COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - COMMERCIALE
CC/IM
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 22/00178 - N° Portalis DBVP-V-B7G-E6L5
Arrêt du 12/01/2022 rendu par la Cour de Cassation
Arrêt du 05/01/2021 rendu par la Cour d'appel de POITIERS
Jugement du 03/05/2019 rendu par le Tribunal de commer de LA ROCHELLE
n° d'inscription au RG de première instance : U21-10.497
ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022
APPELANT, DEMANDEUR AU RENVOI :
Monsieur [B] [E]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 12] ([Localité 12])
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Inès RUBINEL, en qualité d'administratrice provisoire de Me Benoît GEORGE de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS, et Me Thomas RIVIERE, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
INTIMEES, DEFENDERESSES AU RENVOI :
S.A.S. [X] BATISSEURS agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 4]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. HUMEAU prise en la personne de Maître Thomas HUMEAU, mandataire judiciaire agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. M.L.T.
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentées par Me Sophie DUFOURGBURG, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 22037, et Me Alexis BAUDOUIN substitué par Me Baptiste GUILLON, avocat plaidant au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 27 Septembre 2022 à 14 H 00, Mme CORBEL, présidente de chambre ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 29 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société (SARL) Ocean drive, représentée par son gérant, M. [B] [E], a souhaité acquérir deux terrains sis [Adresse 11], à [Localité 9] (17), sur lesquels elle a entrepris la construction d'un centre commercial.
La maîtrise d'oeuvre et la direction des travaux ont été confiés à la société Economie et Technique du Bâtiment (ETB) ayant pour gérant M. [E].
Selon marchés de travaux du 16 janvier 2014, la société (SAS) [X] bâtisseurs, qui exerce une activité d'entreprise générale de bâtiments, maçonnerie, terrassement, plâtrerie, carrelage, revêtement de sol, menuiserie et corps d'état, s'est vue confier les lots 'démolition, gros oeuvre et VRD', pour des montants respectifs de 85.000 euros HT, 4.000.000 euros HT et 149.000 euros HT.
Le 10 février 2014, la société [X] Bâtisseurs s'est encore vue confier la réalisation d'un prélèvement en vue d'un désamiantage, pour un montant de 2.495,50 euros HT ; puis le 13 février 2014, des travaux de désamiantage pour un montant de 35.535 euros HT. Le 20 février 2014, la SARL Ocean Drive, maître d'ouvrage, lui a adressé un ordre de service pour l'exécution de ces derniers travaux.
Les 30 décembre 2014 et 2 janvier 2015, la SARL Ocean Drive a acquis les terrains et bâtiments sis à [Adresse 10] au prix de 3 600 000 euros payable comptant à hauteur de 200 000 euros, au plus tard le 12 février 2015 pour la somme de 2 443 525 euros et le solde, au plus tard, le 30 juin 2015 et au prix de 3 896 000 euros, payable à hauteur de 2 656 475 euros au plus tard le 12 février 2015 et le solde, au plus tard, le 30 juin 2016.
Suivant contrat du 9 janvier 2015 renvoyant à des devis du 15 janvier 2014, la société [X] bâtisseurs a sous-traité à la société (SARL) MLTP, qui exerce 'toutes activités de travaux publics, terrassements, assainissements, réalisation de clôtures', les lots démolition, VRD et terrassement/évacuation et réseaux.
Par acte du même 9 janvier 2015, la SARL Ocean Drive, maître de l'ouvrage, a agréé la SARL MLTP en qualité de sous-traitant. Cet acte prévoyait un paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage 'conformément aux conditions du marché principal.'
Par lettre du 28 janvier 2015, renouvelée les 6, 10 et 30 mars 2015, la SARL [X] bâtisseurs a vainement sollicité du maître de l'ouvrage la justification d'une caution bancaire.
Au fur et à mesure de la réalisation des travaux, la société ETB, maître d'oeuvre, a établi trois certificats de paiements, le 6 février 2015, pour un montant de 92.077,06 euros ; le 16 octobre 2015 pour des montants de 444.028,84 euros TTC et 792.180,76 euros TTC, et portant l'indication qu'il s'agissait de travaux réalisés en février et mars 2015.
Ces dernières sommes de 444.028,84 euros TTC et 792.180,76 euros TTC n'ont pas été versées par la SARL Ocean drive, que ce soit à la SARL [X] bâtisseurs ou à la SARL MLTP.
Le 16 avril 2015, eu égard à l'ampleur alléguée des impayés, la société [X] bâtisseur a notifié à la société Océan drive l'arrêt des travaux à compter du 20 avril 2015.
Par lettre du 20 avril 2015, la SARL Ocean drive a regretté cette décision en soulignant qu'elle était susceptible d'entraîner des conséquences majeures sur la bonne fin du projet immobilier.
Le 11 mai 2016, les sociétés Ocean drive et [X] bâtisseurs ont signé un protocole d'accord transactionnel sur le montant des travaux effectués arrêté à 1 480 468,73 euros au titre de ceux déjà facturés et 41 624,04 euros au titre des travaux supplémentaires et sur les conditions de poursuite du contrat conditionnée à la justification de son financement avant le 31 mai 2016.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 novembre 2016, la SARL MLTP a exercé, vainement, son action directe à l'encontre de la SARL Ocean drive, maître d'ouvrage, pour obtenir le paiement de la somme de 459 738 euros.
La SAS [X] bâtisseurs s'est révélée être dans l'incapacité de régler les sommes dues à la SARL MLTP, sous-traitant.
Par jugement du 14 décembre 2016, le tribunal de commerce de Niort a prononcé le redressement judiciaire de la SAS [X] bâtisseurs, désignant M. [M] en qualité d'administrateur.
Par arrêt du 10 mars 2017, la cour d'appel de Poitiers, en suite de l'acquisition de la clause résolutoire de la vente du terrain pour défaut de paiement du prix, a ordonné à la SARL Ocean drive de libérer et de restituer au vendeur les parcelles occupées, sous peine d'expulsion.
Par ordonnance définitive du 5 octobre 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de La Rochelle a condamné la SARL Ocean drive à payer à la SARL MLTP, sous-traitant agréé, une provision de 400.238 euros, outre une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ce même juge a condamné la SARL Ocean drive à fournir une garantie bancaire de ce montant sous déduction des sommes éventuellement versées en exécution de l'ordonnance, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Par jugement du 10 novembre 2017, le tribunal de commerce de La Rochelle a condamné la SARL Ocean drive à payer à la SAS [X] bâtisseurs la somme de 2 921 252,74 euros TTC, avec intérêts de retard à compter du 2 avril 2015, outre une somme de 100 000 euros pour résistance abusive et une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec exécution provisoire.
Par jugement du 21 novembre 2017, le tribunal de grande instance de La Rochelle, statuant au fond, a confirmé la résolution de la vente des terrains de la SARL Ocean drive par l'effet de la clause résolutoire prévue dans les actes. Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 11 septembre 2018.
Par actes d'huissier du 29 mai 2018, les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP ont, chacune, fait assigner M. [E] devant le tribunal de commerce de La Rochelle en responsabilité personnelle pour faute détachable de ses fonctions de gérant.
Les deux procédures ont été jointes.
En cours de cette procédure, par jugement du 20 novembre 2018, le tribunal de commerce d'Albi a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la SARL Ocean drive, qu'il a convertie en liquidation judiciaire par jugement du 14 mai 2019.
En l'état de leurs dernières écritures communes devant le tribunal de commerce de La Rochelle, les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP lui ont demandé, au vu des articles 74, 46 et 515 du code de procédure civile, L. 721-3 et L. 223-22 du code de commerce, de :
à titre liminaire, sur la compétence,
- dire et juger que l'exception d'incompétence n'est pas soulevée in limine litis ; par conséquent, dire et juger M. [E] irrecevable à soulever cette exception d'incompétence,
en tous les cas,
- se déclarer matériellement et territorialement compétent pour statuer sur les demandes de la SAS [X] bâtisseurs,
à titre subsidiaire,
- renvoyer l'examen du dossier au tribunal de commerce de Niort, tribunal du siège des demanderesses, désigné comme lieu du dommage par M. [E],
sur le fond,
- dire et juger que les demandes de la société [X] Bâtisseurs et de la société MLTP sont recevables et bien fondées,
y faisant droit et rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires,
- dire et juger que M. [E], à l'occasion de ses fonctions de gérant de la société Ocean drive, a commis des fautes intentionnelles d'une particulière gravité, séparables de ses fonctions, qui engagent sa responsabilité personnelle et l'obligent à réparer les préjudices subis par elles,
par conséquent,
- condamner M. [B] [E] à payer à la SAS [X] bâtisseurs la somme de 2.921.252,74 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean drive,
- condamner M. [B] [E] à payer à la société MLTP la somme de 413.433 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean Drive,
- dire et juger que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- condamner M. [B] [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [B] [E] à payer à la société MLTP la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [B] [E] aux entiers dépens de l'instance,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions.
En défense, M. [E] a requis du tribunal qu'il se déclare incompétent au profit du tribunal de grande instance d'Albi. Subsidiairement et au fond, il a sollicité du premier juge qu'il constate qu'il n'est pas démontré l'existence d'une faute d'une exceptionnelle gravité ou une infraction pénale commise par lui, détachable de ses fonctions, et en conséquence, qu'il déboute la société [X] Bâtisseurs, ordonne la levée des saisies conservatoires opérées par celle-ci, et la condamne au paiement d'une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Par jugement du 3 mai 2019, le tribunal de commerce de La Rochelle a, au vu des articles 46 et 74 du code de procédure civile, et L. 223-22 du code de commerce :
- débouté M. [E] de sa demande d'exception d'incompétence,
- s'est déclaré matériellement et territorialement compétent pour statuer sur les demandes des sociétés [X] Bâtisseurs et MLTP,
- a reçu les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP en leurs demandes, fins et conclusions, les a dites bien fondées et y a fait droit,
- a dit et jugé que M. [E], dans le cadre de ses fonctions de gérant de la société Ocean drive, a commis des fautes intentionnelles d'une particulière gravité, séparables de ses fonctions, qui engagent sa responsabilité personnelle et l'obligent à réparer les préjudices subis par la société [X] bâtisseurs et par la société MLTP,
- condamné M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 2.921.252,74 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean drive,
- condamné M. [E] à payer à la société MLTP la somme de 413.433 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean drive,
- dit et jugé que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- débouté M. [E] de ses demandes, fins et conclusions,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel ou opposition, et sans caution,
- condamné M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme justement appréciée de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [E] à payer à la société MLTP la somme justement appréciée de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné, conformément à ce qu'indique l'article 696 du code de procédure civile, M. [E] au paiement des entiers dépens de l'instance comprenant les frais du greffe s'élevant à la somme de 88,93 euros TTC.
M. [E] a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Poitiers, le 21 mai 2019.
Par ailleurs, par jugement du 28 avril 2020, le tribunal de commerce de Niort a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL MLTP, la société Humeau prise en la personne de M. Humeau étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par arrêt du 14 janvier 2020, sur appel du jugement précité du 10 novembre 2017, la cour d'appel de Poitiers a, notamment, fixé la créance de la SAS [X] bâtisseurs au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Ocean drive aux sommes suivantes :
* 1.776.562,48 euros TTC au titre du marché de base,
* 49.850 euros TTC au titre des travaux supplémentaires,
* 300.000 euros TTC au titre des préjudices annexes,
* 100.000 euros TTC au titre du comportement fautif.
Par arrêt du 5 janvier 2021, sur l'appel du jugement entrepris du tribunal de commerce de La Rochelle du 3 mai 2019, la cour d'appel de Poitiers a, donnant acte à la SELARL Humeau de son intervention volontaire à l'instance en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL MLTP, et déclarant les conclusions de M. [E] recevables, dit n'y avoir lieu à caducité de la déclaration d'appel, a dit être valablement saisie des prétentions énoncées au dispositif des conclusions de M. [E] en date du 24 septembre 2020 ; a confirmé le jugement prononcé le 3 mai 2019 par le tribunal de commerce de La Rochelle en ce qu'il s'est déclaré territorialement compétent ; l'a infirmé pour le surplus, et statuant de nouveau des chefs infirmés, a déclaré irrecevable l'action de la société [X] Bâtisseurs et de la société Humeau en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MLTP, en responsabilité personnelle de M. [B] [E], au titre des fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean drive ; y ajoutant, a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel ; a fait masse des dépens de première instance et d'appel, les a partagés par moitié, a condamné la société [X] bâtisseurs à en payer la moitié et a dit que l'autre moitié sera employée en frais privilégiés de la procédure collective de la société MLTP.
Par arrêt du 12 janvier 2022, en suite du pourvoi en cassation formé par la société [X] bâtisseurs et la SARL MLTP, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déclare irrecevable l'action de la société [X] Bâtisseurs et la société Humeau, en qualité de liquidateur de la société MLTP, en responsabilité personnelle de M. [E] au titre des fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean Drive, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et fait masse des dépens de première instance et d'appel qu'il partage par moitié, la moitié étant supportée par la société [X] bâtisseurs et l'autre employée en frais privilégiés de la procédure collective de la société MLTP, l'arrêt rendu le 5 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; a remis l'affaire et les parties, sur ces points, dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Angers ; a condamné M. [E] aux dépens ; en application de l'article 700 du code de procédure civile, a rejeté la demande formée par M. [E] et l'a condamné à payer à la société [X] bâtisseurs et à la société Humeau en qualité de liquidateur de la société MLTP la somme globale de 3.000 euros.
Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a rappelé qu'il résultait des articles 31 et 32 du code de procédure civile et L. 622-20 du code de commerce, que l'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'appréciant au jour de l'introduction de la demande en justice, la recevabilité de la demande du créancier tendant à voir engager la responsabilité personnelle du dirigeant et introduite avant l'ouverture de la procédure collective de la société que ce dernier dirige n'est pas soumise à la justification par le demandeur d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers.
Elle a jugé qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'action des sociétés [X] bâtisseurs et Humeau, celle-ci en qualité de liquidateur de la société MLTP, tendant à engager la responsabilité personnelle de M. [E] au titre de fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean drive, que les intimés ne se prévalent pas d'un préjudice différent du défaut de paiement de leur créance, par ailleurs fixée au passif de la procédure collective de la société Ocean drive, de sorte qu'ils n'établissent pas l'existence d'un préjudice personnel distinct de celui de la collectivité des créanciers, alors que M. [E] avait été assigné en responsabilité personnelle dès le 29 mai 2018, soit antérieurement à l'ouverture, le 20 novembre 2018, de la procédure collective de la société qu'il dirigeait, la cour d'appel a violé les articles 31 et 32 du code de procédure civile et L. 622-20 du code de commerce.
Par déclaration du 31 janvier 2022, M. [E] a saisi la cour d'appel d'Angers suite au renvoi ordonné par la Cour de cassation.
M. [E], d'une part, la SAS [X] bâtisseurs et la SELARL Humeau prise en la personne de M. Humeau en qualité de liquidateur judiciaire de la société MLTP, d'autre part, ont conclu.
Une ordonnance du 5 septembre 2022 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [E] demande à la cour de :
- statuer dans les limites de la cassation intervenue,
- le déclarer recevable et bien fondé en sa déclaration de saisine,
- infirmer et au besoin réformer le jugement de première instance rendu par le tribunal de commerce de La Rochelle en toutes ses dispositions critiquées restant en cause ensuite de la cassation intervenue, et particulièrement en ce qu'elle :
* reçoit les sociétés [X] Bbtisseurs et MLTP en leurs demandes, fins et conclusions, les dit bien fondées et leur fait droit,
* dit et juge que M. [E], dans le cadre de ses fonctions de gérant de la société Ocean drive, a commis des fautes intentionnelles d'une particulière gravité, séparables de ses fonctions, qui engagent sa responsabilité personnelle et l'obligent à réparer les préjudices subis par la société [X] bâtisseurs et par la société MLTP,
* condamne M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 2.921.252,74 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean drive,
* condamne M. [E] à payer à la société MLTP la somme de 413.433 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean drive,
* dit et juge que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
* déboute M. [E] de ses demandes, fins et conclusions,
* ordonne l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel ou opposition, et sans caution,
* condamne M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme justement appréciée de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamne M. [E] à payer à la société MLTP, la somme justement appréciée de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamne, conformément à ce qu'indique l'article 696 du code de procédure civile, M. [E] au paiement des entiers dépens de l'instance comprenant les frais du greffe s'élevant à la somme de 88,93 euros TTC,
et statuant à nouveau sur les chefs critiqués :
- dire et juger qu'il n'est pas démontré l'existence d'une faute d'une exceptionnelle gravité ou une infraction pénale commise par M. [E], détachable de ses fonctions,
en conséquence,
- débouter les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP prise en la personne de son liquidateur judiciaire de leurs demandes,
subsidiairement,
- dire et juger que les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP prise en la personne de son liquidateur judiciaire ont en pleine connaissance de l'absence de capacité de fourniture de garantie de financement décidé de poursuivre leur chantier et pris une décision fautive de risques pour leurs sociétés et ont contribué à leur propre préjudice,
- dire et juger qu'au jour de la date de connaissance de l'absence de garantie de paiement l'ensemble des prestations exécutées par les deux sociétés ([X] Bâtisseurs et MLTP) étaient inférieures à 300.000 euros dont partie fut réglée,
en tout état de cause,
et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse infondée,
- dire et juger qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les préjudices postérieurs à la date de cette mise en demeure, plus quinze jours et la tromperie alléguée,
- dire et juger qu'il ressort de l'aveu des parties dans le protocole d'accord que les demandeurs avaient connaissance par leurs relations directes avec le banquier de la situation de financement dès l'ordre de service initial et en conséquence n'ont pas fait l'objet d'une tromperie,
- subsidiairement, réduire la condamnation à moins de 300.000 euros,
- condamner in solidum les sociétés [X] Bâtisseurs et MLTP prise en la personne de son liquidateur judiciaire à lui payer une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
La SAS [X] bâtisseurs et la SELARL Humeau prise en la personne de M. Humeau ès qualités demandent à la cour de :
- dire et juger que leurs conclusions d'intimés sont recevables et bien fondées,
y faisant droit, et rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires,
à titre liminaire,
vu l'article 954 du code de procédure civile,
- dire et juger que les conclusions d'appelant de M. [E] sont irrecevables à défaut de comporter distinctement un exposé des faits et de la procédure ainsi que l'énoncé des chefs de jugement critiqués,
- dire et juger qu'à défaut pour M. [E] d'avoir exposé au soutien de son appel des conclusions recevables dans le délai de 3 mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile, sa déclaration d'appel est caduque,
En conséquence,
- le débouter de son appel sans autre examen,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de La Rochelle en toutes ses dispositions sans autre examen,
subsidiairement,
vu les articles 954 et 910-4 du code de procédure civile,
- dire et juger que la cour n'est valablement saisie par M. [E] que des seules prétentions suivantes, à la fois évoquées expressément dans le corps de ses conclusions et récapitulées dans son dispositif :
* infirmer et au besoin réformer le jugement de première instance rendu par le tribunal de commerce de La Rochelle en toutes ses dispositions critiquées restant en cause ensuite de la cassation intervenue, et particulièrement en ce qu'elle :
* reçoit les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP en leurs demandes, fins et conclusions, les dit bien fondées et leur fait droit,
* dit et juge que M. [E], dans le cadre de ses fonctions de gérant de la société Ocean drive, a commis des fautes intentionnelles d'une particulière gravité, séparables de ses fonctions, qui engagent sa responsabilité personnelle et l'obligent à réparer les préjudices subis par la [X] Bâtisseurs et par la société MLTP,
* condamne M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 2.921.252,74 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean Drive,
* condamne M. [E] à payer à la société MLTP la somme de 413.433 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de ses factures qui restent impayées par Ocean drive,
* dit et juge que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
* déboute M. [E] de ses demandes, fins et conclusions,
* ordonne l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel ou opposition, et sans caution,
* condamne M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs, la somme justement appréciée de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamne M. [E] à payer à la société MLTP, la somme justement appréciée de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamne, conformément à ce qu'indique l'article 696 du code de procédure civile, M. [E] au paiement des entiers dépens de l'instance comprenant les frais du greffe s'élevant à la somme de 88,93 euros TTC,
* condamner in solidum les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP prise en la personne de son liquidateur judiciaire à lui payer une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit,
- dire et juger que toutes les autres prétentions énoncées au dispositif des conclusions de M. [E] mais non évoquées expressément dans le corps de ses conclusions ou évoquées dans le corps de ses conclusions mais non récapitulées au dispositif, sont irrecevables et n'ont pas à être examinées par la cour qui n'en est pas valablement saisie,
- dire et juger que M. [E] est irrecevable à présenter, dans des conclusions ultérieures, des prétentions qui n'auraient pas été expressément et correctement présentées dans ses premières conclusions d'appelant,
par conséquent,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de La Rochelle en toutes ses dispositions sans autre examen,
sur le fond,
vu l'article L. 223-22 du code de commerce,
- débouter M. [E] de son appel,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf s'agissant du montant de la condamnation prononcée à titre de dommages et intérêts à l'encontre de M. [E] au profit de la société [X] Bâtisseurs, qui sera ramenée de la somme de 2.921.252,74 euros à celle de 2.226.412,48 euros, compte tenu de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Poitiers le 14 janvier 2020 dans les rapports entre la société [X] Bâtisseurs et la société Ocean drive,
sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [E] à payer aux sociétés [X] Bâtisseurs et MLTP la somme de 5.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
y ajoutant,
- condamner M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme complémentaire de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel,
- condamner M. [E] à payer à la société Humeau ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL MLTP, la somme complémentaire de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel,
- condamner M. [E] aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 31 mars 2022 pour M. [E],
- le 30 mai 2022 pour la SAS [X] bâtisseurs et la SELARL Humeau prise en la personne de M. Humeau ès qualités.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il convient, en premier lieu, de relever que sont définitifs les chefs de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers qui ont rejeté les moyens de procédure invoqués par les intimées relativement aux conclusions de l'appelant et, en second lieu, de constater que la recevabilité de l'action en responsabilité, engagée par la société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, avant l'ouverture de la procédure collective de la société Ocean drive, n'est plus contestée.
Sur la responsabilité de M. [E] :
La société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, soutiennent que M. [E] a commis des fautes personnelles d'une particulière gravité, incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales à l'occasion de l'opération de promotion immobilière avortée en ayant demandé aux entreprises de démarrer les travaux de construction sur des terrains dont la société Océan drive n'était pas propriétaire, tout en affirmant le contraire, sans que la société dispose d'une caution d'un organisme bancaire prévue à l'article 1799-1 du code civil, exigence pourtant d'ordre public, ni des financements nécessaires à la réalisation du projet, ayant, au contraire, garanti aux entreprises que la société Océan drive bénéficiait d'un accord de principe de sa banque sur le financement de l'opération, tout en leur dissimulant que cet accord était soumis à des conditions qu'il savait que la société Océan drive ne pourrait pas remplir. Elles prétendent, ainsi, que les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP auraient été volontairement induites en erreur, à la fois, sur la situation patrimoniale et financière de la société Océan drive et que M. [E] aurait commis, à ces occasions, des délits de faux et usage de faux et d'escroquerie pour les convaincre d'engager et poursuivre les travaux dans l'intérêt de la société Ocean drive. Elles lui reprochent également de ne pas avoir déclaré l'état de cessation des paiements de la société Ocean drive dans le délai légalement prescrit et de ne pas avoir respecté, volontairement, l'obligation de déposer les comptes de la société Ocean drive au greffe du tribunal de commerce dans le délai prescrit, pour que les tiers ignorent la réalité de la situation financière de la société Océan drive.
La société [X] bâtisseurs demande l'indemnisation du coût de la main d''uvre et des matériaux qu'elle a engagés sur le chantier sans être payée et sans pouvoir recouvrer sa créance contre la société Océan drive, en faisant valoir que si M. [E] avait été honnête sur la situation économique et patrimoniale de la société qu'il dirigeait en l'informant de ce qu'elle ne disposait pas des moyens de financer les travaux au-delà de la première situation qui lui a été payée, jamais elle n'aurait accepté de poursuivre le chantier et n'aurait pas engagé les frais de main d''uvre et de matériaux qui constituent aujourd'hui une perte sèche pour l'entreprise. Elle demande la condamnation de M. [E] à lui payer la somme de 2 226 412,48 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, sur la base de la créance fixée par la cour d'appel de Poitiers contre la société Océan drive dans son arrêt du 14 janvier 2020, correspondant à :
- 1 776 562,48 euros TTC au titre du marché de base ;
- 49 850 euros TTC au titre de travaux supplémentaires ;
- 300 000 euros TTC au titre de préjudices annexes comprenant les frais d'immobilisation, pertes d'exploitation, suivi administratif et contentieux;
- 100 000 euros en réparation du préjudice causé par le comportement fautif de la société Océan drive, au vu de la part que représentait le marché dans le chiffre d'affaires et à l'importance de l'impayé l'ayant conduite à se trouver dans l'obligation de déposer le bilan.
De même, le liquidateur judiciaire de la société MLTP sollicite l'indemnisation du préjudice qu'il reproche à M. [E] d'avoir commis à cette société, correspondant à la main d''uvre et aux matériaux qu'elle a engagés sur le chantier sans être payée par la société Océan drive et sans pouvoir recouvrer sa créance contre cette dernière.
M. [E] écarte toute faute personnelle, contestant toute dissimulation et tromperie de sa part. Il prétend avoir agi de bonne foi en pensant que la société Ocean drive allait pouvoir obtenir le financement de l'opération immobilière dans laquelle elle s'était engagée, indiquant qu'il y a lui-même investi des fonds. Il prétend que les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP ont contribué à leur préjudice en engageant les travaux avec précipitation et en pleine connaissance de ce que le maître de l'ouvrage était incapable de fournir à la société [X] bâtisseurs une garantie de paiement, laquelle aurait poursuivi le chantier en parfaite conscience des difficultés de la société Ocean drive parce qu'elle était elle-même en difficulté.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
La responsabilité personnelle d'un gérant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis intentionnellement une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
En premier lieu, il est établi qu'au moment où M. [E] a signé les ordres de travaux, la société Océan drive ne disposait pas des fonds pour y faire face mais cherchait à obtenir un financement.
Selon une lettre adressée à la société Océan drive, le 23 décembre 2014, par la [Adresse 8] (ci-après, la Banque populaire) et la proposition qui y était jointe, celle-ci l'informait de son 'accord de principe' à la demande de concours d'un montant de 4 500 000 euros pour financer 'l'achat' et d'un montant de 3 000 000 euros pour financer 'les travaux', avec la réserve :
- que cet accord était conditionné à l'accord de la Banque Socfim pour la constitution d'un pool bancaire composé à 65 % par la Banque populaire (chef de file) et à 35 % par la Socfim ;
- et avant la mise en place du crédit achat :
* d'un apport à hauteur de 700 000 euros en trésorerie à l'acte et à 1 500 000 euros de factures acquittées à la mise en place du crédit achat,
* de la production d'une attestation notariée confirmant la signature des contrats de réservation à hauteur de 22 M € TTC dont 11 M € TTC purgés des conditions suspensives de financement ou sans clause suspensive de financement.
Ainsi, l'accord final sur le concours bancaire dépendait, notamment, de l'importance des contrats de réservation des lots et des promesses de baux adossés aux réservations.
Sur ce point, M. [E] expose que le bilan de promotion qu'il avait établi était 'parfaitement crédible', que la société Océan drive avait déjà signé des actes de réservation et même un acte notarié, un avant-contrat devant notaire pour la cession de la plus large surface commerciale de l'opération en cours et pour déjà 50 % du chiffre d'affaires. Il justifie par une attestation d'un notaire, établie le 3 décembre 2014, de ce que le niveau de réservation des lots que la société Ocean drive aurait pu commercialiser après édification des locaux représentait un prix de vente TTC de 22 409 424 euros. Selon un tableau établi par ses soins, sur ces réservations, celles qui étaient adossées à un bail s'élevaient à un montant de 16 240 992 euros.
Dans une lettre du 18 mars 2015, la Banque populaire écrivait à la société Océan drive : 'comme suite à nos derniers échanges, nous vous confirmons bien volontiers que le dossier de financement de l'opération de construction vente 'Océan drive' est actuellement en phase finale d'étude. Un pool bancaire a dû être constitué pour parfaire le financement de ce projet et nous sommes dans l'attente de la décision du comité d'engagement de la banque Socfim qui serait partenaire de ce pool bancaire ; cette décision doit intervenir probablement à la fin du mois de mars, comme nous l'a indiqué la banque Socfim. Sous réserve d'un accord de la banque Socfim, nous procéderons rapidement à la mise en place des concours bancaires nécessaires à la réalisation du projet'.
Par la suite, alors que la Socfim, partenaire bancaire pressenti, n'a pas accepté de s'engager, ce qui n'a été connu qu'au début du mois d'avril 2015, la banque populaire n'a pas renoncé à financer le projet et s'est engagée dans la recherche d'un autre financeur complémentaire comme le montre un courriel de la banque du 13 avril 2015.
Au vu de ces seuls éléments, et même si la société Océan drive ne disposait pas de trésorerie, il n'est pas démontré que, comme le prétendent les intimées, M. [E] ne pouvait pas ignorer à cette époque que les conditions pour obtenir le concours bancaire sollicité n'étaient pas possibles à remplir et qu'il ne pouvait pas croire dans les chances d'obtenir le financement nécessaire à l'opération grâce à l'accompagnement de la Banque populaire.
Il ne sera donc pas retenu que M. [E], lorsqu'il a engagé les travaux puis a demandé à ce qu'ils soient poursuivis jusqu'à la décision de la société [X] bâtisseurs de les interrompre, le 16 avril 2015, savait que la société Océan drive ne pourrait pas en payer le prix alors que la demande de prêt était en cours d'instruction et que la Banque populaire y semblait favorable mais cherchait à constituer un pool bancaire.
S'il résulte des lettres échangées entre la société [X] bâtisseurs et M. [E] que celui-ci s'est montré confiant quant aux chances que la société Océan drive obtienne le financement de son projet de promotion immobilière, il n'apparaît pas qu'il l'aurait trompée sur ce point ou aurait tenté de la tromper en faisant état d'un accord de principe sans préciser les conditions auxquelles cet accord était subordonné. Dans la lettre qu'il a adressée à la société [X] bâtisseurs, le 1er avril 2015, faisant un rappel des informations qu'il avait données à M. [X] quant au financement, M. [E] affirme qu'il lui avait indiqué, avant le démarrage de l'opération, que l'accord de base avait été donné par la Banque populaire et qu'il manquait un tiers de complément par la Socfim, de même qu'il lui avait transmis la lettre de la Banque populaire du 18 mars 2015, ce que ne conteste pas la société [X] bâtisseurs dans sa réponse du 2 avril 2015, tout en réclamant le paiement de la situation n°2 échue au 31 mars 2015 et réitérant sa demande de garantie de paiement. Il apparaît, en outre, que celle-ci s'est rapprochée de la Banque populaire, ce qui ressort de sa lettre du 30 mars 2015, et a pu avoir la confirmation de ce que le dossier était en cours. Il semble qu'elle ait pu penser que le financement serait accordé au regard de l'engagement de la banque populaire, ce que confirme le protocole d'accord qu'elle a signé avec la société Océan drive le 11 mai 2016, qui indique en préambule, à ce sujet, que 'la société [X] Bâtisseurs a engagé les travaux sans garantie de paiement mais sur la déclaration du banquier d'Ocean drive que le crédit d'accompagnement était accordé en son principe'.
De plus, la société [X] bâtisseurs faisait face à l'absence de satisfaction à ses demandes répétées de bénéficier d'une garantie de paiement. Elle a pu, au début, être induite en erreur sur le fait que la garantie lui serait fournie, par l'assurance que lui avait donnée M. [E], dans une lettre du 17 février 2015, de ce que le dossier était en cours et que cette garantie lui serait fournie, selon les termes de cette lettre, 'dans le courant du mois. Le dossier est en cours. Les situations de travaux mensuels vous seront payées directement par la banque une fois qu'elles seront approuvées par le maître de l'ouvrage'. Il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir interrompu à ce moment-là le chantier comme l'y autorisait l'article 1799-1 du code civil. Mais cet engagement n'a pas été tenu et, si aucun élément ne permet d'étayer les allégations de M. [E] selon lesquelles la société [X] bâtisseurs aurait voulu à tout prix poursuivre le chantier en raison de difficultés financières qui lui auraient été propres, force est de constater qu'elle a néanmoins choisi de le poursuivre sans qu'il puisse être retenu que cela fût à cause de manoeuvres de la part de M. [E] qui, s'il s'est montré trop confiant, l'a tenue informée de l'état d'avancement du dossier de financement. Ce n'est qu'au mois d'avril 2015 qu'elle a utilisé la faculté que lui offre la loi de suspendre le chantier, décision à laquelle, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, M. [E] n'a pas répondu par de nouvelles pressions, n'ayant fait que souligner les risques qu'engendraient cette décision sur l'opération de commercialisation.
Le fait que M. [E] ait eu la double casquette de représentant de la société maître d'oeuvre et de la société maître de l'ouvrage ne peut davantage être analysé comme une manoeuvre de sa part pour éviter que les entreprises ne soient informées du défaut de solvabilité de la société Océan drive, ce qu'elles étaient en mesure de constater dès le défaut de paiement de la deuxième situation.
Il ne sera donc pas retenu que M. [E] a volontairement trompé la société [X] bâtisseurs sur la capacité financière de la société Océan drive à payer les travaux.
La société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, reprochent également à M. [E] d'avoir délibérément trompé les entreprises dès la signature du marché principal, le 16 janvier 2014, sur la qualité de la société Ocean drive de propriétaire des terrains.
Il est en effet indiqué dans l'article dudit marché 'Le Maître de l'Ouvrage, propriétaire d'un terrain sis [Adresse 11], souhaite réaliser la construction d'un ensemble commercial » alors que les contrats de vente n'ont été conclus que les 30 décembre 2014 et 2 janvier 2015.
Par suite, la société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, font également grief à M. [E] d'avoir mandaté les entreprises pour réaliser des travaux alors même que l'assiette foncière ne lui appartenait pas et prétendent qu'à la date de signature des actes authentiques de vente, les travaux réalisés par les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP s'élevaient déjà à une valeur de 1 257 126 euros.
M. [E] affirme, au contraire, que l'ordre d'effectuer les travaux a été donné en janvier 2015 et les travaux exécutés à compter de la mi-janvier 2015, date à partir de laquelle la société [X] bâtisseurs a réclamé la garantie de paiement. Elle fait observer qu'il n'y a d'ailleurs aucune facture de travaux émise à cette date-là.
Les parties sont donc en désaccord sur la date de démarrage des travaux.
M. [E] se prévaut des ordres de service, en considérant que doivent être considérés à part les travaux de désamiantage intervenus en amont de l'opération de construction.
Les intimés estiment que les ordres de service qui ont été régularisés ne correspondent pas à la réalité des dates de réalisation des travaux demandés aux entreprises, en faisant observer qu'ils ont été signés par M. [E] en sa double qualité de dirigeant de la société Océan drive et de la société ETB et prétendent que la société Océan drive avait déjà mandaté les entreprises pour intervenir sur le chantier non seulement pour le désamiantage (qui n'a jamais été payé) mais également pour les lots démolition et gros oeuvre, pour des travaux déjà réalisés au 31 décembre 2014 alors que la société Océan drive n'était pas propriétaire des terrains. Pour établir ce fait, les factures n'ayant été établies qu'après, les intimées renvoient aux comptes de la société Océan drive de l'année 2014.
Cependant, le détail du compte de résultat figurant dans ces comptes font apparaître, en 2014, en charges d'exploitation, des 'travaux et (illisible) promotion' d'un montant de 928 888 euros sans qu'il soit possible de savoir dans quelle mesure ce chiffre correspond aux travaux en cause.
Ainsi, il n'est pas démontré que lorsque la société Océan drive a demandé aux entreprises de commencer les travaux de démolition et de terrassement, elle n'était pas propriétaire de l'assiette foncière. Mais à supposer même qu'elle ne l'ait pas encore été, elle l'est devenue et l'est restée jusqu'à la résolution de la vente.
Les éléments soumis à la cour ne permettent pas de retenir que des délits de faux et usage de faux, en l'absence d'altération d'un écrit, d'escroquerie, en l'absence de manoeuvres dûment démontrées tendant à faire croire à un crédit inexistant, d'abus des biens ou du crédit de la société, en l'absence de preuve de l'usage contraire à l'intérêt social, invoqués par les intimées, soient constitués comme celles-ci le prétendent.
Cependant, si la société Ocean drive était bien propriétaire des terrains sur lesquels les travaux ont été entrepris, la société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, font observer, à juste titre, qu'elle n'avait pas encore obtenu les moyens d'en financer le prix à hauteur de 7 090 000 euros payable à terme, dans un délai de un à six mois de la date de signature des actes de vente alors qu'elle n'avait quasiment aucune disponibilité, ce dont elles déduisent que M. [E] se serait engagé sur des conditions d'achat qu'il savait que la société Océan drive ne pouvait pas tenir.
La société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, rappellent, ensuite, qu'après avoir négocié des délais avec les vendeurs, sans être en mesure de les respecter, la société Océan drive :
- s'est vue délivrer les 2 et 4 décembre 2015 deux commandements de payer visant la clause résolutoire,
- a acquiescé à l'acquisition de la clause résolutoire dans un avenant du 1er février 2016 et a obtenu de nouveaux délais pour s'acquitter du prix, sans pouvoir les respecter,
- s'est vue délivrer les 13 et 17 mai 2016 deux nouveaux commandements de payer la sommant de restituer les terrains et de les remettre dans leur état d'origine,
- s'est vue assigner en référé les 28 juillet 2016, 9 août 2016 puis 2 novembre 2016,
- par un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 10 mars 2017, s'est vue ordonner de libérer les terrains et de les restituer aux vendeurs.
Il ressort de cet arrêt de la cour d'appel de Poitiers rendu le 10 mars 2017, que ce n'est qu'après le 29 avril 2016, date jusqu'à laquelle les vendeurs avaient accepté de reporter l'exigibilité du solde des prix de vente, qu'ils ont fait jouer la clause résolutoire prévue aux contrats, laquelle avait d'ores et déjà été déclarée acquise selon protocole d'accord du 27 novembre 2015 modifié par avenant du 1er février 2016.
Ainsi jusqu'à cette date du 29 avril 2016, M. [E] pouvait encore croire que le projet pourrait aboutir, à supposer néanmoins, pour pouvoir le croire légitimement, qu'il fût possible à la société Océan drive d'en obtenir le financement. Aucun élément du dossier ne permet de savoir à quelle date tout espoir d'obtenir ce financement a été perdu. En revanche, il est certain qu'après que les vendeurs ont fait savoir à la société Océan drive qu'ils entendaient se prévaloir de la clause résolutoire définitivement acquise le 29 avril 2016, l'idée que le projet puisse être maintenu était devenue totalement déraisonnable.
Or, la cour observe que la société Océan drive a conclu le 11 mai 2016, avec la société [X] bâtisseurs un protocole d'accord ayant pour objet la reprise des travaux interrompus sous la condition de la capacité du maître de l'ouvrage à régler une partie des travaux exécutés et de démontrer sa capacité à régler les travaux futurs avant le 31 mai 2016.
C'est à tort que, pour faire obstacle à l'engagement de sa responsabilité comme dirigeant, M. [E] attache une autorité de la chose jugée à ce protocole d'accord auquel il n'est pas partie à titre personnel, ni la société MLTP, alors que, comme le font valoir justement les intimées, l'autorité de chose jugée attachée à une transaction n'a d'effets qu'entre les parties à cet acte en application des dispositions de l'article 2052 du code civil et, qu'au surplus, cette transaction a été résolue par jugement du 10 novembre 2017.
Il est produit aux débats un projet d'avenant du 21 mars 2017 au protocole d'accord du 11 mai 2016 qui mentionne que ce protocole a fait l'objet d'un avenant n°1, le 31 janvier 2017, qui reposait sur un accord entre Océan drive et les vendeurs de l'assiette foncière de la construction pour 'la réitération authentique' de la vente de l'immeuble objet du marché au plus tard le 28 février 2017. Mais un tel accord des vendeurs n'est pas démontré et au contraire, ces derniers ont assigné la société Océan drive aux mois de juillet et août 2016 en restitution des biens vendus et remise en état des lieux.
Il résulte de ce qui précède que si, en engageant les travaux sans avoir la certitude de leur financement et en pressant les entreprises de les réaliser afin de ne pas perdre les réservations faites sous condition de délai de livraison, jusqu'à la suspension du chantier au mois d'avril 2015, et ce, alors que les prix des terrains faisaient l'objet d'un crédit vendeur dont le remboursement n'était pas lui-même assuré, ce dont il ne les a pas informées, M. [E] a commis une faute, cette faute ne présente pas les caractères requis pour être considérée comme étant à la fois intentionnelle, c'est-à-dire avoir été commise avec la conscience du dommage pouvant être causé, et incompatible avec l'exercice normal des fonctions de dirigeant, et être, ainsi, détachable de ses fonctions dès lors que, bien qu'ayant engagé imprudemment une opération risquée pour la société Océan drive et potentiellement préjudiciable pour les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP en l'absence de moyens financiers pour y faire face, M. [E] a pu croire y parvenir avec succès et pouvoir payer les entreprises grâce au concours bancaire qu'il pensait pouvoir obtenir pour la société Océan drive compte tenu de l'accompagnement de la Banque populaire dont elle bénéficiait et faire face au prix d'achat des terrains comme le prévoyait le montage juridique et économique de l'opération, notamment grâce aux réservations déjà reçues. En revanche, il en va autrement après le mois d'avril 2016, date à compter de laquelle, sachant que la vente des terrains était résolue puisque la société Océan drive avait acquiescé à la réalisation de la clause résolutoire et n'avait pas respecté l'ultime délai qui lui avait été accordé, M. [E], en toute connaissance de cette situation irréversible, a persisté à demander à la société [X] bâtisseurs d'être prête à reprendre le chantier en prévision de concours financiers qui ne sont jamais venus et sur l'espoir desquels il n'apporte pas, d'ailleurs, le moindre élément, ce qui engage sa responsabilité personnelle.
Le préjudice qui découle pour le société [X] bâtisseurs de cette faute personnelle est limité aux frais d'immobilisation, pertes d'exploitation, suivis administratifs exposés après cette date du 29 avril 2016 et jusqu'à l'abandon définitif du projet de construction. Il n'est nullement démontré que la société [X] bâtisseurs aurait contribué à la réalisation de ces préjudices dès lors qu'il n'est pas établi ni même prétendu qu'elle savait à cette époque, tout au moins avant l' avenant n°1 du 31 janvier 2017, que la société Océan drive n'était plus propriétaire des terrains. Ces préjudices seront évalués, au vu des éléments d'évaluation retenus par la cour d'appel de Poitiers dans son arrêt du 14 janvier 2020, à un montant de 45 000 euros.
En revanche, la société MLTP n'allègue aucun autre préjudice que celui de ne pas avoir été payée de ses travaux exécutés avant le mois de mars 2015, sans relation causale avec la faute personnelle retenue.
Les autres fautes reprochées à M. [E] ne sont pas de nature à engager sa responsabilité personnelle au-delà de ces frais d'immobilisation, pertes d'exploitation et suivis administratifs.
Celle tenant à l'absence de garantie financière en méconnaissance des dispositions de l'article 1799-1 du code civil, qui n'est pas sanctionnée autrement que par la possibilité offerte à l'entreprise de surseoir à l'exécution du contrat, est liée à la faute examinée plus avant sur l'absence de financement de l'opération immobilière et, en tout état de cause, n'est pas séparable des fonctions exercées par M. [E] pour les motifs qui précèdent, en l'absence de circonstances en ce sens.
Celle tenant à ce que la déclaration de cessation des paiements de la société [X] bâtiments n'a été effectuée que le 14 novembre 2018, soit très largement au-delà du délai de quarante cinq jours après la date de la cessation des paiements que la société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, situent au moment où la société Océan drive a appris qu'elle n'obtiendrait pas les financements qu'elle escomptait pour être en mesure de mener à bien l'opération immobilière, sans préciser quelle en était précisément la date, est, certes, susceptible de constituer une faute de gestion, mais il n'est pas démontré qu'elle soit en relation causale avec le préjudice des entreprises constitué par les factures impayées correspondant à des travaux exécutés avant l'arrêt du chantier, le 20 avril 2015, dès lors que les éléments du dossiers ne permettent pas d'établir l'état de cessation des paiements à cette date.
Il en va de même de celle tenant au non-respect du délai de publication des comptes. L'article L. 232-22 du code de commerce imposait à la société Océan drive de déposer ses comptes annuels dans le mois suivant l'approbation des comptes annuels par l'assemblée générale, qui a eu lieu le 19 juin 2015, de sorte qu'elle avait jusqu'au 29 juillet 2015 pour le faire. Le délai de publication des comptes de l'année ayant expiré postérieurement à l'arrêt du chantier, le dépassement de ce délai est sans lien de causalité avec les frais de main d'oeuvre et de matériels qui étaient déjà engagés.
Sur les demandes accessoires
M. [E] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
Les autres demandes formées à ce titre seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Déclare irrecevables les prétentions de la société [X] bâtisseurs et la Selarl Humeau, ès qualités, tendant à l'irrecevabilité des conclusions de l'appelant, à la caducité de la déclaration d'appel et à voir dire que la cour n'est pas valablement saisie par M. [E] de certaines de ses prétentions.
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Ecarte la responsabilité personnelle de M. [E] dans le préjudice subi par les sociétés [X] bâtisseurs et MLTP résultant du défaut de paiement des travaux qu'elles ont réalisés pour la société Océan drive.
Dit que M. [E] a commis une faute détachable de ses fonctions en demandant, après le 29 avril 2016, à la société [X] bâtisseurs de pouvoir reprendre les travaux.
Condamne M. [E] à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices d'immobilisation, de pertes d'exploitation et de suivi administratif qui découlent de cette faute.
Rejette la demande d'indemnisation de la Selarl Humeau, ès qualités,
Condamne [E] aux dépens de première instance et d'appel.
Le condamne à payer à la société [X] bâtisseurs la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette la demande de la Selarl Humeau ès qualités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL