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14/06/2022 | FRANCE | N°20/01529

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre a - civile, 14 juin 2022, 20/01529


COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE







YB/IM

ARRET N°:



AFFAIRE N° RG 20/01529 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EXE6



Jugement du 16 Février 2016 du TGI de LA ROCHELLE

n° d'inscription au RG de première instance 14/03210

Arrêt du 24 Avril 2018 de la Cour d'Appel de POITIERS

Arrêt du 10 Septembre 2020 de la Cour de Cassation







ARRET DU 14 JUIN 2022





APPELANTS, DEMANDEURS AU RENVOI :



Monsieur [L] [G]

né le 07 Mai 1952 à

[Localité 18] (33)

[S] [O] [D] - La Royale Condominium - app. 2602

335/178 M 1

[Localité 8] (THAILANDE)



Madame [P] [R] veuve [G]

née le 22 Août 1922 à [Localité 11] (33)

[S] [O] [D] - La Royal...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE

YB/IM

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 20/01529 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EXE6

Jugement du 16 Février 2016 du TGI de LA ROCHELLE

n° d'inscription au RG de première instance 14/03210

Arrêt du 24 Avril 2018 de la Cour d'Appel de POITIERS

Arrêt du 10 Septembre 2020 de la Cour de Cassation

ARRET DU 14 JUIN 2022

APPELANTS, DEMANDEURS AU RENVOI :

Monsieur [L] [G]

né le 07 Mai 1952 à [Localité 18] (33)

[S] [O] [D] - La Royale Condominium - app. 2602

335/178 M 1

[Localité 8] (THAILANDE)

Madame [P] [R] veuve [G]

née le 22 Août 1922 à [Localité 11] (33)

[S] [O] [D] - La Royale Condominium - app. 2602

335/178 M 1

[Localité 8] (THAILANDE)

Représentés par Me GUIGNARD substituant Me Raphael PAPIN de la SELAS GUYARD-NASRI, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 20200480, et Me Brice de BEAUMONT, avocat plaidant au barreau de POITIERS

INTIMES, DEFENDEURS AU RENVOI :

Monsieur [B] [Z]

né le 12 Mars 1966 à [Localité 12] (36)

[Adresse 7]

[Localité 6]

Madame [J] [A] épouse [Z]

née le 13 Juin 1968 à [Localité 14] (87)

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentés par Me Sébastien HAMON de la SELARL DELAGE BEDON LAURIEN HAMON, avocat postulant au barreau d'ANGERS, et Me Olivier DUNYACH, avocat plaidant au barreau de LA ROCHELLE - ROCHEFORT

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 01 Mars 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur BRISQUET, Conseiller, qui a été préalablement entendu en son rapport, et Mme ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame COURTADE, Présidente de chambre

Monsieur BRISQUET, Conseiller

Madame ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée

Greffière lors des débats : Madame LEVEUF

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 14 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Yannick BRISQUET, Conseiller, en remplacement de Marie-Christine COURTADE, présidente empêchée, et par Christine LEVEUF, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [P] [R] veuve [G] et M. [L] [G], son fils, sont respectivement usufruitière et nu-propriétaire d'un terrain avec maison cadastré section AB numéro [Cadastre 10] situé [Adresse 5]).

Cette parcelle jouxte celle cadastrée section AB numéro [Cadastre 9] appartenant à M. [B] [Z] et Mme [J] [A] épouse [Z], située [Adresse 7].

Les parcelles AB [Cadastre 9] et AB [Cadastre 10] constituaient antérieurement un seul et même ensemble immobilier appartenant à Mme [G], composé des parcelles cadastrées section B numéros [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 4].

Mme [G] a vendu aux époux [M] la parcelle cadastrée section AB [Cadastre 9] par acte notarié du 17 avril 1980 qui a stipulé une servitude conventionnelle de passage grevant la parcelle AB [Cadastre 10] au profit de la parcelle AB [Cadastre 9], de façon à permettre un accès en voiture pour rejoindre le jardin situé derrière la maison vendue. La parcelle AB [Cadastre 9] a ensuite été revendue à Mme [Y] [V] qui l'a elle-même revendue à M. et Mme [Z] en vertu d'un acte notarié du 11 juillet 2001, lequel rappelle la servitude de passage instituée par l'acte du 17 avril 1980.

Par ordonnance du 10 novembre 2009, le juge des référés du tribunal de grande instance de La Rochelle a, sur la demande des consorts [G] ayant fait état de difficultés dans l'exercice de la servitude de passage, commis M. [E], géomètre-expert, en qualité d'expert, lequel a déposé son rapport le 11 mai 2012.

Par acte d'huissier du 14 novembre 2014, les consorts [G] ont fait assigner M. et Mme [Z] devant le tribunal de grande instance de La Rochelle afin notamment :

- de dire, par application des articles 702 et 703 du code civil, la servitude de passage éteinte à défaut d'être exercée ;

- de dire mitoyen le mur situé à l'arrière des constructions des défendeurs ;

- d'enjoindre à M. et Mme [Z] de supprimer sous astreinte le portail installé au départ de ce mur sans leur autorisation ;

- de condamner M. et Mme [Z] au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. et Mme [Z] ont pour leur part sollicité l'homologation du rapport d'expertise de M. [E] en demandant en conséquence au tribunal de dire que la servitude de passage correspond à l'emprise dessinée sur le plan de l'expert aux repères A, B, C, D, E et que le mur séparatif est privatif aux consorts [G] des points 1 à 3 et qu'il leur est privatif des points 3 à 4. Ils ont également sollicité la condamnation des consorts [G] au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par jugement du 16 février 2016, le tribunal de grande instance de la Rochelle a :

- dit que l'assiette du droit de passage conventionnel prévue dans l'acte notarié du 17 avril 1980 et repris dans celui du 11 juillet 2001 portant vente de biens immobiliers entre Mme [Y] [V] et [B] et [J] [Z] doit être définie conformément au plan établi le 30 mars 2012 et annexé au rapport d'expertise de M. [E] du 11 mai 2012, soit un polygone A-B-C-D-E de 2,39 m de large au début du passage, de 2,61 m de large dans sa partie terminale et de 17,75 m de long ;

- dit que la servitude de passage dont bénéficie la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 9], propriété de M. et Mme [Z], sur la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 10], propriété des consorts [G] n'est pas éteinte ;

- dit que le mur séparant les propriétés [Z] et [G] est mitoyen ;

- dit que chaque partie conservera la charge définitive de ses frais et dépens ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Poitiers le 16 mars 2016, les consorts [G] ont interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions. M. et Mme [Z] ont conclu à sa confirmation.

Par arrêt du 24 avril 2018, la cour d'appel de Poitiers a :

- confirmé le jugement du 16 février 2016 du tribunal de grande instance de la Rochelle, sauf en ce qu'il :

'dit que l'assiette du droit de passage conventionnel prévue dans l'acte notarié du 17 avril 1980 et repris dans celui du 11 juillet 2001 portant vente de biens immobiliers entre Mme [Y] [V] et [B] et [J] [Z] doit être définie conformément au plan établi le 30 mars 2012 et annexé au rapport d'expertise de M. [E] du 11 mai 2012, soit un polygone A-B-C-D-E de 2,39 m de large au début du passage, de 2,61 m de large dans sa partie terminale et de 17,75 m de long ;

dit que chaque partie conservera la charge définitive de ses frais et dépens' ;

et statuant à nouveau de ce chef d'infirmation,

- dit que l'assiette du droit de passage convenu à l'acte authentique du 17 avril 1980, rappelé à l'acte authentique du 11 juillet 2001 de vente à M. et Mme [Z] de la parcelle cadastrée section AB numéro [Cadastre 9] située à [Localité 13] (Charente-Maritime), est d'une largeur de 2,39 mètres et d'une longueur de 15,75 mètres ;

- dit l'assiette de cette servitude matérialisée sur le plan en date du 30 mars 2012 dressé par M. [E], expert judiciaire, en sa largeur par les points A et E, et en sa longueur par les points A et B ;

- enjoint à M. et Mme [Z], dans le délai d'une année courant à compter de la date de signification de l'arrêt, sous astreinte de 25 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai et dans la limite de 8 mois :

* d'enlever ou de faire enlever la 'palissade métallique d'environ 200 cm de largeur ajoutée au portillon' décrite au procès-verbal du 11 avril 2014 de Me [X], huissier de justice associé à [Localité 16] ;

* de rétablir le mur en l'état qui était le sien antérieurement à la création de cette palissade, tel qu'apparaissant sur les photographies annexées aux procès-verbaux de constat des 29 juin 2007 et 12 août 2008 de Me [K], huissier de justice à [Localité 15], le portillon matérialisé au plan d'expertise précité en date du 30 mars 2012, d'une largeur d'au plus 1,10 mètre, étant maintenu ;

- rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. et Mme [Z] aux dépens de première instance et d'appel.

Les consorts [G] ont formé un pourvoi à l'encontre de cette décision et par arrêt du 10 septembre 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 24 avril 2018 par la cour d'appel de Poitiers, mais seulement en ce qu'il retient que la servitude conventionnelle de passage grevant la parcelle AB [Cadastre 10] au profit de la parcelle AB [Cadastre 9] n'est pas éteinte et en fixe l'assiette. Elle a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel d'Angers. Elle a condamné M. et Mme [Z] au paiement aux consorts [G] d'une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La Cour de cassation, après avoir rappelé que 'pour juger que la servitude litigieuse n'est pas éteinte, l'arrêt retient que, si les travaux réalisés par M. et Mme [Z] rendent impossible l'accès à leur jardin en voiture, le passage à pied reste possible et qu'une telle modification des conditions d'exercice de la servitude de passage ne peut en entraîner l'extinction', a dit que 'en statuant ainsi, après avoir constaté que la servitude litigieuse avait été créée conventionnellement pour permettre un passage en voiture afin de rejoindre le jardin, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évince que les aménagements réalisés en rendaient impossible un usage conforme au titre', a violé l'article 703 du code civil.

Mme [P] [R] veuve [G] et M. [L] [G] ont saisi la présente cour d'une déclaration de saisine après cassation le 9 novembre 2020.

Par message électronique du 4 février 2021, le conseil des consorts [G] a indiqué que ceux-ci n'entendaient pas de nouveau conclure et s'en tenaient, en application du 6ème alinéa de l'article 1037-1 du code de procédure civile, aux moyens et prétentions soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé. Il a communiqué à cette occasion les dernières conclusions en réponse qui avaient été notifiées le 18 janvier 2018 devant la cour d'appel de Poitiers.

M. et Mme [Z] ont constitué avocat le 18 mai 2021 et ont communiqué leurs conclusions le 19 mai 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 octobre 2021 et l'affaire initialement fixée à l'audience du 30 novembre 2021 a été défixée puis reportée à l'audience du 1er mars 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Selon les dernières conclusions récapitulatives communiquées le 18 janvier 2018 devant la cour d'appel de Poitiers, Mme [P] [R] veuve [G] et M. [L] [G] demandent de :

- les dire et juger recevables et bien fondés en leur appel ainsi qu'en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- réformer la décision entreprise et statuant à nouveau ;

- dire et juger que la servitude de passage, consentie par l'acte de vente du 17 avril 1980 entre Mme [P] [R] veuve [G] et les époux [M], devait s'exercer sur une largeur de 2,39 mètres et une longueur de 15,75 mètres ;

- constater l'extinction de ladite servitude par application des articles 702 et 703 du code civil ;

- confirmer la décision en ce qu'elle a dit que le mur séparant les propriétés [Z] et [G] est mitoyen ;

- ordonner la suppression du portail installé au départ du mur mitoyen sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner les époux [Z] aux dépens d'instance et d'appel et au paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les appelants entendent d'abord contester l'objectivité du rapport d'expertise judiciaire au motif que M. [E], expert, a exercé des fonctions de président du Lions Club de Rochefort Arsenal auquel appartenaient aussi des avocats du cabinet chargé de la défense des intérêts de M. et Mme [Z].

Sur le fond, ils contestent l'assiette fixée par le tribunal de grande instance qui a retenu une longueur de 17,75 mètres et une largeur allant jusqu'à 2,61 mètres au lieu respectivement de 15,75 mètres et 2,39 mètres dans l'acte notarié, et soulignent que Mme [G] avait entendu limiter l'assiette de la servitude de façon stricte, pour un usage minimum.

Ils font valoir que la servitude de passage n'avait pour seul objet que de permettre d'accéder, par les portes du chai, au jardin situé derrière la maison afin de charger et décharger des objets lourds et encombrants transportés en voiture, qui ne pouvaient passer par les portes de la maison, et ce de manière occasionnelle. Ils soutiennent que Mme [G] s'était opposée au moment de la vente initiale à une définition large de l'usage de la servitude et avait fait biffer la mention "à tous usages et aux moindres dommages" pour la remplacer par la mention 'pour une voiture automobile'. Ils affirment que les propriétaires successifs de la parcelle AB [Cadastre 9] ont transformé l'ancien chai en pièces d'habitation, de sorte que l'accès au jardin ne peut plus se faire à travers le chai comme cela était initialement le cas. Ils font grief à l'expert, à M. et Mme [Z] ainsi qu'au tribunal de considérer que la transformation du chai en pièces habitables justifie la modification de l'assiette de la servitude de passage et plus particulièrement l'allongement de sa longueur à 17,75 mètres.

Les consorts [G] considèrent que dans la mesure où plus aucun passage en voiture n'est aujourd'hui possible, la servitude ne peut qu'être déclarée éteinte en raison de l'impossibilité matérielle de l'exercer, par application de l'article 703 du code civil.

*

Par conclusions du 8 juillet 2021, M. et Mme [Z] demandent à la cour de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de La Rochelle le 16 février 2016 en ce qu'il a :

- dit que l'assiette du droit de passage conventionnel doit être définie conformément au plan établi le 30 mars 2012 et annexé au rapport d'expertise de M. [E] du 11 mai 2012, soit un polygone ABCDE de 2,39 mètres de large au début du passage, de 2,61 mètres de large en sa partie terminale et de 17,75 mètres de long ;

- dit que la servitude de passage au bénéfice de la parcelle cadastrée B [Cadastre 9] n'est pas éteinte ;

- dit que le mur séparant les propriétés [Z] et [G] est mitoyen.

Ils demandent que les consorts [G] soient déboutés de l'ensemble de leurs demandes et condamnés à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Fliche-Blanché & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

M. et Mme [Z] soutiennent que la servitude de passage n'a jamais été exercée par les portes à doubles vantaux du chai qui prolongent l'immeuble qu'ils ont acquis mais par le portail situé plus loin dans le passage. Ils considèrent que l'assiette de la servitude est définie par le plan réalisé en mars 1980 par le géomètre expert, M. [U], annexé à l'acte créant la servitude de passage du 17 avril 1980, et dont il résulte que la servitude de passage s'exerce sur une longueur de 15,75 mètres correspondant au pignon de l'immeuble dans son entier (habitation + chai) outre 2 mètres permettant l'accès en voiture au jardin. Ils en concluent que l'expert judiciaire n'a fait que constater, dans son rapport du 11 mai 2012 dont ils demandent l'homologation, que la servitude de passage était celle définie par ce plan.

Pour s'opposer à l'extinction de la servitude de passage, M. et Mme [Z] affirment en avoir toujours fait usage pour accéder à leur jardin par le portillon situé en prolongement de leur immeuble et que la seule modification a consisté dans le remplacement du portillon par un portail plus grand, d'une largeur de 2 mètres, mais qui ne contredit pas l'acte du 17 avril 1980.

M. et Mme [Z] font valoir que l'accès au jardin n'a jamais eu lieu par l'ancien chai et que le portail était initialement d'une largeur de 2 mètres pour permettre l'exercice de la servitude jusqu'à ce que Mme [V] le limite à 1 mètre. Ils ajoutent que l'assiette de la servitude telle que mentionnée aux différents actes de vente a été délimitée par le plan d'état des lieux annexé à ces actes, signé par Mme [G], et qui ne peut le renier.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur l'étendue de la saisine de la cour

Selon l'article 624 du code de procédure civile, 'la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire'.

Les consorts [G] se réfèrent à l'article 1037-1 du code de procédure civile et sont donc réputés reprendre les moyens et prétentions soumis à la cour d'appel de Poitiers dans leurs conclusions du 18 janvier 2018. M. et Mme [Z] ont en revanche déposé des conclusions devant cette cour mais la lecture de celles-ci révèle qu'elles sont manifestement la simple reprise de leurs dernières conclusions déposées devant la précédente cour d'appel puisqu'il n'y est fait à aucun moment état de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 septembre 2020 et de l'évolution du litige consécutive à la cassation partielle prononcée. Il en résulte que la présente cour est invitée à se prononcer non seulement sur la servitude de passage mais aussi sur la question de la mitoyenneté du mur séparant les propriétés ainsi que sur la demande en suppression du portail installé au départ du mur mitoyen.

La cassation étant toutefois limitée aux dispositions ayant déclaré non éteinte la servitude de passage et ayant fixé son assiette, elle n'a pas atteint les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers ayant :

- confirmé le jugement du 16 février 2016 du tribunal de grande instance de La Rochelle en ce qu'il a dit que le mur séparant les propriétés [Z] et [G] est mitoyen ;

- enjoint à M. et Mme [Z], dans le délai d'une année courant à compter de la date de signification de l'arrêt, sous astreinte de 25 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai et dans la limite de 8 mois :

* d'enlever ou de faire enlever la 'palissade métallique d'environ 200 cm de largeur ajoutée au portillon' décrite au procès-verbal du 11 avril 2014 de Me [X], huissier de justice associé à [Localité 16] ;

* de rétablir le mur en l'état qui était le sien antérieurement à la création de cette palissade, tel qu'apparaissant sur les photographies annexées aux procès-verbaux de constat des 29 juin 2007 et 12 août 2008 de Me [K], huissier de justice à [Localité 15], le portillon matérialisé au plan d'expertise précité en date du 30 mars 2012, d'une largeur d'au plus 1,10 mètre, étant maintenu.

Il n'est pas établi ni d'ailleurs soutenu que ces dispositions présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec celles atteintes par la cassation.

Il n'y a donc pas lieu pour la présente cour, nonobstant le contenu des conclusions déposées par les parties ou auxquelles elles se réfèrent, de statuer à nouveau sur ces dispositions qui ont acquis un caractère irrévocable.

- Sur la servitude de passage

Selon l'article 703 du code civil, les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user.

L'acte notarié du 17 avril 1980 a institué une servitude conventionnelle de passage au profit du fonds acquis, qui est rappelée dans l'acte notarié du 11 juillet 2001 par lequel M. et Mme [Z] sont devenus propriétaires de l'immeuble cadastré AB [Cadastre 9], et qui est formulée dans les termes suivants : «L'immeuble présentement vendu aura droit de passage pour une voiture automobile par le porche situé au nord-est de la maison vendue et sur toute la largeur de ce dernier, soit deux mètres trente-neuf, pour aller rejoindre le jardin situé derrière la maison vendue. Cette servitude s'exercera sur la largeur de deux mètres trente-neuf à compter du mur de la maison vendue et sur une longueur de quinze mètres soixante-quinze (15,75 m) ainsi que cela figure au plan ci-annexé, dressé par M. [F] [U], géomètre à [Localité 17]. L'acquéreur s'engage à entretenir le porche en bon état.»

L'immeuble vendu était désigné dans l'acte du 17 avril 1980 de la façon suivante : «Une maison d'habitation en mauvais état et vétuste, sans eau, ni électricité, ni chauffage, élevée d'un étage, comprenant :

- au rez-de-chaussée : sur la rue du docteur Fourcade, 2 pièces ; derrière en passant par le porche : 1 pièce ayant 2 portes donnant sur le passage ;

Un chai. Toiture écroulée, avec porte à double vantaux donnant sur ledit passage et accès au jardin situé derrière la maison.

- à l'étage 2 chambres.

Jardin derrière».

Il résulte de cette description des lieux que l'accès au jardin s'effectuait alors en empruntant le chai donnant sur le passage séparant les deux maisons. Cela est confirmé par l'extrait du plan cadastral (pièce n° 1 des appelants et des intimés) sur lequel l'accès au jardin est matérialisé par une flèche courbe partant du chai vers le jardin. Il ressort également du plan annexé à l'acte du 17 avril 1980 que l'entrée du chai se trouvait à moins de 15,75 mètres de la limite du mur de façade de la maison donnant sur la rue Fourcade.

Il apparaît donc que la servitude de passage a été consentie afin de permettre aux propriétaires de la parcelle AB [Cadastre 9] de se rendre en voiture dans le jardin situé derrière leur maison, en empruntant depuis la rue Fourcade, sur une distance maximum de 15,75 mètres, le passage dont l'entrée est matérialisée par un porche, avant de franchir la porte à double vantaux du chai se trouvant à gauche pour ensuite accéder au jardin.

Selon le procès-verbal de constat établi le 12 août 2008 par Me [K], huissier de justice, l'ancienne grange (ou chai) a été transformée en pièce d'habitation. L'huissier a constaté que compte tenu des travaux réalisés, aucun passage avec une automobile n'est possible pour accéder au jardin de M. [Z].

Il ressort des photographies annexées au procès-verbal de constat établi le 11 avril 2014 par Me [X], huissier de justice, qu'une extension de la maison a été construite vers l'arrière, englobant l'emplacement où se trouvait auparavant le chai. L'accès au jardin s'effectuait alors en empruntant une ouverture pratiquée dans le mur mitoyen, au-delà du bâtiment reconstruit, et clôturée par une palissade métallique amovible d'environ 200 cm de largeur. La limite droite de cette palissade, qui a remplacé un portillon de 1,10 mètre grâce à un élargissement de l'ouverture du mur mitoyen, se trouvait à 18 mètres de celle du mur de façade de la maison, et donc au-delà de l'emprise de la servitude de passage dont la longueur a été fixée à 15,75 mètres dans l'acte constitutif. L'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 24 avril 2018 a ordonné, par une disposition non atteinte par la cassation, l'enlèvement de cette palissade métallique et le rétablissement de la situation antérieure, par l'installation d'un portillon d'une largeur d'au plus 1,10 mètre.

Il apparaît donc que l'accès au jardin en voiture est devenu impossible en passant par l'endroit où se trouvait l'ancien chai désormais transformé en pièces d'habitation. L'accès en voiture est également impossible en empruntant l'ouverture existante dans le mur mitoyen entre les deux propriétés, compte tenu de la largeur du portillon que M. et Mme [Z] ont été condamnés à rétablir, et compte tenu également que le portillon se trouve au moins pour partie au-delà de la distance de 15,75 mètres correspondant à la longueur de la servitude de passage depuis le mur de façade donnant sur la rue du Docteur Fourcade.

M. et Mme [Z] se réclament des conclusions de M. [E], expert, qui a estimé 'qu'il est difficilement imaginable qu'il ait été prévu d'accéder au jardin via un chai'. Cet expert a considéré en substance qu'il existait une erreur dans l'acte notarié du 17 avril 1980 et que la longueur de la servitude de passage aurait dû être fixée à 17,75 mètres, de façon à pouvoir accéder au portillon. Les conclusions de l'expert sont toutefois inopérantes dès lors qu'elles ne peuvent avoir pour effet de rectifier un acte authentique.

En tout état de cause, dans la mesure où la servitude de passage a été expressément prévue pour être exercée en voiture, il est inutile de rechercher si son usage demeure possible pour un piéton ou s'il serait concevable ou opportun de maintenir cette servitude en raison de la disposition des lieux.

Il y a lieu en conséquence de constater que la modification des lieux résultant des nouvelles constructions ne permet plus l'exercice de la servitude telle qu'elle a été définie par l'acte constitutif et de dire qu'elle est éteinte par application de l'article 703 du code civil.

La servitude de passage étant éteinte, il n'y a plus lieu de définir son assiette.

Le jugement est par conséquent infirmé de ces chefs.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens

Selon l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

Les consorts [G] obtiennent en définitive gain de cause sur l'ensemble des demandes qu'ils avaient initialement soumises au tribunal de grande instance de La Rochelle.

Il n'y a pas lieu en conséquence de modifier la disposition par laquelle la cour d'appel de Poitiers a condamné M. et Mme [Z] aux dépens de première instance et à ceux exposés devant elle. M. et Mme [Z] doivent également être condamnés aux entiers dépens de la procédure devant la présente cour.

Il est justifié de condamner M. et Mme [Z] à payer aux consorts [G] la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance que devant les deux cours d'appel.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant dans les limites de sa saisine après cassation, par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de La Rochelle du 16 février 2016 (RG n° 14/03210),

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 24 avril 2018 (RG n° 16/00972),

Vu l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 10 septembre 2020 (arrêt n° 525 F-D ; pourvoi n° J 19-10.802),

INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de La Rochelle du 16 février 2016 en ce qu'il a :

- dit que l'assiette du droit de passage conventionnel prévue dans l'acte notarié du 17 avril 1980 et repris dans celui du 11 juillet 2001 portant vente de biens immobiliers entre Mme [Y] [V] et [B] et [J] [Z] doit être définie conformément au plan établi le 30 mars 2012 et annexé au rapport d'expertise de M. [E] du 11 mai 2012, soit un polygone A-B-C-D-E de 2,39 m de large au début du passage, de 2,61 m de large dans sa partie terminale et de 17,75 m de long ;

- dit que la servitude de passage dont bénéficie la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 9], propriété de M. et Mme [Z], sur la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 10], propriété des consorts [G] n'est pas éteinte ;

Statuant à nouveau, du chef des dispositions infirmées :

CONSTATE que la servitude conventionnelle de passage prévue dans l'acte notarié du 17 avril 1980 et reprise dans celui du 11 juillet 2001, grevant la parcelle AB n° [Cadastre 10] au profit de la parcelle AB n° [Cadastre 9], est éteinte en application de l'article 703 du code civil ;

DIT en conséquence n'y avoir lieu de fixer l'assiette de la servitude de passage ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [B] [Z] et Mme [J] [A] épouse [Z] à payer à Mme [P] [R] veuve [G] et M. [L] [G] la somme globale de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour l'ensemble des frais irrépétibles exposés devant le tribunal de grande instance de La Rochelle, devant la cour d'appel de Poitiers et devant la cour d'appel d'Angers ;

CONDAMNE M. [B] [Z] et Mme [J] [A] épouse [Z] aux entiers dépens de la procédure de première instance ainsi qu'à ceux de la procédure d'appel devant les cours de Poitiers et d'Angers.

LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE EMPECHEE

C. LEVEUF Y. BRISQUET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre a - civile
Numéro d'arrêt : 20/01529
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;20.01529 ?
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