COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
YB/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 18/00366 - N° Portalis DBVP-V-B7C-EIQR
Jugement du 30 Janvier 2018
Tribunal paritaire des baux ruraux d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 17000008
ARRET DU 27 SEPTEMBRE 2022
APPELANTS :
Madame [A] [L] épouse [C]
née le 22 Juillet 1964 à [Localité 24] (49)
[Adresse 25]
[Localité 16]
Monsieur [H] [L]
né le 22 Février 1944 à [Localité 26] (49)
[Adresse 1]
[Localité 14]
Comparants, assistés de Me Stéphanie SIMON de la SELARL ADEO - JURIS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 160079
INTIMES :
Monsieur [X] [J]
né le 02 Septembre 1969 à [Localité 24] (49)
[Adresse 28]
[Localité 15]
E.A.R.L. [...]
[Adresse 28]
[Localité 15]
Non comparants, représentés par Me Jean charles LOISEAU de la SELARL GAYA, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 21 Février 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur BRISQUET, Conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur BRISQUET, Conseiller
Madame ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 27 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseiller faisant fonction de Président, et par Christine LEVEUF, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant acte authentique du 22 novembre 1990, M. [S] [L] a donné à bail rural à long terme à M. [V] [J] et son épouse Mme [F] [E] des parcelles situées sur la commune de [Localité 26], cadastrées section C n° [Cadastre 20], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 6]p à [Cadastre 11] pour une contenance de 15ha 48a 3ca et sur la commune de [Localité 29], cadastrées section A n° [Cadastre 17], [Cadastre 18] et [Cadastre 19] pour une contenance de 4ha 59a 58ca, et ce à compter du 1er décembre 1990 jusqu'au 30 novembre 2008.
Le bail s'est renouvelé pour une période de 9 années à compter du 1er décembre 2008 jusqu'au 30 novembre 2017.
M. [S] [L] est décédé le 3 mars 2011.
Par acte d'huissier du 24 mai 2016, M. [H] [L] et Mme [A] [L] épouse [C], venant aux droits de M. [S] [L], ont fait signifier à M. [X] [J], fils de M. [V] [J] et Mme [F] [E] épouse [J], et à l'EARL [...], à laquelle les biens loués sont mis à disposition, un congé pour le 30 novembre 2017 avec refus de renouvellement, congé motivé par des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
Le 5 août 2016, M. [X] [J] et l'EARL [...] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de [Localité 23] aux fins de contester ce congé et solliciter la fixation des conditions du prix de fermage renouvelé. Par jugement du 31 mars 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux de [Localité 23] a renvoyé l'affaire devant celui d'Angers en application de l'article L. 111-6° du code de l'organisation judiciaire et des articles 355 et 358 du code de procédure civile.
Par jugement du 30 janvier 2018, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Angers a :
- débouté M. [H] [L] et Mme [A] [C] née [L] de leurs demandes tendant à voir ordonner la production de pièces ou une mesure d'instruction,
- débouté M. [H] [L] et Mme [A] [C] née [L] de leur demande de résiliation du bail pour cession illicite,
- prononcé la nullité du congé délivré à la demande de M. [H] [L] et Mme [A] [C] née [L] à M. [X] [J] et à l'EARL [...] par exploit d'huissier du 24 mai 2016,
- déclaré irrecevables M. [H] [L] et Mme [A] [C] née [L] en leur demande d'indemnisation au titre de travaux de remise en état,
- déclaré M. [X] [J] et l'EARL [...] recevables en leur demande de fixation du prix du bail renouvelé,
- Avant dire droit sur la demande de fixation du prix du bail renouvelé, ordonné une expertise et désigné pour y procéder M. [N] [P], expert agricole et foncier, avec la mission suivante :
* prendre connaissance des éléments du dossier et se faire remettre tous documents utiles, notamment le bail authentique du 22 novembre 1990,
* convoquer et entendre les parties, ainsi que leurs avocats,
* se rendre sur les lieux objet du bail authentique du 22 novembre 1990, les visiter et les décrire,
* définir la catégorie des biens loués, en précisant la superficie des terres de chaque catégorie,
* rechercher la valeur locative actuelle des parcelles louées à compter de la date du renouvellement du bail (soit le 1er décembre 2017) en application des articles L. 411 à 16 du code rural et des dispositions de l'arrêté préfectoral du Maine-et-Loire en vigueur, dans les limites des maxima et minima définis par cet arrêté, en indiquant le mode de calcul employé, ainsi que les éléments à prendre en considération,
* d'une manière générale, donner tous éléments paraissant utiles à la solution du litige,
- invité l'expert à communiquer un pré-rapport aux parties, recueillir leurs observations, et y répondre dans le rapport, conformément aux dispositions de l'article 276 du code de procédure civile,
- dit que l'expert déposera son rapport écrit en double exemplaire au greffe du tribunal d'instance d'Angers dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé du versement de la consignation et en adressera une copie à chacune des parties,
- dit que M. [X] [J] devra consigner entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal la somme de 1 500 euros à valoir sur la rémunération de l'expert, et ce avant le vendredi 16 mars 2018,
- rappelé qu'à défaut de consignation de la provision dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque et ainsi privée de tout effet,
- dit qu'en cas de difficulté, il en sera référé au président du tribunal paritaire des baux ruraux par simple requête de la partie la plus diligente,
- dit qu'en cas d'empêchement de l'expert commis, il sera remplacé par ordonnance sur simple requête,
- débouté les parties de leurs autres prétentions,
- dit que l'affaire sera rappelée par le greffe à l'audience du tribunal paritaire des baux ruraux d'Angers après le dépôt du rapport d'expertise,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision,
- condamné in solidum M. [H] [L] et Mme [A] [C] née [L] à payer à M. [X] [J] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens.
M. [H] [L] et Mme [A] [C] ont interjeté appel à l'encontre du jugement qui leur avait été notifié le 31 janvier 2018 par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 27 février 2018.
Par ordonnance du 18 octobre 2019 rendue sur requête, la présidente de la chambre civile A de la cour d'appel d'Angers a autorisé les appelants à faire effectuer un constat d'huissier sur les parcelles données à bail.
L'affaire a été appelée à l'audience devant le conseiller rapporteur du 21 février 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions récapitulatives du 11 février 2022, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Mme [A] [L] épouse [C] et M. [H] [L] (les consorts [L]) sollicitent l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, hormis celles ayant refusé d'ordonner l'exécution provisoire et ayant réservé les dépens, et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :
- enjoindre à M. [J] d'avoir à justifier ce qui est contesté par les bailleurs, savoir que les parcelles A [Cadastre 17], C [Cadastre 2] et [Cadastre 8] seraient pré-localisées en zones humides par la DREAL des Pays de la Loire, en versant aux débats ce document ainsi que l'étude réalisée par la chambre d'agriculture,
- enjoindre à M. [J] d'avoir à verser aux débats les derniers bilans de l'EARL de 2010 à ce jour et de fournir toutes informations sur les mouvements intervenus au sein de l'EARL [...] en juillet 2018 et en juin 2019 ;
Au fond :
- ordonner la résiliation du bail pour cession illicite,
- dire et juger que les comportements du preneur sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds,
- ordonner la résiliation du bail pour modification et défaut d'entretien des parcelles données à bail rural,
- valider le congé délivré le 24 mai 2016 à M. [J] à effet au 30 novembre 2017,
- dire que la date d'effet du congé est le 30 novembre 2017,
- dire et juger que M. [J] est occupant sans droit ni titre des parcelles à compter de cette date,
- ordonner la libération des lieux,
- condamner en conséquence M. [J] et tout occupant de son chef à libérer les parcelles litigieuses à cette date et au plus tard dans le mois suivant la décision à intervenir, et ce au besoin au moyen de la force publique,
- condamner M. [J] au paiement d'une indemnité d'occupation sur la base du prix du loyer pour toute occupation postérieure au 30 novembre 2017,
- condamner M. [J] à une astreinte de 150 euros par jour de retard à défaut de libération des parcelles dans le mois suivant la décision à intervenir,
- dire qu'à défaut d'avoir quitté les lieux dans le délai imparti, il pourra être procédé à l'expulsion de M. [J] et de tout occupant de son chef, si besoin avec le concours de la force publique,
Avant dire droit :
- ordonner une mesure d'expertise judiciaire, afin d'évaluer les préjudices subis par eux, laquelle pourrait être confiée à M. [U] [K], expert judiciaire, avec notamment la mission suivante :
* décrire les parcelles louées avant les aménagements réalisés par le preneur (sur pièces),
* décrire les parcelles louées après les aménagements réalisés par le preneur,
* évaluer les conséquences/incidences des méthodes mises en 'uvre par le preneur sur les parcelles données à bail en décrivant les parcelles telles qu'initialement louées (classement, productivité... au besoin en obtenant la communication des éléments comptables de l'exploitant) et en décrivant les conséquences à terme (court, long et moyen terme) sur les parcelles (classement productivité valeur),
* chiffrer les conséquences par rapport à l'usage des terres et à la valeur du patrimoine rural,
- surseoir à statuer sur leurs demandes indemnitaires dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,
- dire et juger irrecevable la demande de révision du prix du fermage de M. [J] et l'en débouter,
- débouter M. [J] de sa demande d'expertise judiciaire,
- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- condamner M. [J] et l'EARL [...] à leur verser la somme de 3 500 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels comprendront le coût des constatations réalisées par le procès-verbal de constat sur ordonnance en date du 16 avril 2021 d'un coût total de 2 294,02 euros TTC.
*
Par conclusions récapitulatives du 11 février 2022, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, l'EARL [...] et M. [J] sollicitent la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demandent à la cour, au visa des articles L. 411-35, L. 411-27, L. 411-28, L. 411-50 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime de :
- débouter M. [H] [L] et Mme [A] [C] de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner M. [H] [L] et Mme [A] [C] à verser à M. [J] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [H] [L] et Mme [A] [C] aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la demande en résiliation du bail pour cession illicite
Selon l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. À défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
Les appelants soutiennent que la cession du bail par M. [V] [J] et Mme [F] [J] au profit de leur fils à compter du 1er septembre 2002 est intervenue dans des conditions troubles qui ne reflètent pas un accord non équivoque de M. [S] [L]. Ils font valoir que le document manuscrit invoqué par les intimés n'a pas été rédigé de la main de ce dernier, qu'il comporte une erreur de dénomination concernant son domicile (les [...] au lieu de l'[Localité 21]), qu'il valide inutilement un bail qui était déjà en cours depuis 1990 et qu'il n'était destiné qu'à soutirer une signature validant la transmission du bail.
M. [J] soutient que la signature figurant sur ce document correspond parfaitement à celle figurant sur la carte d'identité de M. [S] [L], que l'erreur de domicile n'en est pas une, que l'accord du bailleur pour une cession de bail n'est soumis à aucun formalisme et qu'aucun vice du consentement n'est démontré. Il ajoute que la demande de résiliation pour cession illicite présentée 14 ans après est révélatrice de la mauvaise foi des bailleurs qui avaient parfaitement conscience qu'il était le nouveau preneur à bail, ce qui est corroboré par le fait qu'il était destinataire du congé.
Le document litigieux est ainsi rédigé :
'Je soussigné [S] [L] demeurant à [Localité 26], [...] (ou [...]), donne mon accord pour un bail réalisé le 22 novembre 1990, chez Maître [M] au profit de M. et Mme [J] demeurant [Adresse 27], pour une surface de 20ha 07a 61ca conclu pour une durée de 18 années à compter du 1er décembre 1990. Autorise la suite du bail en cour(s) au profit de M. [J] [X] à compter du 1er septembre 2002.
Fait le 10 août 2002 à [Localité 26]'.
La signature figurant en bas de page au nom du bailleur est en tout point similaire à celle figurant sur la carte d'identité de M. [S] [L] et aucun élément ne permet de la remettre en cause.
Le bail notarié du 22 novembre 1990 indique que M. [S] [L] demeurait alors à '[Localité 26], [...]'. Le rédacteur du texte n'a donc fait que reprendre cet acte, avec une écriture qui laisse à penser qu'il s'agit du mot [...] mais aucune conséquence ne peut en être tirée. Le texte réitère un accord portant sur le bail notarié du 22 novembre 1990 qui est bien entendu inutile mais cette maladresse de rédaction s'explique à l'évidence par la volonté de souligner que l'autorisation de cession porte précisément sur ce bail.
Si les appelants font part de leurs interrogations au sujet d'un consentement éclairé de la part du bailleur, ils ne rapportent cependant pas la preuve d'un vice du consentement et aucun moyen en ce sens n'est d'ailleurs explicitement invoqué.
Il en résulte que M. [S] [L] a bien signé le document valant autorisation de cession du bail en faveur de M. [J] et qu'aucun élément objectif ne permet de mettre en doute la validité de son consentement.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [L] de leur demande de résiliation du bail pour cession illicite.
- Sur le congé délivré à M. [J] et à l'EARL [...]
Il résulte de la combinaison des articles L. 411-53 et L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime que le bailleur peut s'opposer au renouvellement du bail s'il justifie que le preneur a commis des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
Selon la motivation du congé délivré par les bailleurs le 24 mai 2016, le preneur aurait modifié les terres de l'exploitation pour y faire des zones humides, en réalisant des retenues d'eau et en plantant des arbres. Il est également indiqué que la modification et le défaut d'entretien des terres dévaloriseraient les terres agricoles et que les travaux auraient été faits sans autorisation.
Les appelants font valoir que si le preneur peut décider de mettre en oeuvre des pratiques agro-environnementales qui ont notamment pour objet la préservation de la ressource en eau et de la biodiversité, les pratiques culturales concernées sont toutefois listées de manière exhaustive à l'article R. 411-9-11-1 du code rural et de la pêche maritime et il n'est pas prévu la possibilité de créer des retenues d'eau en plantant des arbres. Ils ajoutent que M. [J] opère une confusion entre les pratiques culturales qui peuvent être imposées par le bailleur dans le bail rural et des pratiques que le preneur ne peut imposer sans autorisation au bailleur, d'autant qu'elles engendrent une dénaturation des parcelles et un morcellement des terres agricoles qui dévalorise leur patrimoine. Ils soutiennent qu'il a été donné à bail une terre en nature de pré de fauche, de terre et de vigne mais qu'elle n'est plus aujourd'hui cultivable, les sols étant dénaturés et que, sous couvert de préoccupations environnementales, les aménagements ont eu pour effet de rendre la terre à l'état sauvage dans le seul but d'assouvir la passion dévorante de M. [J] pour la chasse. Ils estiment que du fait de la création de trous d'eau, l'humidité est excessive et rend impossible l'activité agricole et que la plantation d'arbres et de haies à n'importe quel endroit rend difficile l'exploitation, en divisant le parcellaire. Ils soutiennent qu'il ressort du procès-verbal de constat autorisé par ordonnance que les parcelles ne sont pas entretenues ni cultivées pour nombre d'entre elles et que les transformations effectuées ont complètement modifié la nature des parcelles et leur qualité. Ils considèrent qu'il faudra des années pour remettre en état les parcelles et retrouver leur classement initial et qu'il est démontré l'existence de comportements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
En réponse, M. [J] soutient qu'une partie des parcelles qui lui sont louées sont des parcelles humides ou localisées en zone humide et ce depuis le commencement du bail, de sorte qu'il conteste avoir modifié la nature de ces parcelles du fait des aménagements qu'il a réalisés. Il conteste le mauvais entretien des parcelles en se référant aux photographies figurant dans le procès-verbal de constat produit par les appelants. Il fait valoir que les actions qu'il a mises en oeuvre entrent dans les prévisions de l'article L. 411-27 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime et souligne que ces démarches environnementales ont été prises en concertation avec le réseau agriculture et biodiversité en Maine-et-Loire, le lycée [22] (à travers notamment la réalisation d'un mémoire par trois étudiants en BTSA gestion et protection de la nature intitulé 'Restauration de zone humide renforçant le caractère hydromorphe sur l'exploitation [...]'), le Centre permanent d'initiative pour l'environnement, la chambre d'agriculture et la mission Bocage. Il affirme que les aménagements de légers merlons de terre et la plantation d'arbres ne présentent pas uniquement un intérêt pour la chasse mais sont un véritable outil de travail dans l'amélioration des conditions d'élevage des animaux et d'enrichissement des sols.
Il n'est pas contesté que le preneur a réalisé des aménagements sur certaines des parcelles faisant l'objet du bail sans requérir l'autorisation préalable des bailleurs. Sous réserve de ne pas compromettre la bonne exploitation du fonds, le défaut d'autorisation préalable n'est toutefois pas sanctionné par la résiliation du bail, même s'il peut en revanche conduire à priver le preneur de l'indemnité d'amélioration en sortie de bail.
Les deux premiers alinéas de l'article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime sont ainsi rédigés :
'Les obligations du preneur relatives à l'utilisation du fonds pris à bail sont régies par les dispositions des articles 1766 et 1767 du code civil.
Le fait que le preneur applique sur les terres prises à bail des pratiques ayant pour objet la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des paysages, de la qualité des produits, des sols et de l'air, la prévention des risques naturels et la lutte contre l'érosion ne peut être invoqué à l'appui d'une demande de résiliation formée par le bailleur en application du présent article'.
Le dernier alinéa de l'article L. 411-27 dispose que 'Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application des troisième à avant-dernier alinéas du présent article, notamment la nature des clauses qui peuvent être insérées dans les baux'. L'article R. 411-9-11-1 définit les clauses pouvant être incluses dans les baux ruraux dans les cas prévus aux troisième à sixième alinéas de l'article L. 411-27.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, l'article R. 411-9-11-1 ne s'applique pas au présent litige et il importe donc peu que cet article ne vise pas expressément la création de retenues d'eau (par l'implantation de merlons par exemple) ni la plantation d'arbres. Il appartient donc à la juridiction d'apprécier les pratiques culturales mises en oeuvre par le preneur par référence aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 411-27, sans qu'elle soit tenue de se référer à une liste exhaustive.
Le procès-verbal de constat établi sur ordonnance le 16 avril 2021 par Me [T], huissier de justice, ne met pas en évidence l'existence de transformations sur la majorité des parcelles ni un mauvais entretien. Il est par exemple indiqué que :
- les parcelles C [Cadastre 13] (anciennement C [Cadastre 10] avant division) et C [Cadastre 11] qui forment un désormais un pâturage d'une surface d'environ 6 hectares présentent un aspect entretenu ;
- la parcelle C [Cadastre 9] d'une surface de 2ha 15a 05ca est un pâturage d'aspect plat, avec une haie de délimitation bien entretenue ;
- la parcelle A [Cadastre 19] d'une surface de 1ha 55a 00ca est à l'usage de pâture et dispose d'une clôture en bon état et d'une haie naturelle entretenue ;
- la parcelle A [Cadastre 18] d'une surface de 2ha 42a 33ca est cultivée dans sa totalité en mélange céréalier, avec une clôture en bon état et une haie naturelle entretenue.
Les changements mis en oeuvre par M. [J] concernent :
- la parcelle C [Cadastre 8] (72a 01ca) qui est une pâture sur laquelle l'huissier a constaté la présence de deux remblais d'environ 40 à 60 centimètres de hauteur en arcs de cercle. M. [J] a indiqué à l'huissier qu'il a effectivement fait modifier ce terrain afin de créer des merlons (petits talus) permettant une rétention d'eau en hiver pour abreuver ses bêtes, ce projet ayant été encadré par le Centre permanent d'initiative pour l'environnement et la police de l'eau ;
- la parcelle C [Cadastre 7] (1ha 02a 15ca) avec la présence d'une mare de 15 à 25 mètres de large sur environ 30 mètres de long ainsi que de deux talus ;
- la parcelle C [Cadastre 2] (75a 53ca) avec la présence d'un petit étang de faible niveau d'eau et de merlons. M. [J] a précisé à l'huissier que les aménagements ont été effectués dans les mêmes conditions et avec les mêmes intervenants que pour la parcelle C [Cadastre 8]. L'huissier a constaté la quasi absence de végétation spontanée sur cette parcelle, malgré l'humidité importante du sol, et M. [J] lui a précisé que la rétention d'eau trop prolongée a empêché l'herbe de repousser à certains endroits ;
- la parcelle A [Cadastre 17] (62a 25ca) qui se situe dans la continuité de la parcelle C [Cadastre 2], qui a fait l'objet d'aménagements similaires, l'huissier ayant constaté la présence de merlons et d'une mare.
Pour le surplus, le procès-verbal de constat ne met pas en évidence un défaut d'entretien caractérisé, si ce n'est la présence de ronces en épaisseur sur la parcelle C [Cadastre 20] (15a 63ca) dont le sol est très humide et à usage de pâture ainsi qu'un petit terrain clôturé, situé à l'arrière de la maison sur la parcelle C [Cadastre 12], qui n'est pas entretenu mais dont la surface semble être limitée d'après les photographies à une centaine de mètres carrés.
Il convient donc de rechercher si M. [J] a effectivement transformé en zones humides des parcelles qui étaient mentionnées dans le bail comme étant en nature de pré ou de terre et a ainsi modifié leur nature.
Le 25 juillet 2016, le chef du service eau, environnement, forêt de la direction départementale des territoires, placé sous l'autorité du préfet de Maine-et-Loire, a adressé un courrier à M. [J] indiquant qu'après instruction du projet et visite sur site, il a été constaté et convenu ce qui suit :
'- les parcelles A[Cadastre 17], C[Cadastre 2] de la commune de [Localité 26] étaient pré-localisées en zone humide par la DREAL des Pays de la Loire ;
- les parcelles A[Cadastre 17], C[Cadastre 2] et [Cadastre 8] de la commune de [Localité 26] présentaient les caractéristiques floristiques et pédologiques des zones humides, conformément à la réglementation en vigueur ;
- ces zones humides constituaient les têtes de bassin versant de petits écoulements affluents du Passe-Gain, affluent de l'Avresne ;
- le projet consistant à accentuer le caractère humide de ces parcelles ne relevait pas d'une procédure au titre de l'article R. 214-1 du code de l'environnement ;
- le projet consistant à réaliser de légers merlons sur les parcelles susmentionnées ferait l'objet d'un contrôle de conformité après réalisation ;
- le contrôle réalisé le 16 septembre 2014 par MM. [W] de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques et Dupret de la direction départementale des territoires de Maine-et-Loire a permis d'établir la conformité des travaux réalisés avec le projet présenté en 2012.
Les travaux effectués permettent d'accroître le caractère humide de ce milieu, action très favorable sur les têtes des bassins versant (dénitrification et soutien d'étiage accrus) et favorisent l'implantation d'une faune et d'une flore plus diversifiées sur ces prairies'.
Cette lettre officielle de l'administration en charge des questions relatives à l'eau et à l'environnement suffit à établir que les parcelles litigieuses sont bien situées en zone humide et l'étaient déjà avant les travaux entrepris par le preneur. Il n'y a pas lieu d'enjoindre à M. [J] de communiquer le document de la DREAL à laquelle cette lettre fait référence ni une étude de la chambre d'agriculture.
Le caractère humide de la zone est en outre amplement développé et expliqué dans le mémoire des trois étudiants en BTSA gestion et protection de la nature qui est intégralement produit aux débats. Il y est également exposé que la création de mares est favorable à la biodiversité tandis que les merlons favorisent la rétention des eaux.
Il n'est pas démontré que M. [J] a opéré un changement de la nature des parcelles concernées même si les aménagements ont eu pour effet d'accentuer le caractère humide desdites parcelles, ainsi que le précise l'administration dans la lettre précitée. En tout état de cause, les objectifs poursuivis par ces aménagements sont conformes à ceux énoncés par l'alinéa 2 de l'article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime et ne peuvent par conséquent être invoqués pour justifier une résiliation du bail.
Il est en outre important de souligner que les aménagements concernent des parcelles d'une surface d'environ 3 hectares sur les 20 hectares concernés par le bail.
Les consorts [L] évoquent également le mauvais entretien de la parcelle n° [Cadastre 5] en nature de vigne qui aurait été mise à disposition en son temps par M. [S] [L] à M. [V] [J], sans augmentation du fermage, avant la reprise par son fils qui l'aurait ensuite laissée à l'abandon. Le bail du 22 novembre 1990 ne mentionne cependant pas la parcelle n° [Cadastre 5] ni aucune parcelle en nature de vigne et le congé délivré le 24 mai 2016 ne vise pas cette parcelle. Le procès-verbal de constat d'huissier ne consacre aucun développement à une parcelle n° [Cadastre 5] et cet argument est par conséquent inopérant.
Pour le surplus, les quelques défauts d'entretien mineurs qui ressortent du procès-verbal de constat d'huissier qui concernent soit la présence de ronces à quelques endroits, soit des très petites surfaces non exploitées, ne permettent pas de caractériser des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement ayant prononcé la nullité du congé délivré le 24 mai 2016.
Il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise pour rechercher les préjudices subis par les bailleurs et le jugement doit être confirmé en ce qu'il les a déclarés irrecevables en leur demande d'indemnisation au titre des travaux de remise en état, lesquels ne peuvent être sollicités qu'à l'expiration du bail en application de l'article L. 411-72 du code rural et de la pêche maritime.
- Sur la demande de communication de pièces concernant l'EARL [...]
Dans le dernier état de leurs conclusions reprises oralement, les consorts [L] entendent obtenir la communication des derniers bilans de l'EARL de 2010 à ce jour ainsi que toutes informations sur les mouvements intervenus en son sein en juillet 2018 et en juin 2020. Ils communiquent un document Infogreffe faisant état notamment de la démission du gérant le 24 juillet 2018 et de la nomination d'un nouveau gérant le 25 juin 2020. Ils font valoir qu'il n'y pas eu d'information donnée au bailleur sur la création de l'EARL et que tout mouvement dans la société doit être porté à la connaissance de ce dernier. Ils s'interrogent sur la question de savoir si l'EARL et M. [J] se consacrent toujours à l'exploitation effective des terres faisant l'objet du bail.
Toutefois, il ne résulte pas du dispositif des dernières conclusions reprises oralement que les consorts [L] entendent désormais fonder leur demande en résiliation du bail sur le défaut d'exploitation personnelle de M. [J] ou de l'EARL.
En conséquence, la demande de production de pièces est sans intérêt pour la solution du litige et il n'y pas lieu de l'ordonner.
- Sur la demande de révision du prix du fermage
Les consorts [L] soutiennent que cette demande est irrecevable faute d'avoir été présentée au cours de la troisième année de jouissance, conformément à l'article L. 411-13 du code rural et de la pêche maritime.
Les premiers juges ont toutefois exactement retenu que l'article L. 411-50 n'impose aucun délai pour former une demande en fixation du prix du bail renouvelé, et qu'en l'espèce, le bail s'est renouvelé à compter du 1er décembre 2008 puis à nouveau le 1er décembre 2017.
La demande est par conséquent recevable.
M. [J] fait valoir que le montant du fermage s'élève à 146 euros par hectare pour l'année 2016 alors que ce prix correspond selon l'arrêté préfectoral du 21 octobre 2016 à des terres de catégorie I qui est définie, par l'arrêté préfectoral de 1997, comme étant une «terre profonde, de bonne qualité, non aride et sans humidité gênante, permettant l'obtention, soit de hauts rendements en blé, soit de luzerne durable, soit de riches prairies avec points d'eau en permanence et permettant 65-60 pts l'engraissement des animaux». Il soutient que la terre louée relève tout au plus de la catégorie 3 dont le fermage se situe entre 101,52 euros et 121,82 euros à l'hectare.
Les consorts [L] s'opposent à cette demande en faisant valoir que ce sont les agissements de M. [J] qui diminuent l'intérêt agricole des parcelles louées, notamment en les rendant plus humides, et qu'il ne saurait se prévaloir de sa propre faute.
Toutefois, en raison du caractère d'ordre public du statut du fermage, le preneur ne peut être privé du droit de faire réviser le prix du bail. En outre, les agissements critiqués par les consorts [L] ne portent que sur une partie des terres faisant l'objet du bail et il résulte de ce qui précède que certaines parcelles faisant l'objet du bail étaient déjà situées en zone humide.
Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement ayant ordonné une expertise.
L'alinéa 1er de l'article 568 du code de procédure civile, tel qu'il résulte du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, est ainsi rédigé : 'Lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction'.
En vertu du décret n° 2017-1227 du 2 août 2017, cette nouvelle rédaction s'applique aux appels formés à compter du 1er septembre 2017, ce qui est le cas en l'espèce.
Il résulte de ce texte que la cour d'appel n'a pas à évoquer les suites de l'affaire lorsqu'elle confirme le jugement ayant ordonné l'expertise.
La procédure se poursuivra donc devant le tribunal paritaire des baux ruraux d'Angers en ce qui concerne le suivi de l'expertise et, le cas échéant, la fixation du prix du bail révisé.
Il convient simplement pour la cour de préciser que la consignation, si elle n'a pas déjà été versée par M. [J], devra l'être entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la juridiction de première instance dans le délai de deux mois suivant le prononcé du présent arrêt.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par M. [J] et de condamner les consorts [L] à lui payer la somme de 1 500 euros sur ce fondement.
Les consorts [L], partie perdante, doivent être déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
DÉBOUTE Mme [A] [L] épouse [C] et M. [H] [L] de leurs demandes tendant à enjoindre à M. [X] [J] de :
- justifier que les parcelles A [Cadastre 17], C [Cadastre 2] et [Cadastre 8] seraient pré-localisées en zones humides par la DREAL des Pays de la Loire, en versant aux débats ce document ainsi que l'étude réalisée par la chambre d'agriculture ;
- verser aux débats les derniers bilans de l'EARL [...] de 2010 à ce jour et de fournir toutes informations sur les mouvements intervenus au sein de l'EARL [...] en juillet 2018 et en juin 2019 ;
CONFIRME le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux d'Angers du 30 janvier 2018 ;
Y ajoutant,
RENVOIE l'affaire devant le tribunal paritaire des baux ruraux d'Angers pour la suite de la procédure après expertise ;
DIT que la consignation, si elle n'a pas déjà été versée par M. [X] [J], devra l'être entre les mains du régisseur du régisseur d'avances et de recettes de la juridiction de première instance dans le délai de deux mois suivant le prononcé du présent arrêt ;
CONDAMNE Mme [A] [L] épouse [C] et M. [H] [L] à payer à M. [X] [J] la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE Mme [A] [L] épouse [C] et M. [H] [L] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [A] [L] épouse [C] et M. [H] [L] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER