COUR D'APPEL
d'[Localité 4]
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00320 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EWHX.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 29 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 19/00167
ARRÊT DU 30 Mars 2023
APPELANTE :
S.A.S. ALLECDIS Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Maître [C] [O] de la SELARL LEXAVOUE [Localité 6] [Localité 4], avocat au barreau d'ANGERS, postulant et par Maître Marion GAY de la SCP TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS, plaidant
INTIMEE :
Madame [W] [F] épouse [K]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Paul CAO de la SCP IN-LEXIS, avocat au barreau de SAUMUR - N° du dossier 20-174B, substitué par Maître TRONCHET
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Juin 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame BUJACOUX chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 30 Mars 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame DELAUBIER, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Mme [W] [F] épouse [K] a été engagée par la société par actions simplifiée Allecdis, qui exploite un magasin sous l'enseigne E. Leclerc à [Localité 3] dans la Sarthe, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 octobre 1991 en qualité d'employée libre-service. En dernier lieu de la relation de travail, elle occupait les fonctions d'hôtesse de caisse.
Par lettre du 7 septembre 2018 remise en main propre contre décharge, Mme [K] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 18 septembre 2018 et s'est vue notifier une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 27 septembre 2018, Mme [K] a été licenciée pour faute grave en ces termes : '[...] Vous exercez au sein de notre magasin les fonctions d'hôtesse de caisse.
Le 6 septembre 2018, vous étiez affectée à la surveillance d'un îlot de 4 caisses libre-service.
Vers 15h02, un client est passé à l'une de ces caisses pour régler un pack de bière d'un montant de 3,68 €.
Il a réglé cette course en introduisant un billet de 10 € dans la machine.
Il lui a donc été restitué 6,32 € en monnaie, décomposés de la manière suivante : 1,62 € en pièces et 5 € en billet.
Le client a récupéré les pièces, mais a oublié de prendre le billet de 5 €.
Celui-ci est donc resté à l'emplacement de la caisse réservé à cet effet.
Après que le client ait quitté votre îlot, vous avez été alertée par un voyant comme quoi il y avait une difficulté sur la caisse que ce client venait de quitter.
Vous vous y êtes donc rendue. Vous avez pris le billet de 5 € que vous avez chiffonné et conservé dans votre main.
Quelques minutes plus tard, Mme [X] [Y] est venue vous relayer sur ce poste. Au cours de votre échange des consignes relatives à cette prise de relais, vous n'avez, à aucun moment, indiqué à votre collègue qu'un client venait d'oublier un billet de 5 € qu'il était susceptible de venir réclamer.
Vous avez ensuite quitté votre poste sans avertir personne de l'incident.
Dix minutes plus tard, le client est venu effectivement demander à ce qu'on lui rende le billet de 5 € qu'il avait oublié.
La préhension, à des fins personnelles, de ce billet qui ne vous appartenait pas ne peut en aucun cas être admise.
Il s'agit là d'une violation de l'obligation de loyauté qui préside à la relation de travail entre l'employeur et le salarié.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave [...]'
Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans le 24 avril 2019 afin d'obtenir la condamnation de la société Allecdis, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des indemnités de rupture, des rappels de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire, et 'pour maladie', les congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Allecdis s'est opposée aux prétentions de Mme [K] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 29 juillet 2020, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de Mme [W] [K] 's'analyse pour une cause qui n'est ni réelle, ni sérieuse' ;
- annulé la mise à pied conservatoire de Mme [W] [K] ;
- débouté Mme [W] [K] de sa demande de rappel de salaire pour les mois de février, mars, avril et mai 2016 ;
- condamné la SAS Allecdis à verser à Mme [W] [K] les sommes suivantes :
* 1 129,77 euros brut au titre de l'annulation de la mise à pied conservatoire,
* 112,98 euros brut au titre des congés payés y afférents,
* 19 443,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 3 282,12 euros brut à titre d'indemnité de préavis,
* 328,21 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
- dit que les créances salariales de Mme [W] [K] produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation (27 avril 2019) pour les créances salariales, et à compter du prononcé du jugement pour les créances indemnitaires ;
- ordonné à la SAS Allecdis de délivrer à Mme [W] [K] une attestation Pôle emploi rectifiée et conforme au jugement, mentionnant que le licenciement est intervenu sans cause réelle et sérieuse et modifiant les sommes relatives à l'exécution du contrat de travail, ainsi que la date de fin de contrat ;
- condamné la SAS Allecdis à verser à Mme [W] [K] la somme de 800,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article R.1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s'établissant à 4 621 ,98 euros et au visa de l'article 515 du code de procédure civile ;
- débouté la SAS Allecdis de ses demandes reconventionnelles ;
- ordonné le remboursement à Pôle emploi par la SAS Allecdis des indemnités de chômage versées à Mme [W] [K], dans la limite de six mois ;
- 'sur la demande concernant la barémisation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dit que les conseillers n'ont pu se départager, et en conséquence, en application des articles L.1454-2, L.1454-4, R.1454-29, R. 1454-30 et R. 1454-31 du code du travail' renvoyé l'affaire en sa formation de départage ;
- condamné la SAS Allecdis aux éventuels dépens de l'instance.
La SAS Allecdis a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 17 août 2020, son appel portant sur l'ensemble des dispositions lui faisant grief et énoncées dans sa déclaration.
Mme [K] a constitué avocat le 24 septembre 2020.
Par jugement de départage du 29 janvier 2021, le conseil de prud'hommes du Mans a constaté son dessaisissement et l'extinction de l'instance, condamnant la société Allecdis aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 mai 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Allecdis, dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 3 mai 2022 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- constater la reprise d'instance dans les suites de la constitution de Maître [C] [O], avocate au barreau d'[Localité 4], en qualité d'administratrice provisoire de Maître [E] [L] ;
- déclarer son appel recevable et bien fondé et y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande de rappel de salaire pour les mois de février, mars, avril et mai 2016 ;
Et statuant à nouveau de :
- déclarer Mme [K] irrecevable et en tout cas non fondée en l'intégralité de ses demandes et l'en débouter ;
- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux le concernant au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
Au soutien de son appel, la SAS Allecdis fait valoir liminairement que les éléments de preuve produits pour établir la matérialité de la faute reprochée à Mme [K], à savoir les images extraites de son système de vidéosurveillance et les constats d'huissier y afférents, sont parfaitement recevables.
En premier lieu, elle rappelle que la caméra de vidéosurveillance qui a saisi les images litigieuses n'était pas utilisée "pour contrôler" Mme [K] "dans l'exercice de ses fonctions", mais seulement pour assurer une surveillance de la ligne de caisse, précisément pour éviter que des personnes extérieures et non autorisées puissent sortir de la marchandise. Elle en déduit que l'information de la salariée quant à la présence de cette caméra n'était pas nécessaire en l'absence de texte imposant cette exigence. Elle précise en outre que les caméras sont visibles et que l'ensemble des salariés de la société en connaissait l'existence ce qu'admet au demeurant Mme [K] dans ses conclusions.
En second lieu, elle indique que même à retenir qu'une information personnelle des salariés aurait dû être délivrée, la cour devrait relever que l'utilisation de cette preuve n'a pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ce, après avoir mis en balance le droit au respect de la vie personnelle de la salariée, son atteinte étant en l'occurrence nécessairement réduite, et le droit de la preuve alors que la production de cet élément est indispensable à l'exercice du droit de l'employeur de se défendre en justice à l'appui de la sanction disciplinaire prononcée.
La société Allecdis fait alors observer qu'au visionnage de l'extrait de la vidéo surveillance produit et consigné chez Me [T], huissier de justice au Mans, le comportement de Mme [K] à la suite de la préhension du billet de 5 euros est non équivoque . Elle rappelle encore que la gravité de la faute ne dépend pas de la valeur du méfait ni du préjudice subi par l'employeur, peu important également l'ancienneté de la salariée ou l'absence de tout passé disciplinaire.
Enfin, subsidiairement, la société Allecdis se rapporte à l'avis rendu par la Cour de cassation le 17 juillet 2019 répondant aux moyens soulevés par Mme [K] concernant la conventionnalité du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail.
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Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 17 décembre 2020, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Mme [K] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de :
- ne pas appliquer le barème d'indemnisation de l'article L. 1235-3 du code du travail ;
- condamner la SAS Allecdis à lui verser la somme de 40 000,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- ordonner la capitalisation des intérêts ;
- condamner la SAS Allecdis à lui verser la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAS Allecdis aux dépens.
Mme [K] estime que la seule preuve produite par la société Allecdis, un CD de la vidéo surveillance du 6 septembre 2018 ayant donné lieu à deux procès-verbaux de constat d'huissier du 11 septembre 2018 et du 30 octobre 2019, lui est inopposable et doit être écartée.
Elle affirme que l'obligation d'informer les salariés de l'installation du système de vidéosurveillance dépend uniquement de l'affectation des locaux dans lesquels sont placées les caméras, et relève qu'en l'espèce, la caméra située au niveau de la ligne de caisse des salariés, était bien destinée à surveiller un espace affecté au travail, celui des hôtesses d'accueil en l'occurrence. Elle en conclut que le système de videosurveillance est illicite en l'absence de toute information des salariés et de consultation des représentants du personnel sur ce point.
Par ailleurs, Mme [K] affirme que si de fait, elle a bien récupéré le billet de 5 euros oublié par le client dans la caisse automatique, elle a omis de noter la découverte du billet car elle était préoccupée à ce moment là.
En tout état de cause, la salariée rappelle que le juge doit apprécier le degré de gravité de la faute en tenant compte de l'ancienneté du salarié, du caractère isolé de la faute et du faible préjudice causé à l'employeur, autant d'éléments qui devront conduire la cour à ne pas retenir la faute grave reprochée.
Enfin, Mme [K] considère que l'application du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail ne sera pas de nature à réparer intégralement le préjudice conséquent causé par la perte de son emploi de sorte que celui-ci ne pourra qu'être écarté par la cour pour l'évaluation du montant des dommages et intérêts à allouer.
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MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur l'étendue de la saisine de la cour :
La cour statuant dans les limites de l'appel, il y a lieu de constater qu'aucune des parties n'a relevé appel des dispositions du jugement ayant débouté Mme [K] de sa demande de rappel de salaire pour la période comprise entre février et mai 2016, de sorte que celles-ci sont désormais définitives.
En revanche, en application de l'article 562 du code de procédure civile, il convient de constater qu'à la lecture de la déclaration d'appel de la société Allecdis, celle-ci a expressément relevé appel des dispositions du jugement ayant renvoyé la connaissance de la demande 'concernant la barémisation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse' au conseil de prud'hommes en sa formation de départage de sorte que la cour est aussi saisie du point objet du partage de voix.
- Sur le licenciement :
- Sur la recevabilité des éléments de preuve issus de la vidéosurveillance et des procès-verbaux d'huissier des 11 septembre 2018 et 30 octobre 2019 :
L'article 9 du code civil énonce, en son premier alinéa, que 'Chacun a droit au respect de sa vie privée.'
Selon l'article L.1121-1 du code du travail 'Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.'
L'article L.1222-4 du même code dispose qu''aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.'
Il résulte de ce dernier texte que si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d'un système de vidéo-surveillance permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n'ont pas été préalablement informés de l'existence.
En l'espèce, la société Allecdis entend rapporter la preuve du grief qui fonde le licenciement de Mme [K] par la production d'images de vidéosurveillance des lignes de caisse et des procès-verbaux de constat d'huissier décrivant ces images (ses pièces n°4 et 5).
Mme [K] soulève l'illicéité de ce moyen de preuve en ce qu'elle n'aurait pas été informée de l'existence du dispositif de contrôle.
En l'occurrence, la société Allecdis verse aux débats l'arrêté du préfet de la Sarthe l'ayant autorisée à exploiter un système de 59 caméras intérieures et 10 caméras de vidéoprotection au sein de l'établissement centre E. Leclerc du 8 décembre 2017 ce, en considérant qu'il ressortait des éléments fournis par le demandeur que ce lieu ouvert au public était particulièrement exposé à des risques d'agression et de vol et que la finalité du dispositif était d'assurer la sécurité des personnes, de secourir les personnes -défense contre l'incendie-prévention des risques naturels ou technologiques, la prévention des atteintes aux biens, la lutte contre la démarque inconnue , les cambriolages.
Ainsi, la vidéosurveillance a été installée pour assurer la sécurité des biens et des personnes au sein magasin.
Il est constant que les images litigieuses ont été extraites d'une caméra de vidéosurveillance installée afin de filmer 'une ligne de caisse du magasin, point d'entrée et de sortie des clients', selon l'employeur, pour 'éviter que des personnes extérieures et non autorisées puissent sortir de la marchandise', et que Mme [K] se situait au sein de l'un des îlots de caisses automatiques où chaque client procède lui-même à l'encaissement de ses achats.
Il reste que la loi ne distingue pas la finalité 'officielle' et, dès lors que le dispositif permet aussi un contrôle de l'activité du salarié, sa mise en oeuvre nécessite l'information préalable des salariés.
Or, il ne peut qu'être constaté que le dispositif concerné, destiné en premier lieu à la protection et la sécurité des biens et des personnes, dans des locaux ouverts au public du centre E. Leclerc, permettait aussi de contrôler et de surveiller l'activité des salariés. Au cas d'espèce, si la vidéosurveillance a pu être utilisée pour protéger le bien d'un client oublié à une caisse - un billet de cinq euros-, il est incontestable qu'elle l'a été également, de fait, pour contrôler l'activité de la salariée dans l'exercice de ses fonctions, l'exploitation des images litigieuses ayant fondé le licenciement décidé à son encontre.
Il en résulte que l'employeur aurait dû informer les salariés et leur présenter le système de vidéosurveillance comme pouvant servir au contrôle de leur activité.
Il est constant que l'employeur ne justifie pas d'une telle information délivrée préalablement aux salariés du magasin concernant la mise en oeuvre du dispositif de vidéosurveillance de sorte que ce moyen de preuve est illicite.
Pour autant, la société Allecdis rappelle avec raison que l'illicéité d'un moyen de preuve, n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.263).
En l'occurrence, la production des images de Mme [K] dans l'exercice de son activité d'hôtesse de caisse au sein d'un magasin ouvert au public constitue une atteinte très réduite au principe du droit au respect à la vie privée.
Par ailleurs, il est d'évidence que la production des images litigieuses est indispensable à l'exercice du droit de l'employeur de se défendre en justice pour caractériser les faits fautifs ayant fondé le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [K], s'agissant de la seule et unique pièce dont il dispose en l'espèce, en l'absence de tout témoin des faits reprochés.
En conséquence, l'atteinte au droit au respect de la vie privée est strictement proportionnée au but poursuivi par la production de la preuve de sorte que ni les images saisies de la vidéo surveillance ni les constats d'huissiers réalisés pour les authentifier ne seront écartés des débats.
- Sur la faute grave :
En application des articles L 1232-1, L 1232-6 et L 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Si un doute persiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise ; la charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur.
En l'espèce, la lecture des procès-verbaux dressés par huissiers les 11 septembre 2018 et 30 octobre 2019 ayant procédé au visionnage des images de vidéosurveillance révèle que le 6 septembre 2018, à 14h, à la suite du départ d'un client, alors que les emplacements de monnaie et de sortie de tickets de caisse clignotaient, Mme [K] s'est levée pour se diriger vers la caisse n°3 utilisée par le client sortant, s'est penchée devant celle-ci, puis s'est redressée, a effectué un bref regard vers la droite, puis vers la gauche tout en retournant vers son poste. Elle restera quelques instants debout, le dos tourné, les mains devant elle, puis se mettra face à sa caisse et à la vue de sa collègue entrant dans la zone des caisses en libre service remettra les bras le long du corps avant d'engager la conversation puis de repartir en laissant sa collègue la remplacer.
Mme [K] ne conteste pas la matérialité de ces faits, se limitant à affirmer que préoccupée, elle a oublié de noter cette découverte.
Il reste que Mme [K], après avoir pris le billet, l'a empoché discrètement en veillant à ne pas être vue, tournant le dos à son îlot et à la caméra de surveillance, sans autres réactions pourtant attendues d'une hôtesse de caisse dans un tel cas de figure. En effet, l'honnêteté et la loyauté devaient la conduire, après avoir récupéré un tel objet dans le contexte d'un paiement en caisse et d'un oubli de monnaie par un client, à prévenir le service accueil de ce magasin ou à le signaler à sa collègue qui l'a remplacée à son poste quelques secondes après, afin que si le client revenait, il puisse se voir restituer son bien. Elle n'a pas davantage rapporté le billet au service d'accueil alors qu'ayant fini son service, elle quittait l'îlot peu après. Ces éléments manifestent une volonté de conserver le dit billet sans caractériser un quelconque oubli de sa part.
Il est ainsi établi que Mme [K] a pris par devers elle la monnaie oubliée d'un client en la conservant sans réaliser une quelconque démarche en vue de restituer le billet à sa collègue ou à l'accueil du magasin. Ces agissements, contraires à la finalité de ses missions d'hôtesse de caisse tournées vers le service de la clientèle, de nature à porter atteinte à l'image de l'enseigne et aux intérêts de son employeur dont la confiance ne pouvait qu'être entamée, caractérisent, nonobstant le faible montant du méfait, un manquement incontestable à son obligation de loyauté et comme tel fautif et justifiant son licenciement.
Pour autant, la gravité de la faute s'apprécie en tentant compte du contexte des faits, de l'ancienneté du salarié, des conséquences de ses agissements, et de l'existence ou de l'absence de sanctions antérieures.
En l'occurrence, Mme [K] a mal réagi face à une situation qui se présentait subitement à elle sans avoir manifestement réfléchi aux conséquences de ses actes, sans doute au regard du faible montant empoché. Or, elle bénéficiait d'une ancienneté de plus de 26 ans ce, sans jamais avoir subi la moindre sanction disciplinaire.
Dès lors, le manquement fautif n'apparaît pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite immédiate de la relation de travail.
En conséquence, pour l'ensemble de ces motifs, il sera considéré que le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [K] repose sur une cause réelle et sérieuse au regard de son comportement fautif, lequel néanmoins ne constitue pas une faute grave qui rendait impossible la poursuite immédiate du contrat de travail.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur les conséquences financières de la rupture :
Le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera rejetée, le jugement étant infirmé en ce qu'il a renvoyé l'affaire sur ce point devant le conseil siégeant en formation de départage.
En revanche, en l'absence de faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, le jugement sera confirmé en ce qu'il a annulé la mise à pied conservatoire et alloué à Mme [K] la somme de 1 129,77 euros brut de rappel de salaire sur mise à pied et celle de 112,98 euros brut de congés payés afférents.
En outre, les sommes allouées par les premiers juges au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (3 282,12 euros brut pour deux mois de préavis en application de l'article L. 1234-1 du code du travail outre 328,21 euros brut de congés payés afférents) et de l'indemnité de licenciement (19 443,35 euros) et dont Mme [K] sollicite la confirmation, ne sont pas critiquées subsidiairement par la société Allecdis ni dans leur montant ni dans leurs modalités de calcul. Dès lors que la faute grave n'a pas été retenue, et compte tenu des éléments du dossier, il conviendra de confirmer le jugement de ce chef.
Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes, soit le 27 avril 2019, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.
Il est justifié d'ordonner la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, conformément l'article 1343-2 du code civil.
Il y a lieu d'ordonner la remise d'une attestation destinée à Pôle emploi conforme à la présente décision.
Le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, il n'y a pas lieu à faire application de l'article L. 1235-4 du code du travail. En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement par la société Allecdis des indemnités de chômage effectivement versées à Mme [K] dans la limite de six mois d'indemnités.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Les dispositions relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens seront confirmées.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande présentée en cause d'appel par Mme [K] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La société Allecdis sera condamnée à lui payer la somme de 1 000,00 euros à ce titre.
La société Allecdis, partie qui succombe même partiellement, sera déboutée de sa demande présentée sur ce même fondement et condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
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PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du Mans le 29 juillet 2020 en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [W] [K] dépourvu de cause réelle et sérieuse, renvoyé la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (concernant la barémisation) devant le conseil en sa formation de départage, ordonné la délivrance d'une attestation Pôle emploi conforme au jugement et ordonné le remboursement par la société Allecdis des indemnités chômage effectivement versées à Mme [W] [K] dans la limite de six mois d'indemnités ;
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;
DIT que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave ;
REJETTE la demande présentée par Mme [W] [K] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ORDONNE à la société Allecdis de remettre à Mme [W] [K] une attestation Pôle emploi conforme à la présente décision ;
DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes, soit le 27 avril 2019, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, conformément l'article 1343-2 du code civil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
CONDAMNE la société Allecdis à payer à Mme [W] [K] la somme de 1 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande d'indemnité présentée en cause d'appel par la société Allecdis sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Allecdis au paiement des dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN M-C DELAUBIER