1ère CHAMBRE AFV / IM ARRET N 345
AFFAIRE N : 07 / 01784
Jugement du 11 Juillet 2007 Tribunal de Grande Instance du MANS no d'inscription au RG de première instance 07 / 1782
ARRET DU 21 OCTOBRE 2008
APPELANTE :
Madame Anne-Marie X......
représentée par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avoués à la Cour assistée de Me Michel BARBARY, avocat au barreau de LAVAL
INTIMES ET INCIDEMMENT APPELANTS :
Madame Anne-Marie Z... épouse A......
représentée par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués à la Cour assistée de Me Jean-Yves BENOIST, avocat au barreau du MANS
Madame Michèle G... épouse D......
Monsieur Alain D......
représentés par Me Jacques VICART, avoué à la Cour assistés de Me Ludovic GAUVIN, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Septembre 2008 à 14 H 00, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame CHAUVEL, conseiller, désignée par ordonnance du Premier Président en date du 12 décembre 2007 pour exercer les fonctions de président, Madame VERDUN, conseiller ayant été entendu en son rapport, et Monsieur MARECHAL, conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 21 octobre 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Madame VERDUN, conseiller, et par Madame LEVEUF, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par actes notariés des 1er juin et 29 juillet 2004, Anne-Marie X... a acquis successivement les trois étages d'un immeuble en copropriété, situé au MANS,... et.... Aux termes de deux compromis de vente du 15 mars 2005, elle a vendu séparément les appartements des 1er et 2ème étages, qu'elle occupait avec son fils :
- d'une part, aux époux D..., qui se sont portés acquéreurs, sous réserve de certains travaux, de l'appartement du premier étage, constituant le lot 19 du règlement de copropriété ; la vente a été réitérée en la forme authentique le 10 juin 2005, sans mention relative aux travaux,
- d'autre part, à Anne-Marie Z... épouse A..., qui a acquis l'appartement du 2ème étage, avec prise de possession différée au 13 août 2005.
Les époux D... se plaignant d'une mauvaise isolation phonique entre les deux logements, ont sollicité et obtenu du juge des référés la désignation d'un expert acousticien, par ordonnance du 29 mars 2006.
L'expert a rempli sa mission et déposé son rapport le 23 novembre 2006.
Par acte d'huissier de justice en date du 30 mars 2007, les époux D... ont fait assigner, selon la procédure d'assignation à jour fixe, Anne-Marie X... et Anne-Marie A... afin de les voir condamner :
- la seconde, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, à faire réaliser dans son appartement le plancher mixte bois béton préconisé par l'expert,- et l'une et l'autre tenues in solidum, leur venderesse sur le fondement de l'article 1792-1 du Code civil, à les indemniser de leur trouble de jouissance.
Par un jugement en date du 11 juillet 2007, auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, le tribunal de grande instance du MANS a :
· condamné la voisine, Anne-Marie A... à faire exécuter sous astreinte les travaux d'isolation, consistant en la confection dans son appartement d'un plancher mixte bois-béton, et ce dans les 6 mois de la signification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, · condamné in solidum la venderesse et la voisine à payer aux époux D... une somme de 1 000 euros en réparation de leur trouble de jouissance, · condamné Anne-Marie X..., venderesse commune, à garantir Anne-Marie A... de l'intégralité de ces condamnations, en qualité de vendeur constructeur, · refusé l'exécution provisoire, · accordé des indemnités de procédure aux époux D... et à Anne-Marie A....
Anne-Marie X... a relevé appel de cette décision, par déclaration du 9 août 2007. Les autres parties ont formé un appel incident.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 4 septembre 2008.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions déposées par Anne-Marie X... le 29 août 2008, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, et par lesquelles elle demande à la cour :
· d'infirmer le jugement entrepris, · de déclarer l'action des époux D... irrecevable en ce que les désordres phoniques résulteraient, selon l'expert, de la structure même du plancher mitoyen, et non des travaux d'aménagement réalisés avant la vente, de sorte que seule la copropriété aurait à répondre de ces désordres qui toucheraient aux parties communes, · subsidiairement, de déclarer cette action non fondée dès lors que les travaux réalisés avant la livraison consistaient en un simple rafraîchissement de l'appartement et non en des véritables travaux de réhabilitation dont elle aurait à répondre sur le fondement de l'article 1792-1, 2o du Code civil, sachant qu'il n'existe pas de réglementation applicable en cas de restructuration légère et de bruits d'impact, · de constater que l'occupante de l'appartement du second étage ne peut être recherchée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, de sorte qu'elle ne dispose d'aucun recours en garantie contre sa venderesse, · de la décharger de toutes condamnations prononcées contre elle, · de condamner in solidum Anne-Marie A... et les époux D... à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, · de les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions déposées par les époux D... le 25 août 2008, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, et par lesquelles ils sollicitent :
· le débouté de l'appel principal, et l'infirmation du jugement, sur leur appel incident, · la condamnation in solidum d'Anne-Marie X..., sur le fondement de l'article 1792-1, 2o, du Code civil, et d'Anne-Marie A..., sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, à leur payer une indemnité de 12 000 euros en réparation des troubles de jouissance qu'ils ont subis ou subiront du fait des travaux, · la confirmation du jugement sur le surplus, · l'allocation d'une indemnité de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, · la condamnation in solidum d'Anne-Marie X... et d'Anne-Marie A... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions déposées par Anne-Marie A... le 3 septembre 2008, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, et par lesquelles elle réclame :
· le débouté des appels principal et incident de ses adversaires, et l'infirmation du jugement, sur son propre appel incident, · l'irrecevabilité de l'action introduite par les époux D... sur le fondement des troubles anormaux de voisinage dès lors que ces troubles sont liés à la structure même de l'immeuble, et notamment des planchers lesquels participent des parties communes et donc de la compétence de la copropriété, · le débouté de cette action dès lors que les nuisances sonores naissent d'une occupation normale de son appartement, qui n'a subi aucun travaux qui puissent être à l'origine des troubles invoqués, · l'infirmation du jugement en ce qu'il a préconisé des travaux dans l'appartement du second, inadaptés et irréalisables sans l'accord du syndicat des copropriétaires et sans permis de construire, et la mise en œ uvre des travaux préconisés par l'expert, avec pose d'un plafond antivibratil dans l'appartement du 1er étage, · l'octroi d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, · la condamnation des époux D... et, en toute hypothèse, d'Anne-Marie X... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS DE LA DECISION
I) Sur l'action en réparation de troubles anormaux de voisinage
Attendu que la théorie des troubles anormaux du voisinage procède du principe prétorien que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par les lois et règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
Attendu que, pour retenir la responsabilité d'Anne-Marie A... pour troubles anormaux du voisinage, le tribunal a d'abord relevé que les mesures de bruit réalisées par l'expert dans l'appartement du 1er étage avaient fait apparaître une élévation sonore variant entre 10 à 19 db, plus sensibles dans les basses fréquences, à l'occasion des déplacements réalisés par les occupants du 2ème étage, et que ces bruits (pas, craquements, déplacement de chaises) constituaient une gêne importante pour les époux D..., parce que par nature soudains, imprévisibles et répétés ; que le tribunal a ajouté que, nonobstant la parfaite bonne foi d'Anne-Marie A..., qui occupe son appartement avec toute la discrétion possible, celle-ci devait répondre du trouble manifestement excessif que subissaient ses voisins, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, dès lors que c'est par sa présence que le vice du bâtiment se manifeste ;
Qu'ainsi, et hormis le visa surabondant de l'article 1382 du Code civil, le tribunal a caractérisé à la charge d'Anne-Marie A... un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, né de l'usage, même normal, des parties privatives de son logement, étant au surplus, observé que les élévations sonores enregistrées par l'expert dépassent le seuil de tolérance réglementaire applicable en matière de bruits aériens dans les bâtiments objet de restauration légère (rapport d'expertise page 6, 7 et 8) ;
Que, contrairement à ce qu'affirme celle-ci au soutien de son appel incident, le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble du voisinage s'applique entre les occupants d'une copropriété (Civ. 2ème, 17 mars 2005, B. 73), sans que la classification des ouvrages propre à ce régime ne soit de nature à exonérer de sa responsabilité l'occupant de l'appartement d'où provient le trouble ;
Que c'est donc à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité d'Anne-Marie A... à raison des nuisances phoniques excessives que subissent ses voisins ;
II) Sur la responsabilité encourue par la venderesse sur le fondement de l'article 1792-1, 2o, du Code civil
Attendu que les travaux qu'Anne-Marie X... s'est engagée à achever dans l'appartement du 1er étage, avant la réitération authentique de la vente, n'ont pas consisté en un simple réaménagement intérieur du logement, mais en une rénovation qui, bien que qualifiée de légère par l'expert, n'en a pas moins nécessité la mise en œ uvre de techniques constructives, touchant notamment à l'isolation phonique des appartements ;
Qu'ainsi, le descriptif technique des travaux faisait état :
- pour la chambre 1 d'une « isolation des plafonds laine de roche 100 mm phonique »,- pour le salon séjour, d'un « plafond abaissé de 30 cm » et d'une « isolation laine de roche 100 mm phonique » ;
Que la venderesse s'était donc engagée à améliorer l'isolation phonique de ces pièces, situées en dessous des pièces de vie de l'appartement du second, dans des conditions répondant aux normes réglementaires applicables lors de la vente séparée mais concomitante des deux logements ;
Que l'expertise et les mesures de bruits réalisées ont fait clairement apparaître que le procédé d'isolation phonique mis en œ uvre entre le parquet de l'appartement d'Anne-Marie A... et le plafond de celui des époux D... est inefficace contre la propagation des bruits de basse fréquence produits par les déplacements des corps ou des meubles dans les pièces de vie de l'appartement du second, et que les nuisances sonores qui en résultent excèdent les normes de tolérance réglementaires en matière de bruits aériens et rendent les pièces qui en sont affectées impropres à leur destination ;
Qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient Anne-Marie X..., la preuve est apportée d'un manquement aux obligations pesant sur elle par application de l'article 1792-1 du Code civil, et de son lien causal avec les troubles dont se plaignent les époux D... ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la venderesse à l'égard tant des époux D..., maîtres de l'ouvrage, que d'Anne-Marie A... qui, bien que tiers, est fondée à se prévaloir de la faute contractuelle tenant en l'inefficacité du système d'isolation phonique dès lors que cette faute entraîne pour elle un dommage propre, en lui interdisant d'occuper son logement sans provoquer des troubles anormaux de voisinage ;
Qu'Anne-Marie X... sera donc condamnée à garantir Anne-Marie A..., dont l'occupation est parfaitement paisible et licite, de l'intégralité des condamnations prononcées en faveur des époux D... ;
III) Sur la teneur des travaux à entreprendre et les préjudices réparables
Attendu qu'il a été démontré que les nuisances sonores supportées par les époux D... résultaient de l'inefficacité du procédé d'isolation phonique qu'Anne-Marie X... s'était engagée à exécuter en plafond de leur appartement ;
Que les désordres ne résultent donc pas d'une absence d'ouvrage, auquel il ne pourrait être remédier que par la pose d'un nouveau plancher mitoyen, mais d'un ouvrage non conforme à sa destination, dont le remplacement est techniquement possible et même préconisé, à titre principal, par l'expert (son rapport page 11 § 2) ; qu'au surplus, la pose d'un nouveau plancher plus lourd, qui impliquerait de nouvelles contraintes structurelles sur l'ensemble de l'immeuble, nécessiterait des études et autorisations administratives préalables dont le résultat demeure, en l'état, parfaitement aléatoire ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise (page 11 § 1) et de l'analyse de M. F... produite en cause d'appel par Anne-Marie A... (sa pièce no 3) ;
Qu'il convient donc de réformer le jugement en ce qu'il a ordonné la mise en œ uvre, sous astreinte, des travaux réfection du plancher mitoyen depuis l'appartement du second étage, et de déclarer satisfactoire l'offre faite par Anne-Marie A..., à titre subsidiaire, de régler aux époux D... les travaux de réfection de leur plafond, comprenant la dépose du plafond actuel et son remplacement par un plafond antivibratil, pour la somme de 19 000 euros HT, outre la TVA applicable à ce type de travaux ;
Que la gêne qui ne manquera pas de résulter, pour les époux D..., de l'exécution de ces travaux dans leur chambre et le séjour-salon justifie l'augmentation de l'indemnité réparatrice de leur trouble de jouissance à une somme qui, eu égard à la durée prévisible des travaux, ne saurait être inférieure à 3 000 euros ; qu'il convient, en conséquence, d'infirmer également le jugement sur ce point, et de condamner Anne-Marie X... et Anne-Marie A..., in solidum, au paiement de cette somme ;
Attendu que chacune des parties succombant partiellement en son recours, conservera la charge de ses frais irrépétibles et dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris en ses dispositions non contraires à celles du présent arrêt ;
Le REFORMANT,
CONDAMNE Anne-Marie A... à payer aux époux D... la somme de 19 000 euros, au titre des travaux de reprise de l'isolation phonique en plafond de leur appartement, augmentée de la TVA applicable à ce type de travaux ;
CONDAMNE in solidum Anne-Marie A... et Anne-Marie X... à régler aux époux D... une indemnité de 3 000 euros en réparation de leur trouble de jouissance ;
CONDAMNE Anne-Marie X... à garantir Anne-Marie A... de l'intégralité des condamnations prononcées au profit des époux D... ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ;
DIT que chacune des parties conservera la charge de leurs dépens d'appel.
LE GREFFIER P / LE PRESIDENT EMPECHE
C. LEVEUF F. VERDUN