COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00068 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EYNT.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 22 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00473
ARRÊT DU 30 Mars 2023
APPELANTE :
S.A.S. NNA NUTREA NUTRITION ANIMALE (NNA)
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me Gilles PEDRON de la SELARL AD LITEM AVOCATS, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 200429 et par Maître PERROT, avocat plaidant au barreau de BREST
INTIME :
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté Maître [Y] [V], défenseur syndical
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 30 Mars 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Nutrea Nutrition Animale (ci-après dénommée la société NNA) est spécialisée dans le domaine de la fabrication d'aliments pour animaux. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d'approvisionnement, d'alimentation du bétail et d'oléagineux.
M. [Z] [F] a été embauché le 1er juin 2005 par la société Peigne Nutrition Animale au poste d'opérateur de production dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps plein avec reprise de son ancienneté au 1er mars 2005. Ce contrat de travail a ensuite été transféré à la la société NNA en application de l'article L.1224-1 du code du travail.
M. [F] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 26 septembre 2018.
Par lettre du 5 octobre 2018, suite à la découverte de nouveaux faits, la société NNA l'a de nouveau convoqué à un entretien préalable fixé le 17 octobre suivant, et l'a mis à pied à titre conservatoire.
Par lettre du 23 octobre 2018, la société NNA a licencié M. [F] pour faute grave, lui reprochant des manquements graves en termes de non-respect des règles de sécurité, de non-respect des dispositions du règlement intérieur notamment sur les accès à l'entreprise, de non-respect des consignes liées à son poste, de relation commerciale client et d'image de l'entreprise. Ces griefs sont illustrés par des exemples concrets.
Le 5 juillet 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir le versement de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés sur préavis, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 22 décembre 2020 le conseil de prud'hommes d'Angers a :
- dit que la rupture du contrat de travail de M. [Z] [F] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné la SAS NNA. à payer à M. [Z] [F] :
- 7 543,91 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
- 3 629,20 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis :
- 362,92 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
- 13 156,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail ;
- débouté M. [Z] [F] de sa demande de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé par l'exécution déloyale et de mauvaise foi du contrat de travail ;
- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;
- condamné la société NNA à payer à M. [Z] [F] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code procédure civile ;
- débouté la société NNA de sa demande de paiement de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société NNA aux entiers dépens.
La société NNA a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 28 janvier 2021, son appel étant limité aux chefs suivants par lesquels le conseil de prud'hommes d'Angers a :
- dit et jugé que la rupture du contrat de travail de M. [F] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société N.N.A. au versement de :
- 7 543,91 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
- 3 629,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents ;
- 13 156 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société NNA aux entiers dépens.
M. [V], défenseur syndical, s'est constitué au soutien des intérêts de M. [F] le 25 février 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 janvier 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 9 janvier 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société NNA, dans ses dernières conclusions n°2, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 4 octobre 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 22 décembre 2020 en ce qu'il :
- a dit que la rupture du contrat de travail de M. [F] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- l'a condamnée au versement de :
- 7 543,91 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
- 3 629,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents ;
- 13 156 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- et aux entiers dépens ;
- Y ajoutant,
- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner M. [F] à lui payer une somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [F] aux entiers dépens.
La société NNA fait valoir que le licenciement n'est nullement consécutif aux revendications, au demeurant infondées de M. [F] relatives à une exécution déloyale du contrat de travail, mais à une accumulation de fautes dont elle s'attache à démontrer la réalité et le sérieux. A titre subsidiaire, elle prétend que M. [F] ne justifie pas plus en appel qu'en première instance du quantum de sa demande de dommages et intérêts.
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Par conclusions, régulièrement communiquées, reçues au greffe par voie postale le 6 juillet 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [Z] [F] demande à la cour de :
- juger qu'il est recevable et bien-fondé en ses demandes ;
- juger qu'il n'a pas commis de faute grave et qu'il n'a commis aucune faute justifiant un licenciement ;
- juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et confirmer en ce point le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers ;
- juger qu'il y a un manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité, ainsi qu'à son obligation de loyauté, et réformer sur ce point le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers ;
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers en ce qu'il a condamné la société NNA à lui verser l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de licenciement ;
- confirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
- débouter la société NNA de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner la société NNA à lui verser :
- 20 867,90 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé par l'exécution déloyale et de mauvaise foi du contrat de travail ;
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens.
M. [F] fait valoir que son licenciement est la conséquence de ses revendications légitimes relatives au port de charges lourdes qui lui a été imposé malgré les préconisations du médecin du travail, et à sa dénonciation de l'introduction d'alcool dans l'entreprise par certains de ses collègues. Il soutient par ailleurs qu'aucun des griefs n'est établi et il conteste la réalité de ceux-ci.
MOTIVATION
Sur le licenciement
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement du 23 octobre 2018 est ainsi motivée :
'Pour faire suite aux entretiens préalables des 26 septembre et 17 octobre derniers, nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave.
Il a été clairement établi que, pendant la période de collecte de céréales 2018 (mois de juillet et août), vos enfants ont été présents à plusieurs reprises sur le site de l'usine, à l'intérieur de l'enceinte de l'entreprise, bureau usine, parking et autour des fosses de réception, vestiaires usine. Faits que vous avez reconnus.
Cette présence de personnes étrangères à l'entreprise est interdite comme le prévoit le règlement intérieur de l'entreprise (article 3 du chapitre II) pour des raisons évidentes de sécurité. De plus, le site de [Localité 5] est soumis à autorisation par arrêté préfectoral dans le cadre de la réglementation ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement).
«3.4 Il est interdit au personnel d'introduire ou de faire introduire dans l'entreprise des personnes étrangères à celle-ci, sans raison de service sauf dispositions légales particulières (intéressant les représentants du personnel et les syndicats notamment et nécessitant une information préalable de la direction) ou sauf autorisation de la direction après une demande formulée par écrit.»
En outre, s'agissant de la présence d'enfants, le site est particulièrement dangereux et accidentogène compte tenu de la présence de machines, de fosses et de manoeuvres de véhicules lourds (camions et tracteurs notamment).
Cette attitude désinvolte est donc extrêmement grave.
Par ailleurs, nous avons relevé des absences du site alors que vous aviez pointé une seule fois en entrée en début de prise de poste puis en sortie en fin de poste, sans aucun pointage intermédiaire, ni autorisation d'absence. Cette situation s'est notamment présentée le 17 juillet 2018.
Le règlement intérieur de l'entreprise (article 3 du chapitre II) précise : « 3.2 Toute entrée ou sortie de l'entreprise donne lieu à pointage pour le personnel dont l'enregistrement des heures de présence est prévu par une pointeuse. Les heures non pointées ne seront rémunérées que pour autant que le salarié apportera la preuve qu'il a effectivement travaillé.»
Le 17 juillet 2018, alors qu'une note de service du 31/05/2018 précisait qu' « après 19h les réceptions seront assurées par [Z] jusqu'à minuit », vous vous êtes présenté sur le site seulement à 19h47 pour ensuite repartir et laisser l'intérimaire de réception jusqu'à 20h00. Nous ne pouvons que constater que vous n'avez pas respecté les consignes passées par votre responsable hiérarchique ayant entraîné un retard et une prise en charge de la réception de ces remorques par un intérimaire qui devait terminer sa journée à 19h00.
Nous avons également à déplorer de votre part un comportement inacceptable et particulièrement inadapté vis-à-vis des clients lors de la vente de sacs aux particuliers et, notamment, vous jetez des sacs de 25kg dans les coffres des voitures, ce qui a été constaté à plusieurs reprises, dont le 20 septembre 2018.
Une note de service du 04/09/2018 de votre responsable hiérarchique rappelait pourtant l'importance du développement de cette activité pour l'entreprise nécessitant le meilleur accueil possible des clients.
Par ailleurs, il a été constaté à plusieurs reprises que vous n'utilisiez pas systématiquement le diable pour approcher les sacs du local de stockage vers le coffre de voiture des clients.
Votre responsable hiérarchique vous a demandé à plusieurs reprises et notamment le 25 juillet 2018, d'utiliser systématiquement le diable comme outil d'aide à la manutention.
Consigne qui n'a pas été respectée puisque vous avez réitéré cette pratique le 21 septembre dernier.
Enfin, il a été constaté, le 24 juillet 2018 après une réception de son sur la fosse n°1, qu'une partie de la matière (entre 200 et 300 kg) était restée collée sur la paroi de la trémie de la fosse sous la grille. Il y a eu une mauvaise inspection de la fosse en fin de réception et un mauvais nettoyage de celle-ci alors même que cette tâche est obligatoire et impérative dans le respect des procédures qualité. De plus, seulement 5 camions de matières premières vrac ont été réceptionnés ce matin du 24 juillet 2018 dont un seul sur la fosse n°1. Le camion de son étant parti à 9h45, vous aviez le temps nécessaire pour effectuer ce nettoyage jusqu'à votre fin de poste à 13h00.
Ces agissements mettent en évidence des manquements graves en termes de :
- Non-respect des règles de sécurité ;
- Non-respect des dispositions du règlement intérieur sur les accès à l'entreprise notamment ;
- Non-respect des consignes de sécurité et liées à votre poste, formulées à l'écrit et à l'oral par votre responsable hiérarchique ;
- Relation commerciale client et d'image de l'entreprise.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de nos entretiens du 26 septembre et du 17 octobre derniers ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation sur ces différents points.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave. (...) '
M. [F] conteste chaque grief qui lui est reproché.
La société NNA prétend en rapporter la preuve.
Il convient donc de les examiner.
1. Sur la présence des enfants du salarié sur le site
La société NNA affirme que la présence des enfants de M. [F] a été relevée non seulement le 17 juillet 2018, mais à plusieurs reprises sur le site de l'entreprise, notamment aux alentours des fosses qui constituent un lieu de déchargement et de manoeuvres d'engins agricoles, générant ainsi un risque d'accident, ce en violation des dispositions de l'article 3.4 du règlement intérieur.
M. [F] prétend que le 17 juillet 2018, il a été appelé pour une astreinte, pour dépanner, alors qu'il était avec ses enfants, lesquels sont restés dans sa voiture puis ont été renvoyés le plus vite possible chez eux. Selon lui, c'est l'unique fois où ses enfants sont entrés dans l'enceinte de l'entreprise, ce, sans aucun danger, alors qu'il est intervenu de manière exceptionnelle et a dû pallier un manque d'organisation de son employeur. Il conteste la crédibilité des attestations communiquées par l'employeur et s'étonne d'être le seul sanctionné alors que les enfants d'autres salariés, les épouses, les fournisseurs extérieurs et les clients ont par ailleurs été vus sur le site sans accompagnement.
La société NNA verse aux débats le règlement intérieur de l'entreprise (pièce 10 employeur) dont l'article 3.4 du chapitre II prévoit qu' 'il est interdit au personnel d'introduire ou de faire introduire dans l'entreprise des personnes étrangères à celle-ci, sans raison de service sauf dispositions légales particulières (intéressant les représentants du personnel et les syndicats notamment et nécessitant une information préalable de la direction) ou sauf autorisation de la direction après une demande formulée par écrit.'
Elle communique également un témoignage de M. [T], intérimaire l'été, (pièce 2 employeur) qui atteste que 'sur la période de collecte 2018, à plusieurs reprises, les enfants de [Z] étaient sur le site au moment où il (M. [F]) devait (le) remplacer. L'accompagnant, ils étaient souvent dans le bureau de la réception et à quelques reprises aux alentours des fosses.'
Dans un second témoignage (pièce 16 employeur), M. [T] précise que 'lors des périodes de collecte où [Z] et moi étions en équipe, j'ai aperçu ses enfants à raison de deux ou trois fois aussi bien dans le bureau de la réception qu'aux alentours des fosses. A chaque année et à chaque collecte d'une durée environ de trois semaines, il avait l'habitude de les ramener. (...) Le 17 juillet 2018, il les avait amenés avec lui sur le site de [Localité 5], avait pointé et les avait ramenés chez lui avant de revenir. Les autres fois, j'ai pu les apercevoir ou dans le bureau où ils ne risquaient rien, ou entre les fosses à regarder les tracteurs vider le blé ou le triticale. Dans ce cas, cela était dangereux car ces engins devaient manoeuvrer pour se mettre correctement sur les fosses.'
Enfin, M. [I], ouvrier, (pièce 1 employeur) témoigne être 'tombé nez à nez' avec les deux enfants de M. [F] dans l'usine, un soir, pendant que ce dernier réceptionnait des tracteurs pendant la récolte de blé 2018.
Le fait que, selon les dires de M. [F], M. [T] soit le fils d'un autre salarié de la société NNA et qu'il 'révise son espagnol' sur le site, n'est pas de nature à remettre en doute la crédibilité de ses témoignages. Il en va de même de celui de M. [I] dont M. [F] n'établit pas autrement que par ses dires qu'il se serait alcoolisé sur le site le 17 juillet 2018. Enfin, le fait que ses enfants aient pu se trouver dans le bureau de réception est insuffisant à démontrer que l'employeur aurait eu connaissance de leur présence et l'aurait tolérée, étant précisé que M. [F] ne démontre pas que d'autres enfants, épouse ou tiers auraient été introduits et admis au sein de l'entreprise.
Partant, la matérialité de ce grief est établie à plusieurs reprises dont le 17 juillet 2018.
2. Sur l'absence du site sans dépointer
La société NNA prétend que M. [F] s'est absenté à plusieurs reprises sans dépointer ni demander une autorisation d'absence, notamment le 17 juillet 2018, ce en violation de l'article 3.2 du règlement intérieur, ce qui lui permettait d'être rémunéré sur des temps non travaillés et posait des problèmes de sécurité dans la mesure où il aurait pu avoir un accident sur ce temps d'absence, et où il y aurait pu y avoir un accident sur le site alors qu'il ne s'y trouvait pas.
M. [F], pour sa part, conteste ce grief, revenant sur la soirée du 17 juillet 2018 où il rappelle avoir été prévenu à la dernière minute alors qu'il n'était que d'astreinte et n'avait pas à se trouver sur les lieux, et où il s'est rendu sur le site pour rendre service. Il reconnaît, ainsi qu'il a été vu précédemment, que ses enfants étaient avec lui, mais nie les avoir ramenés à domicile. Il affirme qu'ils sont partis tout seuls, par eux-mêmes, et que dès lors, il n'avait pas à dépointer.
L'article 3.2 du chapitre II du règlement intérieur précise : « toute entrée ou sortie de l'entreprise donne lieu à pointage pour le personnel dont l'enregistrement des heures de présence est prévu par une pointeuse. Les heures non pointées ne seront rémunérées que pour autant que le salarié apportera la preuve qu'il a effectivement travaillé. »
Dans ses attestations, M. [T] indique que le soir du 17 juillet 2018, M. [F] est arrivé sur le site avec ses enfants installés sur la banquette arrière, qu'il a pointé puis lui a dit qu'il allait ramener les enfants chez lui, qu'il est ressorti par la porte de réception, qu'il est rentré chez lui et qu'il est revenu par le portail des camions.
M. [F] ne conteste pas ne pas avoir dépointé le 17 juillet 2018 et il a été vu précédemment que les témoignages de M. [T] n'étaient pas sujets à caution.
M. [I] indique pour sa part, avoir vu, quelques mois avant son témoignage qui date du 29 septembre 2018, M. [F] s'absenter de l'entreprise pendant ses heures de travail et revenir un peu plus tard avec un sachet de viennoiseries. Il n'évoque cependant ni le pointage, ni le dépointage de l'intéressé.
S'agissant du chauffeur [X] évoqué dans les écritures de l'appelante, et qui n'aurait trouvé personne alors que M. [F] était sensé être sur place, l'employeur ne verse aucun élément le démontrant, la seule fiche de réception du 14 juillet 2018 étant insuffisamment probante à cet égard.
Il résulte de ces éléments que la matérialité de ce grief est établie à une unique reprise, le 17 juillet 2018.
3. Sur le non-respect des horaires
La société NNA reproche ensuite à M. [F] de ne pas avoir respecté ses horaires de travail notamment le 17 juillet 2018 où il s'est présenté sur le site et a pointé à 19h47 pour repartir ensuite sans dépointer et laisser l'intérimaire de réception jusqu'à 20 heures alors que ce dernier devait finir sa journée à 19 heures, ce en violation de l'article 2.1 du règlement intérieur et de la note de service du 31 mai 2018.
M. [F] soutient que pendant l'été, à partir de 19 heures, il n'était que d'astreinte sans avoir l'obligation de rester sur le site ainsi que le prévoit, selon lui, la note de service du 31 mai 2018. S'agissant du 17 juillet 2018, il ne conteste pas être arrivé après 19 heures, mais affirme qu'il ne devait intervenir qu'à partir de 20 heures en raison de la présence de l'intérimaire dont l'horaire de fin de journée avait été fixé à 20 heures par la direction. Quand il a été prévenu, il a donc fait au plus vite, pour dépanner alors qu'il n'y était pas obligé, et s'est étonné en arrivant de voir que le client était déjà sur place alors qu'il aurait dû appeler une demi-heure avant son arrivée, et que l'intérimaire restait inactif, à prendre un verre avec des collègues, sans s'occuper du camion. Il conteste dès lors tout manquement de sa part ce jour-là.
L'article 2 du règlement intérieur prévoit que 'les salariés doivent respecter l'horaire de travail affiché (horaire général ou horaire particulier à certains services) ainsi que les temps de pause. La direction se réserve, en respectant les limites et procédures imposées par la convention collective ou l'accord d'entreprise, le droit de modifier les horaires de travail ponctuellement en fonction des nécessités de service.'
La note de service du 31 mai 2018 (pièce 4 employeur) relative à la collecte des céréales 2018 indique qu' 'après 19 heures, les réceptions (de la collecte des céréales) seront assurées par [Z] jusqu'à minuit. [Z] sera donc amené à prendre des heures de repos le matin afin d'avoir 11 heures de coupure entre ses deux journées de travail. Il devra également prendre des jours de repos en semaine pour compenser le travail du week-end. Dans ce cas, la personne de polyvalence le matin prendra la relève sur le poste réception.'
Cette note s'applique nommément à M. [F], elle ne revêt aucun caractère exceptionnel et le salarié devait s'y soumettre. Elle est claire et non équivoque sur le fait que M. [F] devait à tout le moins être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise à partir de 19 heures.
M. [F] se prévaut d'un délai de prévenance d'une demi-heure. Or, M. [K] atteste l'avoir prévenu aux alentours de 18h30 (pièce 16 employeur), soit dans le délai requis, et a de fait été surpris de s'être entendu répondre que l'intéressé faisait ses courses à [Localité 4] (à plusieurs dizaines de kilomètres) à 18h30 alors qu'il devait se rendre disponible pour 19 heures.
M. [F] ne conteste pas être arrivé après 19 heures ce 17 juillet 2018. Il ne justifie pas autrement que par ses propos de ce que l'horaire de fin de travail de l'intérimaire aurait été fixé à 20 heures et que lui-même n'aurait été d'astreinte qu'à partir de 20 heures, cette affirmation étant insuffisante à contredire la note de service et le témoignage précités.
Par conséquent, la matérialité de ce grief est établie.
4. Sur le comportement inadapté vis-à-vis des clients
La société NNA reproche à M. [F] d'avoir jeté des sacs de 25 kg dans les coffres de voiture des clients à plusieurs reprises dont le 20 septembre 2018, qualifiant ce comportement d'inacceptable, ce malgré une note de service du 4 septembre 2018 demandant aux salariés de réserver aux clients le meilleur accueil possible.
M. [F] conteste avoir jeté des sacs d'un tel poids, alléguant de ses pathologies qui rendent cette action impossible. Il affirme ensuite avoir toujours bien accueilli et servi les clients.
La note de service du 4 septembre 2018 (pièce 5 employeur) prévoit qu'eu égard à l'importance pour l'entreprise du développement de l'activité de vente de sacs aux particuliers, les salariés doivent réserver le meilleur accueil possible aux clients (respect, politesse, empathie) et faire leur possible pour leur donner satisfaction.
La société NNA communique le témoignage de M. [W], DRH, (pièce 8 employeur) qui indique avoir pu voir M. [F] jeter les sacs dans le coffre de voiture d'un client le 20 septembre 2018.
Cette attestation rapportant un fait unique et dépourvu de précision quant au contexte de cette livraison, est insuffisante à caractériser le comportement inacceptable allégué par l'employeur, étant observé que M. [F] justifie par ailleurs de la satisfaction de trois clients qui témoignent avoir été bien accueillis et servis par ses soins.
Par conséquent, la matérialité de ce grief n'est pas établie.
5. Sur la non-utilisation du diable
La société NNA reproche à M. [F] de ne pas avoir systématiquement utilisé le diable comme outil d'aide à la manutention pour approcher les sacs du local de stockage vers le coffre de voiture des clients à plusieurs reprises dont le 21 septembre 2018, malgré les rappels réitérés de son responsable hiérarchique notamment le 25 juillet 2018.
M. [F] conteste purement et simplement ce grief. Il fait valoir que l'attestation de M. [P], responsable de site, est inopérante en ce qu'il représentait l'employeur devant le conseil de prud'hommes.
L'employeur verse aux débats le témoignage de M. [P], responsable d'usine (pièce 9 employeur), qui fait état des plaintes de M. [F] quant à son mal de dos en particulier en 2018, de ses propres réponses relatives à son absence d'inaptitude au port de charges lourdes, de ses consignes d'utiliser systématiquement le diable pour manutentionner les sacs de 20 et 25 kg, d'un rappel de ces consignes le 25 juillet 2018 et du constat de l'avoir vu porter de tels sacs à plusieurs reprises dont le 21 septembre 2018.
Il est avéré que M. [P] représentait l'employeur devant le conseil de prud'hommes. Il portait donc sa voix. Ces faits sont de nature à remettre en cause son impartialité, de sorte que son témoignage rédigé le 21 février 2020, soit 16 mois après le licenciement du salarié, est insuffisant à établir la matérialité de ce grief, étant précisé que la société NNA ne communique aucun autre élément corroborant ses constatations.
6. Sur le mauvais nettoyage de la fosse
La société NNA reproche à M. [F] une mauvaise inspection de la fosse n°1 en fin de réception et un mauvais nettoyage de cette fosse le 24 juillet 2018, alors qu'une partie de la matière (entre 200 et 300 kg) était restée collée sur la paroi de la trémie de la fosse sous la grille et qu'il avait le temps nécessaire pour effectuer ce nettoyage entre 9h45, heure du départ du camion, et 13h00, heure de sa fin de poste.
M. [F] conteste également ce grief. Il indique que ce jour-là, il a réceptionné d'autres camions que celui en cause, et dénie toute valeur probante aux photographies versées par l'employeur, soulignant qu'on ignore par qui et dans quelles circonstances elles ont été prises.
La société NNA communique la liste des réceptions du 24 juillet 2018 (pièce 6 employeur) dont il résulte que 6 camions se sont présentés ce matin là, qu'un camion a quitté la fosse n°1 à 9h33 et qu'ensuite cette fosse n'a pas été utilisée avant 14h00. Elle produit en outre cinq photographies (pièce 7 employeur) non datées montrant de la matière collée sous une grille.
Ces éléments sont insuffisants non seulement pour établir la matérialité des faits, mais encore, à les supposer établis, pour les imputer à M. [F].
Par conséquent, ce grief ne peut être considéré comme fondé.
Il résulte de ce qui précède que les faits établis reprochés à M. [F] sont essentiellement cristallisés sur la soirée du 17 juillet 2018, où il n'était pas présent à 19 heures, n'a pas dépointé bien qu'il se soit absenté, et a amené ses enfants sur le site, ces derniers ayant par ailleurs été introduits plusieurs fois dans l'entreprise. Aucun accident n'est pour autant intervenu.
En treize ans d'ancienneté, M. [F] n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.
En conséquence, si ces fautes sont avérées et nécessitaient d'être sanctionnées, elles ne justifiaient néanmoins le licenciement de M. [F] ni pour faute grave ni pour cause réelle et sérieuse, étant précisé que l'employeur a attendu le 5 octobre 2018, soit la fin de la collecte des céréales 2018, pour le mettre à pied à titre conservatoire.
Il s'en suit que le licenciement doit être considéré sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières du licenciement
1. Sur les créances salariales
Au vu de ce qui précède, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société NNA à verser à M.[F] les sommes non contestées subsidiairement de
3 629,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 362,92 euros au titre des congés payés afférents, et 7 543,91 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
2. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, au vu de son ancienneté, le salarié peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 11,5 mois de salaire.
M.[F] avait 13 ans d'ancienneté et il était âgé de 43 ans au moment du licenciement. Il ne donne aucun élément sur sa situation postérieure ni actuelle.
Compte tenu de ces éléments et sur la base d'un salaire mensuel moyen de
1 814,60 euros brut, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a évalué la réparation de son préjudice à 13 156,00 euros et lui a alloué cette somme à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
Aux termes de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
La bonne foi étant présumée, il appartient au salarié de prouver la mauvaise foi de l'employeur.
M. [F] soutient d'une part que la société NNA n'a pas respecté les préconisations du médecin du travail énoncées dans son avis du 3 octobre 2017 lui interdisant le port charges supérieures à 10 kg, et d'autre part, qu'il a subi des pressions de M. [P], responsable du site, qui a abusé de sa hiérarchie dès lors qu'il a dénoncé l'introduction et la consommation d'alcool dans l'entreprise. Il prétend en avoir subi des répercussions sur sa santé en ce qu'il a souffert d'un syndrome anxio-dépressif à compter du mois d'avril 2018.
La société NNA dénie en premier lieu avoir imposé à M. [F] de porter des charges supérieures à 10 kg pendant la période de trois mois prévue par l'avis du médecin du travail du 3 octobre 2017. Elle affirme que cette contre-indication n'a pas été renouvelée et souligne qu'elle a précisément reproché à M. [F] de ne pas utiliser le diable contrairement aux instructions de son supérieur hiérarchique. Elle considère en second lieu que la dénonciation par M. [F] de la consommation d'alcool de ses collègues, outre qu'elle résulte de photographies de leurs casiers qui relèvent de la vie privée de ces derniers, ne lui cause aucun préjudice en ce qu'il n'est pas victime de ces agissements.
S'agissant du premier manquement évoqué par M. [F], l'avis du médecin du travail du 3 octobre 2017 émet la préconisation suivante: 'pas de port de charges supérieures à 10 kg pendant 3 mois.' Il n'est ni établi ni allégué que cette restriction ait été reconduite au delà du 3 janvier 2018. M. [F] communique ensuite une feuille de notes manifestement extraite de son dossier médical mentionnant à la date du 31 janvier 2018 dans la colonne 'commentaire' 'l'employeur n'a pas respecté la limitation du port de charges à 10 kg'.
Pour autant, il apparaît que ces commentaires sont en réalité la transcription des propos du salarié. Ainsi, au même titre que la mention qui précède et à des dates diverses, le médecin note notamment 'a vu le chirurgien et le gastro récemment', ' doit passer une colonoscopie', 'se plaint de difficultés relationnelles avec son employeur', 'voulait qu'on se revoit', ces expressions ne relatant pas ses constatations, mais les dires et les informations que lui a donnés M. [F]. Il sera ajouté que pendant cette période de trois mois, il n'est pas allégué que M. [F] se soit plaint de quoi que ce soit, ni qu'il ait alerté le médecin du travail sur un éventuel manquement de son employeur à ce titre. Ce faisant, celui-ci n'est pas établi.
S'agissant des pressions subies de la part de M. [P], celles-ci ne résultent que des mails adressés par M. [F] à M. [W] dont le premier date du 27 juillet 2018 et dans lequel il relate longuement sa version des faits du 17 juillet susvisé. Ces mails sont insuffisants à justifier des pressions alléguées dans la mesure où ils ne sont corroborés par aucun élément extérieur au salarié. Il sera observé que M. [F] ne verse pas aux débats les réponses de M. [W] alors qu'il apparaît que les mails postérieurs au 27 juillet 2018 portent la mention 'Re' et participent d'un échange avec ce dernier.
Quant à l'introduction et la consommation d'alcool au sein de l'entreprise, celles-ci ne résultent également que de ses propos, et de photographies prises par ses soins dont le lieu et la date ne sont pas certifiés et auxquelles il n'y a pas lieu d'accorder plus de valeur probante qu'à celles précitées de l'employeur relatives au nettoyage de la fosse.
Enfin, si M. [F] établit souffrir d'un syndrome anxio-dépressif à compter du mois d'avril 2018, il n'établit pas le lien avec ses conditions de travail.
Par conséquent, la mauvaise foi de l'employeur n'est pas démontrée et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
Selon l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles qu'il énonce, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés, de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Les conditions d'application de cet article étant réunies, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société NNA à Pôle emploi des indemnités de chômage effectivement versées à M. [F] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d'indemnités.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par M. [F] et de condamner la société NNA au paiement de la somme de 1 500 euros sur ce fondement.
La société NNA, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, publiquement par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement rendu le 22 décembre 2020 par le conseil de prud'hommes d'Angers en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
ORDONNE à la société Nutrea Nutrition Animale de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à M. [Z] [F] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d'indemnités ;
CONDAMNE la société Nutrea Nutrition Animale à payer à M. [Z] [F] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;
CONDAMNE la société Nutrea Nutrition Animale aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,
V. BODIN C. TRIQUIGNEAUX-MAUGARS