COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
YB/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 18/02473 - N° Portalis DBVP-V-B7C-ENL2
Jugement du 16 Octobre 2018
Tribunal de Grande Instance d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance 12/03455
ARRET DU 14 JUIN 2022
APPELANTS :
Monsieur [Y] [G]
né le 09 Janvier 1952 à [Localité 8] (53)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Madame [W] [K] veuve [T]
née le 02 Janvier 1957 à [Localité 6] (49)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentés par Me Jean-baptiste LEFEVRE de la SELAS GUYARD-NASRI, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMES :
Monsieur [I] [E]
né le 11 Novembre 1961 à [Localité 9] (22)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Madame [F] [H] épouse [E]
née le 23 Septembre 1958 à [Localité 10] (75)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentés par Me Eric BOUCHER de la SELARL LEX PUBLICA, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 180822
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 21 Mars 2022 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur BRISQUET, Conseiller, qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur BRISQUET, Conseiller
Madame ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 14 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseiller faisant fonction de Président, et par Christine LEVEUF, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
M. [Y] [G] et Mme [W] [T] née [K] sont propriétaires indivis d'un ensemble immobilier situé au [Adresse 1], cadastré section AB [Cadastre 3].
Cette parcelle provient de la division, en 2007, d'une ancienne parcelle AB [Cadastre 5] qui a donné lieu à la création des parcelles AB [Cadastre 3] et AB [Cadastre 2]. Cette dernière parcelle appartient de façon indivise à Mme [W] [T] et à sa mère, Mme [S] [K] née [A].
M. [I] [E] et Mme [F] [H] épouse [E] sont propriétaires depuis 2008 de la parcelle cadastrée section AB [Cadastre 4] sise [Adresse 1], qui jouxte les parcelles AB [Cadastre 2] et AB [Cadastre 3]. Ils exploitent au sein de leur propriété trois chambres d'hôtes ayant chacune une fenêtre donnant sur la propriété de M. [G] et Mme [T].
Faisant valoir que leurs voisins avaient entrepris l'édification d'une clôture qui empiétait sur leur parcelle sur environ 7 centimètres, M. [G] et Mme [T] ont fait assigner M. et Mme [E] devant le tribunal de grande instance d'Angers par acte d'huissier de justice du 14 septembre 2012 afin de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au visa des articles 544, 545, 661, 663, 1382 et 1383 du code civil, constater l'empiétement du poteau mis en place par M. et Mme [E] sur la parcelle cadastrée AB [Cadastre 3] et condamner ces derniers à :
- retirer tous les ouvrages (clôture, palissade, poteaux, fixations, etc) se trouvant sur leur terrain ;
- remettre l'ensemble de l'ouvrage dans l'état dans lequel il se trouvait avant la réalisation de leurs travaux intempestifs ;
- procéder aux travaux de démolition et de remise en état des lieux sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance du 1er décembre 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Angers a ordonné un sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur l'action en bornage qui avait été formée par M. et Mme [E] devant le tribunal d'instance d'Angers, par assignation délivrée le 30 août 2012, et pour laquelle la juridiction avait ordonné une expertise judiciaire par jugement du 10 juin 2013. Par jugement du 7 avril 2015, le tribunal d'instance a statué au fond en ordonnant le bornage des parcelles AB [Cadastre 4] et AB [Cadastre 2] et cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2017 qui a ajouté diverses condamnations contre les consorts [K].
L'instance a été reprise devant le tribunal de grande instance d'Angers à l'initiative de M. et Mme [E] qui ont conclu au débouté de l'intégralité des demandes de M. [G] et Mme [T] et ont sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de ces derniers au paiement d'une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi en raison notamment des troubles de voisinage.
Le tribunal de grande instance s'est prononcé par jugement du 16 octobre 2018 et a :
- débouté M. [G] et Mme [T] de leurs demandes ;
- débouté M. et Mme [E] de leurs demandes ;
- condamné M. [G] et Mme [T] à payer à M. et Mme [E] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [G] et Mme [T] aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [G] et Mme [T] ont interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 6 décembre 2018, leur appel étant limité aux dispositions les ayant déboutés de leurs différentes demandes de condamnation présentées à l'encontre de M. et Mme [E], condamnés à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. et Mme [E] et condamnés aux dépens.
M. et Mme [E] ont constitué avocat le 26 décembre 2018.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2022, conformément à l'avis de clôture et de fixation adressé aux parties le 8 octobre 2021, et l'affaire a été fixée à l'audience du 21 mars 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 31 mai 2021 pour M. [G] et Mme [T] ;
- le 10 mai 2019 pour M. et Mme [E].
*
Au visa des articles 544 et suivants du code civil, M. [G] et Mme [T] demandent à la cour de réformer le jugement du 16 octobre 2018 en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes et statuant à nouveau, de :
- condamner M. et Mme [E] à retirer tous les ouvrages (clôture, palissades, poteaux, fixations, etc) se trouvant sur leur terrain et à le remettre dans l'état dans lequel il se trouvait avant la réalisation de leurs travaux et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- condamner M. et Mme [E] à leur verser la somme de 22 483,35 euros avec indexation sur l'indice BT01 entre la date d'établissement du devis de la société Chauvin Denis et la date de règlement de la condamnation qui sera prononcée au titre des travaux de démolition et de reconstruction de leur mur de clôture ;
- condamner M. et Mme [E] à leur verser 15 000 euros à titre de dommages et intérêts au regard des préjudices immatériels subis ;
- condamner M. et Mme [E] à leur payer la somme de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
- condamner M. et Mme [E] aux entiers dépens ;
- débouter les intimés de leurs demandes reconventionnelles à leur encontre et donc confirmer le jugement sur ce point ;
- réformer le jugement du 16 octobre 2018 en ce qu'il les a condamnés à verser 3 000 euros à M. et Mme [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [G] et Mme [T] exposent qu'ils ont entrepris d'édifier une véranda à la fin de l'année 2011 et qu'il était également prévu la construction d'un mur séparatif entre leur parcelle et celle de M. et Mme [E] mais qu'au début de l'année 2012, alors que la véranda était déjà édifiée et que les travaux de création du mur séparatif étaient en cours, il s'est avéré impossible de poursuivre la construction de cet ouvrage en raison de l'édification par M. [E] d'une clôture séparative empiétant sur leur parcelle sur environ 7 centimètres.
Ils soutiennent en substance qu'une confusion a été entretenue par leurs adversaires avec le litige concernant le bornage entre la parcelle AB [Cadastre 4] et la parcelle AB [Cadastre 2], qui appartient en indivision à Mme [T] et à sa mère et non à M. [G]. Ils estiment que le sursis à statuer a été prononcé à tort par le juge de la mise en état puisque les deux litiges sont distincts et ils font grief aux premiers juges d'avoir rejeté leurs demandes en se référant dans leurs motifs à l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2017, alors que le présent litige intéresse seulement la parcelle AB [Cadastre 3] et ne concerne pas les mêmes parties.
M. [G] et Mme [T] affirment que les constats d'huissier qu'ils versent aux débats établissent la preuve de l'empiétement sur leur propriété ainsi que celle selon laquelle leur mur n'a pu être terminé à cause de la clôture édifiée par M. et Mme [E]. Ils soutiennent qu'en raison de la longueur de la procédure, le mur s'est dégradé, notamment en raison du gel, et qu'ils n'ont pas eu d'autre choix que de démolir la partie du mur inachevé et de reconstruire l'ensemble de cet ouvrage pour la somme de 22 483,35 euros TTC.
Au soutien de leur demande en dommages et intérêts d'un montant de 15 000 euros, ils expliquent avoir subi un important préjudice moral résultant de l'impossibilité de se protéger de la vue de leurs voisins et de leurs nombreux clients hébergés en chambres d'hôtes, ce pendant plusieurs années, et ils soulignent que Mme [T] a subi des arrêts maladie successifs depuis 2014 en raison d'une dépression chronique liée à la situation conflictuelle résultant de cette procédure, à l'origine pour elle d'une incapacité persistante de travailler.
Pour s'opposer aux demandes reconventionnelles de M. et Mme [E], ils font valoir que ces derniers ne peuvent solliciter une indemnité en raison de l'occupation d'une bande de terrain située entre leur parcelle et la parcelle AB [Cadastre 2] puisque cela intéresse un contentieux distinct, définitivement tranché par l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2017. Ils contestent également les demandes fondées sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage.
*
M. et Mme [E] demandent à la cour, au visa de l'article 544 du code civil, de :
- débouter M. [G] et Mme [T] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions et en conséquence, confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Angers en date du 16 octobre 2018 en ce qu'il déboute M. [G] et Mme [T] de leurs demandes et les condamne à une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- ajoutant au jugement, les recevoir en leur appel incident et en conséquence,
* infirmer le débouté de leur demande indemnitaire sur le fondement des troubles anormaux de voisinage ;
* prononcer la condamnation solidaire de M. [G] et Mme [T] à une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi ;
En tout état de cause :
- condamner solidairement M. [G] et Mme [T] à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. [G] et Mme [T] aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
M. et Mme [E] font valoir qu'afin d'assurer la tranquillité de leurs clients accueillis en chambres d'hôtes dont les fenêtres sont à 4 mètres de la propriété voisine, ils ont informé M. [G] et Mme [T] le 10 mars 2012 de leur volonté de construire une clôture par palissade en limite de propriété, derrière une haie de lauriers, mais qu'ils se sont heurtés à une opposition de leurs voisins, sans explication.
Ils exposent qu'après avoir fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier sur la base d'indications erronées quant aux limites de propriété, M. [G] et Mme [T] leur ont ensuite présenté une proposition d'achat d'une bande de terre de 47 à 58 centimètres longeant leur propriété pour la somme de 500 euros, proposition qu'ils ont refusée, et qu'ils ont dans un troisième temps empêché par divers moyens, à titre de représailles, la construction de la palissade, malgré l'autorisation accordée par la mairie le 26 avril 2012.
M. et Mme [E] ajoutent que M. [G] et Mme [T] ainsi que Mme [K] ont contesté les limites de propriété entre les parcelles AB [Cadastre 4] et AB [Cadastre 2] en revendiquant la propriété de la bande de terrain qu'ils souhaitaient leur acheter et que pour mettre fin à toute contestation, ils ont décidé d'engager une procédure de bornage, d'abord amiable puis judiciaire, qui a tourné à leur avantage. Ils exposent que malgré le jugement du tribunal d'instance du 7 avril 2015, M. [G] et Mme [T] ont continué de construire et d'utiliser la bande de terrain qu'ils s'étaient appropriés de fait en 2012-2013. Ils ajoutent que M. [G] et Mme [T] n'ont restitué la bande de terrain qu'après l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2017 qui a confirmé le jugement du tribunal d'instance du 7 avril 2015 et prononcé des condamnations supplémentaires contre Mme [T] et sa mère, de sorte qu'ils n'ont pu terminer la construction de leur palissade qu'après 5 ans de procédure.
Ils contestent tout empiétement de poteaux ou de palissade sur le fonds voisin en soutenant que leur palissade ne pourrait pas empiéter sur la parcelle cadastrée AB [Cadastre 3] puisque M. [G] et Mme [T] ont eux-même réalisé un mur de clôture de borne à borne, en limite de propriété et derrière leur palissade. Ils considèrent qu'aucun motif ne justifie la demande présentée à leur encontre pour financer la démolition et la reconstruction d'un mur de 28,20 mètres pour la somme de 22 483,35 euros.
Au soutien de leur appel incident, M. et Mme [E] affirment que M. [G] et Mme [T] n'ont pas hésité à apposer des obstacles aux extrémités de la bande de terrain de 47 centimètres de large pour les empêcher de construire leur palissade et qu'ils ont fait constater ces faits par huissier de justice à plusieurs reprises. Ils soutiennent également que leurs voisins ont commis diverses voies de fait (jets de piquets métalliques ou de branches, destruction du début de la palissade en juin 2012, déversement de fumier sur la bande de terrain litigieuse à proximité de la piscine utilisée par leurs hôtes, saccage de la haie, construction d'un cabanon sur leur terrain etc). Ils s'estiment bien fondés à obtenir la condamnation de leurs voisins au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi sur la période 2012-2017, pour l'atteinte au droit de propriété et pour troubles anormaux de voisinage. Ils estiment que si la cour d'appel d'Angers s'est prononcée en 2017 sur le bornage judiciaire, elle n'a en revanche pas statué sur les troubles de voisinage pour lesquels ils se considèrent recevables à agir.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la demande tendant à l'enlèvement des ouvrages édifiés par M. et Mme [E] sur le fonds d'autrui
Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
M. [G] et Mme [T] font valoir, à juste titre, que la question de la délimitation entre leur propriété cadastrée AB [Cadastre 3] et la propriété de M. et Mme [E] est distincte de celle qui intéresse la délimitation de la propriété de ces derniers avec la propriété cadastrée AB [Cadastre 2] appartenant à Mme [W] [T] et à sa mère, Mme [S] [K]. Les premiers juges ne pouvaient donc rejeter leur demande en se référant à l'autorité de la chose jugée résultant de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2017 puisque ce litige distinct portait uniquement sur les limites de propriété entre les parcelles AB [Cadastre 4] et AB [Cadastre 2] et, de surcroît, ne concernait pas les mêmes parties.
Il convient par conséquent de rechercher si des ouvrages édifiés par M. et Mme [E] empiètent sur la parcelle AB [Cadastre 3] de M. [G] et Mme [T], comme ceux-ci le soutiennent.
Les appelants se fondent d'abord sur le procès-verbal de constat établi le 14 mai 2012 par Me [R], huissier de justice, et notamment sur les éléments suivants : 'Enfin, derrière le garage des requérants, je constate la présence d'une clôture séparative avec une portion en décroché composée d'une palissade. A ce niveau, je constate à l'aide d'un mètre dérouleur que le poteau de clôture de M. [E] se situe à 47 cm du fonds des requérants soit 7 cm empiétés sur leur terrain selon déclarations de M. [G] et à la vue des relevés piézométriques en sa possession' (pièce n° 4).
Les constatations ainsi faites par l'huissier l'ont donc été à partir des déclarations et des éléments communiqués par M. [G] et sont particulièrement équivoques en ce sens que l'on comprend mal comment le poteau de clôture peut à la fois se trouver à 47 centimètres du fonds des appelants tout en empiétant de 7 centimètres sur celui-ci. En outre, aucune explication n'est apportée à propos de l'utilité que des relevés piézométriques, destinés en principe à mesurer le niveau d'eau dans le sol, serait susceptible de présenter dans le cadre du présent litige.
M. [G] et Mme [T] se réfèrent ensuite à un autre procès-verbal de constat établi par le même huissier le 4 janvier 2013 qui, après avoir pris connaissance d'un procès-verbal de délimitation et de bornage du 11 décembre 2000 ayant matérialisé une limite de propriété par un point K, a formulé les observations suivantes : 'Je me rends alors au fond du terrain et plus particulièrement à l'angle gauche du terrain en limite de la propriété de M. [E] et je constate que l'arête du muret mentionnée dans le procès-verbal de bornage sous la lettre K est toujours présente, que celle-ci est entièrement positionnée sur le terrain de M. [E] de sorte que le terrain [T]-[K] ne commence bien qu'à compter de l'arête du muret, aucune autre borne de bornage n'étant présente ce jour'. L'huissier a ensuite constaté sur la partie avant de la propriété des requérants que leur mur de clôture en parpaings n'était ni monté ni effectué 'le mur de palissade dressé par leur voisin M. [E] rendant impossible l'édification du mur de clôture' (pièce n° 11).
Ce procès-verbal de constat ne permet pas de comprendre en quoi la confirmation de la localisation du point K identifié auparavant par le procès-verbal de bornage établirait l'existence d'un empiétement de la part de M. et Mme [E] et il ne contient d'ailleurs aucune affirmation ni indication en ce sens. Si le mur de palissade peut effectivement constituer une gêne ou un empêchement à l'édification du mur de clôture par les appelants en limite de leur propre fonds, ce simple constat ne permet cependant en rien de prouver que la palissade aurait été implantée sur ce fonds, ni même qu'elle l'aurait été sur la ligne séparative sans leur accord, étant souligné que la demande d'enlèvement des ouvrages est clairement et exclusivement fondée sur la notion d'empiétement sur le terrain d'autrui, qui trouve sa source dans l'article 545 du code civil, et non sur la gêne qui résulterait d'une implantation trop proche, laquelle se rattacherait à la notion d'abus de droit.
Enfin, le troisième procès-verbal d'huissier auquel se réfèrent M. [G] et Mme [T], dressé le 19 février 2018 par Me [N], se borne à constater l'état du mur de clôture dont la construction a été entreprise par les appelants sans avoir pu être achevée mais il ne contient aucun élément pertinent permettant de caractériser un éventuel empiétement résultant d'ouvrages édifiés par les intimés (pièce n° 12).
En l'absence de preuve selon laquelle des ouvrages auraient été implantés par leurs voisins sur leur propriété, M. [G] et Mme [T] doivent être déboutés de leur demande tendant à la condamnation sous astreinte de M. et Mme [E] à retirer les clôtures, palissades, poteaux ou fixations se trouvant sur leur terrain et à le remettre dans l'état dans lequel il se trouvait avant la réalisation des travaux. Le jugement ayant débouté M. [G] et Mme [T] de cette demande est donc confirmé de ce chef, les motifs du présent arrêt se substituant à ceux des premiers juges.
- Sur la demande tendant à la prise en charge du coût de démolition et de reconstruction du mur de clôture
Le fondement juridique de cette demande n'est pas clairement énoncé dans les dernières conclusions de M. [G] et Mme [T] mais repose implicitement sur l'ancien article 1382 du code civil, applicable jusqu'au 30 septembre 2016, devenu l'article 1240. Les premiers juges n'ont pas réellement motivé la décision par laquelle ils ont débouté les appelants de cette demande, si ce n'est par référence à l'autorité de la chose jugée.
Il y a donc lieu de rechercher si en édifiant une clôture en limite séparative de leur propriété, M. et Mme [E] ont par là même empêché M. [G] et Mme [T] d'édifier un mur de clôture en limite de leur fonds et ont ainsi commis une faute à l'origine d'un préjudice consistant dans le dépérissement d'une construction inachevée qui doit désormais être démolie puis reconstruite.
Le maire de la commune de [Localité 7] a pris le 26 avril 2012 un arrêté de non-opposition à une déclaration préalable de travaux présentée par M. [E] le 27 mars 2012 portant sur 'l'édification d'une clôture par palissade bois en limite séparative'. Les intimés disposaient donc d'une autorisation administrative pour implanter cette clôture.
M. [G] et Mme [T] ne rapportent pas la preuve de la date exacte à laquelle ils ont entrepris la construction du mur séparatif entre leur parcelle et celle de M. et Mme [E]. Il résulte toutefois de photographies prises par ces derniers les 4 et 5 avril 2012 (pièces n° 7) qu'étaient déjà alors visibles les fondations en béton, le soubassement en parpaing et une partie du ferraillage du mur.
Il apparaît donc que les deux parties ont entrepris à peu près simultanément de se clore.
M. et Mme [E] affirment qu'ils n'ont pu édifier en totalité leur palissade qu'en 2017.
Le procès-verbal de constat du 4 janvier 2013 permet cependant de relever la présence de palissades en bois du côté de la propriété des intimés ainsi que celle de parpaings du côté des appelants, de sorte que la palissade existait déjà à l'époque sur une partie du terrain de M. et Mme [E]. Mais ce procès-verbal mentionne que 'les parpaings présents sont seulement posés les uns sur les autres pour certains sans aucune pose de mortier ni ciment et qu'en tous les cas le mur ne peut être construit en l'état'. M. [G] et Mme [T] ont donc fait le choix de poursuivre une construction qui ne répondait manifestement pas aux normes, ce qui est confirmé par le procès-verbal de constat du 19 février 2018 qui montre l'état d'inachèvement et de dégradation du mur. Il y a lieu de relever que les appelants ne produisent aucune facture prouvant que ce mur a été construit par un homme de l'art.
Il résulte clairement de la configuration des lieux que la construction du mur de M. [G] et Mme [T] ne pouvait être conduite dans les règles de l'art qu'en permettant à l'entrepreneur concerné de travailler de chaque côté, de façon notamment à ce qu'il puisse réaliser les joints entre les parpaings, ce qui aurait pu justifier un enlèvement temporaire des palissades déjà posées par M. et Mme [E], et en sollicitant une autorisation provisoire dite de tour d'échelle. Un éventuel refus des intimés aurait alors pu être analysé à la lumière du principe de l'abus de droit.
Mais M. [G] et Mme [T] ne rapportent pas la preuve qu'ils ont présenté une telle demande à M. et Mme [E] qui l'auraient refusée puisque leur action tendait au retrait pur et simple de la palissade et non à l'exercice temporaire d'un tour d'échelle. Dès lors que M. et Mme [E] étaient fondés à refuser l'enlèvement définitif de leur clôture en vertu du principe résultant de l'article 687 du code civil selon lequel tout propriétaire peut clore son héritage, il n'est pas établi qu'ils ont commis un abus de droit qui serait à l'origine du préjudice subi par M. [G] et Mme [T].
Il y a lieu par conséquent de débouter M. [G] et Mme [T] de leur demande de condamnation de M. et Mme [E] au paiement de la facture de 22 483,35 euros correspondant au coût de la démolition et de la reconstruction complète d'un mur et de confirmer le jugement de ce chef.
- Sur la demande au titre des préjudices immatériels
Selon un certificat médical établi le 2 octobre 2017, le docteur [V] [J], médecin psychiatre, indique que Mme [T] lui a rapporté des événements des derniers mois en lien avec le voisinage et qu'elle a évoqué une rechute de son état de santé, avec une peur, une appréhension et une impossibilité de rester seule. Il ressort d'un certificat médical du 30 novembre 2018 du docteur [C], praticien psychiatre hospitalier, que Mme [T] est suivie de manière régulière en consultation spécialisée depuis plusieurs années pour un épisode dépressif caractérisé. Les appelants communiquent également un certificat du 4 mars 2014 faisant état de l'impossibilité pour Mme [T] d'une reprise du travail à la suite d'un congé maladie, même en mi-temps thérapeutique, et de la nécessité d'un congé de longue durée ainsi que 24 avis d'arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif depuis un certificat médical initial du 29 mars 2013 jusqu'à un certificat médical de prolongation du 22 septembre 2017.
S'il ne peut être contesté au vu de ces éléments que Mme [T] souffre d'un syndrome dépressif, le lien avec la présente affaire ou avec les autres procédures judiciaires concernant leurs voisins ne repose toutefois que sur ses déclarations et ses doléances. En outre, à supposer qu'un tel lien existe, la preuve n'est pas rapportée que M. et Mme [E] ont commis une faute qui serait à l'origine du préjudice invoqué par les appelants, étant observé qu'ils ont eux-mêmes pris l'initiative de cette procédure.
M. [G] et Mme [T] doivent par conséquent être déboutés de leur demande en dommages et intérêts au titre de préjudices immatériels et le jugement est confirmé de ce chef.
- Sur la demande reconventionnelle pour troubles anormaux de voisinage
Il ne résulte pas de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2017, qui ne concernait pas les mêmes parties, qu'il a déjà tranché une contestation portant sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage, même s'il a été fait injonction à M. [G] et Mme [T] d'enlever les obstacles situés sur la bande de terrain appartenant à M. et Mme [E], le long de la parcelle cadastrée AB [Cadastre 2]. Cette disposition était en réalité la conséquence de la délimitation de propriété et du bornage judiciaire que la cour confirmait.
En tout état de cause, aucune fin de non-recevoir n'est soulevée dans le dispositif des conclusions des appelants et cette demande se rattache à la demande principale par un lien suffisant.
M. [E] a déposé une plainte le 3 octobre 2012 auprès de la gendarmerie pour avoir reçu à deux reprises sur la tête des branches d'arbre lancées depuis la propriété de Mme [S] [K] (c'est à dire la parcelle AB [Cadastre 2] non concernée par le présent litige). M. [E] a indiqué qu'il n'a pu voir qui était l'auteur mais a porté ses soupçons sur M. [G] et Mme [T] en raison de l'âge avancé de Mme [K]. Ces éléments sont cependant insuffisants pour caractériser des faits imputables avec certitude à M. [G] et Mme [T]. La même observation peut être formulée à propos d'une plainte pour menaces de violence et insultes déposée par M. [E] le 6 mai 2015, compte tenu de l'absence de témoin, le plaignant ayant lui-même expliqué aux gendarmes être régulièrement insulté par son voisin, mais jamais en présence de témoin.
Deux clients reçus en chambre d'hôtes ont en revanche attesté le 21 août 2014 avoir vu et entendu M. [E] reprocher la veille à son voisin, M. [G], présent de l'autre côté de la haie de lauriers palmes longeant la piscine, de tailler cette haie (qui appartenait aux intimés) et de rejeter les branches par dessus.
Il ressort du procès-verbal de constat établi le 14 juin 2013 par Me [B], huissier de justice, que des obstacles avaient été placés sur la bande de terrain d'environ 48 centimètres se trouvant entre la limite de propriété et la haie implantée sur la parcelle de M. et Mme [E], empêchant ceux-ci de pouvoir tailler normalement leur haie en la contournant. L'huissier a aussi constaté une forte odeur incommodante de lisier en se trouvant au niveau de la piscine utilisée par les clients des chambres d'hôtes. Un autre procès-verbal de constat du 12 novembre 2013 a mis en évidence la présence de fil de fer barbelé. Un procès-verbal du 9 septembre 2015 a permis de constater la présence de divers obstacles dont des rouleaux de fil grillagé. Les constats de ces difficultés ne concernent pas seulement la limite avec la parcelle AB [Cadastre 2] mais l'ensemble de la propriété de M. et Mme [E], et donc aussi la limite avec la parcelle AB [Cadastre 3].
Il résulte de ces éléments la preuve selon laquelle M. [G] et Mme [T] ont délibérément adopté un comportement inadapté et vindicatif à l'égard de leurs voisins en procédant de façon répétée et sur une longue période à divers agissements assimilables à des voies de fait, y compris par des actes tendant à l'occupation d'une bande de terrain sans attendre le résultat des actions engagées devant les juridictions. Le cumul de ces faits est constitutif de troubles anormaux de voisinage et justifie que M. [G] et Mme [T] soient condamnés in solidum à payer à M. et Mme [E] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement ayant débouté les intimés de leur demande reconventionnelle est donc infirmé de ce chef.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par M. et Mme [E] et de condamner in solidum M. [G] et Mme [T] à leur payer la somme de 1 500 euros sur ce fondement.
M. [G] et Mme [T], partie perdante, doivent être déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés in solidum aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec autorisation pour l'avocat de M. et Mme [E] de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance d'Angers du 16 octobre 2018, sauf en ce qu'il a débouté M. [I] [E] et Mme [F] [H] épouse [E] de leurs demandes ;
Statuant à nouveau, du chef de la disposition infirmée et y ajoutant :
DIT que M. [Y] [G] et Mme [W] [T] ont commis des agissements constitutifs de troubles anormaux de voisinage à l'égard de M. [I] [E] et Mme [F] [H] épouse [E] ;
CONDAMNE en conséquence in solidum M. [Y] [G] et Mme [W] [T] à payer à M. [I] [E] et Mme [F] [H] épouse [E] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) à titre de dommages et intérêts ;
CONDAMNE in solidum M. [Y] [G] et Mme [W] [T] à payer à M. [I] [E] et Mme [F] [H] épouse [E] la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais irrépétibles exposés en appel ;
CONDAMNE in solidum M. [Y] [G] et Mme [W] [T] aux entiers dépens de la procédure d'appel et autorise la Selarl Lex Publica (Me [X] [L]) à faire application de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER