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03/03/2023 | FRANCE | N°21/00034

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 03 mars 2023, 21/00034


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale













ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00034 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EYGO.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 08 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00178





ARRÊT DU 03 Mars 2023





APPELANTE :



Madame [V] [S] épouse [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentÃ

©e par Me Nicolas FOUASSIER de la SELARL SELARL BFC AVOCATS, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier 21900273







INTIME :



Monsieur [W] [C]

[Adresse 1]

[Localité 4]



représenté par Maître Renaud GISSELB...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00034 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EYGO.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 08 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00178

ARRÊT DU 03 Mars 2023

APPELANTE :

Madame [V] [S] épouse [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Nicolas FOUASSIER de la SELARL SELARL BFC AVOCATS, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier 21900273

INTIME :

Monsieur [W] [C]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Maître Renaud GISSELBRECHT, avocat au barreau de LAVAL

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 03 Mars 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat à durée indéterminée à temps partiel du 4 octobre 1988, Mme [V] [F] a été engagée en qualité d'employée d'assurances, statut non cadre, par M. [D] [U], lequel exploitait une agence Allianz à [Localité 4].

La convention collective nationale applicable est celle des agences générales d'assurances.

Le 1er janvier 2016, M. [U] a cédé son agence à M. [W] [C]. Le transfert du contrat de travail de Mme [F] a été matérialisé par un avenant.

Dans le courant du mois de janvier 2016, soit quelques jours après la reprise de l'agence par M. [C], Mme [F] a été placée en arrêt de travail. En février 2018, elle a subi une opération chirurgicale à l'épaule. Le 2 octobre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie lui a notifié un titre de pension d'invalidité compte tenu de son classement en catégorie 2. En novembre 2018, Mme [F] a été licenciée pour impossibilité de reclassement consécutive à son inaptitude au poste médicalement constatée.

Mme [F] a pris contact avec la compagnie Swiss Life afin d'obtenir la garantie prévue au contrat collectif de prévoyance souscrit par l'agence. La compagnie Swiss Life lui a appris qu'aucun contrat n'avait été souscrit à son nom à compter du 1er janvier 2016 dans la mesure où M. [U] avait résilié ce contrat le 31 décembre 2015.

Par requête reçue le 12 décembre 2019, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Laval aux fins de faire juger que M. [C] avait commis une faute à son préjudice au titre de la prévoyance, et de le condamner en conséquence à lui verser une somme au titre de la garantie incapacité de travail ainsi qu'au titre de la garantie invalidité permanente, outre des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [C] s'est opposé à ces prétentions et a demandé la condamnation de la salariée au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 8 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Laval a :

- jugé que M. [W] [C] a commis une faute au préjudice de Mme [V] [F];

- ordonné à M. [W] [C] de payer à Mme [V] [F] les sommes suivantes:

- 10 286,57 euros outre intérêts au taux légal à compter de la saisine, soit le 29 novembre 2019, au titre de la garantie incapacité de travail ;

- 4 440 euros outre intérêts au taux légal à compter de la saisine, soit le 29 novembre 2019, au titre de la garantie invalidité permanente ;

- débouté Mme [V] [F] de sa demande au titre de son préjudice moral, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- ordonné à M. [W] [C] de payer à Mme [V] [F] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les entiers dépens à la charge de M. [W] [C].

Pour statuer en ce sens, le conseil de prud'hommes a considéré que M. [C] avait commis une faute en ne respectant pas son obligation légale et conventionnelle d'instaurer un régime de prévoyance santé à l'égard de Mme [F], et l'a condamné aux sommes auxquelles elle aurait pu prétendre en vertu du contrat de prévoyance souscrit par M. [U], en limitant la garantie invalidité permanente à douze mois en application de l'article 23 de ce contrat. Pour débouter la salariée de sa demande au titre du préjudice moral, il a considéré que les sommes allouées réparaient l'intégralité des dommages.

Mme [F] a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 14 janvier 2021, son appel étant limité aux chefs par lesquels le conseil de prud'hommes de Laval a ordonné à M. [W] [C] de payer la somme de 4 440 euros outre intérêts au taux légal à compter de la date de saisine, soit le 29 novembre 2019 au titre de la garantie invalidité, et l'a déboutée de sa demande au titre de son préjudice moral en application des dispositions de l'article 1240 du code civil.

M. [C] a constitué avocat le 21 janvier 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 novembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 13 décembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [F], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 30 juillet 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Laval du 3 décembre 2020 en ce qu'il a ordonné de payer la somme de 4 440 euros outre intérêts au taux légal à compter de la date de saisine, soit le 29 novembre 2019, au titre de la garantie invalidité permanente, et l'a déboutée de sa demande au titre de son préjudice moral en application des dispositions de l'article 1240 du code civil ;

- le confirmer pour le surplus ;

Statuant de nouveau des chefs du jugement infirmés :

- condamner M. [C] à lui payer les sommes de :

* 48 484,80 euros outre intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes, soit le 29 novembre 2019, au titre de la garantie invalidité permanente ;

* 5 000 euros au titre de son préjudice moral, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil ;

Y ajoutant :

- débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions ;

- condamner M. [C] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [C] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl BFC Avocats, Me Nicolas Fouassier, avocat aux offres et affirmations de droit.

Mme [F] soutient qu'en vertu des articles 55 à 58 de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances, M. [C] avait l'obligation d'instaurer un régime de prévoyance au bénéfice des salariés ayant au minimum 6 mois d'activité continue dans la profession. Elle affirme que ce dernier ne s'est pas acquitté de cette obligation. Elle ajoute que l'avenant au contrat de travail régularisé au moment du transfert fait expressément mention de son affiliation au contrat de prévoyance Swiss Life, et que les bulletins de salaire postérieurs à la reprise comportent bien une ligne "prévoyance Swiss Life T1" avec une cotisation de l'employeur de 0,80 %. Faute de souscription de ce contrat de prévoyance, elle n'a pu bénéficier des indemnités complémentaires à celles versées par la caisse primaire d'assurance maladie.

Elle conteste la limitation à douze mois de la garantie invalidité permanente, alléguant que le conseil de prud'hommes a fait une interprétation erronée de l'article 23 des conditions générales du contrat, et confondu la durée de la portabilité de la garantie et la durée de la prestation.

Elle considère enfin avoir subi un préjudice moral distinct du fait de l'attitude de l'employeur qui non seulement n'a pas respecté ses obligations, mais encore est resté inactif lorsque la difficulté est apparue.

**

Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 17 mai 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [C] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'il a commis une faute au préjudice de Mme [F], en ce qu'il lui a ordonné de payer la somme de 10 286,57 euros avec intérêts à compter du 29 novembre 2019 au titre de la garantie incapacité de travail, la somme de 4440 euros avec intérêts à compter du 29 novembre 2019 au titre de la garantie invalidité permanente, et la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et à titre d'appel incident :

- débouter Mme [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- subsidiairement, réduire dans de fortes proportions ses demandes ;

- à titre reconventionnel, condamner Mme [F] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et la même somme en cause d'appel ;

- condamner la même aux entiers dépens.

M. [C] fait valoir que la convention collective dans sa version applicable au 6 juin 2003 ne rendait pas obligatoire la souscription d'un contrat de prévoyance au profit des salariés, mais au choix, un contrat de prévoyance ou un contrat d'assurance de frais médicaux, cette seconde option ayant été choisie puisque Mme [F] bénéficiait d'une mutuelle souscrite par ses soins. Il affirme n'avoir dès lors commis aucune faute, précisant que l'obligation de souscrire un contrat de prévoyance n'a été instaurée que beaucoup plus tard, par l'accord de branche du 13 novembre 2018 qui a modifié la convention collective.

Il prétend par ailleurs que le contrat de travail n'impose pas la souscription d'un contrat de prévoyance pas plus que les bulletins de salaire ne démontrent la souscription d'un tel contrat, ceux-ci mentionnant que Mme [F] était couverte par un contrat complémentaire santé. Il souligne qu'elle ne cotisait pas au titre de la prévoyance puisque seules des cotisations patronales étaient prélevées à ce titre, et qu'elle ne l'ignorait pas puisqu'elle n'a réclamé l'application du contrat Swiss Life qu'après la rupture du contrat de travail. Il affirme au surplus qu'elle ne remplissait pas les conditions pour en bénéficier puisqu'elle n'a jamais rempli de bulletin individuel d'affiliation. Il conteste enfin avoir manqué à son obligation d'information sur l'étendue de la couverture de la salariée.

Il soutient subsidiairement que Mme [F] ne démontre pas que le contrat Swiss Life souscrit par M. [U] avait vocation à lui être transféré. Selon lui, il aurait fallu souscrire un nouveau contrat, ajoutant que la compagnie Swiss Life n'aurait jamais accepté de l'indemniser au vu de son dossier médical dans la mesure où elle a été placée en arrêt maladie quelques jours après la reprise de l'agence.

En tout état de cause, il fait valoir que sa demande d'indemnisation aurait été en grande partie prescrite pour n'avoir été formulée que le 12 décembre 2019 et que ses calculs sont erronés, outre le fait qu'elle ne peut prétendre à l'indemnisation qu'elle réclame, mais seulement à des dommages et intérêts pour perte de chance.

MOTIVATION

Sur l'obligation de souscrire un contrat de prévoyance

Mme [F] se prévaut des articles 55 à 58 de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances, prévoyant l'obligation pour M. [C] d'instaurer un régime de prévoyance au bénéfice des salariés ayant au minimum 6 mois d'activité continue dans la profession. Elle affirme que ce dernier ne s'est pas acquitté de cette obligation. Elle précise que le contrat de prévoyance dont elle bénéficiait avant la reprise de l'agence a été résilié et qu'elle n'a pas pu bénéficier des garanties prévues bien que l'avenant du 1er janvier 2016 prévoit son affiliation à l'organisme de prévoyance Swiss Life et que ses bulletins de salaire mentionnent des cotisations à ce titre.

M. [C] conteste avoir eu l'obligation conventionnelle de souscrire un contrat de prévoyance au bénéfice de Mme [F], cette obligation ayant été instaurée par l'accord de branche du 13 novembre 2018. Il conteste de la même manière avoir eu l'obligation contractuelle de souscrire une telle garantie. Il affirme avoir respecté ses obligations en souscrivant un contrat de couverture de ses frais médicaux. Il ajoute que Mme [F] ne l'ignorait pas car elle n'a jamais demandé à bénéficier des garanties qu'elle revendique avant la rupture du contrat de travail, et qu'elle n'a ni adhéré, ni cotisé au titre du contrat Swiss Life dans la mesure où les cotisations étaient exclusivement patronales.

L'article 55 de la convention collective nationale des agences générales d'assurances en vigueur du 2 juin 2003 au 1er janvier 2020, est rédigé ainsi:

'Soucieux d'harmoniser les rapports économiques et sociaux entre les différentes agences générales d'assurances, les partenaires sociaux décident d'instaurer un régime de prévoyance au niveau de la branche généralisé à l'ensemble des salariés ayant au minimum 6 mois d'activité continue dans la profession et relevant du champ d'application de la présente convention.

Compte tenu de la diversité des tailles des structures et de l'hétérogénéité des populations de salariés visées, le choix de l'organisme de prévoyance, des risques couverts, ainsi que leurs niveaux de couverture sont laissés à la libre appréciation de chaque employeur en fonction des besoins spécifiques de leur agence, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, lorsqu'ils existent.

Les garanties peuvent notamment être choisies dans la liste suivante.

- Prévoyance : l'incapacité temporaire ; l'incapacité permanente ; l'invalidité totale ; les garanties décès.

- Frais médicaux : frais médicaux et paramédicaux ; pharmacie ; optique ; prothèses et soins dentaires ; cures thermales ; hospitalisation ; maternité ; analyses médicales.'

L'article 57 de cette même convention collective prévoit que 'les agences générales d'assurances devront se mettre en conformité avec les présentes dispositions dans un délai de douze mois à compter de la date d'effet de la présente convention.'

Il résulte expressément de ces dispositions que M. [C] comme M. [U] avant lui, avait l'obligation conventionnelle de souscrire un contrat de prévoyance au bénéfice des salariés ayant plus de six mois d'ancienneté dont faisait partie Mme [F], seuls l'organisme de prévoyance, les risques couverts et le niveau de couverture étant laissés à son appréciation. Il sera observé que l'accord du 13 novembre 2018 applicable au 1er janvier 2020 dont il se prévaut comme étant l'acte fondateur de cette obligation, a simplement étendu cette obligation à tous les salariés sans condition d'ancienneté et prévu des minima conventionnels.

Par ailleurs, l'avenant au contrat de travail à effet au 1er janvier 2016 mentionne d'une part, que la caisse de prévoyance à laquelle Mme [F] sera affiliée est, à titre indicatif, Swiss Life, et d'autre part, que la caisse de mutuelle à laquelle elle sera affiliée est, à titre indicatif, Allianz. Suivent ensuite les coordonnées respectives de chacun de ces organismes. Il en résulte que M. [C] a expressément distingué ces deux types de garantie, l'une au titre de la prévoyance et l'autre au titre de la mutuelle. En les faisant figurer dans l'avenant au contrat de travail, il s'est contractuellement engagé envers Mme [F]. Dès lors, son obligation de souscrire un contrat de prévoyance au bénéfice de la salariée était de surcroît, contractuelle.

M. [C] affirme qu'il a rempli son obligation en assurant Mme [F] au titre de ses frais médicaux, ceux-ci figurant dans la liste de l'article 55 susvisé. Il ne communique cependant pas le contrat souscrit à ce titre, se contentant de dire que les cotisations afférentes à une mutuelle apparaissent sur ses bulletins de salaire. Ce seul élément est insuffisant à démontrer que le contrat souscrit au titre de la mutuelle répond aux exigences conventionnelles.

Il résulte ensuite de ce qui précède que M. [C] s'est engagé envers Mme [F] à souscrire un contrat au titre de la prévoyance distinct de celui afférent à la mutuelle. Outre le fait qu'il n'en justifie pas, il n'allègue pas même avoir souscrit un tel contrat, sans pour autant expliquer que les bulletins de salaire de Mme [F] à compter du 1er janvier 2016 comportent deux lignes de cotisations distinctes, l'une au titre de la 'prévoyance Swiss Life T1" et l'autre au titre de la 'mutuelle non cadre'.

A cet égard, il convient de noter que l'article 9 des conditions générales du contrat collectif conclu par son prédécesseur prévoit que le paiement des cotisations incombe à l'agence adhérente. Il est donc légitime que celles-ci apparaissent sur les bulletins de salaire de Mme [F] au titre des cotisations patronales, tel ayant toujours été le cas avant même la reprise de l'agence par M. [C], et alors que l'intéressée justifie par le certificat d'affiliation qui lui a été adressé par la société Swiss Life qu'elle bénéficiait des garanties prévues par ce contrat de prévoyance depuis le 1er mars 2007.

La faute de M. [C] est ainsi caractérisée et sa responsabilité engagée en ce qu'elle a causé un préjudice à Mme [F].

Sur la réparation du préjudice

Le préjudice de Mme [F] est caractérisé par le fait qu'elle n'a pas pu être garantie au titre de la prévoyance dans la mesure où elle a été placée en arrêt maladie de manière continue à compter du 18 janvier 2016, puis en invalidité à compter du 1er novembre 2018 ayant conduit à son licenciement pour inaptitude.

Mme [F] demande au titre de son préjudice, l'application pure et simple du contrat de prévoyance souscrit par M. [U].

M. [C] fait valoir que le contrat Swiss Life souscrit par M. [U] n'avait pas vocation à lui être transféré, qu'il aurait fallu souscrire un nouveau contrat, et que la compagnie Swiss Life n'aurait jamais accepté d'indemniser Mme [F] au vu de son dossier médical puisqu'elle a été placée en arrêt maladie quelques jours après la reprise de l'agence. Il ajoute que sa demande d'indemnisation aurait été en grande partie prescrite pour n'avoir été formulée que le 12 décembre 2019, et que ses calculs sont erronés.

La réparation du préjudice de Mme [F] doit être intégrale, sans perte ni profit. Elle ne peut se résoudre qu'en dommages et intérêts. A cet égard, il convient de souligner que le conseil de prud'hommes n'a pas qualifié la nature des indemnités qu'il a allouées à Mme [F] et que celle-ci ne les qualifie pas elle-même.

Mme [F] justifie par le certificat d'affiliation qui lui a été personnellement adressé par la société Swiss Life, de l'adhésion de M. [U] au contrat collectif Agea Prévoyance des salariés négocié et distribué par Agea promotion auprès des agents généraux d'assurances, qu'elle-même a individuellement demandé à en bénéficier, et que son dossier a été accepté puisqu'elle était personnellement garantie depuis le 1er mars 2007 au titre des 'garanties du régime conventionnel des salariés des agences générales d'assurances.'

Ce même certificat d'affiliation fait ressortir que Mme [F] était garantie notamment, au titre de l'incapacité temporaire de travail à hauteur de 80 % du salaire annuel brut des tranches A et B après une franchise de 90 jours, et au titre de l'invalidité permanente 2ème catégorie ne résultant pas d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à hauteur de 80 % du salaire annuel brut des tranches A et B.

Il est acquis que le contrat Swiss Life conclu par M. [U] a été résilié.

Pour autant, M. [C] n'a pas informé Mme [F] de la suppression de ces garanties.

Au surplus, ses bulletins de salaire à compter du mois de janvier 2016 continuent à faire apparaître un prélèvement de cotisations au titre du contrat Swiss Life au même taux que précédemment, étant rappelé que ces cotisations ont toujours été patronales conformément à l'article 9 des conditions générales qui lui ont été remises.

Enfin, l'avenant au contrat de travail du 1er janvier 2016 prévoit en préambule que, dans le cadre de la reprise de l'agence de M. [U] par M. [C], il est convenu que le contrat de travail est repris dans les mêmes conditions, et que Mme [F] conservera son ancienneté et ses droits acquis avec son précédent employeur.

Mme [F] a ainsi légitimement pu croire que ce contrat était toujours en vigueur.

Il convient d'ajouter que, dans l'hypothèse d'une nouvelle adhésion, rien ne permet de dire que sa demande n'aurait pas été acceptée à l'identique dans la mesure où elle n'était pas en arrêt maladie à la date de la reprise de l'agence par M. [C].

Enfin, l'éventuelle prescription biennale évoquée par M. [C] est inopérante en ce que l'introduction de la présente instance fait suite à une interrogation de Mme [F] bien antérieure au 22 décembre 2018, M. [C] lui écrivant à cette date qu'il ne '(cessait) de relancer la comptable et la prévoyance pour (lui) répondre', et que rien ne permet d'affirmer que Mme [F] n'a pas sollicité l'organisme de prévoyance dans le délai requis.

Par conséquent, par la faute de M. [C], Mme [F] a perdu une chance de pouvoir bénéficier des garanties contractées par son prédécesseur. Son préjudice doit donc être réparé en considération du contrat Swiss Life souscrit par M. [U] et du certificat d'affiliation qui lui a été adressé par cette compagnie le 1er mars 2007.

1. Sur le préjudice subi au titre de la garantie incapacité de travail

Le certificat d'affiliation mentionne une garantie au titre de l'incapacité temporaire de travail à hauteur de 80 % du salaire annuel brut des tranches A et B après une franchise de 90 jours, sous déduction des indemnités journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie.

La demande de Mme [F] porte sur la période de juin 2016 à octobre 2018.

Contrairement aux affirmations de M. [C], elle tient compte de la franchise de 90 jours, la salariée ayant été placée en arrêt de travail le 18 janvier 2016.

Il n'y a pas lieu de retenir le salaire net défini par l'article 16-7 des conditions générales dans la mesure où le contrat de travail était en cours pendant cette période.

Mme [F] percevait un salaire annuel brut de 14 672,59 euros. Le contrat Swiss Life l'aurait garantie à 80 %, soit à hauteur de 11 738,07 euros maximum. Elle a perçu des indemnités journalières versées par la CPAM à hauteur de 18,13 euros brut par jour, soit 6 617,45 euros brut par an. Elle a donc subi une perte financière de 8 055,14 euros brut par an correspondant à 671,26 euros brut par mois. De juin 2016 à octobre 2018, elle aurait ainsi pu être garantie à hauteur de la somme totale de 11 411,42 euros.

Par conséquent, et dans la mesure où Mme [F] n'a pas interjeté appel sur ce point, le jugement sera confirmé en ce qu'il a évalué la perte financière de Mme [F] au titre de la garantie incapacité de travail à la somme de 10 286,57 euros, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [C] à payer cette somme à Mme [F], celle-ci devant toutefois être qualifiée de dommages et intérêts.

S'agissant de dommages et intérêts, cette somme portera intérêts à compter du jugement, et le jugement sera infirmé en qu'il a dit que les intérêts courront à compter de la saisine, soit le 29 novembre 2019.

2. Sur le préjudice subi au titre de la garantie invalidité permanente

Le certificat d'affiliation mentionne une garantie au titre de l'invalidité permanente 2ème catégorie ne résultant pas d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à hauteur de 80 % du salaire annuel brut des tranches A et B sous déduction de la pension d'invalidité versée par la CPAM.

L'article 16-7 des conditions générales du contrat Swiss Life prévoit que 'en cas de rupture du contrat de travail liant l'assuré et l'agence adhérente, le calcul des prestations s'effectue sur la base du salaire net. Par salaire net, il faut entendre le salaire brut diminué des charges sociales salariales.'

Enfin, l'article 23 de ces mêmes conditions générales intitulé 'la portabilité des garanties dans le cadre de l'article L.911-8 du code de la sécurité sociale' prévoit que 'l'ancien adhérent bénéficie du maintien des garanties à compter de la date d'effet de la rupture de son contrat de travail. La durée de cette couverture est égale à celle du dernier contrat de travail ou des derniers contrats de travail consécutifs dans l'entreprise, appréciée en mois entiers, dans la limite de douze mois à condition toutefois que:

- le contrat de travail de l'adhérent soit rompu pour une autre cause que faute lourde,

- le droit aux prestations du contrat ait été ouvert avant la date de cessation du contrat de travail,

- la rupture du contrat de travail ait ouvert droit à indemnisation par le régime d'assurance chômage.'

Mme [F] prétend qu'elle aurait pu bénéficier de cette garantie jusqu'à la date à laquelle elle pourra faire valoir ses droits à la retraite, soit pendant quatorze ans, alléguant que le délai de douze mois est celui pendant lequel le risque doit s'être réalisé, mais n'est pas applicable à la prestation qui doit perdurer dès lors que le risque s'est matérialisé dans ce délai.

M. [C] soutient que cette limite de douze mois est applicable à la prestation servie, outre le fait qu'il convient de retenir le salaire net de Mme [F].

Le principe de portabilité est prévu par l'article L.911-8 du code de la sécurité sociale dont l'article 23 susvisé reprend les dispositions. Il permet aux anciens salariés de continuer à bénéficier des garanties de prévoyance et des garanties de santé au-delà de la rupture du contrat de travail, pendant une durée limitée et sous réserve de remplir certaines conditions.

Il résulte des dispositions de l'article 23 précité que pendant douze mois maximum après la cessation de son contrat de travail, l'ancien adhérent bénéficie du maintien des garanties souscrites par son ancien employeur. A contrario, au-delà de ce délai, il n'est plus couvert et ne peut plus en bénéficier.

Il s'en déduit que le droit de Mme [F] à percevoir la prestation au titre de la garantie invalidité permanente aurait en tout état de cause pris fin à l'issue d'un délai de douze mois suivant la rupture de son contrat de travail.

Il convient d'ajouter que cette garantie génère une prestation à exécution successive, qu'elle est calculée en considération de la pension d'invalidité attribuée par la CPAM à la salariée, laquelle a un caractère temporaire et est susceptible d'être révisée en fonction de son état de santé ainsi que l'indique le titre de pension d'invalidité qui lui a été notifié le 2 octobre 2018. Par conséquent, le risque matérialisé à ce titre pendant la durée de la portabilité ne peut être considéré comme caractérisant un état définitif, et n'est pas susceptible d'ouvrir un droit à prestation jusqu'à la retraite de l'intéressée.

Aux fins d'évaluer le préjudice de Mme [F], il convient de se référer à son salaire net, le contrat de travail ayant été rompu en novembre 2018. Au vu de son salaire annuel brut de 14 672,59 euros sur lequel on applique un taux de cotisations salariales de l'ordre de 22 %, son salaire net mensuel peut être évalué à la somme de 955,55 euros.

Mme [F] a perçu une pension d'invalidité de 611,36 euros à compter du 1er novembre 2018. Elle a donc subi une perte financière de 344,19 euros par mois, soit 4130,28 euros sur douze mois.

Par conséquent, il convient d'évaluer son préjudice à la somme de 4 130,28 euros au titre de la garantie invalidité permanente et de condamner M. [C] à lui verser cette somme à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé sur ce point ainsi que sur le point de départ des intérêts qui courront à compter du jugement compte tenu de la nature de la condamnation.

Sur le préjudice moral

Mme [F] ne justifie d'aucun préjudice qui ne serait pas réparé par les dommages et intérêts précédemment alloués.

Elle sera en conséquence déboutée de ce chef et le jugement confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé dans ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

M. [C] succombant à l'instance sera condamné aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la Selarl BFC Avocats, Me [J] [T], et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel.

Il convient de faire droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par Mme [F] et de condamner M. [C] à lui verser la somme de 1 500 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, publiquement par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement du 8 décembre 2020 rendu par le conseil de prud'hommes de Laval sauf en ce qu'il a condamné M. [C] à payer la somme de 4 440 euros au titre de la garantie invalidité et fixé le point de départ des intérêts des condamnations prononcées au 29 novembre 2019,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

CONDAMNE M. [W] [C] à payer à Mme [V] [F] la somme de 4130,28 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de la garantie invalidité permanente;

DIT que les condamnations prononcées au titre de la garantie incapacité de travail et de la garantie invalidité permanente porteront intérêts à compter du jugement ;

Y ajoutant :

CONDAMNE M. [W] [C] à payer à Mme [V] [F] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel;

DEBOUTE M. [W] [C] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;

CONDAMNE M. [W] [C] aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la Selarl BFC Avocats, Me Nicolas Fouassier.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00034
Date de la décision : 03/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-03;21.00034 ?
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