COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
IG/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 20/01654 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EXMI
Jugement du 04 Novembre 2020
Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction d'[Localité 6]
n° d'inscription au RG de première instance 19/00079
ARRET DU 28 MARS 2023
APPELANT :
Monsieur [N] [B]
né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/008073 du 01/12/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
Représenté par Me Sophie LODEHO, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 17170014
INTIME :
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS -FGTI- agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Sophie DUFOURGBURG, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 21013
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue en chambre du conseil à l'audience du 16 Janvier 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme GANDAIS, conseillère qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Mme GANDAIS, conseillère
M. WOLFF, conseiller
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
Greffière lors du prononcé : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 28 mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Par jugement en date du 30 avril 2015, le tribunal correctionnel d'Angers a :
- déclaré M. [H] [M] coupable d'avoir notamment le 2 janvier 2015, à [Localité 7], exercé volontairement des violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours, en l'espèce 70 jours d'ITT, sur M. [N] [B], avec usage d'armes, en l'espèce, un véhicule, une bombe lacrymogène et une canne de marche orthopédique,
- condamné M. [H] [M] à un emprisonnement délictuel de 3 ans,
- déclaré M. [N] [B] coupable d'avoir notamment le 2 janvier 2015, à [Localité 7], exercé volontairement des violences ayant entraîné une ITT n'excédant pas 8 jours, en l'espèce 4 jours d'ITT, sur M. [H] [M], avec usage d'une arme, en l'espèce une canne de marche orthopédique, et dégradé ou détérioré volontairement un bien, en l'espèce, le véhicule Mercédes appartenant à M. [H] [M] en causant un dommage grave, en l'espèce, en cassant des vitres,
- condamné M. [N] [B] à un emprisonnement délictuel de 6 mois.
Sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevables les constitutions de partie civile de M. [N] [B] et de M. [H] [M] et a renvoyé la cause à l'audience d'intérêts civils du 16 octobre 2015.
M. [H] [M] a interjeté appel des dispositions pénales dudit jugement. Par arrêt du 12 janvier 2016, la Cour d'appel d'Angers a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.
Par jugement en date du 25 août 2017, le tribunal correctionnel statuant sur intérêts civils a ordonné une expertise médicale de M. [N] [B] et a condamné M. [H] [M] à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation définitive de son préjudice corporel.
Par jugement en date du 15 juin 2018, le tribunal correctionnel statuant sur intérêts civils a notamment :
- fixé le préjudice total de M. [N] [B] à la somme de 51 420,22 euros,
- condamné M. [H] [M] à payer à M. [N] [B] une somme de 25 764,92 euros, en réparation de son entier préjudice subi suite à l'agression du 2 janvier 2015,
- condamné M. [H] [M] à payer à la CPAM de Maine et Loire une somme de 25 655,30 euros au titre de son recours subrogatoire, outre une somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire.
Le 25 juin 2018, M. [M] a interjeté appel du jugement.
Suivant arrêt du 25 mars 2019, la cour d'appel d'Angers a confirmé ledit jugement.
Par requête reçue le 27 mai 2019 M. [B] a saisi la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions (la CIVI ci-après) du tribunal de grande instance d'Angers aux fins d'obtenir une indemnité de 25 764,92 euros.
Suivant courrier du 31 décembre 2019, le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et Autres Infractions (ci-après le Fonds de Garantie) a exclu toute offre d'indemnité au motif du comportement fautif de M. [B] directement à l'origine de son dommage.
Par jugement en date du 4 novembre 2020, la CIVI d'[Localité 6] a :
- rejeté la demande d'indemnité présentée par M. [B],
- laissé néanmoins les dépens à la charge du Trésor public.
Par déclaration reçue au greffe le 24 novembre 2020, M. [N] [B] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnité, intimant le Fonds de Garantie.
Suivant avis du 14 juin 2021, communiqué aux parties, le parquet général s'en est rapporté à la sagesse de la cour.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions :
- 23 février 2021 pour M. [B]
- 1er juillet 2022 pour le Fonds de Garantie
qui peuvent se résumer comme suit.
M. [B] demande à la cour de :
- le recevoir en son appel, ainsi qu'en ses demandes, fins et conclusions, declarés fondés,
- infirmer le jugement entrepris,
- à titre principal :
- le dire et juger recevable et bien fondé à saisir la CIVI aux fins d'indemnisation de ses préjudices, sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale,
- ordonner le paiement par le Fonds de Garantie de la somme de 25 764,92 euros qui lui a été allouée par le tribunal correctionnel statuant sur intérêts civils d'Angers par jugement du 15 juin 2018,
- à titre subsidiaire, limiter à 50% maximum la réduction de son droit à indemnisation si un comportement fautif directement à l'origine de son dommage était retenu,
- rejeter toutes prétentions contraires comme non recevables, en tout cas non fondées,
- laisser les dépens à la charge du Trésor Public.
A l'appui de son appel, il expose que s'il a commis de légères violences et dégradations, c'est en réponse à l'agression initiale, verbale et physique de M. [M]. Il indique que ce dernier est volontairement sorti du bar pour en découdre alors qu'il aurait pu rester dans l'établissement. L'appelant ajoute que son agresseur a préféré foncer sur lui avec son véhicule alors qu'il pouvait quitter les lieux. Il précise encore que le lien de causalité entre la dégradation du véhicule par lui-même et les violences graves commises sur lui par M. [M] n'est pas établi. Il affirme ainsi que même s'il n'avait pas cassé les vitres du véhicule, M. [M] aurait continué ses violences et l'aurait sûrement percuté avec son véhicule. Par ailleurs, l'appelant souligne le comportement totalement disproportionné et imprévisible de son agresseur qui lui a causé un grave dommage corporel. A titre subsidiaire, il soutient que si un comportement fautif devait être retenu comme étant à l'origine de son dommage, son droit à indemnisation ne saurait être exclu mais réduit à hauteur de 50%.
Le Fonds de Garantie demande à la cour de :
- dire M. [N] [B] mal fondé en son appel,
- le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement déféré,
- dire que les dépens seront supportés par l'Etat.
A l'appui de ses demandes, l'intimé soutient que le comportement fautif de l'appelant est à l'origine du dommage qu'il a subi. Ainsi, il relève qu'en commettant des violences sur M. [M] et en dégradant volontairement son véhicule, l'appelant a commis une faute. Il souligne que les affirmations de ce dernier, faisant état d'une agression initiale physique et verbale de M. [M], ne sont corroborées par aucun élément. Le Fonds de Garantie considère que ce sont les actes commis par l'appelant qui ont entraîné les violences commises sur sa personne. A cet égard, il rappelle que le caractère disproportionné des violences subies est totalement indifférent dans l'examen de la faute commise par la victime.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 juillet 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 16 janvier 2023, date à laquelle l'affaire a été mise en délibéré au 28 mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la faute de la victime
Aux termes de l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d'occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
- soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
- soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Ce texte institue en faveur des victimes d'infractions un régime d'indemnisation autonome, répondant à des règles qui lui sont propres, la CIVI devant fixer le montant de l'indemnité allouée en fonction des éléments de la cause, sans être tenue par la décision de la juridiction pénale précédemment saisie.
Il appartient au juge de rechercher si le comportement de la victime n'a pas concouru, au moins pour partie, à la réalisation de son dommage, sans qu'il soit nécessaire que sa faute soit concomitante ou proche de l'infraction.
En l'espèce, sont produites aux débats les pièces de l'appelant constituées par l'arrêt correctionnel de la cour du 12 janvier 2016, le jugement correctionnel sur intérêts civils du 15 juin 2018 et l'arrêt correctionnel sur intérêts civils de la cour du 25 mars 2019. La procédure pénale n'a pas été versée aux débats.
Il résulte de l'arrêt correctionnel du 12 janvier 2016 que M. [B] et M. [M] se trouvaient tous deux en état d'ivresse le soir des faits, le premier ayant un taux d'alcool de 1,46 grammes par litre de sang. Il est constant qu'une altercation a opposé les deux hommes à l'intérieur du bar L'Impérial conduisant le gérant à mettre à la porte de son établissement M. [B]. Les faits rapportés aux termes des arrêts correctionnels du 12 janvier 2016 et du 25 mars 2019 établissent que cette éviction de M. [B] est intervenue après que ce dernier ait poussé M. [M] contre le bar. A l'extérieur de l'établissement, M. [B] a brisé les vitres du véhicule de M. [M] qui, étant également sorti, est monté dans sa voiture et a heurté volontairement M. [B]. M. [M] est ensuite descendu de son véhicule et a porté un coup de béquille à M. [B] qui se trouvait allongé au sol.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît qu'en complet état d'ivresse, M. [B] a, le premier, provoqué physiquement M. [M] à l'intérieur du bar. Par la suite et malgré la mesure d'apaisement prise par le gérant de l'établissement qui l'avait expulsé, M. [B] a entrepris, à l'extérieur, de briser les vitres du véhicule de M. [M]. Aucun élément ne vient à l'appui des allégations de l'appelant affirmant qu'une fois à l'extérieur de l'établissement, il aurait été agressé verbalement et physiquement par M. [M], ce qui l'aurait conduit à dégrader le véhicule de ce dernier.
Si la riposte opposée par M. [M] apparaît disproportionnée par rapport aux violences initiales et dégradations commises par l'appelant, la cour relève qu'en s'alcoolisant fortement, en adoptant un comportement agressif inadapté au sein du bar et en dégradant le véhicule de M. [M], il s'est exposé délibérément à un risque d'agression. Il a ainsi commis, en parfaite connaissance de cause, une faute en lien avec le préjudice dont il demande indemnisation et qui est de nature à exclure son droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale.
La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande d'indemnité présentée par M. [B].
II- Sur les dépens
Conformément aux dispositions des articles R91 et R93-II-11° du code de procédure pénale, il convient de laisser les dépens d'appel à la charge de l'Etat.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Dans les limites de l'appel,
CONFIRME le jugement de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire d'Angers du 4 novembre 2020,
Y ajoutant,
LAISSE les dépens d'appel à la charge de l'État.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. MULLER