La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2013 | FRANCE | N°11/017131

France | France, Cour d'appel d'Angers, 03, 18 juin 2013, 11/017131


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N

CLM/FB

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/01713

numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 10 Juin 2011, enregistrée sous le no 09/00036

ARRÊT DU 18 Juin 2013

APPELANTE :

SARL SOCIETE NOUVELLE IMPRIMERIE GIGAULT

ZI de l'Epronnerie

49290 CHALONNES S/ LOIRE

représentée p

ar Maître Aurélien TOUZET, substituant Maître André FOLLEN, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

Madame Marie-Claude Y...

...

44370 VARAD...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N

CLM/FB

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/01713

numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 10 Juin 2011, enregistrée sous le no 09/00036

ARRÊT DU 18 Juin 2013

APPELANTE :

SARL SOCIETE NOUVELLE IMPRIMERIE GIGAULT

ZI de l'Epronnerie

49290 CHALONNES S/ LOIRE

représentée par Maître Aurélien TOUZET, substituant Maître André FOLLEN, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

Madame Marie-Claude Y...

...

44370 VARADES

présente, assistée de Maître Philippe HEURTON, avocat au barreau d'ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2013 à 14 H 00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :

Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président

Madame Anne DUFAU, assesseur

Madame Anne LEPRIEUR, assesseur

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier

ARRÊT :

du 18 Juin 2013, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par madame LECAPLAIN MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Imprimerie Gigault a embauché Mme Marie-Claude Y... en qualité de monteur-dessinateur dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter 2 mai 1991.

Cette société fut placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Angers du 16 février 2005, Mme Martin-Touchais étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire. Par jugement du 26 octobre 2005, le tribunal a arrêté un plan de cession totale de l'entreprise au profit de M. Jean-François Berthet et de la société GGetG tant en leur nom qu'au nom de toute personne morale qu'ils entendent se substituer. Dans le cadre de ce plan était prévue la suppression de 7 emplois dont celui de Mme Y....

Cette dernière étant déléguée du personnel titulaire et représentante des salariés, le 8 novembre 2005, M. Patrick Martin, commissaire à l'exécution du plan, a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif économique, demande qui a été rejetée par décision du 16 décembre suivant.

Sur sa demande formée le 22 décembre 2005, Mme Y... a été réintégrée au sein de l'entreprise, son contrat de travail étant transféré au repreneur, la société Nouvelle Imprimerie Gigault.

Considérant que sa situation économique nécessitait qu'elle se réorganise, cette dernière a envisagé la suppression d'un poste de monteur-incorporateur et, le 23 janvier 2006, elle a consulté les délégués du personnel sur le projet de licenciement économique d'un salarié, l'application des critères d'ordre des licenciements désignant Mme Y.... Les délégués du personnel ont émis un avis favorable au licenciement économique de cette dernière.

Le 2 février 2006, l'employeur a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder au licenciement de Mme Y..., demande qui fut rejetée par décision du 29 mars suivant au motif que la suppression du poste ne se justifiait pas en l'état en considération, notamment, d'un congé parental effectif depuis le mois de décembre 2005 et devant durer au moins un an, mais aussi du bon niveau d'activité de l'entreprise depuis sa reprise, des augmentations de salaire accordées, à compter du mois de novembre 2005, à une majorité de salariés au nombre desquels ne figurait pas Mme Y..., de l'âge de cette dernière, de l'absence de proposition concrète, précise et personnalisée de reclassement, de l'impossibilité d'écarter tout lien entre, d'une part, le licenciement envisagé à l'encontre de la salariée, d'autre part, son ancien mandat de déléguée du personnel et son mandat de représentante des salariés.

L'exécution du contrat de travail s'est donc poursuivie.

Alors qu'elle n'était plus salariée protégée, après avoir été convoquée par lettre du 13 octobre 2008 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 22 octobre suivant, par lettre du 6 novembre 2008, Mme Y... s'est vue notifier son licenciement pour motif économique et impossibilité de reclassement, le motif économique invoqué tenant à la réorganisation du service pré-presse rendue nécessaire afin de sauvegarder la compétitivité et la pérennité de l'entreprise et passant par la suppression de son poste.

Il était rappelé à la salariée qu'elle n'avait pas accepté l'offre qui lui avait été faite d'adhérer à une convention de reclassement personnalisé et que le délai de quatorze jours dont elle disposait pour y adhérer était expiré.

Le 15 janvier 2009, Mme Marie-Claude Y... a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement et obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation et un rappel de salaire au titre d'un jour férié supplémentaire.

Par jugement avant dire droit du 11 mai 2010, le conseil de prud'hommes d'Angers a ordonné à la société Nouvelle Imprimerie Gigault de produire ses bilans comptables relatifs aux années 2006, 2007 et 2008 ainsi que l'analyse des résultats du secteur pré-presse.

Un procès-verbal de partage de voix a été établi le 21 septembre 2010.

Par jugement du 10 juin 2011 rendu en formation de départage auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes d'Angers a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire prévue par l'article 515 du code de procédure civile :

- déclaré le licenciement de Mme Marie-Claude Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Nouvelle Imprimerie Gigault à lui payer les sommes suivantes :

¤ 74,84 € de rappel de salaire au titre du jour férié supplémentaire conventionnel, incidence de congés payés incluse,

¤ 27 121,80 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

¤ 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les créances salariales porteraient intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2009 et que les créances de nature indemnitaire porteraient intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- ordonné à la société Nouvelle Imprimerie Gigault de rembourser aux organismes sociaux concernés la totalité des indemnités de chômage versées à Mme Y... du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois ;

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions et condamné la société Nouvelle Imprimerie Gigault aux dépens.

La société Nouvelle Imprimerie Gigault a régulièrement relevé appel général de cette décision par lettre recommandée postée le 4 juillet 2011 et les parties ont été convoquées à l'audience du 19 février 2013.

Par requête enregistrée au greffe le 31 janvier 2013, Mme Y... a sollicité la radiation de l'affaire en application de l'article 526 du code de procédure civile au motif qu'en dépit de l'exécution provisoire attachée au jugement, l'employeur ne lui avait réglé que la somme de 12 500 € en quatre versements dont le dernier intervenu le 13 juin 2012.

Après avoir recueilli les explications orales des parties sur cette demande de radiation, le magistrat chargé d'instruire l'affaire l'a rejetée par ordonnance du 19 février 2013.

A la demande de l'intimée qui souhaitait étudier des pièces comptables récemment communiquées, l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 28 mars 2013.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses conclusions enregistrées au greffe le 24 janvier 2013, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la société Nouvelle Imprimerie Gigault demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris ;

- de débouter Mme Marie-Claude Y... de l'ensemble de ses prétentions ;

- de la condamner à lui payer la somme de 2 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle indique que le motif économique invoqué à l'appui de son licenciement est celui de la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, motif qui n'est pas subordonné à l'existence de difficultés économiques au moment de la rupture du contrat de travail.

Elle soutient que ce motif est parfaitement fondé dans la mesure où la structure de la société, en particulier, le service pré-presse, n'était plus adaptée au volume d'activité et nécessitait une réorganisation passant par la suppression d'un poste de monteur. Elle argue de ce que la nécessité de cette réorganisation ressort amplement du fait que, pendant l'absence pour congé parental de l'une des salariées qui y était affectée, le service pré-presse a très bien fonctionné avec deux employés en plus d'un responsable, cet effectif étant d'ailleurs encore trop important par rapport au volume d'activité enregistré. Elle ajoute que la nécessité de réorganiser ce service compte tenu de son volume d'activité insuffisant résulte également de ce qu'il est le seul à ne pas avoir fait l'objet d'une annualisation du temps de travail et de ce qu'en 2007, contrairement aux autres services de l'entreprise, aucune heure supplémentaire n'y a été enregistrée.

Elle estime que la structure inadaptée du service pré-presse par rapport à son volume d'activité faisait peser une réelle menace sur la compétitivité de l'entreprise ; que la réalité de cette menace et de la nécessité de réorganiser le service pré-presse sont confirmés par les données comptables postérieures au licenciement qui montrent que le chiffre d'affaires n'a pas cessé de se dégrader, notamment entre mai 2008 et février 2009, et que le résultat d'exploitation enregistré au 31 décembre 2009 était négatif, l'est resté au 31 décembre 2010, la perte s'aggravant très notablement à la fin de l'exercice 2011. Elle indique qu'elle avait d'ailleurs quelques difficultés économiques au moment du licenciement de Mme Y... et que la suppression de son poste au sein d'un service devenu sur-dimensionné par rapport à son volume d'activité a consisté de sa part à anticiper des difficultés économiques plus amples.

S'agissant du reclassement de la salariée, elle oppose qu'au moment de son licenciement, elle ne disposait d'aucun poste disponible correspondant aux compétences de Mme Y... de sorte que son reclassement n'était pas possible, et elle soutient avoir rempli tant son obligation d'assurer l'adaptation de la salariée que son obligation de formation professionnelle.

A titre subsidiaire, l'employeur oppose que l'indemnité allouée est exorbitante, notamment en considération de la situation actuelle de l'entreprise, et que l'ampleur du remboursement ordonné en faveur de Pôle emploi est également excessif.

Aux termes de ses conclusions enregistrées au greffe le 19 février 2013, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, Mme Marie-Claude Y... demande à la cour de confirmer purement et simplement le jugement entrepris et de condamner la société Nouvelle Imprimerie Gigault à lui payer la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

La salariée relève tout d'abord que la lettre de licenciement fait état de la nécessité de réorganiser le service pré-presse et non de réorganiser l'entreprise elle-même.

Elle estime que le motif économique invoqué à l'appui de son licenciement n'est pas établi en ce que l'employeur ne caractérise aucune menace sur la compétitivité de l'entreprise, et en ce que les difficultés économiques contemporaines à la rupture désormais alléguées ne sont pas établies, l'entreprise ayant alors enregistré un bénéfice de 221 293 €.

En second lieu, elle invoque un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et même une absence de volonté de la reclasser, arguant de ce qu'il aurait pu lui proposer le poste de responsable pré-presse qu'il a pourvu le 1er octobre 2008, le cas échéant après un bilan de compétences et avec fixation d'une période probatoire, mais aussi celui de conducteur typo-offset qu'il a pourvu le 1er septembre 2008. Selon elle, un poste de conducteur machines adhésives était également disponible.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le licenciement :

Attendu que la lettre de licenciement adressée à Mme Marie-Claude Y... le 6 novembre 2008, et qui fixe les termes du litige, est ainsi libellée :

"Madame,

Nous faisons suite à notre entretien du 22 octobre dernier, au cours duquel nous vous avons exposé les raisons qui nous amenaient à envisager votre licenciement pour motif économique, lesquelles sont, nous vous le rappelons, les suivantes :

Notre entreprise évolue sur un secteur particulièrement concurrentiel et en constante évolution.

Dans ce contexte de marché en permanente mutation, la pérennité de notre entreprise repose entièrement sur sa capacité à se positionner sur ses marchés cibles, et à adapter au plus juste la qualité et la nature de ses prestations aux demandes et exigences de nos partenaires.

La compétitivité est ainsi devenue le vecteur essentiel du développement de l'entreprise, et de fait, de sa pérennité.

Dans le contexte dans lequel nous évoluons, la sauvegarde de la compétitivité de notre entreprise requiert notamment d'adapter strictement notre organisation à la réalité de notre activité.

Nous avions déjà fait cette analyse voici près de 3 ans, au moment de la reprise de la société, constatant que le volume d'activité justifiait une réorganisation du service pré-presse.

Cette réorganisation avait finalement été reportée du fait de la suspension du contrat pour congé parental d'une salariée de ce service.

Le développement de l'activité de notre société au cours de ces dernières

années ne permet malheureusement pas d'infirmer cette analyse, et le retour de la salariée de congé parental nous contraint à mettre en œuvre une réorganisation du service.

Sauf en effet à mettre en jeu la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, notre volume d'activité est en effet insuffisant pour maintenir une organisation à trois.

La sauvegarde de la compétitivité et de la pérennité de l'entreprise nous contraint ainsi à une réorganisation du service pré-presse, entraînant la suppression de votre poste.

A défaut de solution de reclassement nous sommes contraints malheureusement de mettre un terme à votre contrat de travail.

Vous n'avez pas accepté la Convention de Reclassement Personnalisé (CRP) et le délai de 14 jours à compter de la date de remise du dossier de CRP étant expiré, conformément à l'article L 1234-3 du Code du Travail, la première présentation de cette lettre constitue la notification de votre licenciement et fixe le point de départ de votre préavis d'une durée de deux (2) mois, que nous vous dispensons d'effectuer mais qui vous sera payé comme si vous aviez normalement travaillé, aux échéances normales de paie.

La rupture de votre contrat de travail sera donc effective au terme de la durée de votre préavis de deux mois, et nous vous remettrons à la fin de ce préavis, votre solde de tout compte, attestation pour l'ASSEDIC et certificat de travail." ;

Attendu que la lettre se poursuit par les dispositions relatives aux droits acquis au titre du droit individuel à la formation, à la priorité de réembauche et à la levée de la clause de non-concurrence ;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, qui repose sur une cause économique (notamment, des difficultés économiques ou des mutations technologiques, mais aussi, la réorganisation de l'entreprise, la cessation non fautive d'activité de l'entreprise), laquelle cause économique doit avoir une incidence sur l'emploi du salarié concerné (suppression ou transformation) ou sur son contrat de travail (emporter une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail) ;

Et attendu qu'en application de l'article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés à son égard, et que son reclassement, sur un emploi de même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès de l'intéressé, sur un emploi de catégorie inférieure, ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel elle appartient ;

Attendu, la réorganisation de l'entreprise constituant un motif économique de licenciement, qu'il suffit que la lettre de rupture fasse état de cette réorganisation et de son incidence sur l'emploi ou le contrat de travail ; que l'employeur peut ensuite invoquer que cette réorganisation était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou qu'elle était liée à des difficultés économiques ou à une mutation technologique, et il appartient au juge de le vérifier ;

Attendu qu'aux termes du courrier du 6 novembre 2008, le licenciement de Mme Y... est motivé par une suppression de son emploi consécutive à la réorganisation de l'entreprise, plus précisément, du service pré-presse au sein duquel elle travaillait, dont il est précisé qu'elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ; que, dans le cadre de la présente instance l'employeur indique que la réorganisation de l'entreprise était en outre justifiée par des difficultés économiques ;

Attendu que la réalité de la suppression de l'emploi de monteur-dessinateur occupé par Mme Y... n'est pas discutée ;

Attendu que la réorganisation de l'entreprise, motivée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, ne peut constituer une cause économique de licenciement que si l'employeur démontre l'existence d'une menace sur cette compétitivité et l'impossibilité d'y pallier dans le cadre de l'organisation existante ;

Que, par contre, la réorganisation de l'entreprise conduite dans le seul souci d'améliorer son fonctionnement ou de privilégier son niveau de rentabilité au détriment de la stabilité de l'emploi ne constitue pas une cause économique de licenciement ;

Et attendu que la prise en considération de difficultés prévisibles à venir n'est possible pour l'appréciation du bien-fondé du motif économique que lorsque la réorganisation de l'entreprise est motivée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité; que, par contre, lorsque la réorganisation est motivée par des difficultés économiques, le motif économique doit être apprécié en considération des difficultés économiques existantes à la date du licenciement, le juge ayant la faculté de s'appuyer sur des éléments de preuve connus ou divulgués postérieurement dès lors qu'ils se rapportent à la période contemporaine au licenciement ou permettent d'éclairer la situation qui existait à cette époque ;

Attendu qu'au soutien de sa position selon laquelle la réorganisation de l'entreprise, plus précisément du service pré-presse passant par la suppression de l'emploi de Mme Y..., s'imposait en novembre 2008, la société Nouvelle Imprimerie Gigault invoque le fait qu'elle évolue dans un secteur particulièrement concurrentiel et en constante évolution, l'obligation dans laquelle elle se trouve par conséquent d'être en capacité de se positionner sur ses marchés cibles et d'adapter ses prestations aux exigences de ses partenaires, un volume d'activité insuffisant ne permettant pas de maintenir trois salariés au sein du service pré-presse ;

Mais attendu que, sur le terrain de la réorganisation motivée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, il incombe à la société Nouvelle Imprimerie Gigault d'établir de manière objective, qu'en novembre 2008, sa compétitivité était menacée, que l'organisation existante était impuissante à y pallier et que cette menace nécessitait une mesure de sauvegarde passant par la suppression de l'emploi de l'intimée;

Or attendu, alors que la ou les menaces qui pèsent sur l'entreprise doivent s'apprécier de façon concrète par rapport à son positionnement sur le marché, que l'appelante se contente d'affirmer des généralités en termes d'évolution du secteur de l'imprimerie, de concurrence et d'obligation d'adaptation sans toutefois articuler aucun élément ni aucun fait permettant de caractériser une menace concrète sur sa compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient telle, par exemple, que la disparition d'un produit, l'arrivée d'un nouveau concurrent ou l'évolution de la concurrence, des innovations ou évolutions technologiques, une chute des prix ou des pertes de parts de marché induites par des technologiques nouvelles ou par l'évolution de la concurrence; qu'elle ne justifie d'aucun élément concret, et n'en allègue même aucun, propre à caractériser la menace dont elle se prévaut étant observé que le fait de développer son activité dans un secteur particulièrement concurrentiel et en constante évolution ne suffit pas à caractériser l'existence d'une menace sur sa compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ;

Attendu que l'appelante ne produit aucune pièce pour justifier de l'insuffisance d'activité du service pré-presse et de son sur-dimensionnement corrélatif en termes d'effectifs au moment du licenciement ; qu'il ressort au contraire de sa pièce no 21 comportant les tableaux des heures de travail réalisées par les salariés de ce service en 2006, 2007, 2008 et 2009 qu'au cours de l'année 2008 chacun des quatre salariés de ce service a été amené à accomplir des heures supplémentaires (58 heures supplémentaires accomplies au total dont 36,5 heures par Mme Y...) tandis qu'aucune heure supplémentaire n'a été effectuée en 2007, et qu'en 2006, un seul salarié de ce service a réalisé des heures supplémentaires ; qu'en tout état de cause, à les supposer avérées, les circonstances tirées d'une insuffisance d'activité du service pré-presse et d'une situation de sureffectif de ce service sont impropres à caractériser l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise au moment du licenciement litigieux ; que, de même, la circonstance que, pendant le congé parental de Mme D..., le service pré-presse a pu fonctionner avec deux salariés et un responsable au lieu de trois salariés et un responsable n'est pas de nature à caractériser une menace sur la compétitivité de l'entreprise;

Que le motif de réorganisation tiré de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'apparaît donc pas fondé ;

Attendu que, sur le terrain de la réorganisation motivée par des difficultés économiques, il incombe à la société Nouvelle Imprimerie Gigault de rapporter la preuve de difficultés économiques existantes à l'époque du licenciement de Mme Y..., c'est à dire, en novembre 2008, et propres à justifier son licenciement ;

Or attendu qu'il résulte des éléments comptables produits que le chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise au cours de la période de janvier à octobre 2008 inclus s'est élevé à la somme de 1 728 144 € tandis que le chiffre d'affaires réalisé au cours des dix premiers mois de l'année 2007 s'était élevé à la somme de 1 603 478 € ; que le chiffre d'affaires était donc en progression en 2008 par rapport à 2007, ce que confirme la comparaison des chiffres d'affaires des deux exercices entiers puisque le chiffre d'affaires net de l'exercice 2007 s'est établi, au 31 décembre 2007, à la somme de 1 888 898 € tandis que le chiffres d'affaires net de l'exercice 2008 s'est établi, au 31 décembre 2008, à

1 912 737 € ; que, par ailleurs, le résultat net de la société est resté positif, le bénéfice s'établissant à 286 281 € en 2006, à 278 668 € en 2007 et

à 221 293 € au 31 décembre 2008 ;

Qu'au regard de ces données comptables et de ces éléments, contrairement à ce que soutient la société Nouvelle Imprimerie Gigault, il n'est pas justifié qu'au moment du licenciement de Mme Y... l'entreprise connaissait des difficultés économiques structurelles propres à justifier la rupture de son contrat de travail, laquelle apparaît s'être inscrite dans le souci d'améliorer la rentabilité en allégeant la masse salariale ;

Attendu en conséquence que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, en l'absence d'une menace caractérisée pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, en l'absence de difficultés économiques avérées au moment du licenciement, et en l'absence de mutation technologique alléguée, la réorganisation opérée dans le but ainsi recherché ne constitue pas un motif économique propre à justifier le licenciement de l'intimée ;

Attendu, le motif économique invoqué n'étant pas justifié, que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement de Mme Marie-Claude Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Attendu, cette dernière comptant, au moment de son licenciement, plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés (21 salariés en l'occurrence), que trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail selon lesquelles, en cas de licenciement injustifié, le salarié peut prétendre à une indemnité ne pouvant pas être inférieure aux salaires dont il a bénéficié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail, lesquels se sont élevés en l'espèce à la somme de 9 504,19 € ;

Attendu qu'au moment de son licenciement, Mme Y... était âgée de 53 ans et comptait 17,5 ans d'ancienneté au sein de l'entreprise ; qu'elle justifie avoir été inscrite au Pôle emploi au moins du 20 janvier 2009 au 28 février 2011 et avoir alors perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi pour un montant mensuel de l'ordre de 940 € d'où une perte mensuelle moyenne de revenu de 500 € et avoir effectué de multiples recherches d'emploi qui ont débouché sur des réponses négatives, si ce n'est une embauche par le CRIT de Nantes en tant qu'opérateur machine du 3 au 19 février 2010 puis en tant qu'agent de courrier du 1er mars au 30 juin 2010, puis une embauche par la société Loste Tradi-France en son établissement de Bédée (35) du 22 novembre au 24 décembre 2010;

Attendu qu'en considération de ces éléments, notamment de l'âge de la salariée, de son ancienneté au moment du licenciement, de ses facultés à retrouver un emploi, de sa situation particulière, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de son préjudice en lui allouant la somme de 27 121,80 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef ainsi qu'en ses dispositions relatives au remboursement ordonné en faveur de Pôle emploi ;

Sur le rappel de salaire pour jour férié et sur la demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation :

Attendu que la société Nouvelle Imprimerie Gigault ne discute pas le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme Marie-Claude Y... la somme de 74,84 €, incidence de congés payés incluse, à titre de rappel de salaire du chef d'un jour férié et elle ne saisit la cour d'aucune demande ni d'aucune moyen de ce chef ;

Que, de même, Mme Y... ne critique pas les dispositions du jugement qui l'ont déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et elle ne forme pas d'appel incident de ce chef, étant observé que, devant les premiers juges, elle a reconnu avoir bénéficié de diverses formations au sein de la société Nouvelle Imprimerie Gigault ;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ces deux points ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Attendu que, perdant son recours, la société Nouvelle Imprimerie Gigault sera condamnée aux dépens d'appel, et à payer à Mme Marie-Claude Y... une indemnité de 1 800 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel, le jugement déféré;

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société Nouvelle Imprimerie Gigault à Mme Marie-Claude Y... la somme de 1 800 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

La déboute elle-même de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sylvie LE GALL Catherine LECAPLAIN-MOREL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : 03
Numéro d'arrêt : 11/017131
Date de la décision : 18/06/2013
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2013-06-18;11.017131 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award