COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
NR/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 19/01902 - N° Portalis DBVP-V-B7D-ESG2
Jugement du 04 Septembre 2019
Tribunal de Commerce d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 18/007277
ARRET DU 23 MAI 2023
APPELANTE :
SAS ROMANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
85750 [Localité 4]
Représentée par Me Gérard BERAHYA LAZARUS, substitué par Me DAZIN, avocats postulant au barreau d'ANGERS, et Me Stéphane ANTOINE, avocat plaidant au barreau de LA ROCHELLE
INTIMEE :
SA IN EXTENSO CENTRE OUEST agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, substitué par Me Audrey PAPIN, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 71190420, et Me Arnaud PERICARD, substitué par Me LUSSEY, avocats plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 27 Septembre 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme ROBVEILLE, conseillère qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 23 mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Courant 2012, M. [F] [C] s'est vu proposer par la société [...] ([...]), intermédiaire spécialisé dans la vente de campings, l'acquisition d'un fonds de commerce de camping dénommé '[...]' à [Localité 4] (85), appartenant à la société (SARL) [...].
Suivant acte sous seings privés du 6 novembre 2012, la société [...] a cédé à M. [F] [C], avec la faculté pour le cessionnaire de se substituer ou de s'adjoindre toute personne physique ou morale de son choix, le fonds de commerce de camping, moyennant le prix de 2.826.000 euros, sous diverses conditions suspensives, notamment l'obtention, au plus tard le 30 novembre 2012, d'un financement bancaire à hauteur de 2.300.000 euros, le solde du prix devant être financé grâce à la vente du camping qu'il exploitait.
L'acte précisait en l'article XXII que le conseil du cédant a rappelé au cessionnaire la possibilité d'être assisté par tout conseil de son choix. Celui-ci ayant fait, à ce titre, le choix d'être assisté par le cabinet In Extenso, Anjou & Maine (M. [H] [Y])..., les parties reconnaissant que l'acte a été établi sur leurs indications, la détermination des conditions de la vente ayant abouti aux présentes ayant été négociées par le cabinet [...].'
Les financements espérés n'ayant pu être obtenus dans les délais impartis, un contrat de location-gérance du fonds de commerce est intervenue entre la SARL Romance représentée par M. [C] et la SARL [...], pour la période du 1er janvier 2013 au 30 septembre 2013.
Les parties à l'acte du 6 novembre 2012 ont signé le 5 février 2013 un nouvel acte de cession de fonds de commerce sous conditions suspensives, auquel est intervenue la SARL Romance en qualité de locataire gérant du fonds de commerce, prévoyant le report de la date de réalisation de la condition suspensive liée au financement, au 30 novembre 2013 ; ledit acte a fait l'objet d'un avenant du 19 mars 2013, relatif au montant de l'indemnité d'immobilisation qui a été augmentée de 35 843,52 euros.
Le 14 mars 2013, la SA In Extenso Centre Ouest (ci-après désignée société In Extenso), a émis et signé une lettre de mission à l'attention de la société Romance, qui a été acceptée le 19 mars 2013 par M. [F] [C] en sa qualité de représentant légal de la société Romance.
Le 30 septembre 2013, un avenant au contrat de location gérance du fonds de commerce a prorogé ladite convention jusqu'au 31 décembre 2013.
Par mail du 5 novembre 2013, M. [C] a reçu de la société [...] dont le siège se trouve au Liechtenstein, représentée par M. [R] [L] , une offre de prêt de 3.140.000 euros, pour une durée de 12 ans, au taux de 2,90% par an, conditionné à la constitution des garanties suivantes :
- nantissement des parts de la société qui emprunte, à hauteur du montant du crédit,
- souscription par le gérant de la société qui emprunte, d'une assurance décès dont le bénéficiaire sera le prêteur, qui devra couvrir le capital du crédit en cas de décès,
- apport financier de 501 740 euros qui servira 'au paiement d'intérêt anticipé sur le crédit et que le financier, pour garantir le bon déroulement du crédit, placera dans l'assurance décès'.
Le 28 novembre 2013, une réunion s'est tenue à [Localité 5] concernant le financement de l'achat du camping par la société Romance, en présence notamment de M. [C] et de M. [Y] du cabinet In Extenso, dans les locaux de la société financière italienne [...], désignée par la société [...] comme étant celle destinée à recevoir la somme de 501.740 euros au titre de la garantie exigée.
Par mail du 9 décembre 2013, la société [...] a transmis à M. [Y] 'les coordonnées bancaires du compte bloqué de la société [...] sur lequel M. [C] devra effectuer son virement de 501.740 euros'.
Par mail du 10 décembre 2013, la société [...] a adressé à la société In Extenso le 'contrat de crédit rempli définitif, à faire signer par M. [C]'.
Le contrat de prêt établi entre la société [...] et la société Romance portait sur une somme de 3.140.000 euros, affectée à l'acquisition du fonds de commerce de camping, avec un différé de remboursement d'un an, un remboursement à partir du 13ème mois sous la forme de 131 mensualités de 24,593 euros et, à titre de garantie, un nantissement des parts sociales de la SARL Romance pour le montant du prêt ainsi qu'un apport de 501 740 euros qui servira à faire le paiement des intérêts anticipés, sur un compte séquestre de [...], qui sera reçue et inscrite au nom de l'emprunteur, qui sera mise à la disposition du prêteur à la confirmation par l'emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception qui indique que les fonds prêtés sont arrivés sur le compte de l'emprunteur et qui autorise [...] à verser l'apport financier de l'emprunteur à l'assureur du prêteur.
Il était précisé que cet apport servira à mettre en place une police d'assurance décès sur la tête de l'emprunteur pour pallier tout risque lié au prêt, pour un montant équivalent au prêt.
Concernant l'intervention de la société [...], il était prévu que l'emprunteur s'engage à ouvrir une relation d'affaire par un compte dépositaire chez [...] pour permettre la réalisation matérielle du prêt et à conclure avec elle une convention permettant d'assurer le contrat de prêt, selon les modalités suivantes : l'emprunteur s'engage à déposer sur le compte [...] la somme de 501 740 euros ; la société [...] sera dûment informée de la convention de prêt et du rôle que l'emprunteur lui confie et leur notifiera son accord exprès, informera les deux parties de la réalisation du dépôt ; les sommes déposées ne pourront pas dans ce cas être retirées jusqu'à complète réalisation du contrat de prêt ; si l'opération n'est pas menée à son terme, l'emprunteur pourra retirer la somme qu'il a déposée dans les trois jours ouvrables suivant sa demande par écrit ; [...] donnera à l'emprunteur et au prêteur l'assurance de les informer du dépôt financier de l'emprunteur et de maintenir la somme sur le compte en refusant tout retrait jusqu'à réception de l'acceptation définitive de l'emprunteur du transfert de son dépôt financier. Le retrait ne sera possible qu'après confirmation de l'emprunteur de la réception de son prêt par lettre recommandée avec justificatifs de l'accréditation bancaire du montant du prêt ; si l'opération n'était pas menée à son terme, l'emprunteur pourra retirer la somme qu'il a déposée dans les trois jours ouvrables suivant sa demande par écrit, qui sera renvoyée par virement bancaire sur le compte qui a émis le dépôt.
Par mail du 13 décembre 2013, M. [Y] a adressé à la société [...] le contrat de prêt signé par M. [C].
Par mail du 14 décembre 2013, la société [...] a adressé à M. [C] une copie du contrat signé par son représentant, précisant que la copie originale serait adressée au cabinet comptable dès le lundi suivant.
Le 16 décembre 2013, la société Romance a émis un ordre de virement d'un montant de 501 740 euros sous le libellé 'dépôt de garantie SARL Romance - [...]' au profit de la société [...] sur un compte bancaire ouvert au nom de celle-ci dont les coordonnées lui avaient été adressés précédemment par la société [...].
La SARL Romance n'a jamais perçu les fonds objets du contrat de prêt, lesquels n'ont jamais été versés sur le compte séquestre de Maître [Z], rédacteur de l'acte de cession, tel que le prêteur s'y était engagé, ce malgré mise en demeure adressée à la société [...] de débloquer les fonds du prêt.
Elle n'a pas pu non plus obtenir le reversement de la somme de 501 740 euros, malgré mises en demeure à la banque dépositaire des fonds et à la société [...].
Par acte d'huissier des 8 et 10 octobre 2014, la SA In Extenso a fait assigner la société [...], la société [...] et l'organisme bancaire ayant reçu les fonds, en référé devant le président du tribunal de commerce de La Roche sur Yon aux fins de les voir condamner à lui payer la somme provisionnelle de 501.740 euros.
Par ordonnance de référé du 2 mars 2015, le président du tribunal de commerce de La Roche sur Yon a constaté que la société [...] ne comparaissait pas, s'est déclaré incompétent au regard de l'existence d'une contestation sérieuse, renvoyant les parties à mieux se pourvoir ainsi qu'elles en aviseraient.
Par acte d'huissier du 24 mars 2017, la SARL Romance a fait assigner la SA In Extenso en responsabilité civile professionnelle, en sa qualité d'expert-comptable, devant le tribunal de grande instance d'Angers.
Par ordonnance du 26 février 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Angers s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce d'Angers.
En l'état de ses dernières conclusions devant le tribunal de commerce d'Angers, la SARL Romance a demandé au tribunal de juger que son action était recevable comme non prescrite; au fond, de juger que la SA In Extenso avait manqué à son devoir de conseil, en ne l'informant et en ne la conseillant pas de manière précise, en n'assurant pas l'efficacité du contrat de prêt et, d'une manière générale, en ne faisant pas preuve de la prudence et des diligences qu'elle était en droit d'attendre ; en conséquence, de la condamner à lui payer une somme de 501.740 euros avec intérêt de droit à compter du 16 décembre 2013, avec application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, une somme de 120.000 euros au titre du préjudice résultant de l'augmentation du prix du fonds de commerce et des divers honoraires et frais d'actes, une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner en tous les dépens de l'instance, dont distraction selon l'article 699 du même code, le tout avec exécution provisoire du jugement à intervenir.
La SA In Extenso a conclu à titre principal à l'irrecevabilité de l'action de la SARL Romance et à titre subsidiaire au fond au débouté de l'ensemble des demandes, fins et conclusions de cette dernière à son encontre, plus subsidiairement, la limitation à la somme de 34.100 euros de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre et, en toute hypothèse, sa condamnation à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens de l'instance.
Par jugement du 4 septembre 2019, le tribunal de commerce d'Angers a :
- déclaré irrecevable et mal fondée l'action de la SARL Romance à l'encontre de la SA In Extenso,
- débouté la SARL Romance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la SARL Romance à payer à la SA In Extenso, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL Romance aux entiers dépens de la présente instance, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 74,18 euros.
Par déclaration du 27 septembre 2019, la SAS Romance (anciennement SARL Romance) a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il déclaré irrecevable et mal fondée son action à l'encontre de la SA In Extenso, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, l'a condamnée à payer à la SA In Extenso, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a condamnée aux entiers dépens de la présente instance ; intimant la SA In Extenso Centre Ouest.
La SAS Romance et la SA In Extenso ont conclu.
Une ordonnance du 5 septembre 2022 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 4 août 2022 pour la SAS Romance,
- le 1er septembre 2022 pour la SA In Extenso,
La SAS Romance demande à la cour de :
- l'accueillir en son appel à l'encontre du jugement du tribunal de commerce d'Angers en date du 4 septembre 2019,
- dire et juger cet appel bien fondé,
en conséquence,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce d'Angers en date du 4 septembre 2019,
et statuant à nouveau,
- dire et juger que les conditions d'interventions contenues dans la lettre de mission signée par elle plusieurs mois auparavant pour une mission comptable et sociale de la société In Extenso ne lui sont pas opposables dans le cadre de cette nouvelle mission,
en conséquence,
- dire et juger que ne saurait s'appliquer la réduction de la durée de prescription prévue à l'article 2224 du code civil et que, de même, le délai de forclusion ne saurait lui être valablement opposé,
en conséquence,
- dire et juger que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de l'ordonnance de référé de Monsieur le président du tribunal de commerce de La Roche sur Yon en date du 2 mars 2015 dans laquelle apparaissait l'existence de l'escroquerie dont a été victime la société Romance,
en conséquence,
- dire que l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 24 mars 2017, dans le délai de cinq ans, l'action ne saurait être prescrite,
- dire et juger que le délai de forclusion ne saurait lui être opposé faute par elle d'avoir accepté les soit-disantes conditions d'intervention de la société In Extenso,
Au fond,
- dire et juger que la société In Extenso a manqué à son devoir de conseil, en ne l'informant pas et en ne l'éclairant pas, de manière précise, en n'assurant pas l'efficacité du contrat de prêt et, d'une manière générale, en ne faisant pas preuve de la prudence et des diligences qu'elle était en droit d'attendre,
- en conséquence, condamner la SA In Extenso à lui payer une somme de 501.740 euros, montant de la somme consignée sur le compte d'[...], avec intérêt de droit à compter du 16 décembre 2013,
- dire et juger qu'il sera fait application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts annuels portant intérêts à leur tour, par année entière et ce, à compter de la date de délivrance de l'assignation,
- condamner la SA In Extenso à lui payer une somme de 120.000 euro au titre du préjudice résultant de l'augmentation du prix du fonds de commerce et des divers honoraires et frais d'actes,
- faire application de l'article 700 du code de procédure civile et, à ce titre, condamner la SA In Extenso à lui payer une somme de 10.000 euros,
- condamner la SA In Extenso en tous les dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Morgane Dazin sur ses affirmations de droit.
La SA In Extenso Centre Ouest demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action de la société Romance irrecevable,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré mal fondée l'action de la société Romance à son encontre,
en conséquence,
- débouter la société Romance de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre,
y ajoutant,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Romance à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- condamner la société Romance à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur l'irrecevabilité de l'action de la société Romance à raison de sa prescription ou de sa forclusion
Au soutien de son irrecevabilité de l'action en responsabilité de la société Romance, la société In Extenso se prévaut de l'article 5 des conditions d'intervention annexées à la lettre de mission du 14 mars 2013 acceptée le 19 mars par la société Romance, relatif à la responsabilité de l'expert comptable prévoyant que : 'toute action en responsabilité formée à l'encontre du membre de l'ordre liée à la conclusion et à l'exécution de la présente lettre de mission, devra être engagée dans un délai maximum de trois ans à compter de la date de réalisation de la prestation ; les parties convenant que cette date de réalisation correspond à la date du rapport ou du compte-rendu établi par l'expert comptable à l'occasion d'une mission portant sur les comptes ou, pour les autres prestations, à la date de remise des documents fondant la demande de réparation (tels par exemple et sans que cette liste soit exhaustive, une déclaration sociale ou fiscale, un bulletin de paie, un procès-verbal d'assemblée générale) ou à la date de télédéclaration des informations litigieuses. Par ailleurs, cette action devra être engagée dans le délai de trois mois de la connaissance par le client de l'événement susceptible d'engager la responsabilité du membre de l'ordre.'
La validité de cette clause prévoyant un double délai, à savoir un délai de prescription de trois ans et un délai préfix de trois mois, pas plus que son caractère abusif, ne sont pas discutés par la société Romance.
Pour s'opposer au moyen d'irrecevabilité soulevé par la société In Extenso, la société Romance soutient que la clause invoquée est inapplicable à son action en responsabilité, en ce que celle-ci repose sur les manquements de la société In Extenso dans l'exécution d'une mission qu'elle prétend lui avoir confiée plusieurs mois après la signature de la lettre de mission du 14 mars 2013, d'assistance et de conseil dans le cadre d'une opération d'acquisition d'un fonds de commerce de camping, comprenant la recherche d'un financement, l'assistance et le conseil dans le montage du dossier de demande de prêt et pour l'établissement du contrat de prêt, laquelle n'est pas liée selon elle à l'exécution de la lettre de mission du 14 mars 2013 dont elle prétend qu'elle avait un tout autre objet en affirmant qu'elle ne portait que sur une mission de tenue de comptabilité, d'assistance en matière fiscale, de prestation de gestion sociale, d'assistance juridique relative à l'approbation des comptes annuels, des prestations d'accompagnement pour l'élaboration des comptes, l'analyse et la présentations des comptes.
La société In Extenso réplique en soutenant principalement qu'elle n'a exécuté que des prestations se rattachant à des travaux comptables et qu'il n'a jamais été question que son rôle soit étendu à une assistance juridique dans l'opération de l'acquisition d'un fonds de commerce de camping comprenant notamment la négociation du prêt et l'établissement du contrat de prêt, que lui impute la société Romance.
Elle ajoute qu'à supposer même qu'elle ait exécuté la mission que lui impute la société Romance, celle-ci entrait dans le cadre de l'exécution de la lettre de mission signée le 14 et 19 mars 2013 qui définit l'offre de services de la société In Extenso comme composée de prestations initiales, de prestations récurrentes constituant la base de la mission annuelle, de prestations sociales et de prestations optionnelles correspondant à des interventions spécifiques, conseils et études, non incluses dans les prestations récurrentes et à des prestations juridiques liées à la vie sociale ou à prestations juridiques particulières.
Elle en déduit que la mission invoquée par la société Romance se trouvait soumise aux conditions générales acceptées par cette dernière et notamment à l'article 5 sus cité.
Sur ce :
Il ressort de l'examen des actes sous seings privés de cession de fonds de commerce sous conditions suspensives signés entre M. [C] ou la société Romance substituée à lui et la société [...] versés aux débats, qu'ils précisent tous que M. [C] ou la société Romance ont fait le choix d'être assistés par le cabinet In Extenso.
Il résulte des mails versés aux débats qu'après avoir obtenu les coordonnées de la société In Extenso le 6 novembre 2013 présentée comme intervenant dans le dossier de la société Romance, la société [...], représentée par M. [L], a adressé tous ses mails concernant l'établissement du contrat de prêt, au cabinet d'expertise comptable, y compris celui contenant les coordonnées bancaires pour effectuer le virement de 501 740 euros et le contrat de prêt à faire signer par M. [C].
La société In Extenso a écrit le 14 novembre 2013 à la société [...] en lui demandant de lui adresser par écrit les modalités de son intervention, tant au niveau du déblocage du prêt qu'au niveau des garanties à constituer.
Elle a organisé la rencontre qui s'est tenue sur deux jours en Italie avec un représentant de la société [...] et de l'organisme désigné par celle-ci comme susceptible d'intervenir dans l'opération de crédit en qualité de séquestre et s'y est rendue avec sa cliente.
Dans les suites de cette réunion, elle a adressé fin novembre 2013 l'ensemble des documents exigés par le prêteur, soit le dossier prévisionnel quant à l'exploitation du fonds de commerce de camping financé par le prêt, les statuts de la société Romance, un extrait Kbis, ses comptes annuels et les renseignements concernant son gérant M. [C].
Elle a formulé le 5 décembre 2013 des observations sur le projet de contrat, en suggérant que les fonds du prêt soient versés par la société [...] sur un compte séquestre de l'avocat rédigeant l'acte de cession, ce qui a été accepté par le prêteur.
Elle a reçu le projet de contrat qu'elle a retourné le 12 décembre 2013 à la société [...] accompagné du message suivant : 'je vous adresse comme convenu le contrat modifié. M. [C] vous transmettra demain un exemplaire signé' ; le même jour, après avoir reçu la réponse de la [...] qui lui indiquait avoir reçu le contrat modifié et lui demandait de demander à son client de le signer et de le lui renvoyer, elle a envoyé 'le contrat modifié' à M. [C].
Le 13 décembre 2013, elle a adressé à la société [...] le contrat de prêt signé par M. [C] et a reçu confirmation le 14 décembre 2013 de sa réception par la société [...] qui lui a adressé en copie le mail envoyé à M. [C] contenant le contrat de prêt signé par les deux parties, en précisant qu'une copie originale serait envoyée dès le lundi suivant à son comptable.
C'est à la suite de ce mail que le 16 décembre 2013, M. [C] a passé l'ordre de virement de 501 740 euros au profit de la société [...] sur le compte dont les coordonnées avaient été adressés par la société [...].
Le 31 décembre 2013, la société In Extenso a émis une facture d'un montant de 9 700 euros HT dont le détail révèle qu'elle comprend la préparation à un rendez-vous du 5 novembre 2013 comprenant 'l'analyse de la proposition d'emprunt', deux rendez-vous avec le conseil du cédant chargé de la rédaction de l'acte de cession, la préparation du déplacement en Italie, le déplacement pour 'négociation bancaire en Italie', la 'revue de l'acte de cession', le rendez-vous pour signature de la cession, des avis et conseil divers.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal dans la décision critiquée, il est démontré que la société In Extenso a bien réalisé des prestations d'assistance et de conseil dans le cadre d'une opération d'acquisition par la société Romance d'un fonds de commerce de camping, comprenant l'assistance à la négociation du prêt nécessaire au financement de cette opération, le montage du dossier de prêt et l'assistance et le conseil pour l'établissement du contrat de prêt prévoyant des garanties consenties par l'emprunteur.
Les relations entre un client et son expert comptable reposent en principe sur la rédaction d'une lettre de mission acceptée par le client, définissant les conditions d'intervention de l'expert comptable.
En l'espèce, la seule lettre de mission signée entre les parties est celle que la société In Extenso a signée et adressée le 14 mars 2013 à la société Romance, contenant offre de services, se composant des conditions particulières, des conditions générales et spécifiques (février 2012) annexées et d'annexes sur la répartition des tâches entre la cliente et l'expert comptable par nature de prestation.
Cette lettre de mission a été retournée signée par M. [C] le 19 mars 2013 qui en a paraphé chacune des pages, y compris les annexes, a signé sous la mention 'bon pour accord' sur la dernière page des conditions générales et sous la mention 'lu et approuvé' dans l'encadré en bas de la page des conditions générales.
Les conditions générales annexées se composent de dispositions communes à l'ensemble des missions, de dispositions spécifiques à la mission de présentation de comptes et de dispositions spécifiques aux autres missions.
Les stipulations relatives aux conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'expert comptable, invoquées par la société In Extenso, se trouvent insérées dans les conditions générales d'intervention 'communes à l'ensemble des missions'.
Il résulte de l'examen des conditions particulières de la convention signée les 14 et 19 mars 2013, que la lettre de mission définit l'offre de services de la société In Extenso comme étant composée de quatre type de prestations :
1- les interventions initiales dues seulement pour la première année, dont le coût est offert,
2- les interventions récurrentes constituant la base de la mission annuelle comprenant une mission en matière comptable de tenue, l'assistance en matière fiscale, des prestations de gestion sociale, l'assistance juridique relative à l'approbation des comptes annuels, le portail client et les prestations d'accompagnement de la cliente (entretiens, échanges, réponse aux questions),
3- les prestations sociales,
4- les prestations optionnelles : interventions spécifiques, conseils et études non incluses dans les prestations récurrentes; interventions juridiques : prestations juridiques liées à la vie sociale, prestations juridiques particulières, sur devis.
Les stipulations de la lettre de mission définissant la mission de la société In Extenso conduisent à retenir que l'offre de services du cabinet d'expertise-comptable ne portait pas que sur l'exécution d'une mission de présentation des comptes, mais également sur d'autres missions en matières sociale, fiscale et juridique.
Les stipulations traitant des modalités de règlement précisent que les notes d'honoraires devront distinguer les éléments constitutifs de la mission récurrente, des autres travaux éventuels complémentaires ou spécifiques.
Quatre annexes viennent préciser la répartition des tâches entre l'expert comptable et la cliente pour chaque nature de prestations, la liste des interventions spécifiques, conseils et études en matière sociale non incluses dans les prestations récurrentes et s'agissant des prestations juridiques, la liste de celles qui sont incluses dans les prestations récurrentes et dans le forfait liées à l'approbation des comptes annuels, la liste de celles qui sont incluses dans les prestations récurrentes mais hors forfait et la liste de celles exceptionnelles et particulières liées à la vie sociale non incluses dans les prestations récurrentes, soumises à devis préalable accepté.
Parmi les prestations juridiques exceptionnelles et particulières liées à la vie sociale, figurent notamment l'assistance en matière de cession de fonds de commerce et les engagements et garanties.
C'est donc à tort que le tribunal a retenu que la mission de conseil en cession de fonds de commerce et d'assistance pour le montage financier de ce type d'opération ne faisait pas partie des missions optionnelles prévues par la lettre de mission du 14 mars 2013, en considérant que ces dernières étaient nécessairement en lien avec des prestations en matière comptable et sociale.
Pour soutenir néanmoins que la mission spécifique optionnelle exécutée par la société In Extenso d'assistance et de conseil dans l'opération d'acquisition d'un fonds de commerce de camping, comprenant notamment l'assistance et le conseil dans le montage du dossier de demande de prêt et pour l'établissement du contrat de prêt prévoyant des garanties consenties par l'emprunteur, exigeait la signature d'une lettre de mission distincte prévoyant ses propres conditions générales et particulières, la société Romance s'appuie sur une stipulation insérée dans 'les conditions spécifiques aux autres missions' qui suivent les 'conditions spécifiques à la mission de présentation des comptes', annexées à la lettre du 14 mars 2013, aux termes de laquelle 'la diversité des besoins des entreprises laisse place à des missions contractuellement définies par une lettre de mission précisant de façon claire les prestations du membre de l'ordre et d'une façon générale les obligations spécifiques des deux parties'.
Néanmoins, il résulte de ce qui précède, que la lettre de mission du 14 mars 2013 prévoit d'ores et déjà dans la définition de la mission, l'existence de prestations juridiques optionnelles, lesquelles sont précisées dans les annexes, avec l'établissement d'un devis pour sceller l'accord des parties sur les honoraires dus à l'expert comptable pour les travaux complémentaires ou spécifiques.
La lettre de mission établie le 14 mars 2013, acceptée le 19 mars 2013 avec ses annexes et les conditions générales, qui définit la nature des missions autres que celle de présentation des comptes, relevant de son exécution, incluant potentiellement l'exécution de prestations juridiques exceptionnelles et particulières liées à la vie sociale de la société Romance, se suffisait donc en elle-même.
Si le devis prévu par la lettre de mission du 14 mars 2013 seulement pour établir l'accord des parties sur le montant des honoraires supplémentaires dus à l'expert comptable en cas de prestations juridiques spécifiques exceptionnelles, n'a pas été établi, les prestations spécifiques optionnelles exécutées par la société In Extenso d'assistance et de conseil de la société Romance dans l'opération d'acquisition d'un fonds de commerce de camping, comprenant notamment l'assistance et le conseil dans le montage du dossier de demande de prêt et pour l'établissement du contrat de prêt prévoyant des garanties consenties par l'emprunteur, entrent néanmoins dans le périmètre de ladite lettre de mission comme correspondant à des prestations juridiques exceptionnelles et particulières liées à la vie sociale de la société Romance.
Il s'en déduit que les conditions générales 'communes à l'ensemble des missions', acceptées le 19 mars 2013 par la société Romance, couvrant l'ensemble des prestations définies dans les conditions particulières de la lettre de mission des 14 et 19 mars 2013, en ce incluses les prestations juridiques exceptionnelles et particulières liées à la vie sociale, sont applicables à la mission invoquée par la société Romance pour laquelle celle-ci prétend voir engager la responsabilité de la société In Extenso à raison de manquements commis dans son exécution.
L'action en responsabilité de la société In Extenso devait dès lors être engagée en application de l'article 5 sus cité, dans un délai maximum de trois ans à compter de la date de réalisation de la prestation.
La prestation de la société In Extenso qui donne lieu à l'action en responsabilité de la société Romance à raison de prétendus manquement dans l'exécution de celle-ci, doit être considérée comme achevée à l'envoi de la facture du 31 décembre 2013, alors que le contrat de prêt avait été signé entre elle et la société Romance le 13 décembre 2013.
L'assignation du 24 mars 2017 a donc été délivrée après le délai de prescription abrégé de trois ans suivant l'émission de la facture correspondant à l'exécution de la prestation à propos de laquelle la société Romance prétend voir engager la responsabilité de la société In Extenso.
L'action de la société Romance se trouve donc prescrite.
Au surplus, elle est forclose.
En effet, il est justifié que la société Romance a fait assigner en référé la société [...] en octobre 2014, aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 501 740 euros.
Dans le cadre de cette procédure, les écritures déposées le 15 décembre 2015 par la société Cardinal Asset et Capital Establishment, anciennement [...] font clairement état de ce que le prêt litigieux n'a pas été conclu par la société [...], mais par une personne inconnue ayant usurpé la qualité de représentant légal de la société [...] aux fins de commettre une fraude, en précisant avoir déposé une plainte pénale auprès de M. le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de la Roche sur Yon dont elle a communiqué les justificatifs à la société Romance.
Elle indiquait également que son conseil avait déjà communiqué en mars 2014 l'information sur l'usurpation d'identité, dont la société [...] avait été victime, à l'avocat italien de la société Romance.
En outre, par lettre du 8 décembre 2016, le conseil de la société Romance, exposant qu'il disposait de documents validant le principe de son accompagnement de la société Romance dans le montage financier qui aurait dû lui permettre d'acquérir le fonds de commerce de camping et indiquant que l'opération de prêt n'étant pas réalisée, la société Romance n'avait pas pu jusqu'à ce jour récupérer la somme de 501 740 euros qu'elle avait versée pour garantir le remboursement dudit prêt, a demandé à la société In Extenso confirmation de ce qu'elle avait effectué une déclaration de sinistre dans le cadre de ses missions réalisées au profit de la société Romance, ainsi que communication des coordonnées de son conseil, afin d'envisager l'indemnisation du préjudice subi par cette dernière.
Il s'en déduit qu'au plus tard à cette date, la société Romance avait connaissance du sinistre et des manquements qu'elle prétend imputer à la société In Extenso, susceptibles de mettre en jeu sa responsabilité.
L'assignation délivrée le 24 mars 2017 l'a donc été au-delà du délai préfix de trois mois après la connaissance de l'événement susceptible d'engager la responsabilité de l'expert comptable.
Au final, le jugement sera, par substitution de motifs, confirmé en ce qu'il a déclare irrecevable l'action de la société Romance, mais infirmé en ce qu'il a déclaré, par excès de pouvoir, cette action mal fondée.
- Sur les dépens et frais irrépétibles
Le jugement critiqué sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Statuant à nouveau et y ajoutant, la société Romance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société In Extenso la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
- CONFIRME, par substitution de motifs, le jugement du tribunal de commerce d'Angers du 4 septembre 2019; en ce qu'il a déclare irrecevable l'action de la société Romance,
- l'INFIRME en ce qu'il a déclaré, par excès de pouvoir, l'action de la société Romance mal fondée et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétible ;
y ajoutant,
- CONDAMNE la société Romance aux dépens de première instance et d'appel ;
- DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL