COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00372 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EUOI.
Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance d'ANGERS, décision attaquée en date du 24 Décembre 2019, enregistrée sous le n° 18/01756
ARRÊT DU 27 Octobre 2022
APPELANTE :
Madame [F] [P]
[Adresse 4]
[Adresse 2]/ALGERIE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001451 du 09/03/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
représentée par Me Céline TAVENARD de la SELARL OGER-OMBREDANE - TAVENARD SELARL, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
Etablissement Public IRCANTEC agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me SORIN avocat substituant Maître Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 71200105
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Septembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame DELAUBIER, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 27 Octobre 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame DELAUBIER, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [F] [P] a formulé en 2013 une demande de pension de réversion au titre des services militaires de son mari, M. [V] [C] [P], décédé le 15 février 1991 à Oues Cheham (Algérie), auprès des services de l'Institution de Retraite Complémentaire des Agents Non-Titulaires de l'Etat et des Collectivités publiques (ci-après l'Ircantec).
Par courrier du 10 octobre 2013, l'Ircantec a informé Mme [P] du rejet de sa demande, lui indiquant notamment que M. [P], en tant que harki, relevait en principe du régime général de la sécurité sociale algérienne et ne pouvait pas bénéficier des institutions de retraite complémentaire IPACTE et IGRANTE lesquelles ont précédé la création de l'Ircantec.
Contestant le rejet de sa demande, Mme [P] a saisi la commission de recours amiable de l'Ircantec par courrier du 10 décembre 2013.
Par courrier du 26 février 2014, la commission de recours amiable a indiqué à Mme [P] qu'elle ne réservait pas de suite favorable à sa demande.
Par acte d'huissier en date du 26 juin 2018, Mme [P] a fait assigner l'Ircantec devant le tribunal de grande instance d'Angers aux fins d'obtenir la validation des services dans l'armée française de son défunt mari, M. [P], ainsi que le versement d'une pension de réversion. Elle sollicitait également la condamnation de l'Ircantec à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'Ircantec s'est opposée aux prétentions de Mme [P] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 24 décembre 2019, le tribunal de grande instance d'Angers a débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, la condamnant aux dépens.
Pour statuer en ce sens, le tribunal de grande instance a notamment considéré que Mme [P] n'apportait aucun élément permettant d'attester du fait que son défunt mari ait occupé un emploi en qualité d'agent contractuel de droit public ni qu'il ait cotisé en qualité de harki auprès du régime général de sécurité sociale française. Il a par suite estimé que Mme [P] ne pouvait pas prétendre au versement de la pension de réversion sollicitée compte tenu de l'absence de prise en compte des services de M. [P] par l'Ircantec.
Mme [P] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 26 février 2020, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'elle énonce dans sa déclaration.
L'Ircantec a constitué avocat en qualité de partie intimée le 4 mars 2020.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 août 2022.
Le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 5 septembre 2022.
*
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [P], dans ses conclusions d'appelant, adressées au greffe le 30 mars 2020, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Angers du 24 décembre 2019 et en conséquence de :
- ordonner à l'Ircantec de valider les trimestres de M. [P] ;
- condamner l'Ircantec à lui verser la pension de réversion qui lui est due en raison des services accomplis dans l'armée française par M. [P], son époux décédé ;
- condamner l'Ircantec à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, Mme [P] s'appuie sur l'article 13 de l'arrêté du 30 décembre 1970 modifié, relatif aux modalités de fonctionnement du régime de retraite complémentaire des assurances sociales institué par le décret du 23 décembre 1970 et soutient que son mari a accompli des services pris en compte par le régime de la sécurité sociale. Elle ajoute produire le diplôme de son époux de la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l'ordre. De surcroît, elle estime que ce dernier a accompli un temps de service plus important que celui mentionné sur l'extrait des services. Elle assure alors que son défunt mari avait droit à une pension de retraite à verser par l'Ircantec laquelle doit être majorée compte tenu des quatre enfants qu'ils ont eu ensemble.
Mme [P] affirme en conséquence qu'elle est légitime à solliciter une pension de réversion en application de l'article 20 de l'arrêté du 30 décembre 1970 précité, compte tenu de ses quarante années de mariage avec M. [P].
*
L'Ircantec, dans ses conclusions, adressées au greffe le 27 avril 2020, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- dire Mme [P] non fondée en son appel et non recevable, en tout cas non fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- l'en débouter ;
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Angers le 4 décembre 2019 ;
- constater qu'elle fait une application exacte de sa réglementation en refusant d'accorder une pension de réversion à Mme [P] ;
- débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner Mme [P] aux dépens d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses intérêts, l'Ircantec fait valoir que même s'il avait été engagé sous contrat par l'autorité militaire et rémunéré par le budget de l'Etat, M. [P] était assujetti au régime général de sécurité sociale algérienne. Elle précise que seules les personnes résidant en France et de nationalité française ont vu leurs droits acquis auprès des caisses algériennes transférés à l'Ircantec, conformément aux décrets 64-1143 et 64-1144 pris en application de l'article 7 de la loi de finance rectificative pour 1963, ce qui n'était pas le cas de M. [P].
Elle signale que sur l'extrait des services de l'époux de Mme [P], les services de ce dernier ne réunissaient pas les conditions de validation prévues par le décret n°76-1111 du 29 novembre 1976.
Elle souligne que M. [P] n'a donc pas cotisé au régime des pensions civiles et militaires de retraites durant son engagement dans l'armée française.
L'Ircantec soutient par ailleurs que l'article 13 du décret du 30 décembre 1970 ne s'appliquait pas à M. [P] lequel a accompli son service dans l'armée française en qualité de harki et non pas au titre de la durée légale de service national.
Elle affirme ensuite que Mme [P] n'apporte aucun élément permettant d'attester du fait que son défunt mari aurait occupé un emploi en tant qu'agent contractuel de droit public ou encore qu'il aurait cotisé en qualité de harki auprès du régime général de sécurité sociale française.
L'Ircantec conclut qu'elle ne peut prendre en compte les services de M. [P] et qu'en conséquence, le régime ne peut pas accorder une pension de réversion à Mme [P].
***
MOTIVATION
Il est constant que M. [P] a servi en qualité de harki dans l'armée française pendant la période du 1er février 1958 au 31 juillet 1962.
Mme [P] ne justifie pas d'une durée plus longue accomplie à ce titre par son défunt mari, le document intitulé 'Extrait des services, mémoire des états des services' versé aux débats mentionnant au contraire la seule période du 26 octobre 1959 au 7 décembre 1959.
En tout état de cause, M. [P], en tant que harki, avait la qualité de supplétif de l'armée française, ce qui ne lui permettait pas de bénéficier du statut des militaires de carrière. Il relevait ainsi du régime général de la sécurité sociale algérienne.
Si les décrets n°64-1143 et 64-1144 prévoient les modalités de prise en compte par les régimes de retraite complémentaire des droits acquis ou en cours d'acquisition au titre des services accomplis sur le territoire algérien, c'est à la condition notamment, que, conformément au paragraphe I de l'article 7 de la loi de finances rectificative pour 1963, l'intéressé soit de nationalité française et résidant français.
L'appelante ne conteste pas que tel n'était pas le cas de son époux.
En outre, l'article 1er du décret n°76-1111 du 29 novembre 1976 dispose : 'Pour l'application de l'ordonnance n°62-301 du 16 juillet 1962 et de l'article 1er du décret n°61-1196 du 31 octobre 1961, les services effectués, entre le 1er novembre 1954 et le 2 juillet 1962, dans les formations supplétives en Algérie sont considérés comme des services militaires qui ouvrent droit au bénéfice du code des pensions civiles et militaires de retraite en faveur des membres de ces formations possédant la nationalité française au 31 décembre 1975".
Or, M. [P] ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de ces dispositions puisqu'il n'a jamais eu la nationalité française et qu'au surplus, il n'est pas justifié avoir cotisé au régime des pensions civiles et militaires de retraite pour les services qu'il a accomplis dans l'armée française, de sorte que ses services n'ont pu faire l'objet d'un rétablissement tel que prévu à l'article L.65 du code des pensions civiles et militaires de retraite.
L'extrait de services produit (pièce 3 de l'appelante) indique au demeurant qu'il ne remplit pas les conditions prévues audit décret.
Par ailleurs, Mme [P] se prévaut des dispositions de l'article 13 de l'arrêté du 30 décembre 1970 modifié, relatif aux modalités de fonctionnement du régime de retraite complémentaire des assurances sociales institué par le décret du 23 décembre 1970 qu'il conviendrait d'appliquer à la situation de son défunt époux, ajoutant que ce dernier aurait accompli des services pris en compte par le régime de la sécurité sociale.
Aux termes de cet article :
'Par. 1er - Les titulaires de la carte du combattant 1914-1918 de la médaille interalliée ont droit à la validation gratuite d'un temps égal à la période pendant laquelle ils ont été mobilisés entre le 2 août 1914 et le 28 juin 1919. Le nombre de points alloués est proportionnel à la moyenne annuelle des points de retraite acquis par les intéressés pour l'ensemble de leurs services pris en compte au titre du régime de l'IRCANTEC.
Par. 2 - Pour les années 1939 à 1945, sont comptées comme années de services les périodes de mobilisation, de captivité, de déportation et, plus généralement, celles pendant lesquelles l'intéressé a été tenu éloigné, du fait de la guerre ou de l'occupant ou pour participer à la Résistance, de l'emploi public qu'il occupait en qualité d'agent non titulaire. Elles donnent lieu à validation à titre gratuit, sous réserve que l'intéressé valide également les périodes de services antérieurs et éventuellement postérieurs à celle au cours de laquelle il était tenu éloigné de son emploi.
Le nombre de points de retraite acquis à ce titre est déterminé en fonction du traitement que percevait l'intéressé à la date de son éloignement de l'administration en tenant compte des tranches de salaire et du salaire de référence applicable à cette date.
Les dispositions ci-dessus s'appliquent également aux candidats aux services publics ayant été, par suite d'événements de guerre visés à l'alinéa précédent, empêchés d'y accéder, et qui, du fait de leur premier emploi ont été affiliés aux régimes ayant précédé celui de l'IRCANTEC. En ce cas, le nombre de points de retraite acquis à ce titre est déterminé en fonction de la première rémunération perçue.
Par. 3 - La durée légale du service militaire donne lieu à attribution de points à titre gratuit. Toutefois, le bénéfice de ces dispositions est limité aux agents visés à l'article 1er du décret n° 70-1277 du 23 décembre 1970 modifié, qui ont accompli au moins une année de service prise en compte par le régime.
Le nombre de points alloués est proportionnel à la moyenne annuelle des points de retraite acquis par les intéressés pour l'ensemble de leurs services pris en compte au titre du présent régime.
Par. 4 - Les périodes visées aux paragraphes 1, 2 et 3 ci-dessus ne peuvent être prises en considération lorsqu'elles sont susceptibles par ailleurs d'être retenues dans le calcul d'une pension ou allocation de retraite servie au titre d'un régime de retraite autre que le régime général ou le régime agricole des assurances sociales.
D'autre part, lesdites périodes ne peuvent, en aucun cas, faire l'objet de la validation prévue à l'article 12 du présent arrêté.
Lorsque la situation du participant conduit à inscrire un nouveau nombre de points de retraite à son compte, le nombre de points gratuits acquis antérieurement n'est pas révisé à la baisse, sauf en cas d'abus de droit de la part du demandeur.'
A la lecture de ce texte, il apparaît que seul le paragraphe 3 de l'article 13 serait susceptible de s'appliquer au cas de M. [P].
Cependant, les services de ce dernier dans l'armée française ont été accomplis en qualité de harki et non au titre de la durée légale de service national.
Par ailleurs, le bénéfice de ces dispositions exige que M. [P] puisse être considéré comme un agent entrant dans la catégorie visée à l'article 1er du décret n°70-1277 du 23 décembre 1970 modifié et qu'il ait accompli au moins une année de service prise en compte par le régime.
En effet, l'article 1er du décret n°70-1277 du 23 décembre 1970 modifié portant création d'un régime de retraites complémentaire des assurances sociales en faveur des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques, dans sa version applicable au litige, dispose que :
' Les agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques définies à l'article 3 bénéficient, à titre complémentaire, du régime général ou du régime agricole des assurances sociales, d'un régime de retraite par répartition dans les conditions définies par le présent décret.
Bénéficient également de ce dernier régime les agents titulaires des départements, des communes et des établissements publics départementaux ou communaux qui ne relèvent pas de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.'
L'article 3 précise que 'le régime complémentaire géré par l'Ircantec s'applique à titre obligatoire :
a) aux administrations, services et établissements publics de l'Etat, des régions, des départements et des communes, notamment aux établissements publics de coopération intercommunale (...) ;
b) à la Banque de France et aux exploitations de production, de transport et de distribution d'énergie électrique et de gaz ;
c) aux organismes d'intérêt général à but non lucratif dont le financement est principalement assuré par des fonds publics'.
Ainsi que le rappelle à juste titre le tribunal, pour pouvoir être affilié à l'Ircantec, il faut bénéficier pour les mêmes services d'une affiliation au régime général ou au régime agricole des assurances sociales.
Tout comme les premiers juges, la cour relève qu'il n'est pas apporté d'élément justifiant que M. [P] ait occupé un emploi en tant qu'agent contractuel de droit public ni que celui-ci ait cotisé en qualité de harki auprès du régime général de sécurité sociale française.
Dès lors, faute de rapporter la preuve de l'existence de services pouvant être pris en compte par l'Ircantec, c'est avec raison que le tribunal a considéré que Mme [P] ne pouvait pas prétendre au versement d'une pension de réversion et rejeté sa demande.
Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
L'équité conduit à ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
Mme [P], partie perdante, doit être condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel, étant rappelé que celle-ci bénéficie de l'aide juridictionnelle totale.
***
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Angers le 24 décembre 2019 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [F] [P] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
CONDAMNE Mme [F] [P] aux entiers dépens de la procédure d'appel, étant rappelé que celle-ci bénéficie de l'aide juridictionnelle totale.
LE GREFFIER,P/ LE PRÉSIDENT empêché,
Viviane BODIN M-C. DELAUBIER