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05/02/2008 | FRANCE | N°06/2690

France | France, Cour d'appel d'Angers, 05 février 2008, 06/2690


COUR D'APPEL

D'ANGERS

1ère CHAMBRE A



SC/IM

ARRET N 41



AFFAIRE N : 06/02690



Jugement du 21 Novembre 2006

Tribunal de Grande Instance d'ANGERS

no d'inscription au RG de première instance 05/00032



ARRET DU 5 FEVRIER 2008





APPELANTE :



LA VILLE D'ANGERS prise en la personne de son maire en exercice

Hôtel de Ville - Boulevard de la Résistance et de la Déportation

49035 ANGERS CEDEX



représentée par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avouÃ

©s à la Cour

assistée de Me Alex COLLIN, avocat au barreau d'ANGERS





INTIME :



MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie - Dire...

COUR D'APPEL

D'ANGERS

1ère CHAMBRE A

SC/IM

ARRET N 41

AFFAIRE N : 06/02690

Jugement du 21 Novembre 2006

Tribunal de Grande Instance d'ANGERS

no d'inscription au RG de première instance 05/00032

ARRET DU 5 FEVRIER 2008

APPELANTE :

LA VILLE D'ANGERS prise en la personne de son maire en exercice

Hôtel de Ville - Boulevard de la Résistance et de la Déportation

49035 ANGERS CEDEX

représentée par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avoués à la Cour

assistée de Me Alex COLLIN, avocat au barreau d'ANGERS

INTIME :

MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie - Direction des Affaires Juridiques

Bât. Condorcet - 6 rue Louise Weiss - Teledoc 353 - 75703 PARIS CEDEX 13

représenté par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués à la Cour

assisté de Me Marie-Magdeleine LE DALL, avocat au barreau d'ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 03 Décembre 2007 à 14 H 00, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame CHAUVEL, conseiller, désignée par ordonnance du Premier Président en date du 22 décembre 2006 pour exercer les fonctions de président, Madame VERDUN, conseiller ayant été entendu en son rapport, et Madame JEANNESSON, vice-président placé faisant fonction de conseiller,

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame LEVEUF

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 5 février 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Signé par Madame CHAUVEL, président, et par Madame LEVEUF, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Le 18 octobre 2000, un ouvrier qui participait à la construction du parc de stationnement de la gare Saint Laud, à ANGERS (Maine et Loire), a été victime d'un accident mortel du travail.

Dès le lendemain, 19 octobre, le procureur de la République a fait notifier à l'employeur de la victime, la SNC Entreprise Nouvelle BROCHARD et GAUDICHET, l'interdiction de poursuivre le chantier jusqu'à ce qu'une décision de l'autorité judiciaire autorise la reprise des travaux. Une information a été ouverte le 23 octobre et a donné lieu à plusieurs expertises techniques.

La main levée de l'interdiction a été notifiée par un officier de police judiciaire, en exécution d'une commission rogatoire du juge d'instruction du 11 octobre 2001, le 19 octobre 2001. L'information a été close par une ordonnance de non-lieu du 14 avril 2003.

La Ville d'ANGERS, maître de l'ouvrage, se plaignant du retard de livraison du parc de stationnement ayant résulté de la suspension judiciaire des travaux, a sollicité et obtenu du juge des référés, statuant par ordonnance du 17 octobre 2002, la désignation d'un expert comptable.

Ce dernier, M. B..., a rempli sa mission et déposé son rapport le 9 avril 2004.

Par acte d'huissier de justice en date du 22 décembre suivant, la ville d'ANGERS a fait assigner l'agent judiciaire du Trésor en reconnaissance de la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques, en invoquant l'existence d'un préjudice anormal et spécifique né du retard provoqué par l'interdiction judiciaire de reprendre les travaux d'édification du parc de stationnement. Elle chiffrait ce préjudice à :

-230 840,52 euros au titre du surcoût des travaux

-147 733 euros au titre des manques à gagner résultant de la mise en service retardée du parc de stationnement,

sommes qu'elle s'estimait fondée à poursuivre à l'encontre de l'Etat.

Par un jugement du 21 novembre 2006, le tribunal de grande instance d'ANGERS a débouté la Ville d'ANGERS de l'intégralité de ses demandes, au motif qu'elle ne justifiait pas d'un préjudice anormal et spécial susceptible d'être indemnisé par l'Etat.

La Ville d'ANGERS a relevé appel de cette décision, par déclaration du 26 décembre 2006.

Les parties ayant constitué avoué et conclu au fond, la clôture de l'instruction a été prononcée le 25 octobre 2007.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées le 23 mai 2007, la Ville d'ANGERS, agissant en la personne de son maire en exercice, poursuit l'infirmation du jugement et la condamnation de l'agent judiciaire du Trésor à lui payer la somme de 378 573,52 euros, à titre de dommages et intérêts, pour atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques. Elle sollicite, en outre, l'octroi d'une indemnité de procédure de 3 000 euros.

L'appelante soutient que la décision critiquée procéderait d'une violation de l'article 7 du nouveau Code de procédure civile, le tribunal ayant déduit le caractère normal du préjudice d'éléments non débattus (budget général de la ville d'ANGERS), ainsi que d'une fausse application de la notion de préjudice anormal, apprécié de façon subjective en regard du coût général de la construction et des capacités financières de la collectivité publique qui le supportait, alors qu'il conviendrait de l'apprécier objectivement, en regard des aléas normaux d'un chantier.

Elle en déduit que, dès lors qu'il retenait que la fermeture du chantier de 15 mois directement générée par l'interdiction de reprise des travaux (1 an d'interdiction + 3 mois de remise en état du chantier interrompu) avait excédé les aléas constructifs normaux d'un tel chantier, le tribunal aurait qualifié l'existence d'un préjudice anormal et spécial, et se devait d'en assurer l'indemnisation.

Aux termes de ses dernières écritures, déposées le 19 septembre 2007, l'agent judiciaire du Trésor demande la confirmation du jugement en rappelant que la responsabilité sans faute de l'Etat ne peut être recherchée qu'en cas de dommage spécial et anormal, excédant par sa gravité les charges pesant sur tout citoyen, en contrepartie des avantages résultant pour lui du fonctionnement du service public.

Il soutient qu'en application de ces critères, la durée de l'interdiction dommageable doit être appréciée en regard des nécessités de l'instruction et non par rapport aux aléas normaux d'un chantier de construction, et qu'un délai d'un an n'est nullement anormal compte tenu des nombreuses investigations menées par le juge d'instruction. Il ajoute que ce retard n'aurait engendré aucun préjudice spécial à la charge de la Ville d'ANGERS, puisqu'il a été subi aussi par l'ensemble des entreprises concernées par le chantier.

Subsidiairement, l'agent judiciaire du Trésor conteste le lien causal entre l'interdiction émanant de l'autorité judiciaire et le préjudice invoqué par la Ville d'ANGERS dont il souligne l'absence de collaboration pendant les opérations d'expertise.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que la Ville d'Angers ne conteste pas la validité de l'interdiction de reprise des travaux notifiée verbalement par un officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République d'Angers le 19 octobre 2000, et levée un an plus tard, dans les mêmes formes, sur commission rogatoire du juge d'instruction ; qu'elle soutient que cette mesure d'interdiction, présumée régulière et nécessaire, aurait été, par sa durée et son incidence sur la pérennité de son ouvrage, à l'origine pour elle, tiers à l'action de la justice, d'un préjudice spécial et anormalement grave que l'Etat serait tenu d'indemniser en application des principes généraux de la responsabilité de la puissance publique, et notamment du principe constitutionnel de l'égalité devant les charges publiques ;

Que, de son côté, l'Agent judiciaire du Trésor qui discute exclusivement des caractères du préjudice invoqué, admet donc que la Ville d'Angers, maître de l'ouvrage dont l'effondrement partiel a provoqué la mort d'un des ouvriers chargés de sa construction, n'était pas personnellement concernée par la procédure d'enquête puis d'instruction ouverte contre x… pour homicide involontaire ;

Attendu que la mesure d'interdiction litigieuse, qui a eu pour effet d'interrompre le chantier de construction du parc de stationnement de la gare Saint Laud, avait pour objectif d'assurer la préservation des indices existant sur les lieux d'un accident mortel du travail, provoqué par l'effondrement d'une dalle alvéolaire ; qu'elle s'est poursuivie jusqu'au terme d'expertises techniques ordonnées par le juge d'instruction pour déterminer les causes de cet effondrement ; qu'elle revêt donc les caractères d'une mesure conservatoire et provisoire, prise pour la préparation d'une décision juridictionnelle, et assimilable, comme telle, à une mesure de saisie ou de mise sous scellés ;

Qu'une telle mesure ne présentant, par définition, aucune dangerosité intrinsèque ni aucun risque immédiat pour la sécurité des tiers, s'est néanmoins révélée dommageable pour la Ville d'Angers qui, du fait de la durée de l'interruption, a été contrainte :

-d'abord, d'exposer des frais de nettoyage et de remise en état du chantier, exposé aux intempéries,

-ensuite, de procéder à la révision des prix des marchés,

-enfin, de subir un manque à gagner au titre des redevances d'affermage du parc de stationnement dont la livraison a été retardée de 16 mois ;

Attendu que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, ces trois types de préjudices revêtent bien un caractère spécial dès lors que, si l'interruption du chantier a pu s'avérer dommageable pour l'ensemble des entreprises chargées de la construction, voire même pour l'ensemble des usagers des parcs de stationnement de la ville, privés de places supplémentaires, le risque et le poids économique du retard n'ont été supportés, de façon définitive, que par la Ville d'Angers ;

Que, de même, la circonstance que cette incidence économique ne représente qu'une fraction négligeable des recettes budgétaires de la Ville, élément de fait qui résultait, semble-t-il, des connaissances personnelles du juge, ne faisait pas obstacle à la caractérisation d'un préjudice anormal, lequel s'entend, selon la jurisprudence administrative, d'un préjudice dont la gravité dépasse les charges que doivent objectivement supporter les tiers en contre-partie des avantages résultant du service de la justice ;

Qu'il s'ensuit que l'anormalité du préjudice ne peut être déduite du seul constat que la durée de l'interruption judiciaire des travaux a excédé les aléas normaux de la construction, comme le soutient la Ville d'Angers, dès lors que ce critère fait abstraction des avantages attendus de l'intervention judiciaire ; mais qu'elle ne se limite pas non plus, comme le suggère l'Agent judiciaire du Trésor, au seul dépassement des délais raisonnables des actes d'instruction, qui dénotant un fonctionnement défectueux du service de la justice, serait indemnisable indépendamment de la gravité du préjudice ;

Attendu que l'interruption judiciaire des travaux dont ni la régularité, ni la nécessité ne sont remises en cause, avait pour objectif de préserver la conservation d'indices permettant de s'assurer, d'abord, des conditions de sécurité générale qu'offrait le chantier avant et après l'accident, ensuite, des causes techniques de la rupture de la dalle alvéolaire dont l'effondrement avait provoqué la mort d'un ouvrier ; que les avantages attendus de l'intervention judiciaire étaient donc de déterminer si ce décès pouvait résulter d'une faute active de l'un quelconque des constructeurs, concepteurs voire même financeurs du projet, question à laquelle il ne pouvait être passé outre sans s'exposer délibérément au risque d'un nouvel accident ; qu'il s'ensuit que la Ville d'Angers qui, au demeurant, n'a à aucun moment usé de la faculté qu'elle avait, en sa qualité de maître de l'ouvrage, de solliciter du juge d'instruction la main levée de l'interdiction de reprise des travaux, avait un avantage personnel à connaître les conclusions techniques des experts ; qu'elle ne justifie, dans ces conditions, d'aucune rupture d'égalité devant les charges publiques ; que, pour ces motifs, substitués à ceux du tribunal, la Ville d'Angers ne peut qu'être déboutée de son action ;

Attendu qu'en l'état des motifs objectivement critiquables qui fondaient la décision de première instance, l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de l'appelant ;

PAR CES MOTIFS

STATUANT publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ;

CONDAMNE la Ville d'Angers aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

C. LEVEUF S. CHAUVEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Numéro d'arrêt : 06/2690
Date de la décision : 05/02/2008
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance d'Angers


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-02-05;06.2690 ?
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