COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
CM/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 18/02386 - N° Portalis DBVP-V-B7C-ENHI
Jugement du 05 Novembre 2018
Tribunal de Grande Instance d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 15/00914
ARRET DU 20 JUIN 2023
APPELANTE :
S.A. ACM IARD
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Vanina LAURIEN de la SELARL DELAGE BEDON LAURIEN HAMON, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
S.A. SNCF VOYAGEURS venant aux droits de l'EPIC SNCF MOBILITES
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Pierre LANDRY de la SCP PIERRE LANDRY AVOCATS, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 07 Juin 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur BRISQUET, conseiller qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
M. BRISQUET, conseiller
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 20 juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente, et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé sur litige
Le 31 mai 2010 vers 7 heures, M. [U] a été retrouvé mort sur les voies de la ligne ferroviaire [Adresse 11].
L'établissement public industriel et commercial SNCF, devenu SNCF Mobilités, a adressé le 24 janvier 2011 à la société anonyme Assurances du Crédit mutuel dite ACM Iard en qualité d'assureur de responsabilité civile de M. [U] (ci-après l'assureur) une réclamation concernant les préjudices matériels et immatériels liés à l'incident du 31 mai 2010 en application du «protocole d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires» signé le 1er juillet 2005 entre elle et les entreprises d'assurance.
Divers échanges s'en sont suivis avec désignation d'un expert par l'assureur, sans aboutir à un accord et, par lettre recommandée en date du 4 février 2014 avec accusé de réception du lendemain, réitérée le 19 mars 2014, la SNCF a vainement mis en demeure l'assureur de lui régler la somme de 21 117,68 euros.
Par acte d'huissier en date du 9 mars 2015, l'EPIC SNCF Mobilités a fait assigner l'assureur devant le tribunal de grande instance d'Angers sur le fondement des articles L. 124-3 du code des assurances, 1382 et suivants du code civil en paiement sous bénéfice de l'exécution provisoire des sommes de 21 323,05 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 4 février 2014 et anatocisme, et de 5 000 euros pour résistance abusive, ainsi qu'en paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'assureur a conclu à l'irrecevabilité de l'action dirigée contre lui en raison du non-respect de la procédure d'escalade prévue au protocole du 1er juillet 2005 et, subsidiairement, au rejet des demandes au motif que la garantie souscrite par l'assuré n'est pas mobilisable et, à défaut, que les dommages allégués ne sont pas caractérisés.
Par jugement en date du 5 novembre 2018, le tribunal a :
- débouté la société ACM Iard SA de sa demande tirée d'irrecevabilité
- condamné la société ACM Iard SA à payer à la SNCF Mobilités la somme de 17 912,33 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 4 février 2014 et jusqu'à complet paiement, et ceux (sic) avec application de l'article 1343-2 du code civil
- débouté la SNCF Mobilités de sa demande formée au titre de la résistance abusive de la société défenderesse
- condamné la société ACM Iard SA à payer à la SNCF Mobilités la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la société ACAM Iard SA au paiement des entiers dépens lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Pour statuer ainsi, il a considéré que :
- en sollicitant l'intervention de M. [O] au titre de la direction déléguée risques et assurances alors que l'absence de signature du courrier électronique adressé par celui-ci le 23 janvier 2013 est sans incidence, la SNCF a agi, sinon dans la lettre, du moins dans l'esprit de la procédure amiable d'escalade prévue à l'article 2.4.1 du règlement d'application pratique (RAP) du protocole du 1er juillet 2005, d'autant qu'aucune disposition du RAP ne prévoit une sanction spécifique en cas de non-respect de la lettre du texte
- les constatations effectuées le 31 mai 2010 par les services de police ont exclu toute intervention d'un tiers et estimé que l'hypothèse du suicide par projection sous un train semblait la plus probable, suicide qui s'apparente bien à un accident au sens de l'article 31-2 des conditions générales du contrat d'assurance, de sorte que M. [U] est à l'origine de l'accident ayant interrompu le trafic ferroviaire dans les deux sens après la découverte du corps et causé divers dommages matériels consistant en l'intervention des agents sur les installations du lieu de l'accident (chiffrée à 205,26 euros), en les perturbations du trafic (chiffrées à 14 560,44 euros) et en la substitution de trafic avec mobilisation notamment de taxis (chiffrée à 3 146,63 euros)
- en revanche, la SNCF n'est pas en capacité de justifier, au regard de l'article 2.2.1 du RAP l'obligeant à ménager à l'assureur qui n'a pu se faire assister dans les délais impartis par un expert la possibilité d'opérer une vérification sur pièces, des dommages matériels causés au matériel roulant X 76 790 (chiffrés à 2 383,80 euros), même si le suicide est survenu par contact entre le train et la victime, et ne justifie pas davantage, à la seule lecture du décompte de réparation, de la somme réclamée au titre de la cellule de crise (chiffrée à 1 026,92 euros)
- l'assureur n'a pas fait preuve d'une résistance abusive dès lors qu'il s'est expliqué sur les raisons présidant à son refus d'indemnisation.
Suivant déclaration en date du 28 novembre 2018, l'assureur a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions autres que le rejet de la demande adverse au titre de la résistance abusive et le prononcé de l'exécution provisoire, intimant l'EPIC SNCF Mobilités.
Il a déposé ses conclusions d'appelant le 25 février 2019 et les a fait signifier par huissier avec sa déclaration d'appel le 28 février 2019, dans le mois de l'avis reçu du greffe en application de l'article 902 du code de procédure civile, à l'intimé qui, après avoir constitué avocat, a conclu le 27 mai 2019 en formant appel incident.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mai 2022.
Dans ses dernières conclusions d'appelante n°4 en date du 24 mai 2022, la SA ACM Iard demande à la cour, au visa du protocole du 1er juillet 2005 et des articles 1382 du code civil, L. 124-3 et L. 113-1 du code des assurances, 700 et 699 du code de procédure civile, de :
- juger que la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, intervient volontairement à la présente instance
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SNCF Mobilités la somme de 17 912,33 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 février 2014 et jusqu'à complet paiement, et ceux avec application de l'article 1343-2 du code civil, et la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
- le confirmer en ce qu'il a débouté l'EPIC SNCF Mobilités, devenu la SA SNCF Voyageurs, de ses demandes d'indemnisation formulées au titre du dommage matériel survenu sur le train et au titre de la résistance abusive
Statuant à nouveau,
- juger que l'EPIC SNCF Mobilités, devenu la SA SNCF Voyageurs, ne justifie pas du dommage matériel allégué
- juger que la garantie souscrite par M. [U] auprès d'elle (contrat 'Essentiel Habitat' référencé IM 7254210 conclu le 4 août 2009) n'est pas mobilisable dans le cadre du présent litige
- juger par conséquent que la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, est mal fondée en toutes ses demandes, comprenant la demande d'indemnisation du préjudice immatériel allégué, dirigées contre elle
- condamner la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, à lui régler la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en première instance et celle de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance
- condamner la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SELARL Delage Bedon Laurien Hamon
A titre infiniment subsidiaire,
- juger que la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, ne caractérise pas les dommages allégués
- débouter la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elle
- en tout état de cause, juger que M. [U] a commis une faute dolosive excluant toute prise en charge par elle
- condamner la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités, à lui régler la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en première instance et celle de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SELARL Delage Bedon Laurien Hamon.
Indiquant renoncer à solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré l'action de la SNCF recevable, elle fait valoir que :
- la garantie 'responsabilité civile du chef de famille' souscrite par son assuré n'est pas mobilisable, ce en dehors de toute exclusion de garantie, dans la mesure où, selon l'article 31.2 des conditions générales, cette garantie couvre 'les conséquences financières de la responsabilité civile que vous, ou les autres personnes assurées, pouvez encourir au cours de la vie privée en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et résultant d'un accident', où les conditions générales définissent les dommages matériels comme 'la destruction, détérioration d'un bien et/ou l'atteinte à l'intégrité physique des animaux' et les dommages immatériels comme 'tous dommages autres que corporels ou matériels, consistant en frais et pertes pécuniaires de toute nature et qui sont la conséquence directe des dommages corporels ou matériels garantis' et où figurent parmi les exclusions applicables aux assurances de responsabilité, visés à l'article 31.3 (sic) des conditions générales, 'les dommages immatériels non consécutifs à un dommage corporel ou matériel garanti ou non', alors que l'étude de la réclamation de la SNCF ne permet pas de caractériser l'existence d'un dommage matériel, notamment au matériel roulant X 76790, ni corporel garanti, mais seulement d'un préjudice immatériel sans lien avec un préjudice matériel
- subsidiairement, la SNCF ne rapporte pas la preuve qui lui incombe :
de la faute reprochée à M. [U] consistant à s'être jeté volontairement sur les rails pour se suicider, laquelle ne ressort pas des deux procès-verbaux de saisine des enquêteurs et de transport - constatations, seuls versés aux débats en dehors de tout procès-verbal de synthèse, et revêtirait en tout état de cause les caractéristiques d'une faute dolosive excluant toute prise en charge par l'assureur en application de l'alinéa 2 de l'article L. 113-1 du code des assurances
des dommages prétendument subis qu'elle ne lui a dénoncés que huit mois après les faits sans lui ménager la possibilité de procéder de manière contradictoire à leur constatation et leur évaluation ou à une vérification sur pièces, notamment sur photographies qui n'ont jamais été prises, contrairement à ce que prévoient les articles 2.1 et 2.2 du protocole, 2.1.1 et 2.2.1 du RAP, ni verser aux débats la copie complète de la procédure pénale
du lien de causalité pour la même raison.
Dans ses dernières conclusions d'intimé n°3 comportant appel incident en date du 28 avril 2022, la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités demande à la cour, au visa des articles 1382, 1383 et suivants anciens, devenus 1240, 1241 et suivants nouveaux du code civil, L. 124-3, L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, de :
- juger qu'elle a été victime de dommages matériels comme de dommages immatériels
- juger que la responsabilité de M. [U] est engagée
- juger que la SA ACM Iard ne saurait opposer aux demandes formées à son encontre ni faute dolosive ni faute intentionnelle quelconque de son assuré
- juger que la SA ACM Iard ne saurait opposer d'exclusion de garantie au titre des dommages immatériels non consécutifs, comme ne lui étant pas opposable en l'absence de production des conditions particulières d'assurance signées faisant renvoi aux conditions générales d'assurance contenant la dite exclusion, mais aussi motifs pris que la dite clause d'exclusion n'est ni formelle ni limitée ni mentionnée en caractères très apparents et ne saurait dès lors recevoir application
- juger que la SA ACM Iard lui est redevable de sa garantie
En conséquence,
- dire et juger mal fondé l'appel de la SA ACM Iard et le rejeter
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé l'action recevable et, sur le fond, a jugé que la garantie des ACM est mobilisable et les a condamnées à verser une somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, tout en ordonnant l'exécution provisoire
- l'infirmer en ce qu'il a limité le recours de SNCF Mobilités, aux droit de qui elle se trouve à présent, à la somme de 17 912,33 euros et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts consécutive à la résistance abusive de la SA ACM Iard
Statuant de nouveau sur ces chefs de demandes,
- condamner la SA ACM Iard à lui verser la somme de 21 323,05 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 février 2014 et jusqu'à complet paiement, le tout avec anatocisme conformément aux articles 1153-1 et 1154 du code civil
- condamner la SA ACM Iard à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de sa résistance abusive
- rejeter toutes demandes de la SA ACM Iard
- condamner la SA ACM Iard à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.
Sur ce,
En préambule, il y a lieu de relever que l'appelant ne maintient pas dans ses dernières conclusions sa critique antérieure de la disposition, visée dans sa déclaration d'appel, l'ayant débouté de sa fin de non-recevoir tirée du non-respect de la procédure d'escalade, de sorte que cette disposition doit être confirmée sans examen au fond.
Ceci précisé, l'assureur verse aux débats les conditions particulières du contrat d'assurance «Essentiel Habitat» souscrit par M. [U], datées du 4 août 2009 et revêtues de sa propre signature et de celle de l'intermédiaire d'assurance mais non de celle du souscripteur, à l'emplacement de laquelle figure la mention 'voir mail ci-joint', et les conditions générales «Assurance Habitation CIC» modèle 43.07.20 millésime 04/2009 dont le souscripteur reconnaît avoir reçu un exemplaire le jour de la souscription aux termes des conditions particulières.
Il n'est pas contesté que ce contrat comporte une garantie «Responsabilité Civile Chef de Famille» qui, selon l'article 31.2 des conditions générales, couvre 'les conséquences financières de la Responsabilité Civile que vous [c'est-à-dire le souscripteur], ou les autres personnes assurées, pouvez encourir au cours de la vie privée en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et résultant d'un accident'.
En outre, les conditions générales définissent, en page 4, les dommages matériels comme 'La destruction, détérioration d'un bien et/ou l'atteinte à l'intégrité physique des animaux' et les dommages immatériels comme 'Tous dommages autres que corporels ou matériels, consistant en frais et pertes pécuniaires de toute nature et qui sont la conséquence directe des dommages corporels ou matériels garantis' et prévoient, en leur article 31.13 relatif aux 'exclusions' concernant toutes les 'assurances de responsabilité', que 'nous [c'est-à-dire l'assureur] ne prenons pas en charge (...) Les dommages immatériels non consécutifs à un dommage corporel ou matériel garanti ou non'.
Elles placent ainsi hors du champ de la garantie les dommages immatériels qui ne sont pas directement consécutifs à un dommage corporel ou matériel.
Or une telle clause détermine l'étendue de la garantie et ne constitue pas une exclusion de garantie privant l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque, quand bien même elle est reprise à l'article 31.13 sous l'intitulé erroné d'exclusion.
Elle n'est donc pas soumise aux dispositions de l'article L. 113-1 alinéa 1er du code des assurances selon lequel les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Dès lors, la SA SNCF Voyageurs n'est pas fondée à se prévaloir de l'inopposabilité à son égard d'une prétendue exclusion des dommages immatériels non consécutifs au motif que le souscripteur ne l'a pas acceptée faute d'avoir apposé sa signature sur les conditions particulières renvoyant expressément aux conditions générales, qu'elle ne présente pas le caractère formel et limité requis par l'article L. 113-1 car elle nécessite interprétation et a pour effet de vider la garantie de son objet et qu'elle n'est pas mentionnée en caractère très apparents comme l'exige l'article L. 112-4 du même code pour la validité des clauses édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions, et il ne peut qu'être constaté qu'elle ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que la garantie «Responsabilité Civile Chef de Famille» s'étendrait aux dommages immatériels non consécutifs.
Il lui appartient donc d'établir qu'elle a subi, par suite d'un accident causé par une faute de nature à engager la responsabilité civile de M. [U], un dommage matériel lui ouvrant droit à prise en charge par l'assureur tant de ce dommage matériel que des dommages immatériels consécutifs.
S'agissant de la faute, si n'ayant pas obtenu du procureur de la République d'Angers l'autorisation sollicitée le 24 janvier 2011 de délivrance d'une copie des pièces de la procédure pénale, la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités ne verse aux débats que deux procès-verbaux qu'elle qualifie improprement de procès-verbal de synthèse et qui correspondent en réalité au procès-verbal de saisine établi par les enquêteurs le 31 mai 2010 à 7 heures 20 et au procès-verbal de transport - constatations établies par ceux-ci le même jour à 7 heures 30 et s'achevant par le compte-rendu au substitut de permanence à 8 heures 05, il ressort incontestablement de ces pièces que M. [U] a commis une faute en pénétrant sans autorisation et en dehors de toute intervention d'un tiers dans l'emprise affectée à la circulation des trains où son corps a été retrouvé déchiqueté, allongé sur le dos sur une voie, le visage en partie arraché et les membres inférieurs sectionnés au niveau des mollets, à 30 et 10 mètres de ses pieds découverts, l'un sur le ballast entre deux voies, l'autre sur une voie de desserte, et à 32 mètres de ses chaussures déposées l'une sur l'autre sous un pont enjambant les voies, avec à l'intérieur un document manuscrit précisant son nom et son numéro de sécurité sociale, le point d'impact entre le corps et le train qui l'a heurté étant situé à l'aplomb du pont à hauteur de la paire de chaussures.
À cet égard, la caractérisation de l'intention suicidaire de M. [U] importe peu.
À supposer que l'on retienne l'hypothèse du suicide par projection sous un train, qui est considérée par les enquêteurs comme la plus probable, elle est insuffisante à démontrer, à elle seule, l'existence d'une faute dolosive au sens de l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances qui dispose que l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.
En effet, la faute dolosive n'implique pas la volonté de son auteur de créer le dommage, mais s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, alors qu'aucun élément particulier ne permet de caractériser la conscience que M. [U] a eu du caractère inéluctable des conséquences dommageables pour autrui de son geste consistant, le cas échéant, à attenter à ses jours en se faisant heurter par un train (voir en ce sens l'arrêt publié n°20-13.245 rendu le 20 janvier 2022 par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation au sujet d'une assurée ayant mis fin à ses jours en se positionnant sur une voie de chemin de fer à un passage à niveau).
S'agissant du dommage matériel et des dommages immatériels consécutifs, la réclamation de la SA SNCF Voyageurs porte sur la somme de 21 323,05 euros se décomposant comme suit :
- 205,26 euros au titre de l'intervention d'agents sur les installations fixes
- 1 026,92 euros au titre de la mise en place d'une cellule de crise
- 2 383,80 euros au titre de l'acheminement, de l'immobilisation et des réparations du matériel roulant n°X76790
- 14 560,44 euros au titre des perturbations du trafic
- 3 146,63 euros au titre des transports de substitution (cars et taxis) pour acheminer les voyageurs.
Seuls les dégâts occasionnés aux installations fixes et au matériel roulant sont susceptibles de répondre à la définition contractuelle des dommages matériels telle que ci-dessus précisée, les autres préjudices allégués correspondant à des frais et pertes pécuniaires qui sont la conséquence directe de ces dégâts et qui constituent comme tels des dommages immatériels consécutifs.
Certes, le «protocole d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires» du 1er juillet 2005 prévoit en son article 2.1 que 'Les parties (*) s'engagent à s'informer mutuellement des accidents (*) susceptibles de relever du présent Protocole selon les modalités fixées au Règlement d'Application Pratique (RAP)' et en son article 2.2 que 'La SNCF doit ménager à l'assureur (*'), ou à l'expert que ce dernier aura désigné, Ies moyens de procéder de manière contradictoire à :
Ia constatation des dommages,
la détermination des opérations nécessaires (acheminement, remise en état...),
l'évaluation ferme et définitive des délais nécessaires pour chaque opération,
l'évaluation du préjudice.
Lorsque l'assureur (*) manifeste son intention de participer ou de se faire représenter, Ia SNCF doit mettre à sa disposition les éléments techniques nécessaires à l'accomplissement de sa mission'.
De même, le RAP précise en son article 2.1.1 que 'Dès que la SNCF a connaissance de I'identité de l'auteur des dommages à l'origine de l'accident (*), elle lui adresse une lettre de mise en cause. Elle met en cause dans le même temps, ou dès qu'elle a pu I'identifier, l'assureur (*) garantissant la responsabilité de l'auteur de l'accident (*)" et en son article 2.2.1 que 'L'information réciproque organisée par l'article 2.1 n'interdit pas à la SNCF de prendre immédiatement toutes les mesures conservatoires nécessitées par la sécurité des circulations ferroviaires ou de nature à limiter les dommages. Lorsque pour des besoins nécessités par la continuité du service, la SNCF doit entreprendre immédiatement les réparations, y compris de façon définitive, elle pourra le faire sans attendre l'échéance de 30 jours visée à l'article 2.2.4 ci-après, à la condition toutefois d'en aviser l'assureur (*) dans le même temps. (...) L'assureur (*), dans cette hypothèse, aura la possibilité de désigner immédiatement un expert pour participer à la constatation des dommages, à la détermination des opérations, à l'évaluation des délais nécessaires pour chaque opération et à l'évaluation du préjudice dans les conditions prévues à l'article 2.2.3. (...) La SNCF ménage toutefois à l'assureur (*) qui n'a pu se faire assister dans les délais impartis par un expert la possibilité d'opérer une vérification sur pièces. A cet effet, la SNCF doit :
- prendre des photos, les conserver jusqu'à la clôture du dossier et, à la demande de l'assureur (*), les lui communiquer directement ou les adresser à l'expert désigné par lui,
- conserver, pendant un délai de 60 jours à compter de la date de l'accident (*), tout bien endommagé qui ne peut être réparé'.
Toutefois, la SNCF n'ayant eu connaissance de l'identité de M. [U] et de son assureur qu'après avoir reçu communication des deux procès-verbaux susvisés, qui portent le tampon du bureau d'ordre pénal du parquet d'Angers à la date du 23 décembre 2010, il ne saurait être considéré qu'elle a tardé à mettre en cause l'assureur en l'informant le 24 janvier 2011 de l'accident de personne survenu le 31 mai 2010 sur la ligne de [Localité 10] à [Localité 9], sur la commune d'[Localité 7], ayant impacté la circulation ferroviaire du train n°857319, endommagé les installations ferroviaires et le matériel roulant n°76790, entraîné d'autres préjudices tels que cellule de crise, astreintes, immobilisation, perturbations et substitutions de trafic... et justifié des mesures conservatoires et travaux de remise en état d'urgence entrepris immédiatement.
En outre, conformément à l'article 2.2.1 du RAP, elle a indiqué à la fin de ce courrier :
'Les pièces remplacées seront tenues à disposition de l'expert de la société d'assurance pendant 60 jours à :
pour le Matériel roulant : EMM NANTES situé [Adresse 1]
pour l'infrastructure : EVEN MAINE ANJOU situé [Adresse 3]'.
Elle a transmis simultanément un décompte de réparation des dommages détaillant exactement l'ensemble des postes de préjudices indiqués ci-dessus et affecté d'une simple erreur de calcul du total général.
L'assureur, qui l'a informée en retour le 31 janvier 2011 de la désignation de M. [T] pour procéder à l'expertise sur pièces de sa réclamation, ne produit pas le rapport de cet expert au vu duquel il n'a décliné sa garantie que le 9 septembre 2011 et sans prétendre que celui-ci n'aurait pu examiner les pièces remplacées, lesquelles se limitent pour le matériel roulant à des 'vis, joints' selon ce décompte.
Si la SNCF a admis dans son mail du 15 février 2011 n'être pas en mesure de communiquer des photos du matériel roulant n°X76790 endommagé, elle a transmis le devis de réparations accompagné d'un mail de la technicienne attestant de la prise en charge de l'engin dans les ateliers le 31 mai 2010, l'absence de photographies n'étant pas sanctionnée spécifiquement par le protocole et/ou le RAP.
Il est indifférent que les dégâts matériels causés aux installations ferroviaires et au matériel roulant par le passage du train sur le corps d'un homme aient été peu importants et aient justifié essentiellement l'enlèvement des restes humains dispersés sur les voies, la révision et le nettoyage du matériel roulant avant sa remise en circulation.
Le chiffrage des différents postes de préjudices ne fait l'objet d'aucune critique particulière.
Du tout, il résulte que la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités rapporte suffisamment la preuve des dommages matériels et dommages immatériels consécutifs tels que ci-dessus évalués.
S'agissant du lien de causalité, il est suffisamment établi par le procès-verbal de saisine indiquant que 'Les agents SNCF présents nous précisent que le traffic ferrovière est totalement interrompu dans les deux sens depuis 07h00" (sic), par le procès-verbal de transport - constatations mentionnant que 'Le Chef d'escorte des Sapeurs-Pompiers, l'Adjudant-Chef [F] nous relate être intervenu à la demande de la SNCF, après neutralisation complète pour constater la présence d'un corps mutilé sur les voies, corps qui n'a pas été touché par les secours et recouvert pour des raisons de décence par un drap. Se présente à nous MR [Y] [W] (...), Dirigeant SNCF, qui nous précise que le corps a été signalé aurpés de leur service par le conducteur du train TGV reliant [Localité 8] à [Localité 7], train supportant 857 319, heure de constatation : SEPT HEURES DEUX MINUTES. Rapportons que le conducteur de la Rame, MR [G] [P], sera entendu ultérieurement' (sic), même si l'audition de ce conducteur n'est pas produite, et par la «liste des événements chronologiques» extraite de l'application [D] relatant les conditions de détournement des trains des lieux de l'incident, de remise en marche du train n°857319 autorisée à 7h42, de rétablissement des différentes voies et de reprise progressive du trafic effective à 8h43 après ramassage du corps.
Il y a donc lieu de faire droit à l'appel incident de la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités et de condamner la SA ACM Iard à lui payer la somme de 21 323,05 euros, assortie des intérêts de retard courant au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 février 2014 par dérogation spéciale à l'article 1153-1 ancien (devenu 1231-7) du code civil et capitalisés par année entière dans les conditions de l'article 1154 ancien (devenu 1343-2) du même code.
En revanche, le premier juge a exactement considéré que l'assureur n'a pas fait preuve de résistance abusive dès lors qu'il a explicité les raisons de son refus de prise en charge, lesquelles étaient fondées concernant l'analyse de l'étendue de la garantie contractuelle même si elles ne l'étaient pas concernant l'analyse de la faute et des dommages subis.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée à ce titre.
Partie perdante, l'assureur supportera les entiers dépens d'appel et, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, versera sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel par la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l'EPIC SNCF, sans pouvoir bénéficier du même texte, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais non compris dans les dépens de première instance.
Par ces motifs
La cour,
Confirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a limité la condamnation de la SA ACM Iard à la somme de 17 912,33 euros en principal.
L'infirmant de ce chef et y ajoutant,
Condamne la SA ACM Iard à payer à la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l'EPIC SNCF Mobilités la somme de 21 323,05 euros (vingt et un mille trois cent vingt trois euros et cinq cents) avec intérêts au taux légal à compter du 4 février 2014 capitalisés dans les conditions de l'article 1154 ancien (devenu 1343-2) du code civil.
La condamne à payer à payer à la SA SNCF Voyageurs la somme de 3 000 (trois mille) euros sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile en appel et la déboute de sa demande au même titre.
La condamne aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER