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30/06/2022 | FRANCE | N°19/00088

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 30 juin 2022, 19/00088


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale













ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00088 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EOMP.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 17 Octobre 2014, enregistrée sous le n° F 13/00036





ARRÊT DU 30 Juin 2022





APPELANTE :



S.A.R.L. BETON-CITRON

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par

Maître Henri LETROUIT, avocat au barreau du MANS







INTIMEE :



Madame [A] [G]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me MURILLO, avocat substituant Maître Alain PIGEAU de la SCP PIGEAU - CONTE - MURI...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00088 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EOMP.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 17 Octobre 2014, enregistrée sous le n° F 13/00036

ARRÊT DU 30 Juin 2022

APPELANTE :

S.A.R.L. BETON-CITRON

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Maître Henri LETROUIT, avocat au barreau du MANS

INTIMEE :

Madame [A] [G]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me MURILLO, avocat substituant Maître Alain PIGEAU de la SCP PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Avril 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame DELAUBIER, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Estelle GENET

Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 30 Juin 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame DELAUBIER, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

Sous l'enseigne 'Orange Mécanique', la société à responsabilité limitée Béton Citron avait pour activité l'exécution de travaux d'architecture d'intérieur et la vente d'articles de décoration intérieure.

Mme [A] [G] a été engagée par la société Béton Citron en qualité d'assistante de direction par contrat à durée indéterminée pour une durée de 20 heures hebdomadaires à compter du 1er février 2001.

Par avenants successifs, la durée de travail de Mme [G] est passée successivement à 28 heures puis à 35 heures hebdomadaires.

En dernier état de la relation contractuelle, sa rémunération mensuelle brute était de 2 148 euros.

Par courrier du 7 novembre 2008, la Béton Citron a convoqué Mme [G] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 14 novembre 2008. Par lettre du 24 novembre 2008, la société Béton Citron a notifié à Mme [G] son licenciement pour motif économique.

Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans le 20 avril 2012 pour obtenir la condamnation de la société Béton Citron à lui verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, un rappel de salaires du 25 janvier 2009 au 3 mai 2010, des dommages et intérêts pour préjudice au titre de la perte de droit à la retraite, une indemnité pour travail dissimulé ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Béton Citron s'est opposée aux prétentions de Mme [G] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision du bureau de jugement du 22 octobre 2012, la radiation de l'affaire a été ordonnée pour défaut de diligences.

Par courrier du 8 janvier 2013, Mme [G] a sollicité la réinscription du dossier au rôle.

La société Béton Citron a été mise en sommeil avant d'être radiée du registre du commerce et des sociétés, la société à responsabilité limitée Kamaleon ayant pris la suite de ses activités à compter du 8 janvier 2010.

Le conseil s'est déclaré en partage de voix suivant procès-verbal du 27 janvier 2014.

Par jugement de départage en date du 17 octobre 2014, le conseil de prud'hommes du Mans a :

- débouté Mme [G] de ses demandes de rappel de salaire, indemnité au titre du travail dissimulé, et de ses demandes d'indemnisation relatives à la perte des droits à la retraite et au harcèlement moral ;

- dit que le licenciement de Mme [G] est dénué de cause réelle et sérieuse pour non-respect de l'obligation de reclassement ;

- condamné la société Béton Citron à verser à Mme [G] les sommes de :

- 12 888 euros à titre de dommages et intérêts ;

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que la société Béton Citron conservera la charge des frais qu'elle a exposés pour la défense de ses intérêts ;

- condamné la Béton Citron aux entiers dépens incluant la contribution à l'aide juridique de 35 euros.

La société Béton Citron a interjeté appel de ce jugement par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 30 octobre 2014 et reçue au greffe le 3 novembre 2014. L'affaire a été enregistrée sous le numéro de répertoire général (RG) 14/2816.

Mme [G] a également interjeté appel de cette décision par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 4 décembre 2014 et reçue au greffe le 5 décembre 2014. L'affaire a été enregistrée sous le numéro de RG 14/3101.

Lors de l'audience du 9 février 2017, les deux affaires ont fait l'objet d'une jonction et se sont poursuivies sous le numéro de RG 14/2816.

Par ordonnance du 23 mars 2017, le magistrat en charge de l'instruction de ce dossier a ordonné le retrait du rôle de l'affaire et a dit que l'affaire sera rétablie à la demande de l'une des parties.

À la suite du dépôt de conclusions le 28 janvier 2019 par la société Béton Citron, l'affaire a été réinscrite au rôle.

Par ordonnance en date du 13 juin 2019, une mesure de médiation a été ordonnée par le magistrat chargé d'instruire l'affaire. La caducité de la médiation a été constatée par ordonnance du 2 décembre 2019.

Le dossier a initialement été convoqué à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 1er juin 2021. Il a donné lieu à plusieurs renvois jusqu'à l'audience du 25 avril 2022 où les parties étaient présentes ou représentées.

*

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Béton Citron, dans ses dernières conclusions reçues au greffe le 14 avril 2022, régulièrement communiquées, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 17 octobre 2014 en ce qu'il a retenu qu'elle n'était pas redevable d'arriérés de salaires au profit de Mme [G] ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que Mme [G] n'avait pas démontré avoir été victime de travail dissimulé et de harcèlement moral ;

Statuer à nouveau et y ajoutant :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que le licenciement de Mme [G] était dénué de cause réelle et sérieuse pour non-respect de l'obligation de reclassement ;

Au principal,

- dire que la demande de Mme [G], aux fins de contester le licenciement économique qui a été prononcé à son encontre, est prescrite en application de l'article L. 1235-7 du code du travail ;

À titre subsidiaire,

- dire que le licenciement de Mme [G] repose effectivement sur une cause réelle et sérieuse ;

- dire que, en ce qui concerne l'obligation de reclassement, elle ne disposait d'aucun emploi disponible en rapport avec les compétences de Mme [G], même en la faisant bénéficier d'une formation d'adaptation ;

À titre reconventionnel,

- condamner Mme [G] à lui payer une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner également au règlement des entiers dépens de la présente procédure.

Au soutien de ses intérêts, la société Béton Citron conteste l'existence d'un travail dissimulé et prétend qu'elle continuait à utiliser la boîte mail de Mme [G] après son départ de l'entreprise. Elle souligne que la signature '[A] Beton Citron' et '[A] [G] agence Beton Citron' présente dans les mails produits était automatique. Elle ajoute que les virements effectués étaient des sommes dues au titre de la période au cours de laquelle Mme [G] était salariée ou associée de la société précisant qu'à la suite de son licenciement, celle-ci intervenait effectivement dans les locaux en sa seule qualité d'associée.

La société Béton Citron soutient par ailleurs que la demande relative au licenciement de Mme [G] est prescrite. Elle affirme à titre subsidiaire que le licenciement économique de Mme [G] est fondé sur une cause réelle et sérieuse. Elle souligne d'une part que la société est en sommeil et n'a plus de salarié et d'autre part que ses difficultés économiques étaient parfaitement réelles et justifiées au jour du licenciement de Mme [G]. Elle ajoute qu'elle a respecté son obligation de reclassement et qu'en tout état de cause, Mme [G] a fait l'objet d'un recrutement par la société Kamaleon suite à son licenciement.

La société Béton Citron prétend enfin que Mme [G] ne démontre pas l'existence d'un harcèlement moral à son encontre et que les dessins incriminés ne permettent pas de prouver qu'ils lui étaient destinés.

*

Mme [G], dans ses conclusions adressées au greffe le 16 septembre 2021, régulièrement communiquées, reprises oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- dire et juger que son action n'est pas prescrite ;

- débouter la société Béton Citron de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il dit que son licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse et condamner la société Béton Citron à lui verser une indemnité de 12 888 euros à ce titre ;

- infirmer le jugement pour le surplus ;

En conséquence,

- condamner la société Béton Citron à lui verser :

- 32 864,40 euros de rappels de salaire pour la période du 25 janvier 2009 au 3 mai 2010 outre 3 286,44 euros de congés payés ;

- 12 888 euros en réparation du préjudice résultant de ce travail dissimulé ;

- 12 888 euros en réparation du préjudice consécutif à la perte des droits à la retraite ;

- 25 000 euros au titre du harcèlement moral ;

- condamner la société Béton Citron à lui verser une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Béton Citron en tous les dépens d'appel.

Au soutien de ses intérêts, Mme [G] fait valoir que l'action en contestation de la cause du licenciement pour motif économique n'est pas soumise au délai prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail de sorte que son action n'est pas prescrite. Elle précise que la jurisprudence citée par la société Béton Citron ne lui est pas applicable puisqu'elle n'a pas adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

Elle soutient ensuite que la société Béton Citron ne démontre pas la réalité de ses difficultés économiques au jour de son licenciement lequel est intervenu au moment où les comptes de la société revenaient à un certain équilibre. Mme [G] souligne également que son poste n'a pas été supprimé puisqu'elle a continué à exercer ses fonctions au sein de la société jusqu'au 3 mai 2010 et percevait en contrepartie une rémunération sous forme de remboursements de frais. Elle affirme ensuite qu'il n'existait aucun accord implicite sur la continuité de son activité au sein de la société Béton Citron laquelle s'est rendue coupable de travail dissimulé.

Mme [G] prétend par ailleurs que la société Béton Citron a manqué à son obligation de reclassement et qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une recherche sérieuse et loyale de reclassement.

Enfin, Mme [G] assure qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de M. [O], gérant de la société Béton Citron, lequel lui adressait régulièrement des dessins obscènes.

***

MOTIVATION

- Sur les rappels de salaire :

Mme [G] sollicite le paiement d'heures de travail accomplies sur la période du 25 janvier 2009 au 3 mai 2010, soit postérieurement au licenciement intervenu le 24 novembre 2008 avec effet au 24 janvier 2009.

En conséquence, en application de l'article L. 1221-1 du code du travail, il revient à Mme [G] qui se prévaut de la poursuite de l'exercice de son activité professionnelle, nonobstant la rupture du contrat de travail intervenue, de rapporter la preuve de la fourniture d'un travail pour le compte et sous la direction de la société Béton Citron et ce, moyennant rémunération.

Il est utile de préciser que Mme [G] a été engagée le 4 mai 2010 par la société Kamaléon qui reprenait l'activité de la précédente Béton Citron, en contrat à durée indéterminée à temps partiel à raison d'un nombre de 20 heures de travail par semaine porté à 28 heures par la suite.

En outre, il n'est pas davantage contesté que Mme [G] était associée de la société Béton Citron.

Or, Mme [G] entend justifier l'accomplissement de ses heures de travail par la production de huit courriels se rapportant pour l'essentiel à la fixation ou au report de rendez-vous et ce encore, sur la période de février et mars 2009 puis juin 2010. Néanmoins, il n'est pas contesté que cette boîte mail était accessible à partir d'autres postes informatiques ni que la présence de Mme [G] au sein de l'entreprise pouvait s'expliquer par sa qualité d'associée minoritaire. Les attestations très vagues de M. [R] [K], destinataire ou auteur de la plupart de ces mails, et de M. [U] [D], ancien chef d'entreprise à la retraite et dont on ignore tout de sa connaissance de la situation de Mme [G], ne permettent pas davantage de conclure à la poursuite par Mme [G] de son activité d'assistante de direction.

De surcroît, et ainsi que l'ont parfaitement analysé les premiers juges, les versements effectués sur le compte bancaire de Mme [G], toujours associée de la société Béton Citron, et qualifiés de notes de frais, ne permettent pas d'établir leur caractère fictif ni de les requalifier en rémunération versée en contrepartie d'un travail non caractérisé en l'occurrence.

Enfin, Mme [G] ne justifie pas d'une relation de travail soumise à un quelconque lien de subordination.

Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes présentées par Mme [G] tant au titre des rappels de salaire que du travail dissimulé.

- Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Mme [G] affirme avoir été victime d'un harcèlement moral de la part de M. [H] [O], gérant de la société Béton Citron, qui lui adressait des dessins obscènes, sans citer de dates ou de périodes particulières.

Mme [G] ayant été licenciée en novembre 2008, il conviendra de faire application de l'article L. 1554-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lequel disposait qu'il appartient au salarié d'établir la matérialité des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code civil. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses allégations, Mme [G] verse aux débats plusieurs documents, courriers ou mails, sur lesquels figurent des dessins à connotation sexuelle voire obscène. Leur destinataire n'est pas connu et ils ne se rapportent pas à la salariée précisément à l'exclusion d'un seul sur lequel ont été marqués divers prénoms dont '[A]', au dessus de figurines en vague forme de lapin.

Le fait que Mme [G] soit en mesure de produire ces dessins ne signifient pas nécessairement qu'ils aient été effectués à son intention, ni même qu'ils lui aient été adressés.

Au demeurant, ils ne sont pas signés.

Par ailleurs, Mme [G] ne fait pas état d'éléments médicaux, revendique la poursuite de son activité même après la rupture de son contrat de travail et enfin, il est constant que celle-ci a entretenu une relation sentimentale avec M. [O].

En conséquence, il doit être constaté qu'à l'exclusion d'un seul dessin comportant une allusion à son prénom, Mme [G] n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence du harcèlement moral allégué.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [G].

- Sur le licenciement pour motif économique :

- Sur la prescription de l'action en contestation :

Aux termes de l'article L. 1235-7 al 2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement.

Toutefois, ce délai de prescription de douze mois concerne les actions mettant en cause la régularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou les actions susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan.

En l'espèce, la cour est saisie d'une action en contestation du bien fondé du licenciement pour absence de motif économique et non-respect de l'obligation de reclassement de sorte qu'elle n'est pas soumise au délai de prescription de 12 mois prévu par l'article L. 1235-7 précité, mais, en vertu de l'article 2224 du code civil, au délai quinquennal de prescription de droit commun.

Le licenciement de Mme [G] étant intervenu le 24 novembre 2008, celle-ci disposait d'un délai de cinq ans pour contester son licenciement.

Dès lors, son action engagée par requête du 20 avril 2012, soit dans les cinq ans du licenciement, n'est pas prescrite.

- Sur le bien-fondé du licenciement :

* Sur la réalité du motif économique :

Selon l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Ainsi, 'pour avoir une cause économique, le licenciement pour motif économique doit être consécutif soit à des difficultés économiques, soit à des mutations technologiques, soit à une réorganisation de l'entreprise, soit à une cessation d'activité. La réorganisation de l'entreprise, si elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, doit être indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient' (Soc. 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-41.954).

Il revient à l'employeur de démontrer la réalité des difficultés économiques ou du risque pesant sur la compétitivité et la nécessité de procéder à une réorganisation de l'entreprise au moment où il licencie.

Comme tout autre licenciement, le licenciement pour motif économique doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

C'est à la date de la rupture du contrat de travail que doit s'apprécier la cause du licenciement mais il peut être tenu compte d'éléments postérieurs.

Dans la lettre de licenciement adressée le 24 novembre 2008 à Mme [G], l'employeur indique : 'Nos difficultés sont toujours présentes depuis plusieurs exercices et ne cessent de se dégrader. Le résultat net de notre exercice comptable de 2007 est encore négatif, malgré une légère augmentation du chiffre d'affaires.

Ce résultat négatif est lié entre autre à des charges d'exploitation importantes en l'occurrence à une masse salariale importante par rapport à son chiffre d'affaires. Aujourd'hui nous avons une trésorerie très tendue et les perspectives à venir ne sont pas encourageantes car notre carnet de commandes est actuellement en très forte baisse.

Cette situation ci-dessus nous amène à effectuer une réorganisation structurelle de l'entreprise et nous sommes contraints de supprimer votre poste de travail d'assistante de direction au coefficient 200 niveau 1 (...)'.

Cette motivation se réfère aux difficultés économiques rencontrées par l'entreprise.

Les documents comptables - bilans et comptes de résultat- versés aux débats par la société Béton Citron mettent en évidence une situation déficitaire, avec des pertes de - 33 778 euros (pour l'exercice 2007) et de - 67 102 euros pour l'exercice 2008, et avec des résultats d'exploitation négatifs au 31 décembre 2007 (- 31 282 euros) et en chute au 31 décembre 2008 (-58 683 euros), période du licenciement.

Ces difficultés économiques ont conduit la société Béton Citron à supprimer le poste de Mme [G] et il a été considéré que cette dernière ne rapportait pas la preuve du maintien de son poste par la poursuite de son activité professionnelle postérieurement à son licenciement.

A juste titre, les premiers juges ont considéré que la réalité du motif économique était établie.

* Sur l'obligation de reclassement :

Selon l'article L.1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Le manquement par l'employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse et ouvre droit au profit du salarié au paiement de dommages-intérêts.

C'est à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyen.

Pour démontrer qu'il a satisfait à l'obligation de reclassement, l'employeur doit établir qu'il a recherché toutes les possibilités de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe dont il relève, soit établir l'absence de tout poste disponible à l'époque du licenciement en rapport avec les compétences du salarié (Soc., 17 mai 2011, pourvoi n°09-70.539 ; plus récemment : Soc., 3 mars 2021, pourvoi n° 19-22.091).

Il n'y a donc pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur justifie de l'absence de poste disponible, à l'époque du licenciement, dans l'entreprise, ou s'il y a lieu dans le groupe auquel elle appartient.

En l'espèce, la société Béton Citron dont la non-appartenance à un groupe n'est pas contestée, affirme l'absence de tout poste disponible en son sein. Elle indique qu'en décembre 2008, deux autres salariées (Mmes [L] [Z] et [M] [B]) ont démissionné pour développer leur entreprise et qu'il ne restait que deux personnes, MM. [O] et [S].

Néanmoins, elle ne produit aucune pièce pour justifier l'absence de poste disponible, comme en particulier le registre des entrées et des sorties du personnel.

L'embauche de la salariée par la société Kamaléon qui a repris l'activité de la société Béton Citron est intervenue le 3 mai 2010 soit presque 18 mois plus tard et ne saurait en conséquence établir le respect de son obligation de reclassement à l'époque du licenciement de Mme [G].

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que la société Béton Citron n'avait pas respecté son obligation de reclassement et dit que le licenciement de Mme [G] était dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux ruptures du contrat de travail prononcées antérieurement à la publication de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, il conviendra de confirmer le jugement ayant alloué à Mme [G], ayant une ancienneté de 7 ans et 9 mois, une somme non contestée subsidiairement en son montant de 12 888 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à 6 mois de salaire brut compte tenu du préjudice subi par la salariée et dont elle justifie.

En revanche, Mme [G] ne développe aucun moyen au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour perte du droit à la retraite et ne justifie en aucun cas du préjudice allégué dont elle sollicite la réparation pour un montant de 12 888 euros.

Le jugement ayant débouté la salariée de cette demande sera confirmé.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée par [G] et de condamner la société Béton Citron au paiement de la somme de 1 500 euros sur ce fondement.

La société Béton Citron, partie perdante, doit être déboutée de sa demande présentée à hauteur d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel.

***

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement prononcé le 17 octobre 2014 par le conseil de prud'hommes du Mans;

Y ajoutant :

CONDAMNE la société Béton Citron à payer à Mme [A] [G] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

DÉBOUTE la société Béton Citron de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Béton Citron aux dépens de la procédure d'appel.

LE GREFFIER,P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODINM-C. DELAUBIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/00088
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;19.00088 ?
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