COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
CC/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/02166 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E4VB
Jugement du 15 Septembre 2021
Tribunal de Commerce d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 2021004804
ARRET DU 04 AVRIL 2023
APPELANTE :
S.A.S. [...]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Julien TRUDELLE de la SELARL LEX PUBLICA, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 210391
INTIMEE :
S.E.L.A.S. C.L.R ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES prise en la personne de Maître [I] [M] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [...]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Julien PIEDNOIR, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 09 Janvier 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 04 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
~~~~
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte du 15 mai 2012, la société Sanistyle, devenue société [...], dont le gérant est M. [...], a donné en sous-location à la société [...], exerçant une activité de vente et installation de salles de bain et accessoires, un local commercial situé [Adresse 2] à [Localité 3] (49), moyennant un loyer mensuel de 1 600 euros hors taxe, outre les charges et le remboursement de la quote-part d'impôt foncier.
Par lettre du 22 mars 2018, la société [...] a vainement mis en demeure la société [...] de lui régler la somme de 52 610 euros au titre des loyers et charges impayés.
Le 23 avril 2018, la société [...] a déposé une déclaration de cessation des paiements au greffe du tribunal de commerce d'Angers.
Le même jour, la société [...] a notifié à la société [...] la résiliation de plein droit du contrat de sous-location.
Toujours le 23 avril 2018, la société [...] a émis un chèque d'un montant de 24 540 euros à l'ordre de la société [...] en règlement partiel de la créance de loyers impayés, qui a été encaissé le 24 avril suivant.
Parallèlement, la société [...], également dirigée par M. [...], a acheté à la société [...] son stock de marchandises pour un montant de 24 540 euros, vente qui a été annulée après l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société [...].
Par jugement du 25 avril 2018, le tribunal de commerce d'Angers a prononcé la liquidation judiciaire de la Société [...] et a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 1er janvier 2017. La Société CLR & Associés, prise en la personne de Mme [M], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société [...].
Le 19 juin 2018, la société [...] a établi une déclaration de créance à hauteur de 28 070 euros au titre des loyers et charges impayés, déduction faite de la somme de 24 540 euros payée par le chèque du 24 avril 2018.
Considérant que la société [...] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société [...], la société CLR & associés lui a adressé plusieurs mises en demeure de lui régler la somme de 24.540 due en invoquant la nullité de l'opération intervenue le 24 avril 2018, sur le fondement de l'article L.632-2 du code de commerce.
La société [...] a contesté devoir cette somme en prétendant ne pas avoir eu connaissance de l'état de cessation des paiements de la société [...] et en indiquant avoir tout fait pour aider la société [...].
Le15 juin 202, la société CLR & associés, ès qualités, a alors saisi le tribunal de commerce d'Angers aux fins de voir prononcer la nullité du paiement de 24 540 euros du 24 avril 2018 par la société [...] au profit de la société [...] et condamner celle-ci au remboursement de cette somme.
Par jugement réputé contradictoire du 15 septembre 2021, le tribunal a :
- déclaré la Société C.L.R. et associés, prise en la personne de Mme [M] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [...] recevable et bien fondée en ses demandes ;
En conséquence,
- constaté que la société [...] avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société [...], provisoirement fixé au 1er janvier 2017 ;
- prononcé la nullité du paiement de 24 540 euros réalisé le 24 avril 2018 par la société [...] au profit de la société [...] en règlement partiel de la créance de loyers impayés dont cette dernière était titulaire à son encontre, pour un montant global de 52 610 euros ;
- condamné la société [...] à rembourser entre les mains de la société CLR Et associés, prise en la personne de Mme [M], en sa qualité de mandataire liquidateur de la Société [...] la somme de 24 540 euros ;
- condamné la société [...] à payer à la société CLR et associés, ès qualités, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [...] aux dépens de l'instance conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Par déclaration du 4 octobre 2021, la société [...] a interjeté appel de ce jugement.
Les parties ont conclu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société [...] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau :
- déclarer irrecevable l'action en nullité du paiement de 24 540 euros effectué le 24 avril 2018, par la société [...] au profit de la société [...], initiée par la société CLR & associés ;
- débouter la société CLR & associés de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société C.L.R et associés à verser à la société [...] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Société C.L.R. et associés aux entiers dépens.
La SELAS CLR & associés, ès qualités, prie la cour de :
- débouter la société [...] de l'ensemble de ses demandes ;
- juger la SELAS CLR & associés, ès qualités, recevable et bien fondée en ses demandes ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement et, notamment condamner la société [...] à rapporter, en remboursant, entre les mains de la SELAS CLR & associés, prise en la personne de Mme [M] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [...], la somme de 24 540 euros ;
En tout état de cause :
- condamner la société [...], à payer entre les mains la SELAS C.L.R & associés, prise en la personne de Mme [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [...], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société [...] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyen des parties, la cour renvoie à leurs dernières conclusions remises :
- le 13 décembre 2022 pour la société [...],
- le 17 décembre 2022 pour la société C.L.R & ASSOCIES, ès qualités.
MOTIFS SE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande
Pour obtenir le remboursement de la somme de 24 540 euros, la société CLR & associés a indiqué, devant le tribunal, exercer l'action en nullité de l'article L. 632-2 alinéa 1er du code de commerce qui prévoit la nullité des paiements faits en période suspecte en ces termes : 'les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.'
Partant de ce que l'article L.632-3 1er alinéa du même code dispose que «les dispositions des articles L.632-1 et L.632-2 ne portent pas atteinte à la validité du paiement d'une lettre de change, d'un billet à ordre ou d'un chèque» et, par suite, de ce que les effets de commerce sont exclus du régime des nullités de la période suspecte, la société [...] fait valoir que l'action engagée par le liquidateur judiciaire est irrecevable sans qu'il soit nécessaire de chercher à distinguer le paiement de la créance du paiement par chèque et que seule une action en rapport pouvait être initiée par la société C.L.R et associés, ce qu'elle n'a pas fait.
La société C.L.R & associés, ès qualités, admet que les dispositions précitées ont pour effet d'empêcher la remise en cause de la validité du paiement d'un chèque fait en période suspecte mais elle fait valoir qu'elles ne font pas obstacle à la remise en cause de la validité du paiement de la créance réalisé, sur le fondement de l'article L. 632-3 du code de commerce qui prévoit une action en rapport contre le bénéficiaire du chèque.
Soutenant que la demande de remboursement qu'elle a formée devant le tribunal correspond à la définition d'une action en rapport contre le bénéficiaire du chèque, la société C.L.R & associés soutient que son action est recevable et que sa prétention n'est pas nouvelle en cause d'appel.
L'article L. 632-3 du code de commerce dispose que :
Les dispositions des articles L. 632-1 et L. 632-2 ne portent pas atteinte à la validité du paiement d'une lettre de change, d'un billet à ordre ou d'un chèque.
Toutefois, l'administrateur ou le mandataire judiciaire peut exercer une action en rapport contre le tireur de la lettre de change ou, dans le cas de tirage pour compte, contre le donneur d'ordre, ainsi que contre le bénéficiaire d'un chèque et le premier endosseur d'un billet à ordre, s'il est établi qu'ils avaient connaissance de la cessation des paiements.
Il en résulte que le paiement par chèque échappe à l'action en nullité de l'article L. 632-2 et se trouve soumis à l'action en rapport de l'article L. 632-3.
Cette action en rapport ne peut être exercée que pour le paiement d'un effet de commerce ou d'un chèque réalisé par le débiteur au cours de la période suspecte, ce qui est le cas en l'espèce.
Il s'ensuit que la société C.L.R & associés est en droit d'exercer une action en rapport contre la société [...], bénéficiaire du chèque litigieux, s'il est établi qu'elle avait connaissance de la cessation des paiements au moment où elle l'a encaissé.
C'est bien cette action qu'elle exerce en cause d'appel.
Elle est recevable à le faire pour la première fois en appel dès lors que cette action tend aux mêmes fins que celle qu'elle a exercée en première instance, comme le permet l'article 565 du code de procédure civile, à savoir la restitution de la somme de 24 540 euros.
En effet, si le rapport est ordonné, il y a restitution du paiement reçu. Ainsi, si l'action en rapport obéit à un certain nombre de règles propres, ses effets sont identiques à ceux des nullités, la personne contre laquelle l'action est engagée devant, si elle est admise, restituer le paiement reçu qui correspond au montant de l'effet ou du chèque.
Sur le fond
La société [...] fait valoir que le liquidateur judiciaire ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle avait connaissance de la cessation des paiements lorsqu'elle a encaissé le chèque litigieux, preuve qui ne peut résulter de la seule proximité de la date de l'opération critiquée et de celle du jugement d'ouverture ni de l'envoi par elle-même de rappels ou de mises en demeure du débiteur, même réitérés et non suivis d'effets. Elle rappelle que la connaissance de difficultés actuelles ou d'un risque futur d'état de cessation de paiements est insuffisant pour démontrer la connaissance certaine par le créancier de l'état de cessation des paiements à la date de l'acte dont la nullité est demandée.
Elle estime que le liquidateur judiciaire procède par voie d'affirmation en exposant que cette preuve résulterait de la chronologie des faits et du comportement de la société [...] quand celui-ci démontre, au contraire, qu'elle ne pouvait qu'ignorer l'état de cessation des paiements de la société [...].
Elle prétend qu'elle pensait que les difficultés rencontrées par la société [...] n'étaient que passagères et qu'elles pouvaient être surmontées ; qu'elle pensait être le seul créancier important de la société [...] et que le gérant de cette dernière profitait simplement de la gentillesse et de la bienveillance de M. [...], son ancien employeur.
Pour preuve de ce qu'elle ignorait que la société [...] était dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, elle expose que M. [...] n'a pas hésité à lui accorder des délais de paiement et à se porter caution d'un emprunt bancaire à son profit, d'un montant de 25 000 euros, souscrit le 22 janvier 2016 et ce, alors même que la société [...] n'était déjà pas à jour du règlement des loyers.
S'agissant du rachat du stock de la société [...] par la société [...], le 23 avril 2018, en vue de permettre le remboursement partiel de la dette locative, elle fait valoir qu'il a été validé par l'expert-comptable de la société [...], ainsi que cela résulte du mail adressé par le gérant de cette société au mandataire liquidateur. Elle indique que ce rachat lui a été présenté comme correspondant à la volonté du gérant de la société [...] de rechercher un nouveau local d'exploitation ou à défaut, de procéder à la dissolution amiable et anticipée de la société.
Mais ainsi que le fait observer, à juste titre, liquidateur judiciaire, la cour constate non seulement l'importance et l'ancienneté de la dette de la société débitrice en défaut de paiement des loyers depuis 2014 et qui n'a cessé d'augmenter pour atteindre un montant de 52 610 euros au jour de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, mais, surtout, qu'en parvenant à obtenir, le 24 avril 2018, le règlement partiel de sa créance de loyer à hauteur de 24 540 euros, la société [...] n'ignorait pas que la société débitrice, qui n'avait alors plus de bail ni de stock et qui n'avait pu payer en partie sa dette de loyer qu'au moyen des fonds provenant de l'opération de vente de son stock dont le montant était précisément limité au montant du paiement litigieux, ce qui démontrait qu'elle n'était pas autrement en mesure de faire ce paiement et n'avait plus aucun actif disponible, était alors en état de cessation des paiements qui ne pouvait conduire qu'à une demande d'ouverture d'une procédure collective, ce qui s'est, d'ailleurs, produit concomitamment au paiement litigieux.
Les allégations de projet de dissolution amiable de la société débitrice sont dépourvues de justification, comme celles selon lesquelles l'expert comptable de cette société aurait validé l'opération de vente du stock. En tout état de cause, la société [...] ne peut, au vu des circonstances rappelées ci-dessus, être crue lorsqu'elle prétend qu'elle pensait que la société débitrice allait pouvoir être liquidée amiablement. A supposer même qu'elle ait crue être la seule créancière, elle ne pouvait que constater que sa créance dépassait l'actif disponible puisque tout stock avait été vendu.
Le fait que son gérant se soit porté caution en janvier 2016 relativement à un crédit contracté par la société [...], soit un an avant la date de cessation des paiements fixée rétroactivement au 1er janvier 2017 par la décision de liquidation du 25 avril 2018, ne peut aucunement exclure sa connaissance de l'état de cessation des paiements en avril 2018.
Il résulte de ce qui précède que la preuve est rapportée qu'elle avait connaissance que la société [...] était en état de cessation des paiements au moment où celle-ci lui a remis le chèque.
Il s'ensuit que les conditions fixées à l'article L. 632-3 du code de commerce étant réunies, il y a lieu d'accueillir la demande du liquidateur judiciaire de la société [...] en condamnation de la société [...] à rembourser entre les mains de la société CLR et associés, prise en la personne de Mme [M], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [...], la somme de 24 540 euros, de sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
La Société [...], partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société CLR et associés, agissant en la personne de Mme [M] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [...], la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Déclare recevable l'action en rapport de la somme de 24 540 euros exercée par la société CLR et associés, agissant en la personne de Mme [M], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [...].
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il :
- condamne la société [...] à rembourser entre les mains de la société CLR et associés, prise en la personne de Mme [M], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [...] la somme de 24 540 euros ;
- condamne la société [...] à payer à la société CLR et associés, ès qualités, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamne la société [...] aux dépens.
Y ajoutant,
Condamne la société [...] aux dépens d'appel.
Condamne la société [...] à payer à la société CLR et associés, prise en la personne de Mme [M], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [...] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL