COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
LE/IM
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 19/00554 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EPFW
Jugement du 18 Décembre 2018
Tribunal de Grande Instance du MANS
n° d'inscription au RG de première instance : 17/00636
ARRET DU 04 AVRIL 2023
APPELANT :
Monsieur [P] [C]
né le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Valérie MOINE de la SELARL MOINE - DEMARET, avocat au barreau du MANS
INTIMES :
Maître [N] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
SELARL [J] ET ASSOCIES agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentés par Me Philippe LANGLOIS et Me Etienne DE MASCUREAU de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 71190117
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 31 Janvier 2023 à 14 H 00, Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Mme GANDAIS, conseillère
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
Greffière lors du prononcé : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 04 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
M. [C], économiste de la construction, né le [Date naissance 3] 1953, s'est soucié en 2008 de l'organisation de son départ en retraite et des conditions de cession des parts qu'il détenait dans la SARL "[P] [C] et associés".
Il a consulté à cet effet Me [J], notaire à [Localité 6], qui lui a adressé le 1er décembre 2008 une consultation écrite traitant des divers aspects d'une cession par M. [C] de son entreprise, et notamment en matière de fiscalité sur les plus-values.
Répondant aux interrogations de son client, Me [J] lui a conseillé de céder son entreprise en trois temps, en 2009, en 2011, le reliquat de parts (34%) en 2013.
Cette consultation n'a pas été suivie d'effet.
Au cours de l'année 2010, M. [C] a cédé l'ensemble de ses parts sociales.
Ainsi par deux actes sous seings privés du 30 septembre 2010, rédigés par Me [Z], avocat, M. [C] a cédé respectivement à la SARL Olivier Vallée et la SARL AB3C Investissements l'ensemble de ses parts sociales.
Me [J], notaire, a assisté M. [C] au cours de cette opération.
Dans ce cadre et au sein d'une note qu'il adressait à Me [Z] le 23 septembre 2010, Me [J] lui demandait, pour le compte de son client, d'apporter diverses modifications aux projets d'acte.
Il insistait notamment pour que soit rappelées aux contrats diverses dispositions extraites de l'article 150-0 D du Code général des impôts relatives au régime d'imposition des plus-values sur cession de valeurs mobilières.
Suite au rappel de ces dispositions fiscales, Me [J] demandait au rédacteur de porter la mention suivante : 'Le cédant déclare vouloir bénéficier des dispositions de cet article sous réserve du respect ultérieur des conditions attachées à l'exonération'.
Au titre des revenus perçus en 2010, M. [C] a bénéficié d'un avantage fiscal portant sur la taxation de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession de ses titres sociaux.
Le 18 septembre 2012, M. [C] a demandé la liquidation de ses droits à la retraite pour mise en paiement avant le 30 septembre 2012.
Parallèlement et aux termes d'une loi du 9 novembre 2010, le législateur a réformé le régime des retraites en augmentant progressivement la durée d'activité, ce qui a eu pour effet de reporter au 1er janvier 2015 la date à laquelle M. [C] pouvait percevoir sa retraite.
M. [C] a, le 12 décembre 2013, fait l'objet d'une proposition de rectification de la part de l'administration fiscale qui lui a réclamé au titre de la plus-value réalisée sur cession de titres un complément d'impôt sur le revenu d'un montant de 83.830 euros, outre 10.070 euros d'intérêts de retard et 8.392 euros de majorations.
Toujours assisté de Me [J], M. [C] a vainement contesté cette rectification.
Dans ces conditions et par exploit du 23 mars 2013, M. [C] a fait assigner en réparation, M. [J] ainsi que la SELARL [J] et Associés devant le tribunal de grande instance d'Alençon lequel s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction du Mans.
Suivant jugement du 18 décembre 2018, le tribunal de grande instance du Mans a :
- condamné Me [J] et la SELARL [J] et associés à payer à M. [C] à titre de dommages-intérêts la somme de 62.462 euros, avec intérêts de retard au taux légal à compter du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné Me [J] et la SELARL [J] et associés aux dépens, dont distraction au profit de Me Moine avocat, ainsi qu'à verser une indemnité de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 25 mars 2019, M. [C] a relevé appel à l'égard de M. [J] et de la société éponyme, du jugement rendu le 18 décembre 2018 par le tribunal du Mans, en ce qu'il a condamné ces derniers à ne lui payer, à titre de dommages-intérêts, que la somme de 62.462 euros, avec intérêts de retard au taux légal à compter du jugement.
Suivant conclusions déposées le 21 juin 2019, les intimés ont formé appel incident de cette même décision.
Une ordonnance du 19 octobre 2022 a clôturé l'instruction de l'affaire qui a finalement été retenue à l'audience du 31 janvier 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 9 septembre 2021, M. [C] demande à la présente juridiction de :
- rejeter l'appel incident de Me [J] et la SELARL [J] et associés comme non fondé,
- débouter Me [J] et la SELARL [J] et associés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement du 18 décembre 2018 en ce qu'il a retenu leur responsabilité,
- infirmer le jugement du 18 décembre 2018 en ce qu'il ne l'a pas indemnisé comme il aurait dû,
- condamner solidairement et/ou à défaut in solidum Me [J], notaire et la SELARL [J] et associés, à lui verser la somme de 197.711 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et économique,
- condamner solidairement et/ou à défaut in solidum Me [J], notaire et la SELARL [J] et associés, à lui verser la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice moral,
- condamner solidairement et/ou à défaut in solidum Me [J], notaire et la SELARL [J] et associés, à lui régler une indemnité de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement et/ou à défaut in solidum Me [J], notaire et la SELARL [J] et associés, aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Moine conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic) nonobstant appel et sans caution.
Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 21 juin 2019, Me [J] et la SELARL [J] et associés, demandent à la présente juridiction, de :
- dire M. [C] non fondé en son appel, ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- l'en débouter,
- les recevoir en leur appel incident, ainsi qu'en leurs demandes, fins et conclusions, déclarés fondés,
- infirmer le jugement entrepris,
- prononcer leur mise hors de cause,
- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire : si par extraordinaire la responsabilité des concluants est retenue :
- limiter leur responsabilité à 10%,
En tout état de cause :
- condamner M. [C] à leur payer la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeter toutes prétentions contraires comme non recevables, en tout cas non fondées,
- condamner M. [C] aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes en réparation :
Le premier juge a souligné que peu important le régime applicable aux retraites, relèvement ou non de l'âge de la retraite, M. [C] n'aurait pu prétendre au bénéfice de la retraite avant le 21 octobre 2013, de sorte qu'en cédant ses parts sociales le 30 septembre 2010, il ne pouvait aucunement faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années de la cession comme l'exigeait l'article 150-0 D ter du Code général des impôts en sa version en vigueur en 2010, le droit transitoire ayant assoupli cette condition pour tenir compte de l'allongement progressif de l'âge à partir duquel il peut être prétendu à la retraite. Il en a été déduit que le cessionnaire ne pouvait prétendre à l'abattement fiscal visé, information qui aurait dû lui être délivrée par son conseil, notaire, qui ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la qualité de rédacteur d'acte de Me [Z].
S'agissant des préjudices indemnisables, le premier juge a retenu que correctement informé, le contribuable n'aurait pas eu à s'acquitter des intérêts et majorations de retard dès lors qu'il aurait honoré le paiement de son imposition, de sorte que la somme de 18.462 euros a été mise à la charge du notaire et de sa société d'exercice. Pour le surplus de l'imposition ainsi que les rémunérations qui auraient été perçues en tenant compte d'un départ à la retraite en janvier 2013, il a été considéré que ces préjudices constituaient une perte de chance, indemnisable à hauteur de 40.000 euros, dès lors que les raisons d'une cessation d'activité à 57 ans, soit au moins trois ans avant de pouvoir prétendre au bénéfice de la retraite, ne permettaient pas d'exclure que le demandeur avait ainsi 'trouvé des acquéreurs à des conditions intéressantes', pouvant même justifier le fait de supporter imposition plus importante.
Aux termes de leurs dernières écritures, les intimés et appelants à titre incident indiquent que le notaire a intégralement rempli son obligation de conseil lors de la consultation de 2008 et précisent que son intervention lors de la cession s'est limitée à quelques ajouts de textes relatifs au régime d'exonération des plus-values sur les cessions de titres sociaux. Ainsi, ils rappellent que la consultation du 1er décembre 2008 a notamment repris la fiscalité applicable à chaque cession, et notamment celle applicable à une cession devant intervenir le 31 décembre 2011. Ainsi, ils soulignent qu'il ne peut être reproché au notaire l'absence de bénéfice de l'exonération d'imposition sur les plus-values, dès lors que la cession qu'il avait envisagée était postérieure au 31 décembre 2011, préconisation qui n'a pas été retenue par le client qui a opté pour une cession unique le 30 septembre 2010. S'agissant de cette vente, le notaire soutient que qu'il 'a effectivement accompagné de manière accessoire le requérant et Me [I] [Z] dans la rédaction de l'acte de cession, il n'a pas été à nouveau consulté sur l'opportunité et la faisabilité d'une telle opération et il n'a pas non plus été le rédacteur de l'acte de cession'. A ce titre, il souligne que l'attribution d'une telle charge ne résulte aucunement de sa lettre de mission du 5 août 2010. Ainsi, le notaire indique qu'il n'avait pas à se substituer à l'avocat spécialiste du droit des sociétés et fournir les conseils dus par ce dernier en sa qualité de rédacteur d'acte. En tout état de cause, les intimés, rappellent que l'article 150-0 D du Code général des impôts prévoyait un régime d'abattement des plus-values réalisées par le dirigeant d'une PME cédant ses parts sociales dans les deux années ou deux années avant son départ à la retraite. Or ils soulignent que l'âge de départ à la retraite de l'appelant était de 60 ans, de sorte que pour bénéficier de ce régime, ce dernier ne pouvait céder ses parts avant le 1er novembre 2011. Ils en déduisent que la taxation litigieuse résulte du choix du cédant de ne pas suivre les propositions formées ainsi que du montage mis en oeuvre par le rédacteur de l'acte de cession. Concernant la loi nouvelle, ils soulignent que si elle a fait passer l'âge de départ à la retraite à 62 ans, le droit transitoire relatif à l'abattement litigieux a assoupli la condition de délai biennal pour tenir compte de cet allongement. De sorte que dans ce nouveau cadre l'appelant devait atteindre l'âge de la retraite au mois de janvier 2015, de sorte que la cession aurait dû être réalisée au plus tôt deux années auparavant. Dans ces conditions au regard d'une demande de départ à la retraite le 18 septembre 2012 avec effet au 30 de ce même mois, le cédant ne pouvait à aucun titre prétendre à l'exonération convoitée. Au surplus, ils soulignent que l'appelant est malvenu de leur reprocher un manquement à une obligation de conseil alors même qu'il ne pouvait ignorer les termes principaux de la réforme des retraites de 2010, à savoir un report de l'âge de départ à la retraite. S'agissant de l'intervention de Me [Z], le notaire souligne que si ce professionnel était l'avocat des cessionnaires, il n'en demeurait pour autant pas moins le rédacteur de l'acte. Or, il précise que l'article 7.2 du règlement intérieur national (de l'ordre des avocats) précise que 'l'avocat rédacteur d'un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l'acte selon les prévisions des parties' et précise que l'intention du vendeur de bénéficier du dispositif fiscal litigieux était connue de l'avocat qui au surplus avait connaissance à cette date du projet de réforme des retraites (à la différence du notaire en 2008). Dans ces conditions, les intimés considèrent que l'avocat a manqué à ses obligations à l'égard du cédant.
Sur le dommage invoqué, les intimés soulignent qu'il est notamment composé des sommes redressées par l'administration fiscale, or ils soulignent qu'une telle imposition ne constitue pas nécessairement un préjudice indemnisable. A ce titre, ils précisent qu'il n'est pas démontré que leur contradicteur aurait renoncé à son projet de cession si une information fiscale correcte lui avait été donnée.
Aux termes de ses dernières écritures, l'appelant soutient qu'il ne pouvait engager la responsabilité de Me [Z], qui était uniquement le conseil des acquéreurs, son seul conseil étant son notaire. En tout état de cause, il soutient que 'le devoir de conseil du notaire a un caractère absolu' et, dans ce cadre, se doit 'd'éclairer les clients sur les conséquences de leurs actes et de leur fournir toute information permettant d'expliquer à ces derniers la nature et la portée de leurs actes ou de leurs engagements'. Sur le fond, l'appelant souligne que le notaire a fait figurer à sa déclaration de revenus 2010, la plus-value générée au titre de l'exonération litigieuse, ce qui démontre que l'officier ministériel ne lui a pas délivré une correcte information à ce titre étant souligné qu'il a poursuivi son analyse erronée lors de la procédure de contestation des propositions de l'administration fiscale. Or il rappelle que le notaire se doit d'aviser les parties sur les conséquences notamment fiscales du montage envisagé. Il conclut donc que le notaire et sa société d'exercice ont manqué à leurs obligations à son égard dans des conditions de nature à engager leur responsabilité. Ainsi et adoptant expressément la motivation du premier juge, qu'il reprend, l'appelant sollicite la confirmation de la décision de première instance s'agissant du principe de responsabilité tout en soulignant que les lettres adressées aux caisses de retraite avaient été rédigées par le notaire, alors même qu'il n'avait pas encore atteint l'âge de 60 ans.
Concernant le préjudice, l'appelant soutient qu'un redressement fiscal consécutif à un manquement du notaire à son obligation de conseil constitue un 'préjudice entièrement consommé et non une simple perte de chance'. Il soutient que correctement avisé des conséquences fiscales des cessions 'il n'aurait pas procédé ainsi' et que 'la cession pouvait être reportée avec abandon des fonctions de gérant et allongement du statut de salarié au sein du cabinet, solution pas même entrevue et/ou proposée par Me [J] et la SELARL'. Ainsi, il soutient qu'outre les sommes redressées, son préjudice indemnisable se compose également d'une somme de 95.333 euros correspondant aux rémunérations auxquelles il aurait prétendu en poursuivant son activité jusqu'à la vente de ses parts dans des conditions lui permettant de bénéficier de l'avantage fiscal convoité, outre un préjudice moral, lié au fait que ces difficultés se sont combinées avec les problématiques de santé rencontrées par sa fille.
Sur ce :
En l'espèce, si l'appelant invoque très longuement dans ses écritures, les obligations du notaire rédacteur d'acte, qui ne peuvent aucunement être mises en oeuvre présentement, dès lors qu'il est constant que les deux conventions du mois de septembre 2010, ont été rédigées par un tiers à la présente procédure, il n'en demeure par moins que le demandeur initial invoque également un manquement des appelants à leurs obligations de conseil notamment quant aux conséquences fiscales des cessions de titres.
A ce titre, il doit être souligné que la lettre de mission intervenant courant août 2010, aux fins de 'définir les conditions de [la] collaboration concernant [le] projet de cession de (...) parts de SARL' a ainsi été rédigée : 'je vous propose un devis pour les prestations suivantes :
- négociation préalable avec les acquéreurs,
- évaluation de l'entreprise,
- établissement d'un mémo concernant les conditions de la vente,
- contrôle des lettres d'intention.
- Visa du protocole d'accord,
- visa de l'acte de cession définitif,
- visa de la convention de passif,
- et de leurs accessoires',
le tout pour un coût TTC de 4.784 euros qui a été facturé courant novembre 2010.
Par ailleurs, le courrier rédigé le 23 septembre 2010, par le notaire à destination de l'avocat rédacteur d'acte, démontre que la mission du premier comportait les incidences fiscales de la cession, dès lors qu'il y est mentionné : 'concernant le projet de convention que vous avez bien voulu me transmettre, je vous prie de bien vouloir prendre en compte les observations suivantes : (...) Page 17 : plus value de cession, je vous remercie de bien vouloir intégrer la clause suivante : 'les dispositions ci-après extraites dans l'article 150-0 D du Code général des impôts son portées à la connaissance du cédant : (...)
L'article 150-0 D bis du Code général des impôts dispose que les gains nets retirés de ces cessions sont, sous certaines conditions, réduits d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième, et ce pour les droits, titres ou actions acquis ou souscrits à compter du 1er janvier 2006. (...)
Le cédant déclare vouloir bénéficier des dispositions de cet article, sous réserve du respect ultérieur des conditions attachées à l'exonération'.
Il en résulte que le notaire avait une obligation de conseil à l'égard de son client portant notamment sur les incidences fiscales des cessions envisagées.
A ce titre, il doit être souligné que postérieurement à la conclusion des conventions litigieuses et, le 22 mars 2011, la société notariale a poursuivi l'exécution de sa mission à ce titre en indiquant notamment à son client : 'je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous les réponses à vos différentes interrogations.
Concernant l'exonération de plus-value due à votre départ en retraite : (...)
Selon le Bulletin officiel des impôts 5 C-2-09 du 7 avril 2009 (...)
'La date à laquelle le dirigeant fait valoir ses droits à la retraite s'entend de la date d'entrée en jouissance des droits qu'il a acquis dans le régime obligatoire de base auprès duquel il était affilié à raison de ses fonctions de direction, ou, à défaut, dans le régime obligatoire auquel il a été affilié au titre de sa dernière activité' (CGI ann. II art. 74-0 P).
La date de cession de vos parts de société étant le 30 septembre 2010, vous avez jusqu'au 30 septembre 2012 pour faire valoir vos droits à retraite, et ce afin de bénéficier de l'abattement pour une durée de détention'.
Cependant, cette analyse n'a pas été retenue par l'administration fiscale qui a notamment pu répondre aux observations formées en indiquant, le 27 février 2014 : 'nous vous avons démontré que la date correspondant à l'âge de départ légal à la retraite s'entend de la date d'entrée en jouissance des droits que le bénéficiaire a acquis dans le régime obligatoire de base d'assurance vieillesse auquel il a été affilié à raison de ses fonctions de direction ou, s'il n'a été affilié à aucun régime obligatoire de base pour cette activité, dans le régime obligatoire de base d'assurance vieillesse auquel il a été affilié au titre de sa dernière activité (art. 74-0 P de l'annexe II au CGI). Ainsi, pour bénéficier du dispositif, le dirigeant cédant doit entrer en jouissance de sa pension de retraite et nous vous avons démontré que cela n'avait pas été votre cas' (souligné dans l'original).
Il résulte de ce qui précède que les intimés ont délivré à leur client une information et partant un conseil en matière fiscale erronés.
Si cette situation est de nature à engager la responsabilité des intimés, il n'en demeure pas moins qu'il appartient à l'appelant de démontrer qu'il subit un préjudice en lien de causalité certain avec ce manquement.
A ce titre, le contribuable redressé soutient subir un tel dommage dès lors que correctement avisé, il aurait reporté les cessions aujourd'hui litigieuses pour lui permettre de respecter le délai de deux ans entre la vente et le bénéfice de sa retraite.
Cependant, il doit être souligné que les préjudices financiers ainsi invoqués (redressement et perte de rémunération), supposent, pour être en lien de causalité certain avec le manquement mentionné ci-dessus, la démonstration du fait que les cessions intervenues courant 2010, auraient pu être réalisées dans des conditions similaires, plusieurs années plus tard.
Or il ne peut qu'être constaté que l'appelant procède, s'agissant de ses préjudices, par pures affirmations indiquant uniquement 'il n'aurait pas procédé ainsi s'il avait su...', sans pour autant produire de pièce établissant sa possibilité de patienter, alors même qu'il cesse son activité, ainsi que le relevait le premier juge à 57 ans, soit plusieurs années avant de pouvoir prétendre à la retraite (même avant réforme) mais surtout la volonté pour les cessionnaires de retarder l'opération économique, voire même la possibilité de réaliser la vente dans des conditions économiques similaires mais au cours d'une période bien ultérieure.
Il en résulte que l'appelant ne démontre pas subir le préjudice économique qu'il invoque pas plus qu'il n'établit l'existence de quelque perte de chance que ce soit, dès lors que les conditions d'une telle perte supposent également que l'opération économique intervenue courant 2010 puisse être reportée, de sorte que la décision de première instance doit être infirmée en ce qu'elle a condamné les intimés à l'indemnisation d'un préjudice économique.
Par ailleurs, s'agissant du préjudice moral et d'anxiété invoqué, il ne peut qu'être constaté que s'il est fait état de la survenance parallèle de difficultés familiales, ces dernières ne sont pas établies, pas plus qu'il n'est produit la moindre pièce démontrant l'existence des dommages ainsi invoqués. Dans ces conditions, ces demandes doivent être rejetées et la décision de première instance également infirmée à ce titre.
Sur les demandes accessoires :
L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens et les dispositions du jugement à ce titre doivent être infirmées, le demandeur devant également supporter les frais exposés à ce titre en première instance.
Cependant, l'équité commande de rejeter l'ensemble des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de sorte que les dispositions de la décision de première instance doivent également être infirmées à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME, dans les limites de sa saisine, le jugement du tribunal de grande instance du Mans du 18 décembre 2018 ;
Statuant de nouveau et y ajoutant :
REJETTE les demandes en réparation formées par M. [P] [C] ;
REJETTE l'ensemble des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [P] [C] aux dépens ;
ACCORDE au conseil de M. [N] [J] et de la SELARL [J] et associés le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
S. TAILLEBOIS C. MULLER