COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
CM/CG
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 19/00411 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EO4D
jugement du 18 Janvier 2019
Tribunal d'Instance du MANS
n° d'inscription au RG de première instance 18-000372
ARRET DU 14 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [J] [X]
née le 28 Mai 1970 à [Localité 4] (95)
[Adresse 5]
[Localité 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/001313 du 18/02/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d'ANGERS)
Représentée par Me Rémi HUBERT substituant Me Guillaume BOIZARD de la SELARL BOIZARD - GUILLOU, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Me Jacques BLANCHET, avocat plaidant au barreau d'ALENCON
INTIMEE :
S.A.R.L. [...]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me LOISON substituant Me Alain PIGEAU de la SCP PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 04 Avril 2022 à 14H00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame MULLER, Conseillère faisant fonction de Présidente qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, Conseillère faisant fonction de Présidente
Monsieur BRISQUET, Conseiller
Mme ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 14 mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé du litige
La SARL [...], entreprise de carrosserie automobile, a conclu le 19 mars 2016 avec Mme [J] [X] un contrat sous seing privé de 'location vente d'un véhicule d'occasion' portant sur un véhicule de marque [...] immatriculé [Immatriculation 3] et mentionnant un 'prix' de 3 500 euros et un 'loyer' de 190 euros par mois.
Mme [X] ayant effectué des versements irréguliers puis cessé tout règlement sans acquitter la totalité du prix, la SARL [...] a déposé contre elle le 23 juin 2017 une plainte pour escroquerie, qui a été classée sans suite pour absence d'infraction constituée, puis est venue reprendre le véhicule chez elle le 15 février 2018.
Par acte d'huissier en date du 15 mai 2018, Mme [X] a fait assigner la SARL [...] devant le tribunal d'instance du Mans afin d'obtenir, en l'état de ses dernières conclusions, le rejet des demandes de la SARL [...], la requalification du contrat de location-vente en vente avec paiement du prix par acompte, la restitution du véhicule en bon état de marche sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, avec offre de sa part de régler la somme de 1 930 euros au titre du solde du prix, le paiement d'une indemnité de jouissance de 2 000 euros et d'une indemnité pour préjudice moral de 1 000 euros, la compensation, les plus larges délais de paiement pour la somme restant éventuellement à sa charge après compensation, l'exécution provisoire du jugement et la condamnation de la SARL [...] à payer à son conseil une somme de 1 200 euros en vertu de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu'aux entiers dépens à recouvrer comme en matière d'aide juridictionnelle.
La SARL [...] a conclu au rejet de l'ensemble des demandes et a sollicité, subsidiairement, en cas de requalification du contrat, la résolution de la vente, avec accord de sa part pour restituer à Mme [X] la somme de 1 570 euros, le paiement par celle-ci de la somme de 2 985,06 euros au titre des travaux de remise en état du véhicule et d'une indemnité de 4 370 euros pour les 23 mois durant lesquels elle a eu la jouissance du véhicule et le rejet de la demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 en demandant qu'il soit statué ce que de droit quant aux dépens.
Par jugement en date du 18 janvier 2019, le tribunal a :
- dit que le contrat régularisé entre Mme [X] et la SARL [...] en date du 19 mars 2016 doit s'analyser comme un contrat de crédit
- débouté Mme [X] de sa demande tendant à la restitution du véhicule et au paiement du solde du prix
- débouté Mme [X] de sa demande de dommages et intérêts
- débouté Mme [X] de sa demande tendant à l'octroi de délais de paiement, comme étant sans objet
- débouté la SARL [...] de l'ensemble de ses demandes principales et subsidiaires
- débouté Mme [X] de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
- condamné Mme [X] aux entiers dépens
- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.
Suivant déclaration en date du 5 mars 2019, Mme [X], qui a obtenu l'aide juridictionnelle totale le 18 février 2019, a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions, listées dans l'acte d'appel, intimant la SARL [...].
Elle a conclu le 9 avril 2019 puis fait assigner l'intimée par acte d'huissier en date du 16 avril 2019 contenant dénonce de la déclaration d'appel et de ses conclusions.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 mars 2022.
Dans ses dernières conclusions II en date du 30 juillet 2019, Mme [X] demande à la cour, infirmant jugement dont appel, au visa des articles 1583, 1139 ancien et 1344 nouveau du code civil, de :
- juger que le contrat qui lie les parties est un contrat de vente avec paiement différé
- condamner la SARL [...] à lui restituer le véhicule [...] immatriculé [Immatriculation 3] en bon état de marche dans un délai de 24 heures à compter de la signification du jugement (sic) à intervenir et, passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard
- lui donner acte de ce qu'elle offre de régler la somme 1 930 euros au titre du solde du prix
- condamner la SARL [...] à lui payer une indemnité de jouissance de 2 000 euros et une indemnité pour préjudice moral de 1 000 euros
- constater la compensation en vertu de l'article 1347 nouveau du code civil
- lui accorder, en vertu de l'article 1343-5 nouveau du code civil, les plus larges délais de paiement pour la somme qui resterait éventuellement à sa charge après compensation
- débouter la SARL [...] de toutes ses demandes
- condamner la SARL [...] à payer à Me Blanchet une somme de 3 000 euros en vertu de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Elle fait valoir que les deux éléments cités par le tribunal comme faisant défaut pour en déduire que l'intention des parties n'était pas de conclure une vente, à savoir le paiement de la totalité du prix et le transfert de propriété, ne sont pas constitutifs de la vente qui, selon l'article 1583 du code civil, est parfaite dès qu'il y a accord sur la chose et sur le prix, que la SARL [...] n'avait donc pas le droit de reprendre le véhicule vendu sauf à se faire justice à elle-même et pouvait seulement demander la résolution de la vente après une mise en demeure préalable qu'elle ne justifie pas lui avoir adressée, qu'à supposer qu'il s'agisse d'une location-vente, assimilable à une opération de crédit selon l'article L. 312-2 du code de la consommation, le contrat ne respecte pas les conditions édictées à peine de nullité par les articles L. 311-1, L. 311-12 et R. 311-4 du même code concernant l'offre préalable et le formulaire de rétractation et que la SARL [...] ne prouve pas les détériorations du véhicule qu'elle allègue ni le kilométrage parcouru et ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour prétendre à une indemnité de jouissance.
Dans ses dernières conclusions en date du 15 juillet 2019, la SARL [...] demande à la cour, au visa des articles 1101, 1102, 1147, 1612, 1650 et 1652 du code civil, de :
- à titre principal, dire et juger Mme [X] mal fondée en son appel, débouter celle-ci de l'ensemble de ses demandes et confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- à titre subsidiaire, en cas de requalification du contrat de location-vente en contrat de vente, prononcer la résolution de la vente intervenue le 19 mars 2016, lui donner acte de ce qu'elle accepte de restituer la somme de 1 570 euros à Mme [X] et condamner celle-ci à lui payer la somme de 2 985,06 euros au titre des travaux de remise en état du véhicule et une indemnité de 4 370 euros correspondant aux 23 mois durant lesquels elle a eu la jouissance du véhicule, à raison de 190 euros mensuels
- en tout état de cause, condamner Mme [X] à lui verser une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient que le transfert de propriété du véhicule devait s'effectuer au jour du paiement intégral du prix de sorte que, Mme [X] ayant cessé de régler les loyers ainsi que d'assurer et d'utiliser le véhicule qui était stationné sur la voie publique dans des conditions dangereuses, elle était en droit de le récupérer, que, si le contrat de location-vente est nul, Mme [X] n'est pas fondée à réclamer la restitution du véhicule dont elle n'a jamais eu la jouissance ni la propriété du fait des effets rétroactifs de la nullité, que Mme [X] qui n'a jamais été titulaire du certificat d'immatriculation ni n'a respecté les obligations à sa charge dont le paiement du prix constituant la principale obligation de l'acheteur selon l'article 1650 du code civil ne peut prétendre avoir conclu un contrat de vente et que le tribunal a, à juste titre, jugé qu'il s'agit d'un contrat de crédit et que la déchéance du droit aux intérêts, qui est la seule sanction du non-respect des formalités propres à ce type de contrat conformément à l'article L. 311-48 du code de la consommation, n'est pas applicable en l'absence de stipulation d'intérêts.
Subsidiairement, elle considère que les manquements de Mme [X] à ses obligations contractuelles justifient la non-délivrance du véhicule faute de paiement de son prix en vertu de l'article 1612 du code civil et la résolution de la vente en application de l'article 1654 du même code, assortie de dommages et intérêts en compensation, d'une part, des dégradations constatées lorsqu'elle a récupéré le véhicule laissé sans entretien pendant de nombreux mois, d'autre part, de la jouissance du véhicule sur la période du 16 mars 2016 au 15 février 2018 pendant laquelle Mme [X] a parcouru près de 40 000 kilomètres.
Sur ce,
En application de l'article 12 alinéa 2 du code de procédure civile selon lequel le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, il convient de rechercher l'exacte qualification du contrat signé par les parties le 19 mars 2016, sans s'arrêter à son seul intitulé de 'location-vente'.
S'il y est fait mention, à la fois, d'un 'prix' de 3 500 euros et d'un 'loyer' de 190 euros par mois, sans indication de durée, les parties s'accordent à considérer que Mme [X] ne devait s'acquitter par mensualités échelonnées de 190 euros que de la somme totale de 3 500 euros pour que la propriété du véhicule lui soit définitivement acquise.
Chaque 'loyer' correspondait donc exclusivement à une fraction du prix d'achat du bien, c'est-à-dire de sa valeur en capital, et aucunement à une contrepartie de sa jouissance, ce qui n'est guère compatible avec la qualification de location-vente, contrat complexe mêlant indissociablement une location dans un premier temps et une vente qui la suit automatiquement sous la seule condition suspensive du paiement intégral du prix.
Les parties ne font état, pour la période qui correspondrait à la location, d'aucune obligation particulière du type de celles pesant sur un bailleur ou un locataire.
S'il n'est pas contesté que le véhicule est resté immatriculé au nom de la SARL [...] tout le temps où Mme [X] en a eu la jouissance, ce qui est en
faveur d'un transfert de propriété différé lors du paiement du solde du prix, cet élément n'est pas caractéristique de la location-vente puisque les parties à un contrat de vente sont libres de convenir que la propriété de la chose vendue ne sera transférée à l'acquéreur qu'après un certain délai ou l'exécution de certaines conditions ou l'accomplissement de certaines formalités, par dérogation aux dispositions supplétives de l'article 1583 du code civil relatives au moment du transfert de propriété de la chose vendue.
Il y a donc lieu de retenir la qualification de vente à tempérament avancée par Mme [X], sauf à considérer que cette vente est assortie d'un transfert différé de propriété, le jugement étant infirmé en ce qu'il a analysé le contrat comme une location-vente, assimilée par l'article L. 311-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, à une opération de crédit à la consommation.
Mme [X] reconnaissant n'avoir payé qu'une somme de 1 570 euros sur le prix convenu de 3 500 euros qui aurait dû être acquitté, si le contrat avait été fidèlement exécuté, en 18 mensualités de 190 euros à compter d'avril 2016 suivies d'un dernier versement de 80 euros en octobre 2017, et rester ainsi débitrice du solde de 1 930 euros qu'elle se contente d'offrir de régler plusieurs années après l'arrivée du terme contractuellement fixé, elle ne saurait obtenir la restitution du véhicule dont la propriété ne lui a jamais été transférée, le jugement étant confirmé sur ce point, tandis que la SARL [...] est en droit d'obtenir la résolution judiciaire de la vente pour inexécution par l'acquéreur de son obligation essentielle de paiement du prix, conformément à l'article 1654 du code civil et nonobstant l'absence de mise en demeure préalable portant spécifiquement sur le paiement du solde du prix.
Cette résolution qui entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat oblige la SARL [...], qui en convient, à restituer à Mme [X] la somme de 1 570 euros perçue de celle-ci.
Elle a d'ores-et-déjà récupéré le véhicule par ses propres moyens le 15 février 2018, dans des conditions fautives en ce qu'elle n'a ni recueilli l'accord préalable de sa détentrice Mme [X] ni été autorisée en justice à le reprendre, ce qui l'expose à devoir réparer le préjudice moral occasionné à cette dernière, lequel sera estimé à 300 euros.
En revanche, Mme [X] ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte de jouissance du véhicule après cette date puisqu'elle n'avait aucun droit de le conserver, le jugement étant confirmé sur ce point par substitution de motifs.
En outre, dans la mesure où la résolution de la vente est prononcée en raison du manquement à ses obligations contractuelles, elle s'expose à devoir indemniser la SARL [...] du préjudice subi par celle-ci.
Toutefois, la seule facture de réparations établie le 6 juillet 2018 par la SARL [...] elle-même pour un montant de 1 566,36 euros TTC est insuffisante à faire la preuve de dégradations imputables à Mme [X] en l'absence de tout
constat contradictoire de l'état du véhicule lorsqu'il a été récupéré, de sorte que la demande de dommages et intérêts à ce titre ne peut qu'être rejetée.
La SARL [...] sera donc tout au plus indemnisée de la privation de jouissance du véhicule sur la période du 16 mars 2016 au 15 février 2018 pendant laquelle il était en possession de Mme [X], ce à hauteur de 100 euros par mois, soit 2 300 euros sur 23 mois, en considération du type du véhicule ([...]), de son millésime (1ère mise en circulation le 12 novembre 2003), de son kilométrage au jour de la signature du contrat (186 869 kilomètres au compteur) et de l'absence de tout justificatif du kilométrage effectivement parcouru par Mme [X].
Conformément à la demande de Mme [X], la compensation sera ordonnée entre les créances réciproques dans les conditions de l'article 1347 du code civil.
En l'absence de tout justificatif concernant sa situation actuelle et de toute offre concrète de règlement, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de délais fondée sur l'article 1343-5 du code civil pour le paiement du solde après compensation.
Partie principalement perdante, elle supportera les entiers dépens de première instance et d'appel sans pouvoir obtenir l'application de l'article 37 alinéa 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique au profit de son conseil, le jugement étant confirmé sur ce point.
Enfin, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, elle versera une somme de 800 euros à la SARL [...] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par celle-ci en appel sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté Mme [X] de ses demandes de restitution du véhicule, d'indemnisation de la privation de jouissance du véhicule et au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le contrat signé le 19 mars 2016 entre la SARL [...] et Mme [X] s'analyse en une vente à tempérament avec transfert différé de propriété.
Prononce la résolution de la vente du véhicule [...] immatriculé [Immatriculation 3] pour défaut de paiement de l'intégralité de son prix par Mme [X].
Ordonne à la SARL [...] de restituer à Mme [X] la somme de 1 570 (mille cinq cent soixante dix) euros reçue en paiement de celle-ci.
La condamne à verser à Mme [X] la somme de 300 (trois cents) euros au titre du préjudice moral lié aux conditions fautives de reprise du véhicule.
La déboute de sa demande au titre des travaux de remise en état du véhicule.
Condamne Mme [X] à verser à la SARL [...] une indemnité de 2 300 (deux mille trois cents) euros au titre de la privation de jouissance du véhicule antérieure à sa reprise.
Ordonne la compensation entre les créances réciproques.
Déboute Mme [X] de sa demande de délais pour le paiement du solde après compensation.
La déboute de sa demande au titre de l'article 37 alinéa 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
La condamne à verser à la SARL [...] la somme de 800 (huit cents) euros en application de l'article 700 1° du code de procédure civile en appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER