COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
YW/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/00555 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EZEJ
Ordonnance du 12 Février 2021
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP du MANS
n° d'inscription au RG de première instance 20/00745
ARRET DU 09 MAI 2023
APPELANTES :
S.A. MMA IARD
[Adresse 1]
[Localité 4]
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 1]
[Localité 4]
S.A.R.L. LEDRU-LEGEAY BATIMENT
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentées par Me Jean-baptiste RENOU de la SCP HAUTEMAINE AVOCATS, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 20200060
INTIMEE :
S.A. PRODUITS DE REVETEMENT DU BATIMENT (PRB) prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 6]
Représentée par Me Pierre LANDRY de la SCP PIERRE LANDRY AVOCATS, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 23 Janvier 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. WOLFF, conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
M. WOLFF, conseiller
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 09 mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Yohann WOLFF, conseiller, en remplacement de Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente, empêchée et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [K] [U] et M. [M] [T] sont propriétaires d'un terrain situé [Adresse 3]. Ils y ont fait construire une maison d'habitation dont le lot maçonnerie a été confié à la société Ledru-Legeay Bâtiment (la société Ledru), assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles (les MMA). La réception est intervenue le 1er avril 2016.
Le 22 mai 2018, Mme [U] et M. [T] d'une part et la société Ledru d'autre part ont conclu un protocole d'accord transactionnel prévoyant la reprise, par un enduit de marque PRB, des fissures et éclats affectant l'enduit extérieur de l'immeuble.
Puis, se plaignant notamment de la réapparition des fissures, ils ont fait assigner en référé devant le président du tribunal judiciaire du Mans, entre autres, la société Ledru et les MMA, et ce, par acte d'huissier de justice du 9 janvier 2020. Un expert a alors été désigné par ordonnance du 10 juin 2020.
Par acte d'huissier du 5 novembre 2020, la société Ledru et les MMA ont à leur tour fait assigner en référé devant le même juge la société Produits de Revêtement du Bâtiment (la société PRB), afin que les opérations d'expertise lui soient déclarées communes et opposables.
Par ordonnance du 12 février 2021, le président du tribunal judiciaire du Mans a rejeté la demande d'extension de l'expertise et dit que les dépens resteraient à la charge des demanderesses sauf transaction ou action ultérieure au fond. Il a considéré que la société Ledru et les MMA ne justifiaient pas, en l'état de la procédure, d'un intérêt à voir ordonner cette extension, car elles ne rapportaient pas la preuve que la société PRB était présente lors de la réalisation des échantillons de reprise à l'automne 2018, ni qu'elle avait participé au choix du produit mis en 'uvre pour reprendre les désordres.
Par déclaration du 2 mars 2021, la société Ledru et les MMA ont relevé appel de l'intégralité de cette ordonnance.
L'expert judiciaire a néanmoins établi son rapport le 11 février 2022.
L'avis de fixation a été adressé le 26 octobre 2022, puis la clôture de l'instruction est intervenue le 14 décembre suivant.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 9 décembre 2022, la société Ledru et les MMA (les appelantes) demandent à la cour :
D'infirmer l'ordonnance ;
De déclarer les opérations d'expertise communes et opposables à la société PRB ;
De condamner la société PRB à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
De la condamner aux dépens.
La société Ledru et les MMA soutiennent que :
Si l'expert judiciaire a déjà déposé son rapport, elles ont mis en cause la société PRB alors que les opérations d'expertise étaient toujours en cours. La décision de la cour s'imposera donc à l'expert qui devra rouvrir ses opérations.
La société PRB est le fournisseur des enduits d'origine qui ont présenté des désordres et de la peinture à l'aide de laquelle leur réfection a été réalisée, peinture qui n'était pas adaptée au support selon l'expert judiciaire. C'est la société PRB qui a préconisé l'application de cette dernière. Elle est, de ce fait, susceptible d'engager sa responsabilité.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 novembre 2022, la société PRB demande à la cour :
De confirmer l'ordonnance ;
De rejeter toutes les demandes de la société Ledru et des MMA ;
De les condamner in solidum aux dépens et à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société PRB soutient que :
L'appel est privé d'objet en raison de la clôture des opérations d'expertise le 11 février 2022. En conséquence, la société Ledru et les MMA n'ont aucun intérêt légitime et actuel à solliciter l'infirmation de l'ordonnance.
La société Ledru et les MMA ne produisent aucune pièce contractuelle l'intéressant. Elle n'a été partie prenante ni aux protocoles d'accord, ni à la préparation du chantier de remise en état.
La société Ledru et les MMA n'établissent pas davantage que la réfection litigieuse a été effectuée en 2018 avec un produit PRB.
Elle n'a nullement été consultée et n'a donné aucune préconisation. Les décisions ont été prises par la société Ledru et les maîtres d'ouvrage assistés de leur conseil technique.
Aucune faute de sa part en lien avec le sinistre n'est démontrée ni même susceptible d'être simplement soupçonnée au regard d'éléments objectifs et précis. Toute action contre elle serait irrémédiablement vouée à l'échec.
Dans ses conclusions finales, l'expert judiciaire a conclu à la responsabilité de la société Ledru.
MOTIVATION
Sur l'intérêt à agir de la société Ledru et des MMA
Il est constant que l'existence de l'intérêt à agir s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice.
En l'espèce, la société Ledru et les MMA ont introduit l'instance en référé litigieuse le 5 novembre 2020. Elles étaient alors parties à une expertise judiciaire qui avait été ordonnée cinq mois plus tôt et qui était toujours en cours. Seule la première des trois réunions d'expertise avait en effet eu lieu. Dans son compte rendu de cette réunion, l'expert avait en outre émis un avis favorable à l'appel en garantie de la société PRB, si des preuves tangibles de son immixtion dans le choix du produit de reprise étaient apportées.
Dans ces conditions, la société Ledru et les MMA avaient bien intérêt à agir contre la société PRB.
Sur l'extension à la société PRB des opérations d'expertise
Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Il est constant qu'un tel motif légitime existe lorsque :
L'action au fond envisagée n'est pas manifestement vouée à l'échec. À cet égard, le juge n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé ou même l'opportunité de cette action, mais doit s'assurer simplement qu'un procès au fond est plausible. Ainsi, l'article 145 du code de procédure civile n'impose pas au juge de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard du ou des différents fondements juridiques de l'action que la partie demanderesse se propose d'engager (2e Civ., 8 juin 2000, pourvoi n° 97-13.962, Bull. 2000, II, n° 97).
La mesure demandée est légalement admissible.
Elle est utile et améliore la situation probatoire des parties.
Elle ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes du défendeur.
En l'espèce, les pièces versées aux débats par la société Ledru et les MMA font ressortir la chronologie suivante en ce qui concerne les faits postérieurs à la dénonciation par Mme [U] et M. [T] des désordres initiaux :
Une réunion d'expertise amiable a eu lieu le 19 avril 2017, lors de laquelle la société PRB était représentée par l'un de ses commerciaux (pièce n° 1).
Le 13 avril 2018, ce même commercial a envoyé à la société Ledru un courriel ayant comme objet FT Peinture [T]-[U], et comme pièce jointe un fichier intitulé COLORACRYLFLEX-BD032017 (pièce n° 7).
Le 22 mai 2018, Mme [U] et M. [T] d'une part et la société Ledru d'autre part ont conclu un protocole d'accord transactionnel stipulant que «suite à la réunion d'expertise contradictoire qui s'est déroulée le 19 Avril 2017 ['] Il a été retenu les points suivants : Reprise des fissures et éclats par un ['] Enduit de reprise PRB compatible avec l'enduit monocouche utilisé en première instance [et dont] La fiche technique est jointe» (pièce n° 6).
Selon deux factures nos 601C0005226732 et 601C0005236819 du 30 septembre 2018, la société Ledru a, aux termes de deux bons de commande des 10 septembre 2018 et 18 septembre 2018, acheté à la société Trouillard (enseigne Point.P) 206 kilogrammes de «COLOR ACRYL FLEX» pour un chantier situé à [Localité 7] (pièce n° 8). D'après la fiche technique du produit (pièce n° 6), et contrairement à ce que la société PRB allègue, cette quantité correspondait à une surface traitée de 264 m2 (750 g/m2 en deux couches, l'une de 300g/m2 et l'autre de 450 g/m2).
Le 21 septembre 2018, Mme [U] et M. [T] ont signé un procès-verbal de réception pour des travaux de reprise réalisés par la société MS Ravalement pour le compte de la société Ledru, ayant consisté notamment en l''application de PRB COLOR ACRYL FLEX en deux passes croisées au [Adresse 2] (pièce n° 6).
Le 12 octobre 2018, la société MS Ravalement a facturé à la société Ledru des travaux, référencés «[T] [U] [sic]», de 'fourniture et pose peinture deux couches pour une surface de 239 m2, correspondant à celle pour laquelle la société Ledru avait acheté du Color Acryl Flex chez Point.P.
Dans son compte rendu du 27 juillet 2020 de la réunion du 23 juillet 2020, l'expert judiciaire a indiqué que le Color Acryl Flex «n'était pas adapté au support fissuré» (pièce n° 4).
Il en résulte, d'une part, de très fortes présomptions que les travaux de reprise à l'issue desquels Mme [T] et M. [U] se sont plaints de la réapparition des fissures ont été réalisés à l'aide du produit Color Acryl Flex de la société PRB, et, d'autre part, que cette société est intervenue à au moins deux reprises dans le processus qui a conduit à l'utilisation de ce produit : lors de l'expertise amiable puis par courriel. Cela rend suffisamment plausible la recherche ultérieure de sa responsabilité par la société Ledru et rend donc légitime que l'expertise judiciaire lui soit étendue. Pour cela, il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à rechercher si la participation de la société PRB au choix du produit, et donc sa faute et sa responsabilité, sur lesquelles l'expert judiciaire ne s'est d'ailleurs pas exprimé, sont établies. Cela sera l'objet de l'éventuelle action au fond.
En conséquence, l'ordonnance entreprise sera infirmée et les opérations d'expertise ordonnées par le président du tribunal judiciaire du Mans le 10 juin 2020 seront déclarées communes à la société PRB. Cette décision doit s'analyser en une invitation de l'expert, en application de l'article 245 du code de procédure civile, à compléter ses constatations et ses conclusions. À cette fin, une copie du présent arrêt lui sera adressée.
3. Sur les frais du procès
La première instance ayant été engagée dans l'intérêt des appelantes, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a laissé les dépens correspondant à leur charge dans l'attente de l'éventuelle action au fond.
Il en ira de même des dépens d'appel.
Enfin, il n'apparaît pas inéquitable que les parties conserve à ce stade la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour :
INFIRME l'ordonnance en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'elle a dit que les dépens resteront à la charge des demanderesses ;
Statuant à nouveau :
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir soulevée par la société Produits de Revêtement du Bâtiment ;
Déclare communes à la société Produits de Revêtement du Bâtiment les opérations d'expertise ordonnées par le président du tribunal judiciaire du Mans le 10 juin 2020 ;
Dit qu'une copie du présent arrêt sera adressée à M. [H] [Y], expert près la cour d'appel d'Angers ;
Y ajoutant :
Dit que les sociétés Ledru-Legeay Bâtiment, MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles supporteront provisoirement les dépens de la procédure d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE EMPECHEE
C. LEVEUF Y. WOLFF