I] à ne pas relever les propos de M. [E] au cours du match voulant ainsi le dissuader de tout acte de représailles.

Enfin, quand bien même le [10] aurait manqué à la police du terrain et des tribunes, ce manquement ne saurait nullement justifier l'agression physique commise par M. [I]. Sa position d'entraîneur lui interdit de générer une bagarre en marge d'une rencontre sportive et d'agresser un spectateur devant un public nombreux et en présence des joueurs du centre de formation pour lesquels il se doit de servir d'exemple.

Partant, et sans qu'il soit nécessaire d'analyser les deux autres griefs invoqués par l'employeur au soutien de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée spécifique et contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes, ces seuls faits fautifs, qui sont contraires à l'esprit du sport et portent atteinte à l'image du club, caractérisent une faute grave rendant le maintien de M. [I] à son poste d'entraîneur impossible. A cet égard, il importe peu que le [10] n'ait pas attendu le compte rendu de la commission régionale de discipline rendue le 4 décembre 2019 pour prononcer la rupture du contrat pour faute grave. En effet, les dispositions de l'article 35 alinéa 6 figurant au Titre II du règlement intérieur dont M. [I] se prévaut lui sont inapplicables car relatives aux joueurs, ce dernier étant soumis à celles du Titre I applicables à tout le personnel lesquelles ne comportent aucune dérogation à la procédure disciplinaire issue du code du travail.

La rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave étant fondée, le jugement dont appel est infirmé en ce qu'il a constaté et jugé sans faute grave la rupture anticipée à l'initiative de l'employeur du contrat de M. [I] [B] notifiée le 21 novembre 2019 ; dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ; condamné la société SASP [10] à payer à M. [I] [B] les sommes de 1000 euros au titre du préjudice professionnel, d'image et extrapatrimonial, 2 917 euros pour la période de mise à pied à titre conservatoire et 291 euros au titre des congés payés sur la mise à pied à titre conservatoire avec production d'intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale et M. [I] débouté de ces chefs de demandes.

Le jugement de première instance est en revanche confirmé en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement doit être infirmé sur l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance.

Il est équitable de condamner M. [I] à verser au [10] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance. Il sera également condamné à lui verser la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

M. [I], partie perdante, doit être condamné aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Laval le 10 juin 2021 en qu'il a :

- dit que des irrégularités de procédures doivent être relevées et sanctionnées ;

- constaté et jugé sans faute grave la rupture anticipée à l'initiative de l'employeur du contrat de M. [I] [B] notifiée le 21 novembre 2019,

- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse

- condamné la société SASP [10] à payer à M. [I] [B] les sommes suivantes avec production d'intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale :

- 800 euros au titre de dommages et intérêts nés du non-respect de la procédure,

- 1000 euros au titre du préjudice professionnel, d'image et extrapatrimonial,

- 2 917 euros pour la période de mise à pied à titre conservatoire,

- 291 euros au titre des congés payés sur la mise à pied à titre conservatoire,

- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société SASP [10] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [I] [B] et la société SASP [10] aux dépens pour moitié ;

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DEBOUTE M. [I] de toutes ses demandes ;

CONDAMNE M. [B] [I] à verser à la SASP [10] la somme de MILLE (1000) EUROS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et la somme de MILLE (1000) EUROS au titre de ceux exposés en cause d'appel ;

DÉBOUTE M. [B] [I] de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance comme en appel ;

CONDAMNE M. [B] [I] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Clarisse PORTMANN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00360
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;21.00360 ?
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