COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
NR/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 18/01512 - N° Portalis DBVP-V-B7C-ELFQ
Jugement du 16 Novembre 2016
Tribunal de Grande Instance du MANS
n° d'inscription au RG de première instance 16/02037
ARRET DU 04 AVRIL 2023
APPELANT :
Monsieur [J] [P]
né le [Date naissance 4] 1982 à [Localité 7] (Allemagne)
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représenté par Me Inès RUBINEL, avocat postulant au barreau d'ANGERS, en qualité d'administratrice provisoire de Me Benoît GEORGE, associé de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, et Me Valéry MONTOURCY, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [M] [C]
né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Assigné, n'ayant pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 14 Novembre 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme ROBVEILLE, conseillère qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : par défaut
Prononcé publiquement le 04 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Par acte d'huissier du premier juin 2016, M. [J] [P], soutenant lui avoir prêté la somme de 50 000 euros le 15 août 2013 ainsi que les sommes de 500 euros, 400 euros et 273 euros, a fait assigner M. [M] [C] devant le tribunal de grande instance du Mans aux fins de le voir condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer la somme de 51 173 euros avec intérêts au taux légal à compter du premier août 2015, outre la somme de 1 500 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
M. [M] [C] n'a pas constitué avocat.
Par jugement du 16 novembre 2016, réputé contradictoire, le tribunal de grande instance du Mans a :
- rejeté les demandes,
- condamné M. [J] [P] aux dépens en autorisant en tant que de besoin la SCP Virfolet Roucoux à recouvrement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal, rappelant les principes relatifs à la charge de la preuve et aux modes de preuve admissibles, a écarté la copie d'un chèque tiré par M. [P] le 15 août 2013 comme ayant été communiquée postérieurement à la clôture de la mise en état et à l'ouverture des débats, a constaté que M. [P] ne produisait aucun écrit passé devant notaire ou sous seing privé, tel une reconnaissance de dette, prouvant le prêt de la somme de 50 000 euros qu'il prétendait avoir consenti à M. [C], qu'il n'invoquait pas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit pour rapporter la preuve de ce prêt, de sorte qu'il n'était pas admissible à le prouver par attestations et en a déduit que M. [P] échouait à rapporter la preuve qui lui incombe du prêt de la somme de 50 000 euros.
Il a retenu, s'agissant des autres sommes, que M. [P] n'en démontrait même pas la remise à M. [C].
Par déclaration du 13 juillet 2018, M. [J] [P] a interjeté appel de tous les chefs de la décision du 16 novembre 2016, intimant M. [C].
M. [J] [P] a conclu le 11 octobre 2018.
Par avis du 16 octobre 2018, M. [C] n'ayant pas constitué dans le délai prescrit, M. [P] a été invité à procéder par voie de signification conformément à l'article 902 du code de procédure civile.
Par acte d'huissier 7 novembre 2018 déposé à l'étude de l'huissier de justice, M. [P] a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à M. [M] [C].
M. [J] [P] a déposé le 26 octobre 2020 de nouvelles conclusions qu'il a fait signifier à M. [M] [C] le 23 octobre 2020.
Une ordonnance du 17 octobre 2022 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOYENS ET PRETENTION DES PARTIES
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de M. [P], il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à ses dernières conclusions déposées au greffe le 4 octobre 2022 aux termes desquelles il forme les demandes qui suivent :
M. [J] [P] demande à la Cour de :
- le recevoir en son appel et le déclarer bien-fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement entrepris,
à titre principal,
- constater l'existence d'un prêt entre M. [M] [C] et lui-même,
- constater la remise par lui de 50 000 euros à M. [M] [C],
- condamner M. [M] [C] à lui payer la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du premier août 2015,
à titre subsidiaire,
- constater l'existence d'un quasi-contrat prendant la forme d'une gestion d'affaire entre lui même et M. [M] [C],
- constater la remise par lui de 50 000 euros à M. [M] [C],
- constater l'inexécution de la gestion d'affaires par M. [M] [C],
- condamner M. [M] [C] à lui payer la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du premier août 2015,
à titre plus subsidiaire,
- constater l'existence d'un quasi-contrat ayant conduit à l'enrichissement sans cause de M. [M] [C],
- constater la remise par lui de 50 000 euros à M. [M] [C],
- condamner M. [M] [C] à lui payer la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du premier août 2015,
en toute hypothèse,
- ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner M. [M] [C] à lui payer la somme de 7 100 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- condamner M. [M] [C] aux dépens de première instance et d'appel y compris l'intégralité des frais d'huissier engagés par lui, avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS
À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application au présent litige des dispositions du code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.
Il sera également constaté que M. [P] a fait appel de tous les chefs de la décision du 16 novembre 2016, y compris le rejet de sa demande au titre du remboursement des sommes de 500 euros, 400 euros et 273 euros qu'il prétend avoir également prêtées à M. [C] et de celle de dommages intérêts pour résistance abusive.
Néanmoins à l'appui de sa demande d'infirmation, il ne formule aucune prétention au titre du remboursement des sommes de 500 euros, 400 euros et 273 euros prétendument prêtées à M. [C] et de dommages intérêts pour résistance abusive.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [J] [P] de condamnation de M. [M] [C] au remboursement des sommes de 500 euros, 400 euros et 273 euros et en paiement de dommages intérêts pour résistance abusive.
- Sur la demande en paiement de la somme de 50 000 euros
Aux termes de l'article 1315 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
De la combinaison des dispositions de l'article 1341 du code civil et du décret n 80533 du 15 juillet 1980 modifié par décret n 2004 836 du 20 août 2004, il résulte qu'il doit être passé un écrit pour toute chose excédant la valeur de 1 500 euros.
Cette règle de preuve reçoit toutefois exception tel que cela résulte de l'article 1347 du code civil, lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit, entendu comme tout acte écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée ou de celui qu'il représente et qui rend vraisemblable le fait allégué.
Elle reçoit également exception, selon l'article 1348 du code civil, lorsque l'une des parties n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve écrite de l'acte juridique dont elle se prévaut.
En l'espèce, il appartient à M. [J] [P], qui invoque l'existence d'un prêt de 50 000 euros qu'il aurait consenti en août 2013 à M. [M] [C] aux fins de financer un projet d'ouverture d'un pub en milieu rural, de prouver qu'il lui a remis ladite somme à charge pour celui-ci de la lui rembourser.
Au soutien de sa demande, M. [J] [P] ne verse aux débats aucun écrit constatant l'existence d'un prêt de 50 000 euros consenti en août 2013 par lui à M. [M] [C].
M. [P] soutient néanmoins que les liens d'amitié et de confiance tissés avec M. [C] justifient l'absence de formalisation d'un écrit relatif à l'accord entre les parties sur un prêt de 50 000 euros consenti par lui à M. [C].
Il résulte des pièces produites que M. [P] et M. [C], qui n'ont aucun lien de parenté entre eux, se connaissaient à la date de l'opération litigieuse depuis plusieurs années, leur relations, qui avaient pour cadre d'origine le milieu professionnel, s'étant étendues en dehors de celui-ci, ce qui ne suffit toutefois pas à établir la prétendue impossibilité morale pour M. [P] de se procurer un écrit constatant un prêt accordé à M. [C].
Si M. [P] envisageait de s'impliquer personnellement dans le projet de M. [C] de création d'une société coopérative de production pour exploiter un 'pub' en milieu rural, ils n'étaient pas associés à la date à laquelle le prêt aurait été consenti par l'appelant et ne l'ont pas plus été par la suite.
Le fait qu'il résulte d'une attestation que M. [P] admirait M. [C] pour son engagement syndical et était 'sous l'influence directe de M. [C] au niveau de l'activité syndicale', ne suffit pas non plus à caractériser l'existence entre eux de liens particuliers de confiance, d'estime ou d'affection tels qu'ils justifient d'une impossibilité morale pour M. [P] d'exiger un écrit.
Il résulte d'ailleurs des écritures de M. [P] et des pièces qu'il produit, notamment de sa plainte pour abus de confiance et escroquerie déposée le 8 janvier 2016 entre les mains du Procureur de la République, qu'à l'origine M. [P] avait envoyé à M. [C] une reconnaissance de dette afin qu'il la lui retourne datée et signée et qu'il a tenté à plusieurs reprises par la suite d'obtenir de M. [C] la signature d'un écrit sous seing privé ou devant notaire, pour régulariser la situation.
Il convient dès lors de considérer que M. [P] ne démontre pas la réalité de circonstances particulières d'où résulterait une impossibilité morale pour lui de se procurer un écrit constatant un prêt de 50 000 euros prétendument consenti par lui à M. [C].
C'est donc à tort que l'appelant soutient qu'à raison de l'impossibilité morale dans laquelle il se trouvait d'établir un écrit, il est admis à rapporter la preuve de l'existence du prêt par tous moyens.
M. [P] prétend par ailleurs qu'il est fondé à se prévaloir d'un commencement de preuve par écrit.
Il verse aux débats un courriel adressé le 21 août 2013 à M. [M] [C] dans les termes suivants : 'salut [M], je te contacte concernant le prêt que j'avais prévu de te faire (...) J'ai réfléchi à une chose, si tu n'y vois pas d'inconvénient, je te propose de te prêter l'argent comme prévu via une déclaration chez notaire (...) Imaginons que tout ne se passe pas comme prévu, que le bar ne marche pas si bien, voire même doive fermer au bout de quelques années, qu'il t'arrive quelque chose. Bien sûr j'ai confiance en ce projet, mais comme je prête une somme d'argent importante, alors je dois envisager toutes les possibilités même les pires (...) Tu comprendras que j'ai besoin d'une garantie officielle de mon côté en cas d'imprévu. La seule confiance ne suffit pas toujours, en tant que syndicaliste tu dois savoir cela je pense (...) Donc en gros : déclaration chez le notaire avec précision des conditions du prêt (hypothèque d'un bien au cas où) je le laisserai à ta charge les frais de notaire (...) Si tu as une autre solution équivalente qui apporte les mêmes garanties, ça peut être intéressant aussi, à toi de me dire', auquel M. [C] a répondu par des couriels du même jour, versés aux débats, de la manière suivante : 'salut [J], je suis prêt à te faire une reconnaissance de dette signer et manuelle ça a la même valeur légale que de passer chez le notaire sans les frais ça m'emmerde de passer par un notaire c des voleurs' ; et : 'renseigne toi sur les prêt par reconnaissance de dette c plus efficace en principe car si une difficulté arrive tu saisir les juridictions compétente sans recours au notaire et au huissier.'
Au regard de leur contenu, il convient de considérer que ces courriels adressés par M. [C] constituent un commencement preuve par écrit qui rend vraisemblable l'existence d'un prêt consenti en août 2013 par M. [P] à M. [C] pour financer un projet d'ouverture d'un pub.
En outre, ce commencement preuve se trouve complété par d'autres éléments versés aux débats par M. [P].
M. [P] produit ainsi la copie d'un chèque de 50 000 euros émis par lui le 15 août 2013 au profit de M. [C], ainsi que le relevé de son compte bancaire du 6 août au 5 septembre 2013 attestant de son encaissement le 2 septembre, qui corroborent la remise de la somme de 50 000 euros par M. [P] à M. [C].
Il verse également aux débats trois attestations de personnes indiquant avoir reçu courant 2013 M. [C] pour la recherche d'un local aux fins d'accueillir un 'pub' dans une commune rurale, corroborant les dires de M. [P] quant à l'objet du prêt qu'il prétend avoir consenti à celui-ci en août 2013 et une attestation de l'ex-compagne de M. [C] expliquant le contexte du projet de création d'une SCOP en 2013 ainsi que les conditions d'échec de celui-ci tenant à son abandon définitif par M. [C] début 2015 sans en informer M. [P] et rapportant que ce dernier lui avait confié avoir remis un chèque de 50 000 euros à M. [C] pour financer partiellement le projet.
Il produit encore des échanges sur facebook datés de février 2015, aux termes desquels M. [P] indique qu'eu égard à la somme d'argent énorme qu'il lui a prêtée, il n'a autre choix que d'en 'passer par la case notaire', 'solution qui est la seule qui vaille' et M. [C] lui répond : 'j'accepte avec plaisir d'aller chez le notaire' et d'autres datés d'avril 2015 aux termes desquels M. [P] indique qu'il va prendre rendez-vous chez le notaire pour le mois de mai à [Localité 8] et demande si M. [C] pense régler ses déboires financiers, lequel lui répond 'Ok no problème' pour le rendez-vous et 'ça devrait aller juste du temps'.
Ainsi en définitive, au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer que M. [P] rapporte la preuve d'un prêt qu'il a consenti en août 2013 à M. [C] d'un montant de 50 000 euros.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du premier août 2015 reçue le 3 août 2015, M. [P] a demandé à M. [C] de lui faire parvenir un écrit contenant la reconnaissance de sa dette de 50 000 euros ainsi que l'échéancier de son remboursement en précisant qu'à défaut de réponse, il serait contraint de saisir les juridictions compétentes.
A défaut de réponse, M. [P] a fait assigner M. [C] en remboursement de ladite somme par assignation du premier juin 2016, valant mise en demeure.
Faute d'avoir constitué avocat tant en première instance qu'en cause d'appel, M. [C] n'a pas offert de rapporter la preuve du remboursement de ladite somme, alors que la charge de cette preuve lui incombe.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande en paiement de la somme de 50 000 euros et statuant à nouveau de condamner M. [M] [C] à payer à M. [J] [P] la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du premier juin 2016, date de l'assignation valant mise en demeure qui se capitaliseront dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
- Sur les demandes au titre des dépens et frais irrépétibles
Le jugement critiqué sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Partie perdante, M. [M] [C] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de l'avocat qui en a fait la demande et sera condamné à payer à M. [J] [P] la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt par défaut, rendu par mise à disposition au greffe,
- INFIRME le jugement du tribunal de grande instance du Mans du 16 novembre 2016, SAUF en ce qu'il a rejeté la demande de M. [J] [P] de condamnation de M. [M] [C] au remboursement des sommes de 500 euros, 400 euros et 273 euros et celle en paiement de dommages intérêts pour résistance abusive ;
- CONDAMNE M. [M] [C] à payer à M. [J] [P] la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du premier juin 2016, date de l'assignation valant mise en demeure, qui se capitaliseront dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
- CONDAMNE M. [M] [C] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de l'avocat qui en a fait la demande et à payer à M. [J] [P] la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
- REJETTE toutes autres demandes.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL