COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00097 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EYUY.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAUMUR, décision attaquée en date du 27 Janvier 2021, enregistrée sous le n° 16/00102
ARRÊT DU 30 Mars 2023
APPELANT :
Monsieur [H] [E] Profession: chauffeur poids lourds
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Paul CAO de la SCP IN-LEXIS, avocat au barreau de SAUMUR - N° du dossier 16-280, substitué par Maître BOUCHAUD
INTIMEE :
S.A.S. [S] [W] Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés
en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Maître Nathalie GREFFIER, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 21027, avocat postulant et Maître Olivier GAN, avocat au barreau de SAUMUR, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Janvier 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 30 Mars 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS , conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE
M. [H] [E] a été engagé par la société [M] Père et Fils dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 février 1988 en qualité de chauffeur poids lourds.
Le 1er octobre 2015, le contrat de travail de M. [E] a été transféré à la société par actions simplifiée Luc Durand en application de l'article L.1224-1 du code du travail, dans le cadre d'un plan de cession arrêté par jugement du tribunal de commerce d'Angers du 30 septembre 2015.
Ce transfert a été formalisé par un avenant du 9 octobre 2015, M. [E] occupant alors les fonctions d'ouvrier TP - chauffeur PL, classification ouvrier TP, niveau N2P1, coefficient 125 de la convention collective nationale des ouvriers travaux publics.
Le 3 novembre 2015, M. [E] a été victime d'un malaise en entrant dans les bureaux de la société, avec une forte douleur à la poitrine gauche et au bras gauche nécessitant son transport immédiat au centre hospitalier universitaire d'[Localité 4] et sa prise en charge par la structure.
Une déclaration d'accident du travail a été établie le même jour par la société Luc Durand, et M. [E] a été placé en arrêt de travail du 7 au 20 novembre 2015, arrêt prolongé jusqu'au 21 juin 2016.
Aux termes de la visite médicale de reprise du 21 juin 2016, M. [E] a été déclaré apte à la reprise par le médecin du travail avec les recommandations suivantes : 'sauf la conduite du porte engins et limiter les déplacements de longue durée, priorité aux chantiers de proximité, à revoir fin août 2016'.
M. [E] a repris son poste du 22 au 24 juin 2016, puis il a été placé en congés payés jusqu'au 8 août 2016, à l'exception de la journée du 13 juillet 2016.
Par avis du 28 juin 2016, le médecin du travail a précisé ses recommandations en ces termes: 'actuellement pas de conduite poids lourds. changement de poste, exemple : conduite d'engins sur site, exemple : carrière de proximité, exemple : [Localité 6]. A revoir ultérieurement'.
Par courrier du même jour, la société Luc Durand a sollicité auprès du médecin du travail des précisions quant à l'aptitude ou non de M. [E] à son poste de chauffeur poids lourds, ajoutant que l'emploi du salarié n'était pas celui de conducteur d'engins, qu'elle n'avait pas de poste sur un site à proximité et que la carrière de [Localité 6] était peu exploitée, de surcroît par une autre société.
Par courrier du 7 juillet 2016, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude actuelle de M. [E] à la conduite poids lourds et réitéré ses préconisations précédentes. Il a également proposé de revoir M. [E] le 13 juillet suivant.
Par avis du 13 juillet 2016, le médecin du travail a déclaré M. [E] inapte à son poste en ces termes : 'inapte à son poste actuel de conduite de PL, apte à un autre poste sous réserve d'éviter les trajets de longue distance'.
Par courrier du 29 juillet 2016, la société Luc Durand a informé M. [E] de l'impossibilité de le reclasser, puis par courrier du 1er août 2016, elle l'a convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 12 août 2016, la société Luc Durand a notifié à M. [E] son licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.
Par requête du 20 octobre 2016, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Saumur afin de faire constater l'origine professionnelle de son inaptitude et obtenir la condamnation de la société Luc Durand, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer le reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis prévus par l'article L.1226-14 du code du travail, les congés payés sur préavis, l'indemnité prévue par l'article L.1226-15 pour défaut de consultation des délégués du personnel ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Luc Durand s'est opposée aux prétentions de M. [E] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement avant-dire droit du 24 mai 2017, le conseil de prud'hommes a sursis à statuer sur l'ensembles des demandes.
En effet, parallèlement, par décision du 29 février 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Maine-et-Loire (la caisse) a notifié à la société Luc Durand son refus de prise en charge de l'accident de M. [E] du 3 novembre 2015 au titre de la législation relative aux accidents du travail.
Le 5 juillet 2017, M. [E] a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers.
Par jugement avant-dire droit du 25 avril 2019, le pôle social du tribunal de grande instance d'Angers a ordonné une expertise confiée au docteur [R], chirurgien cardio-vasculaire, afin de déterminer si les conditions et l'environnement de travail de M. [E] étaient totalement étrangers à la survenance du fait accidentel du 3 novembre 2015.
Par jugement du 25 mai 2020 devenu définitif, le pôle social du tribunal judiciaire d'Angers a homologué le rapport dressé par le docteur [R] le 3 septembre 2019 et dit que l'accident dont a été victime M. [E] le 3 novembre 2015 doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par jugement au fond en date du 27 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a :
- débouté la société Luc Durand de sa demande avant dire droit d'audition du médecin expert ;
- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes non fondées ;
- débouté la société Luc Durand de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [E] aux entiers dépens.
Pour débouter M. [E] de ses demandes, le conseil de prud'hommes s'est appuyé sur la décision de la caisse du 29 février 2016 de refus de prise en charge de l'accident du 3 novembre 2015 au titre d'un accident du travail. Il a constaté qu'au moment du licenciement l'intéressé n'avait pas contesté cette décision qui s'imposait à l'employeur, et que celui-ci ne pouvait dès lors avoir connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude.
Les premiers juges ont ensuite considéré qu'en l'absence de proposition de reclassement, il n'y avait pas lieu de consulter les délégués du personnel.
M. [E] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 11 février 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans sa déclaration.
La société Luc Durand a constitué avocat en qualité d'intimée le 23 février 2021.
Par ordonnance du 18 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a rejeté d'une part la demande de la société Luc Durand de nullité de la déclaration d'appel de M. [E] du 11 février 2021, et d'autre part la demande de dommages et intérêts présentée par le salarié pour procédure abusive.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 janvier 2023 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 17 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [E], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 21 juin 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- dire que la cour d'appel est valablement saisie par sa déclaration d'appel ;
- débouter la société Luc Durand de son appel incident et de sa demande avant dire droit d'ordonner la comparution du docteur [R] ;
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saumur en date du 27 janvier 2021 en ce qu'il :
- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes non fondées ;
- l'a condamné aux dépens.
Statuant à nouveau,
- condamner la société Luc Durand à lui verser au titre de l'article L.1226-14 du code du travail :
* 16 309,63 euros au titre de l'indemnité doublée de licenciement ;
* 3 967,20 euros outre 396,72 euros au titre des congés payés afférents au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- condamner la société Luc Durand à lui verser la somme de 70 000,00 euros nette de charges pour le salarié au titre de l'article L.1226-15 du code du travail dans sa version applicable au moment des faits ;
- condamner la société Luc Durand à lui délivrer le bulletin de paye correspondant aux condamnations salariales et l'attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- condamner la société Luc Durand à lui verser les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
* 1 500,00 euros au titre de l'instance devant le conseil des prud'hommes de Saumur ;
* 2 000,00 euros au titre de l'instance devant la cour d'appel d'Angers ;
- confirmer le jugement dans ses autres dispositions ;
- condamner la société Luc Durand aux dépens de l'instance ;
- débouter la société Luc Durand de l'ensemble de ses demandes.
À titre liminaire, M. [E] fait valoir que sa déclaration d'appel du 11 février 2021 est régulière et qu'elle opère effet dévolutif dès lors qu'elle mentionne expressément et sans équivoque les chefs de jugement critiqués suivants 'déboute M. [E] de l'ensemble de ses demandes non fondées' et 'condamne M. [E] aux entiers dépens'.
M. [E] prétend ensuite qu'au regard de la chronologie des faits, son inaptitude a, au moins partiellement, une origine professionnelle, et que son employeur en avait connaissance puisque l'accident est survenu au temps et sur le lieu de travail. Il se prévaut en outre du jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Angers qui a dit que l'accident dont il a été victime le 3 novembre 2015 devait être pris en charge au titre de la législation professionnelle.
Il s'oppose enfin à l'audition du docteur [R] dans la mesure où celui-ci est un expert judiciaire assermenté dont la partialité ne peut être suspectée, et qu'en tout état de cause, son rapport n'est qu'un élément parmi d'autres et pas le plus déterminant au soutien de son action.
En dernier lieu, M. [E] prétend que la société Luc Durand n'a pas respecté la procédure prévue à l'article L.1226-10 du code du travail en s'abstenant de consulter les représentants du personnel alors que son inaptitude est consécutive à l'accident du travail survenu le 3 novembre 2015. Il affirme que cette consultation constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance est sanctionnée par l'indemnité prévue par l'article L.1226-15 du code du travail.
*
La société Luc Durand, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 2 janvier 2023, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de la recevoir en son appel incident, l'y déclarée fondée et y faisant droit, infirmer la décision entreprise en ses dispositions lui faisant grief et statuant à nouveau de :
Avant dire droit,
- ordonner la comparution du docteur [R] résidant [Adresse 1] en vue de recueillir son audition sur les points suivants :
- quelles sont les circonstances particulières qui l'ont conduit à relier l'accident à la relation salariale au sein de la société Luc Durand ;
- comment conclure de la sorte sans avoir entendu l'employeur ni visité et décrit l'environnement de travail ;
Très subsidiairement,
- déclarer M. [E] non fondé en son appel ;
- le débouter de toutes ses demandes financières liées à la rupture du contrat, de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sa demande de remise de document sous astreinte et du pouvoir de réservation ;
- confirmer purement et simplement le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;
- condamner M. [E] à lui payer la somme de 2 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'appel ;
Très très subsidiairement :
- réduire les demandes de dommages et intérêts dans les plus larges proportions ;
- dire n'y avoir lieu à paiement de congés payés ;
- dire n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile au profit de M. [E] en équité.
La société Luc Durand conteste l'origine professionnelle de l'inaptitude de M. [E]. À cet égard, elle fait valoir que ce dernier ne peut se prévaloir de la présomption d'imputabilité en ce que le malaise dont il a été victime le 3 novembre 2015 n'est pas survenu au temps et sur le lieu de travail dès lors qu'il venait juste d'embaucher et qu'il n'était pas à son poste de conducteur poids lourds, c'est-à-dire au volant de son véhicule, lequel constitue son lieu de travail.
Elle considère ensuite que M. [E] ne rapporte pas la preuve du lien même partiel entre l'accident à l'origine de l'inaptitude et ses conditions de travail. À cet égard, elle affirme que le rapport d'expertise du 3 septembre 2019 lui est inopposable en ce qu'elle n'était pas partie devant le pôle social et que les opérations d'expertise ne se sont pas déroulées à son contradictoire. Elle souligne en outre la partialité de l'expert en ce que celui-ci se permet de décrire l'environnement professionnel de M. [E] sans s'être déplacé ni l'avoir interrogée, et s'est fondé exclusivement sur les allégations du salarié et de son épouse qui était présente à l'expertise bien que non concernée. Elle sollicite ainsi avant dire droit l'audition du docteur [R] afin qu'il s'explique sur les circonstances l'ayant conduit à relier l'accident de M. [E] à ses conditions de travail. Elle ajoute que le jugement du 25 mai 2020 du pôle social du tribunal judiciaire d'Angers n'a pas autorité de la chose jugée à son égard dès lors qu'elle n'était pas partie au litige opposant M. [E] à la caisse, ce malgré sa demande expresse.
En tout état de cause, elle exclut tout lien entre le malaise du 3 novembre 2015 et les conditions de travail de M. [E] dans la mesure où ce dernier n'a travaillé que quinze jours en son sein dont seulement cinq jours de manière continue, et qu'il a bénéficié d'heures dérogatoires à raison d'une heure par jour correspondant à des temps d'attente non considérés comme du travail effectif mais payés au taux normal .
En dernier lieu, la société Luc Durand fait valoir que l'article L.1226-10 du code du travail invoqué par M. [E] n'est pas applicable au litige dès lors que la consultation des représentants du personnel vise les seules propositions de reclassement et non l'impossibilité de reclassement comme c'était le cas en l'espèce.
MOTIVATION
A titre liminaire, il sera observé que la société Luc Durand ne reprend pas dans ses dernières écritures le moyen relatif à l'effet dévolutif conféré à la déclaration d'appel de M. [E].
Elle est donc réputée l'avoir abandonné, étant précisé en tout état de cause que le salarié a expressément visé dans celle-ci les chefs du jugement critiqués, à savoir: 'déboute M. [E] de l'ensemble de ses demandes non fondées' et 'condamne M. [E] aux entiers dépens'.
Sur la demande avant-dire droit d'audition du docteur [R]
En application des articles 10, 143 et 144 du code du procédure civile, le juge dispose de la faculté d'ordonner une mesure d'instruction dont il est libre de ne pas user s'il s'estime suffisamment informé.
La société Luc Durand demande avant dire droit l'audition du docteur [R] aux fins de l'entendre s'expliquer sur les circonstances particulières qui l'ont conduit à relier, dans son rapport d'expertise du 3 septembre 2019, l'accident de M. [E] à la relation salariale dès lors qu'il s'est prononcé sur les conditions et l'environnement de travail du salarié sans avoir sollicité l'employeur, ni visité l'entreprise. Elle ajoute que seuls M. [E] et son épouse qui n'était au demeurant pas partie à l'instance devant le pôle social ont été entendus par l'expert.
M. [E] prétend que cette demande d'audition est peu pertinente dans la mesure où l'expertise contestée n'est qu'un élément parmi d'autres et n'est pas le plus déterminant au soutien de son action.
Le rapport d'expertise du docteur [R] sollicité judiciairement dans le cadre d'une affaire distincte constitue l'un des éléments soumis au contradictoire des parties et sur lequel chacune a fait valoir ses observations.
La cour s'estime dès lors suffisamment informée pour en analyser la portée sans qu'il soit nécessaire d'entendre le docteur [R].
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude
Il est acquis que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie, et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. Ces deux conditions sont cumulatives.
Il appartient au juge de vérifier que l'inaptitude constatée par le médecin du travail a un lien professionnel, même partiel, en appréciant l'ensemble des éléments produits devant lui.
L'application des dispositions protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude.
Il appartient au salarié qui prétend que son inaptitude est d'origine professionnelle d'en rapporter la preuve.
M. [E] fait valoir que le 3 novembre 2015, il a été victime d'un malaise en entrant dans les bureaux de l'entreprise. Il a ainsi ressenti une forte douleur au bras gauche et à la poitrine gauche. Il a ensuite été conduit à l'hôpital et a fait l'objet d'un arrêt de travail ininterrompu jusqu'à son licenciement pour inaptitude. Il affirme que cet accident a eu lieu au temps et sur le lieu de travail et que l'employeur en a été immédiatement avisé. Pour justifier de l'origine professionnelle de cet accident, il s'appuie sur le rapport d'expertise médical du docteur [R], sur le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Angers du 25 mai 2020, sur la déclaration d'accident du travail, sur le bulletin d'hospitalisation, sur le certificat médical initial et sur les différents avis du médecin du travail.
La société Luc Durand pour sa part, conteste l'origine professionnelle de cet accident et se prévaut notamment de la décision de refus de prise en charge par la caisse du 29 février 2016, de la partialité du rapport de l'expert judiciaire mandaté dans le cadre du litige soumis au pôle social du tribunal judiciaire et de l'absence d'autorité de la chose jugée à son égard du jugement rendu par cette juridiction le 25 mai 2020. Elle s'attache ensuite à démontrer que les conditions et l'environnement de travail de M. [E] sont étrangers au malaise dont il a été victime.
Préalablement, il convient de rappeler que le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Angers ayant retenu que l'accident du 3 novembre 2015 devait être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels a été rendu dans le cadre d'un contentieux relevant du droit de la sécurité sociale concernant les rapports entre M. [E] et la caisse, auquel l'employeur n'était pas partie et n'avait pas à être appelé. Ce jugement n'a donc pas autorité de la chose jugée entre les parties.
Il doit en outre être relevé que le juge prud'homal n'est pas lié par la qualification retenue au regard des dispositions du droit de la sécurité sociale et reste compétent pour apprécier si le caractère professionnel d'un accident peut être retenu, quelle que soit la décision prise par les organismes de sécurité sociale.
Il est de fait que le 3 novembre 2015, M. [E] a été victime d'un malaise. Selon la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur, il a ressenti 'une forte douleur au bras gauche et poitrine gauche', un collègue l'a mis en position semi-assis sur conseil des pompiers, et un autre, salarié et pompier volontaire, a pris le relais en attendant les secours. Le bulletin de situation montre que M. [E] a été hospitalisé au CHU d'[Localité 4] le 3 novembre 2015 et qu'il en est sorti le 6 novembre 2015.
Ce malaise a entraîné un arrêt de travail ininterrompu jusqu'au 21 juin 2016 à l'issue duquel, dans le cadre d'une première visite, M. [E] a été déclaré apte à la reprise avec réserves selon avis du médecin du travail du 21 juin 2016 lesquelles ont été précisées le 28 juin 2016, puis dans le cadre d'une seconde visite, inapte à son poste de conducteur poids lourds et apte à un autre poste sous réserve d'éviter les trajets de longue distance selon avis du médecin du travail du 13 juillet 2016.
La déclaration d'accident du travail indique que ce malaise est survenu à 8 heures, les horaires de travail de l'intéressé étant ce jour-là de 6 heures 30 à 12 heures et de 13 heures 45 à 17 heures 30. Il était par ailleurs dans les locaux de l'entreprise dans la mesure où il est indiqué que l'accident a eu lieu dans les bureaux. Par conséquent, que le malaise de M. [E] est intervenu au temps et sur son lieu de travail.
Le certificat médical initial établi le 7 novembre 2015 par le médecin traitant de M. [E] sur un formulaire 'accident du travail' fait état d'un 'probable AIT, pris en charge par les urgences [Localité 4], spontanément résolutif, bilan en cours, contexte stress au travail'. S'agissant de cette dernière mention, il convient de souligner que le médecin traitant qui n'a été témoin de rien dans l'entreprise ne fait que rapporter les propos du salarié.
Il est également constant que la déclaration d'accident du travail a donné lieu à une décision de la caisse primaire d'assurance maladie notifiée le 29 février 2016, de refus de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle et que, sur contestation de M. [E] et préalablement à sa décision, la juridiction de sécurité sociale a ordonné une expertise médicale avant dire droit afin de déterminer si les conditions et l'environnement de travail de M. [E] étaient totalement étrangers à la survenance du fait accidentel du 3 novembre 2015.
Le rapport de l'expert rédigé le 3 septembre 2019 versé aux débats par M. [E], a été établi suite à un rendez-vous à son cabinet à la clinique de l'[Localité 5] le 29 août 2019 en présence de M. [E] et de son épouse.
Il décrit d'abord le contexte professionnel au moment des faits. Il en ressort que depuis le 30 septembre 2015, des tensions professionnelles sont apparues concernant la continuité des embauches, que pendant les trois semaines de travail d'octobre 2015 la durée de travail était de 45 heures en moyenne, qu'à cette époque la distance des trajets de M. [E] pour se rendre à son travail était de 22 km aller et autant le soir ce qui rajoutait au temps de travail et à la fatigue, et que l'ambiance était tendue en raison d'une demande de cadence élevée. L'expert ne fait ensuite mention d'aucune pathologie antérieure à l'exception d'une hypertension artérielle relevée depuis juillet 2014, ni d'aucun facteur de prédisposition. Il ajoute que dans le formulaire adressé le 30 novembre 2015 à la caisse, M. [E] décrit les jours précédant son malaise 'une fatigue et un stress croissant lié à l'accumulation d'heures de travail (plus de 45 heures par semaine) mais aussi le rachat de l'entreprise [M] par l'entreprise Durand menaçant les employés de licenciement' et que 'le jour de l'événement, le patient dit avoir été surpris par la différence de température extérieure/intérieure déclenchant le malaise'. Il conclut en ces termes: 'il s'agit d'un malaise fonctionnel engendré par un excès de fatigue et de stress professionnel chez un patient en surcharge pondérale modérée et chez qui un traitement anti-hypertenseur avait été instauré quelques jours avant', et en déduit que les conditions et l'environnement de travail de M. [E] ne sont pas totalement étrangers à la survenance du fait accidentel du 3 novembre 2015.
Il apparaît ainsi que l'expert n'a pas constaté lui-même les conditions et l'environnement de travail du salarié, et que la description qu'il en fait ne repose en réalité que sur les déclarations de ce dernier et de son épouse qui n'est au demeurant pas salariée de la société Luc Durand.
Pour autant, il est avéré que l'examen médical n'a révélé aucune cause organique ni aucune prédisposition au malaise dont M. [E] a été victime, et que depuis lors jusqu'à la date de l'expertise, soit le 29 août 2019, il n'avait été victime d'aucun autre malaise de cette nature. Celui-ci est en outre intervenu dans un contexte insécurisant lié au placement en redressement judiciaire de la société [M] le 29 avril 2015 et à sa reprise par la société Luc Durand quelques semaines auparavant. Enfin, les fiches de travail journalières du salarié communiquées par l'employeur montrent qu'il a travaillé de manière continue, à l'exception des deux jours de repos hebdomadaires, pendant les trois semaines précédant son malaise, à raison d'horaires dépassant régulièrement 8 heures 30 et pouvant atteindre 10 heures 30 de travail, tel le 22 octobre 2015, étant précisé que les temps d'attente, bien que prévus sur ces fiches, ne sont pas renseignés.
Au vu de ces éléments, il convient de considérer que l'accident dont a été victime M. [E] le 3 novembre 2015 a, au moins partiellement, une origine professionnelle.
Sur la connaissance par l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident
L'accident étant survenu au temps et sur le lieu de travail, la société Luc Durand a légitimement et immédiatement effectué une déclaration d'accident du travail. Il résulte toutefois que par courrier adressé à la caisse primaire d'assurance maladie le même jour, soit le 3 novembre 2015, elle a émis des réserves sur cet accident du travail.
Par courrier du 29 février 2016, la caisse lui a notifié sa décision de refus de prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle. Les arrêts de travail de M. [E] ont donc été requalifiés en maladie.
Dans ses avis des 21 et 28 juin 2016, le médecin du travail ne fait aucune référence à un accident du travail. De la même manière, dans son avis d'inaptitude du 13 juillet 2016, il ne fait aucun lien entre l'activité professionnelle et l'inaptitude au poste.
Rien ne vient démontrer que M. [E] aurait informé l'employeur de ses démarches avant le 13 janvier 2017, ainsi que cela résulte d'un courrier daté du même jour de la société Luc Durand adressé à la caisse indiquant que ce dernier lui a fait part de sa contestation et lui demandant de la tenir informée de l'état de sa réclamation, et ce n'est que beaucoup plus tard, soit le 5 juillet 2017, que M. [E] a saisi la juridiction de sécurité sociale.
Dès lors, s'il n'est pas contesté que l'inaptitude est la conséquence du malaise subi par M. [E] le 3 novembre 2015, il n'est pas démontré que le 13 juillet 2016, date de l'avis du médecin du travail, ni le 12 août 2016, date du licenciement, l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle au moins partielle de cet accident.
Par conséquent, il n'y a pas lieu d'appliquer à M. [E], les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Les demandes présentées par le salarié au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents doivent donc être rejetées.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la consultation des délégués du personnel
Les articles L.1226-10 et L.1226-15 du code du travail dont M. [E] se prévaut relèvent des règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dont il a été vu précédemment qu'il ne pouvait en bénéficier.
Il sera ajouté qu'à la date de l'inaptitude, soit le 13 juillet 2016, et à celle du licenciement, soit le 12 août 2016, l'article L.1226-2 du même code ne prévoyait pas la consultation des représentants du personnel au bénéfice du salarié déclaré inapte suite à une maladie ou un accident non professionnel.
Dès lors, aucun manquement ne peut être retenu à ce titre à l'encontre de la société Luc Durand et M. [E] doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la remise d'une attestation Pôle emploi rectifiée
Au vu de ce qui précède, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [E] de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en appel au bénéfice de la société Luc Durand.
M. [E] qui succombe à l'instance, doit être condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, publiquement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saumur le 27 janvier 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [H] [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
DÉBOUTE la Sas Luc Durand de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE M. [H] [E] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ,
Viviane BODIN Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS