COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
YB/IM
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 18/00761 - N° Portalis DBVP-V-B7C-EJJP
Jugement du 06 Mars 2018
Tribunal d'Instance du MANS
n° d'inscription au RG de première instance : 1117001226
ARRÊT DU 03 MAI 2022
APPELANT :
Monsieur [V] [W] [R]
né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 5] (92)
[Adresse 1]
[Localité 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/002746 du 03/04/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
Représenté par Me GODEAUde la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS exerçant sous l'enseigne COGEP AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS
INTIME :
Maître [O] [C]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Inès RUBINEL, substituant Me Jean BROUIN de la SCP AVOCATS DEFENSE ET CONSEIL, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 317094
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 08 Février 2022 à 14 H 00, Monsieur BRISQUET, Conseiller ayant été préalablement entendu en son rapport, devant la Cour composée de :
Madame MULLER, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur BRISQUET, Conseiller
Madame ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 03 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseiller faisant fonction de Président, et par Christine LEVEUF, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
~~~~
FAITS ET PROCÉDURE
Par décision du 14 décembre 2016, le bureau d'aide juridictionnelle de Tours a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. [V] [R] dans le cadre d'une procédure l'opposant à la société Sogefinancement engagée devant le tribunal d'instance de Tours et Me [O] [C], avocat au barreau de Tours, a été désigné par le bâtonnier du barreau de cette ville afin de l'assister dans cette procédure.
Par décision complétive du bureau d'aide juridictionnelle de Tours du 8 février 2017, Me [C] a également été désigné, aux lieu et place de Me [B], qui avait été désigné le 27 janvier 2016 afin d'assister M. [R] dans le cadre d'une procédure l'opposant à la Société Générale devant le tribunal de grande instance de Tours.
Estimant ne pas être en mesure de remplir sa mission dans ces deux dossiers, en raison notamment du refus de M. [R] de le rencontrer, Me [C] a demandé le 13 mars 2017 au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Tours à en être déchargé et a informé M. [R] de cette démarche par courrier du même jour. Par un courrier du 20 mars 2017, Me [C] a également informé M. [R] qu'il n'interviendrait pas dans le dossier l'opposant à Mme [J] [U] et pour lequel il lui avait fait parvenir des pièces, en précisant qu'il n'avait pas été désigné par le bâtonnier pour intervenir dans cette affaire.
*
Par acte d'huissier du 6 septembre 2017, M. [R] a fait assigner Me [C] devant le tribunal d'instance du Mans aux fins de voir :
- déclarer ses demandes recevables et bien fondées,
- constater les négligences et fautes commises par M. [C] à son encontre, dans le cadre du mandat confié par le bureau d'aide juridictionnelle de Tours et le bâtonnier de l'ordre des avocats de Tours,
- dire et juger que le désistement de M. [C] du même mandat est irrégulier et abusif,
- dire et juger que les négligences, les fautes et le désistement de M. [C] lui ont nécessairement causé préjudice dans le cadre de ces procédures à introduire devant les juridictions de Tours,
- condamner M. [C] à lui payer et porter la somme de 8 000 euros en réparation des dommages subis,
- condamner M. [C] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeter la masse des conclusions, pièces et demandes contraires du défendeur,
- laisser au même défendeur la charge de tous les dépens de l'instance,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par jugement du 6 mars 2018, le tribunal d'instance du Mans a :
- déclaré irrecevables les demandes formées par M. [R], comme n'ayant pas été soutenues oralement devant la juridiction ;
- condamné M. [R] à verser à M. [C] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [R] aux entiers dépens de l'instance.
Le tribunal a retenu en substance que M. [R] n'avait jamais comparu en personne ni ne s'était fait représenter, qu'il n'avait pas été dispensé de comparaître en application de l'article 446-2 du code de procédure civile et que, par conséquent, l'ensemble de ses demandes, non soutenues oralement, devaient être déclarées irrecevables.
Par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 13 avril 2018, M. [R] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables ses demandes et l'a condamné à payer à M. [C] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [C] a constitué avocat le 2 mai 2018.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 avril 2020.
Conformément à l'avis de fixation adressé aux parties le 26 août 2021, l'affaire a été fixée à l'audience du 8 février 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 31 décembre 2018 pour M. [R],
- le 2 octobre 2018 pour M. [C].
*
Au visa des articles 468 du code de procédure civile, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6 et 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1231-1 et 1991 et suivants du code civil, 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ainsi que du décret n° 2005-790 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, M. [R] sollicite l'infirmation du jugement du tribunal d'instance du Mans du 6 mars 2018 (RG n° 11-17-001226) en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
- dire et juger que Me [C] a commis des fautes dans l'exercice de son mandat,
- dire et juger que le désistement de Me [C] du même mandat est irrégulier et abusif,
- dire et juger que les fautes commises par Me [C] et son désistement abusif lui ont nécessairement causé préjudice dans le cadre des procédures à introduire devant les juridictions de Tours,
- condamner Me [C] à lui payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
- condamner Me [C] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,
- condamner Me [C] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner Me [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [R] soutient que la sanction de la non-comparution des parties devant le tribunal d'instance est l'irrecevabilité des conclusions et pièces, laquelle n'emporte pas irrecevabilité des demandes faute d'avoir été soutenues oralement. Il considère que le tribunal ne pouvait, en application de l'article 468 du code de procédure civile, que soit rendre un jugement au fond à la demande de l'adversaire, soit renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ou soit déclarer d'office la citation caduque mais qu'il ne pouvait, en tout état de cause, déclarer les demandes irrecevables faute d'avoir été soutenues oralement. Il précise qu'il pensait légitimement être dispensé de comparution en application de l'article 446-1 du code de procédure civile, compte tenu de décisions prises en ce sens dans deux autres dossiers similaires soumis à la même juridiction, et soutient que la juridiction a ainsi appliqué un traitement discriminatoire.
Sur le fond, M. [R] fait valoir que Me [C] a commis une faute dans l'exécution de son mandat alors qu'il était tenu, en vertu des articles 1991 et 1992 du code civil, à une obligation de renseignement et de conseil ainsi qu'à une obligation de prudence et de diligence nécessitant de prendre toutes dispositions utiles en raison de l'urgence à saisir les différentes juridictions dans les délais requis. Il considère que le refus d'intervention de Me [C] n'est pas justifié et souligne que selon l'article 6 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, celui-ci est tenu de déférer aux désignations et commissions d'office et qu'il ne peut être déchargé de son mandat que dans le respect des règles prévues à l'article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ainsi qu'à l'article 2007 du code civil, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Il considère que Me [C] a invoqué des prétextes injustifiés, tenant notamment à une absence de rendez-vous physique et à un comportement prétendument irrespectueux, pour se soustraire à ses obligations, alors qu'en réalité, il n'était pas disposé à intervenir au titre de l'aide juridictionnelle.
M. [R] affirme avoir subi un préjudice incontestable se manifestant par des tracas inutiles et un stress continuel, ainsi qu'une perte de chance certaine dans le traitement de ses dossiers judiciaires, en soulignant que le dossier l'opposant à la Société Générale a fait l'objet d'une ordonnance de radiation le 29 mai 2018, faute d'avocat constitué.
Il souligne que Me [C] invoque des arguments et des pièces qui sont pour certaines étrangères à la présente procédure et qui ne visent qu'à jeter le discrédit sur lui, en laissant croire qu'il s'inscrirait dans une attitude d'opposition systématique vis-à-vis de ses différents conseils.
*
M. [C], pris en sa qualité d'avocat, demande à la cour de :
- dire et juger M. [R] irrecevable et mal fondé en ses demandes, fins et prétentions et l'en débouter,
- confirmer le jugement du tribunal d'instance du Mans en date du 6 mars 2018 en toutes ses dispositions,
- condamner M. [R] à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés suivant les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
À titre préliminaire, M. [C] considère que M. [R], qu'il qualifie de plaideur quérulent, fait preuve d'une attitude particulièrement procédurière en multipliant les instances contre des avocats l'ayant assisté dans diverses affaires ainsi que contre les conseils de l'ordre et leurs bâtonniers.
M. [C] soutient que l'appelant ne rapporte pas la preuve d'une faute de sa part de nature à engager sa responsabilité et affirme avoir scrupuleusement respecté les dispositions des articles 6 et 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, ainsi que la jurisprudence, pour se décharger de sa mission d'assistance de M. [R] dans le cadre des procédures opposant celui-ci à la Société Générale et à la société Sogefinancement, en soulignant que l'appelant a refusé à plusieurs reprises de le rencontrer. Il considère que le bâtonnier l'a implicitement déchargé desdits dossiers par courrier du 17 mars 2017, eu égard au comportement agressif et désobligeant de l'appelant, et qu'il en a aussitôt informé M. [R]. Il prétend que suite à ces dessaisissements dans lesdits dossiers, l'attitude de l'appelant n'a fait que se dégrader pour aboutir à des injures et insultes à son endroit et envers le bâtonnier.
L'intimé estime que l'appelant ne justifie ni du principe ni du montant du préjudice allégué et qu'il ne démontre pas non plus l'existence d'un lien de causalité entre les manquements reprochés et le préjudice allégué.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité des demandes formées par M. [R]
Il résulte du jugement prononcé le 6 mars 2018 que M. [R], demandeur à l'instance, avait fait parvenir des écritures ainsi que diverses correspondances au greffe du tribunal d'instance du Mans, sans toutefois avoir jamais comparu à l'une des audiences tenues devant cette juridiction ni s'y être fait représenter. Il ne ressort d'aucun élément du dossier que M. [R] ait sollicité, dans le cadre de l'affaire enrôlée sous le numéro de répertoire général 11-17-001226 qui est seule concernée par la présente procédure d'appel, le bénéfice des dispositions des articles 446-1 et 847-1 du code de procédure civile, le second dans sa rédaction applicable au litige, de sorte qu'il ne peut soutenir avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire puisque la dispense de comparution ne pouvait être sollicitée et accordée que pour une instance précise. Les dispenses de comparution accordées au demandeur le 7 février 2017 par le tribunal d'instance du Mans, en application de l'article 446-1 du code de procédure civile, dans les affaires n° 11-16-001019 et 11-16-001146, ne pouvaient en revanche être étendues par analogie à l'instance concernée par le présent appel.
Toutefois, Me Brouin, avocat au barreau d'Angers, ayant comparu pour le compte du défendeur devant le tribunal d'instance du Mans à son audience du 30 janvier 2018 et ayant sollicité un jugement sur le fond, la juridiction devait faire application de l'article 468 du code de procédure civile selon lequel si, sans motif légitime, le demandeur ne comparaît pas, le défendeur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire, sauf la faculté du juge de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ou de déclarer, même d'office, la citation caduque.
Si en procédure orale, une demande en justice présentée dans un écrit n'est valablement formée que lorsqu'elle est oralement soutenue à l'audience des débats, de sorte que le tribunal d'instance ne pouvait prendre en considération dans la motivation de sa décision les écritures et les pièces qui lui avaient été adressées par voie postale ou électronique par M. [R], les demandes dont la juridiction était saisie par l'assignation du 6 septembre 2017 ne pouvaient pas pour autant être déclarées irrecevables au seul motif du défaut de comparution du demandeur. À défaut d'avoir renvoyé l'affaire à une audience ultérieure ou d'avoir déclaré la citation caduque, il appartenait au tribunal de statuer au fond en rejetant les demandes de M. [R].
Le jugement doit en conséquence être infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par M. [R].
- Sur la mise en cause de la responsabilité professionnelle de Me [C]
La responsabilité de Me [C] est recherchée au titre de son activité d'avocat sur le terrain contractuel, étant observé que l'appelant vise notamment l'article 1231-1 du code civil, mais avec cette particularité que la formation du contrat n'a pas ici résulté de la liberté contractuelle et du libre choix du cocontractant mais de la désignation de l'avocat par le bâtonnier, en vertu des règles régissant l'aide juridictionnelle.
Il résulte de l'article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique que l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle est tenu de prêter son concours tant qu'il ne justifie pas avoir été valablement déchargé de sa mission. Selon l'article 6 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, 'L'avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d'office, sauf motif légitime d'excuse ou d'empêchement admis par l'autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission'. Il appartient à l'avocat qui soutient avoir été valablement déchargé de sa mission par l'autorité ayant procédé à sa désignation d'en rapporter la preuve.
Les textes ne précisent pas en vertu de quel formalisme l'avocat désigné doit être déchargé de sa mission, hormis l'hypothèse, non concernée par la présente affaire, dans laquelle l'auxiliaire de justice prêtait son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle avant que celle-ci lui ait été accordée (article 83 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, désormais remplacé par l'article 78, alinéas 1 et 2, du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020).
En l'espèce, Me [C] a écrit le 13 mars 2017 à Madame le bâtonnier du barreau de Tours pour lui demander de le relever de sa désignation dans les deux dossiers concernant la Société Générale et la société Sogefinancement, en exposant que M. [R] lui avait adressé de nombreux courriels pour ces deux affaires, ainsi que pour une affaire contre Mme [U] au titre de laquelle il n'était pas désigné, mais qu'il avait refusé de le rencontrer, lui intimant l'ordre en revanche de réaliser des formalités et lui indiquant qu'il n'avait pas confiance en lui en raison de sa qualité de pénaliste et non de civiliste. Par un courrier recommandé du même jour, Me [C] a informé M. [R] qu'il ne s'estimait pas en mesure de remplir la mission pour laquelle il avait été désigné par Madame le bâtonnier en retournant à celle-ci sa désignation, en se déchargeant de toute responsabilité dans les deux dossiers pour lesquels il avait été désigné et en invitant M. [R] à se rapprocher de Madame le bâtonnier pour envisager la désignation d'un nouvel avocat.
Par lettre du 17 mars 2017, Madame le bâtonnier du barreau de Tours a accusé réception du courrier du 13 mars 2017 de Me [C] en lui apportant la précision suivante : 'Il convient que vous dégagiez votre responsabilité en précisant à M. [R] que vous n'êtes pas désigné pour le 3ème dossier'.
Par courrier recommandé du 20 mars 2017, Me [C] a informé M. [R] qu'il n'avait pas été désigné par Madame le bâtonnier pour intervenir au soutien de ses intérêts dans l'affaire l'opposant à Mme [U] et qu'il n'assumera aucune responsabilité dans celle-ci, en invitant M. [R] à se rapprocher de Madame le bâtonnier afin qu'un avocat autre que lui-même lui soit désigné d'office.
Dans la mesure où Madame le bâtonnier a invité Me [C] à dégager sa responsabilité, y compris pour le troisième dossier (et étant observé qu'il avait déjà dégagé sa responsabilité dans les deux premiers dossiers dans son courrier du 13 mars 2017), il en résulte nécessairement qu'elle a accepté de le décharger de sa mission. Me [C] rapporte ainsi la preuve selon laquelle son mandat a régulièrement pris fin le 17 mars 2017. M. [R] ne peut donc mettre en cause la responsabilité de Me [C] pour des éventuels manquements qui seraient postérieurs à cette date.
Il convient par conséquent de rechercher si Me [C] a commis des manquements à ses obligations entre les dates de ses désignations (le 14 décembre 2016 et le 8 février 2017), ou plus exactement des dates auxquelles il en eu connaissance, et le 17 mars 2017.
Par courrier du 1er février 2017, Me [C] a informé M. [R] qu'il venait d'être désigné pour succéder à Me [B] dans le dossier l'opposant à la Société Générale et le priait de bien vouloir contacter son cabinet au plus vite pour fixer un rendez-vous.
Dans un courriel du 6 février 2017, M. [R] a fourni à Me [C] un certain nombre d'explications concernant les deux dossiers (à cette date Me [C] n'était toutefois saisi que d'un seul dossier) et a transmis des documents. Il n'a pas évoqué l'éventualité d'un rendez-vous.
Le 21 février 2017, M. [R] s'est étonné auprès de Me [C] de n'avoir reçu que le 18 janvier 2017 la décision de désignation du bureau d'aide juridictionnelle prise le 14 décembre 2016, alors que cette réception tardive ne peut à l'évidence être reprochée à l'avocat désigné.
Le 23 février 2017, M. [R] a adressé un nouveau courriel à Me [C] dans lequel il s'étonnait de l'absence de suite donnée à ses envois du 6 février précédent, en soulignant qu'une audience était prévue le 3 avril 2017 dans le dossier concernant Mme [U] (mais pour lequel Me [C] n'était pas désigné), en faisant part de la nécessité de récuser un juge du tribunal d'instance de Tours et en s'étonnant que Me [C] soit spécialisé en droit pénal alors que des dossiers civils lui étaient confiés.
Le 2 mars 2017, Me [C] a écrit à M. [R] en lui rappelant son précédent courrier du 1er février dans lequel il l'invitait à fixer un rendez-vous, en soulignant qu'il n'était pas désigné pour prendre en charge l'affaire l'opposant à Mme [U] et en formulant les observations suivantes : 'Je vous rappelle que les règles de notre profession ne me permettent pas de vous assister ou de vous représenter si je n'ai pas la possibilité de vous rencontrer en rendez-vous à mon cabinet. En effet, je ne peux pas intervenir pour quelqu'un que je n'ai jamais rencontré, vous en conviendrez. Je réitère donc ma demande initiale, et vous prie de bien vouloir contacter mon secrétariat pour fixer un rendez-vous, faute de quoi je retournerai ma désignation à Madame le bâtonnier'.
Par un courriel du 10 mars 2017, M. [R] a accusé réception du courrier du 2 mars en indiquant ne pas comprendre le reproche formulé contre lui à propos de l'absence de prise de rendez-vous et en expliquant qu'une telle démarche était selon lui inutile dès lors que son interlocuteur disposait de tous les éléments pour la conduite des affaires devant le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance de Tours, un entretien téléphonique étant selon lui suffisant. Il a en outre expliqué qu'il ne se trouvait pratiquement plus à [Localité 3] puisqu'il évoluait principalement à [Localité 6] et à l'étranger et qu'il n'avait donc pas le temps d'honorer un entretien qu'il qualifiait d'inutile. Il s'est encore étonné du fait que son interlocuteur soit un pénaliste et non un civiliste et a formulé des critiques contre le barreau de Tours ('Votre désignation confine une fois de plus à la farce du bâtonnier dont le prédécesseur est déjà poursuivi pour fautes répétées au même titre que plusieurs de vos étranges confrères de ce non moins étrange barreau'). Il a ensuite donné des instructions à Me [C] ('Les délais d'introduction des deux dossiers étant très courts je vous demande de procéder impérativement à cette formalité') avant de terminer son propos par une forme de mise en garde à l'égard de l'auxiliaire de justice ('Il sera inutile de prétexter quelconque absence d'entretien pour justifier quelconque préjudice qui me serait créé pour défaut de ces diligences').
Il ressort de ces échanges que M. [R] a catégoriquement refusé de rencontrer l'avocat qui lui avait été désigné au titre de l'aide juridictionnelle, alors qu'il ne rapporte pas la preuve d'un motif légitime qui l'empêchait de se rendre au cabinet de Me [C] puisqu'il était domicilié à [Localité 7] tout comme celui-ci et qu'il ne pouvait invoquer sérieusement l'existence d'obligations professionnelles impérieuses lui imposant de se rendre à [Localité 6] ou à l'étranger dans la mesure où l'aide juridictionnelle totale lui a été accordée au cours des années 2016 à 2018 à chaque fois en raison de sa qualité de bénéficiaire du RSA et que ses conclusions déposées devant la présente juridiction mentionnent qu'il est sans profession.
Le règlement intérieur de la profession d'avocat prévoit en son article 1.5 ('Devoir de prudence') que 'En toutes circonstances, la prudence impose à l'avocat (...) d'identifier précisément son client. A cette fin, l'avocat est tenu de mettre en place, au sein de son cabinet, une procédure lui permettant d'apprécier, pendant toute la durée de sa relation avec le client, la nature et l'étendue de l'opération juridique pour laquelle son concours est sollicité'. Me [C] était donc bien fondé à soutenir que ses obligations déontologiques lui imposaient en principe de rencontrer physiquement la personne dont il prend en charge la défense des intérêts, ne serait-ce que pour être en mesure de vérifier que la personne lui ayant fait parvenir les pièces du dossier par voie électronique était bien son client. En tout état de cause, en sa qualité de professionnel du droit, il était libre de déterminer les modalités selon lesquelles il entendait exécuter sa prestation et M. [R] n'était pas en droit d'exiger que les échanges avec son avocat se limitent à de simples courriels. La circonstance selon laquelle un avocat nîmois, également désigné au titre de l'aide juridictionnelle pour une autre affaire, a accepté de faire l'économie de tout rendez-vous avec M. [R] n'est pas de nature à démontrer l'existence d'une faute de la part de Me [C], d'autant que celui-ci réside dans la même ville que l'appelant et que la situation ne peut être comparée avec celle d'un avocat distant de plusieurs centaines de kilomètres de son client.
Le refus opposé par M. [R] à toute rencontre avec Me [C] ne permettait donc pas à celui-ci d'exercer, comme il estimait devoir le faire au regard de ses obligations professionnelles, le mandat qui résultait de sa désignation au titre de l'aide juridictionnelle.
De surcroît, le ton employé par M. [R] dans ses courriels manifestait une animosité de principe envers Me [C], notamment par une mise en cause a priori de ses compétences en matière civile, qui ne lui permettait pas d'exercer sa mission de façon sereine et qui justifiait d'autant plus qu'il demande à être déchargé de sa mission. Il n'est donc pas établi que Me [C] ait commis un quelconque abus de droit en demandant au bâtonnier de le relever du mandat qui lui avait été confié.
Par ailleurs, il ne ressort pas des éléments du dossier que pendant la période au cours de laquelle Me [C] était régulièrement chargé des intérêts de M. [R], il ait commis un quelconque manquement à ses obligations de prudence, de diligence, de renseignement et de conseil.
Aucune faute n'étant établie à l'encontre de Me [C], il y a lieu de débouter M. [R] de sa demande en dommages et intérêts.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par Me [C] et de condamner en conséquence M. [R] au paiement de la somme de 1 500 euros.
M. [R], partie perdante, doit être débouté de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentées tant au titre de la première instance que de l'appel et il doit être condamné aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec autorisation pour l'avocat de l'intimé de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du tribunal d'instance du Mans du 6 mars 2018 (RG n° 11-17-001226) en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par M. [V] [R] ;
Statuant à nouveau :
DÉBOUTE M. [V] [R] de l'ensemble de ses demandes ;
CONFIRME le jugement pour le surplus ;
Y ajoutant :
CONDAMNE M. [V] [R] à payer à M. [O] [C] la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel ;
CONDAMNE M. [V] [R] aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec autorisation pour l'avocat de l'intimé de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER