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16/07/2024 | FRANCE | N°23/05045

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 16 juillet 2024, 23/05045


ARRET







S.A.S. MENUISERIE DU [Adresse 5]





C/



[E]

Etablissement POLE EMPLOI

































































copie exécutoire

le 16 juillet 2024

à

Me POLAERT

Me MINK

LDS/IL/BG





COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'

HOMALE



PRUD'HOMMES APRES CASSATION



ARRET DU 16 JUILLET 2024



*************************************************************

N° RG 23/05045 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I53P



CONSEIL DE PRUD HOMMES DE LENS du 01 février 2019

COUR D'APPEL de DOUAI du 24 septembre 2021

RENVOI CASSATION du 4 octobre 2023

SAISINE DE LA COUR D'APPEL D'AMIENS du 1er décembre 2023...

ARRET

S.A.S. MENUISERIE DU [Adresse 5]

C/

[E]

Etablissement POLE EMPLOI

copie exécutoire

le 16 juillet 2024

à

Me POLAERT

Me MINK

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

PRUD'HOMMES APRES CASSATION

ARRET DU 16 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 23/05045 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I53P

CONSEIL DE PRUD HOMMES DE LENS du 01 février 2019

COUR D'APPEL de DOUAI du 24 septembre 2021

RENVOI CASSATION du 4 octobre 2023

SAISINE DE LA COUR D'APPEL D'AMIENS du 1er décembre 2023

ORDONNANCE DE LA PREMIERE PRESIDENTE du 20 décembre 2023

La Cour, composée ainsi qu'il est dit ci-dessous, statuant sur l'appel formé contre le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lens du 01 février 2019, après en avoir débattu et délibéré conformément à la Loi, a rendu entre les parties en cause la présente décision le 16 juillet 2024 par mise à disposition de la copie au greffe de la cour.

PARTIES EN CAUSE

DEMANDEUR A LA SAISINE

S.A.S. MENUISERIE DU [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Wilfried POLAERT de la SELAS KPMG AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

représentée par Me CAMIER de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

ET :

DEFENDEURS A LA SAISINE

Monsieur [J] [E]

né le 23 Mai 1960 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

représenté, concluant et plaidant par Me David MINK de la SELARL LMD AVOCATS, avocat au barreau de BETHUNE

Etablissement POLE EMPLOI

[Adresse 1]

[Localité 4]

non comparant, ni représenté

ACTE INITIAL : déclaration de renvoi après cassation du 01 décembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

et Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

PROCEDURE DEVANT LA COUR :

Les parties et leurs conseils ont été régulièrement avisés pour le 21 mai 2024, dans les formes et délais prévus par la loi.

Le jour dit, l'affaire a été appelée en audience publique devant la formation chargée des renvois après cassation en matière sociale.

Après avoir successivement entendu la conseillère rapporteur en son rapport, les avocats des parties en leurs demandes, fins et conclusions, la Cour a mis l'affaire en délibéré et indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 16 juillet 2024 par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 16 juillet 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Madame Laurence de SURIREY, Présidente de chambre, et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [J] [E] a été engagé par la société Menuiserie du [Adresse 5] (la société ou l'employeur) suivant contrat à durée déterminée à compter du 10 octobre 1996 en qualité de menuisier. L'exécution du contrat s'est poursuivie au-delà du terme, soit à compter du 31 décembre 1996.

La société emploie 14 salariés.

La convention collective applicable est celle des entreprises du bâtiment employant plus de 10 salariés.

Suivant lettre recommandée avec accusé réception du 26 mai 2016, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé au 6 juin 2016, avec mise à pied conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 13 juin 2016, le salarié a été licencié pour faute grave.

Le 14 novembre 2016, il a saisi le conseil de prud'hommes de Lens afin de contester son licenciement et d'obtenir réparation des conséquences financières de la rupture de son contrat de travail, outre un rappel d'heures supplémentaires et indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Par jugement du 1er février 2019, le conseil de prud'hommes a :

-dit que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la société au paiement des sommes de :

-31 200 euros net de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

-1 238,16 euros brut à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire, outre 123,81 euros brut à titre de congés payés y afférents,

-5 207,96 euros brut à titre d'indemnité de préavis, outre 520,79 euros brut de congés payés y afférents,

-13 598,54 euros net à titre d'indemnité de licenciement,

-1 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné à la société de remettre à M. [E] les documents suivants : les fiches de paie conformément au jugement, l'attestation Pôle emploi rectifiée, le certificat de travail et le solde de tout compte rectifiés, le tout sous astreinte de 50 euros net par jour de retard à compter de 15 jours suivant la notification de la présente décision et ce pour une durée de 30 jours calendaires, se réservant le pouvoir de liquider ladite astreinte,

-débouté le salarié de ses autres demandes et la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur appel de l'employeur, la cour d'appel de Douai a :

-Confirmé le jugement entrepris hormis en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [E] 31 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il a assorti la remise de documents de fin de contrat d'une astreinte,

-Condamné la société à payer à M. [E] 38 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

-Ordonné le remboursement par la société à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de 2 mois,

-Débouté les parties de leurs plus amples demandes,

-Condamné la société aux dépens.

Sur pourvoi de la Menuiserie de [Adresse 5] s'agissant du licenciement et pourvoi incident de M. [E] s'agissant des heures supplémentaires, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai et remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Amiens.

La société Menuiserie de [Adresse 5] a saisi la cour de céans le 1er décembre 2023.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 9 avril 2024, la société Menuiserie de [Adresse 5] demande à la cour de :

-Juger recevable et bien- fondée la saisine de la cour d'appel d'Amiens sur renvoi après cassation,

Y faisant droit

-Infirmer le jugement rendu le 1er février 2019 en ce qu'il a requalifié le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [E] :

- 31 200 euros net de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- 1 238,16 euros brut à titre de rappels de salaires sur mise à pied conservatoire,

- 123,81 euros brut à titre de congés payés afférents au rappel de salaire sur mise à pied,

- 5 207,96 euros brut à titre d'indemnité de préavis,

- 520,79 euros brut à titre de congés payés afférents,

- 13 598,54 euros net à titre d'indemnité de licenciement,

- 1500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Par conséquent,

-Constater que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [E] est totalement valable et fondé sur des faits qui sont matériellement établis, imputables au salarié,

-Débouter dès lors ce dernier de toute réclamation au titre de la prétendue absence de légitimité du licenciement, à savoir sa demande de dommages et intérêts pour licenciement prétendument sans cause réelle ni sérieuse, sa demande d'indemnité de licenciement, sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, sa demande de rappels de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire et les congés payés afférents et de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile, de sa demande d'exécution provisoire de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire

-Limiter le montant de l'indemnité compensatrice de préavis à une somme de 4 825,24 euros brut en tout état de cause, outre 482,52 euros de congés payés afférents,

-Constater que la moyenne des trois derniers mois de salaire est fixée à 2 743,01 euros,

-Constater qu'en tout état de cause le montant des dommages et intérêts réclamé à hauteur de 34 mois de salaire est particulièrement excessif et non fondé,

-Réduire en tout état de cause le montant à la somme de 15 623,88 euros, soit l'équivalent des 6 derniers mois de salaire au maximum, en l'absence de preuve du préjudice,

En tout état de cause

-Confirmer le jugement pour le surplus,

Par conséquent

-Débouter M. [E] de toute réclamation relative à de prétendues heures supplémentaires et aux congés payés afférents,

-Débouter M. [E] de sa demande de rectification des fiches de paie et de documents sociaux sous astreinte passé un délai de 10 jours suivant la notification de la décision,

-Débouter M. [E] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

-Le condamner à des dommages et intérêts pour procédure abusive à hauteur de 3 000 euros sur la base de l'article 32-1 du code de procédure civile (amende civile) et une indemnité en application l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2 500 euros.

Par dernières conclusions notifiées le 9 février 2024, M. [E] demande à la cour de :

-Confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'elle a dit et jugé le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et la réformer sur le montant des dommages et intérêts accordés,

-En conséquence, condamner la société défenderesse à lui payer les sommes suivantes :

-5 207.96 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 520.79 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

-13 598.54 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

-78 119.40 euros à titre de dommages et intérêts net de CSG et de CRDS pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

-1 238.16 euros à titre de rappels de salaires sur mise à pied à titre conservatoire et 123.81 euros au titre de l'incidence congés payés ;

-Réformer la décision entreprise en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes liées aux heures supplémentaires et statuant de nouveau sur ce point, condamner la société MPS à lui payer les sommes suivantes :

- 7 639.68 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires pour la période de décembre 2013 à mai 2016 outre l'incidence de congés payés à hauteur de 763.96 euros,

- 15 623.88 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L 8223-1 du code du travail,

- Condamner la société MPS à lui remettre l'ensemble des documents sociaux et fiches de paies rectifiées et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision à intervenir,

- Condamner la société MPS à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation et moyens.

En cours de délibéré la cour a demandé à l'intimé de produire le décompte de la somme réclamée au titre de l'indemnité de licenciement.

Celui-ci, par note du 4 juin 2024, après communication du détail de son calcul, a indiqué qu'il limitait sa demande à la somme de 13 251,35 euros.

L'appelante n'a pas présenté d'observation sur ce point.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

L'employeur étant seul en charge du contrôle du temps de travail du salarié, il ne saurait être reproché au salarié de n'avoir formé aucune réclamation au cours de l'exécution du contrat de travail.

En l'espèce, M. [E] soutient qu'il a réalisé à tout le moins 44 heures hebdomadaires payées 39 heures soit de 7 heures à midi et de 13 heures à 17 heures « plus retour » du lundi au jeudi et de 7 heures à midi et de 13 heures à 16 heures « plus retour » le vendredi et établit un décompte à compter du mois de décembre 2013. Il fait remarquer que les heures supplémentaires ne peuvent être payées sous forme de prime. Il affirme que l'employeur fait lui-même la démonstration du bien-fondé de sa demande par une lettre du 20 septembre 2012 par laquelle il expose la décomposition du temps de travail comme suit :

« Du lundi au jeudi :

-de 7h à8h : préparation, chargement et conduite

-de 8h à 12h et de 13h à 17h : travail plus retour.

Le vendredi :

-de 7h à 8h : préparation, chargement et conduite

-de 8h à 12h et de 13h à16h : travail plus retour ».

La lettre précise en outre : « paye sur la base de 35heures + 4 heures supplémentaires à 25% » et « Temps de préparation, chargement et conduite : 5 heures payées en prime de rendement majorée à 25% ».

Enfin, il produit les attestations de MM [N] et [G] qui affirment travailler 44 heures par semaine selon les modalités qu'il décrit lui-même.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant les siens.

Celui-ci fait valoir que M. [E] n'a formé aucune réclamation au sujet des heures supplémentaires pendant la durée du contrat ; que la lettre du 20 septembre 2012 ne fixe pas le temps de travail à respecter pour la période concernée par la demande ; que la prime de rendement ne paie pas les heures supplémentaires mais constitue une compensation du temps de pause et éventuellement du temps de déplacement professionnel qui ne constitue pas du temps de travail effectif dès lors que les salariés ne sont pas tenus de passer par l'entreprise avant de se rendre sur les chantiers ; que réglant systématiquement 17h33 par mois en heures supplémentaires, le salarié était payé sur la base de 39 heures, les heures manquantes étant les deux fois 15 minutes de pause par jour qui ne constituent pas du temps de travail effectif qu'il était tenu de payer ; que le décompte du salarié est nécessairement faux puisqu'il ne compte pas ses périodes de congé et d'absence, et qu'il n'a jamais autorisé l'accomplissement d'heures supplémentaires.

Il ne produit pas les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par M. [E].

En effet, les attestations qu'il produit ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile alors qu'elles émanent de personnes sous sa subordination et, au demeurant, ne comportent aucune information sur les horaires de travail de M. [E].

A la lecture des bulletins de paie il apparaît que ce dernier était payé sur la base de 35 heures plus 17,33 heures supplémentaires soit 39 heures par semaine. Il percevait également une prime de productivité qui ne constitue pas le paiement d'heures supplémentaires.

Dans sa lettre du 20 septembre 2012 l'employeur indique que l'heure écoulée entre 7 heures et 8 heures est consacrée à la préparation, au chargement et à la conduite ce qui constitue du temps de travail effectif et n'établit pas que M. [E] faisait partie des salariés dispensés de passer par le dépôt le matin. Cette heure devait donc être rémunérée.

M. [E] ne réclame pas le paiement d'heures supplémentaires en dehors du temps de travail habituel et collectif de sorte que la question ne se pose pas de savoir si la société a ou non accepté l'exécution d'heures supplémentaires et qu'il n'y a pas lieu de déduire du décompte du salarié les heures supplémentaires réglées en plus des 17,33 heures figurant sur les bulletins de paie.

En revanche, il n'est pas contesté que le salarié disposait d'une demi-heure de pause par jour que l'employeur, en application de l'article L.3121-2, sauf disposition conventionnelle contraire, n'est tenu de rémunérer que si elle constitue du temps de travail effectif au sens de l'article L.3121-1 du code du travail. Or, il n'est pas soutenu par le salarié qu'il restait à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des obligations personnelles pendant ses temps de pause de sorte qu'une demi-heure par jour doit être décomptée de sa journée de travail.

Il résulte de ce qui précède que le salarié aurait dû être rémunéré sur la base de 41,5 heures hebdomadaires sous réserve des congés payés et congés maladie qui doivent être déduits du temps de travail.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'instruction, la cour a acquis la conviction au sens du texte précité que M. [E] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées à hauteur de 4 315,50 euros outre 431,55 euros au titre des congés payés afférents.

2/ Sur la demande au titre du travail dissimulé :

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention d'heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

Au cas d'espèce, il apparaît que l'employeur a sciemment rémunéré sous forme de prime le temps de travail effectif que constituait l'heure consacrée à la préparation, au chargement et à la conduite ainsi qu'il l'a écrit lui-même dans sa lettre du 20 septembre 2012 et de ce fait n'a pas déclaré la totalité des heures de travail accomplie ce qui constitue du travail dissimulé en application de l'article L.8221-5 2° du code du travail.

Il convient donc de le condamner à payer à M. [E] la somme de 15 623,88 euros.

3/ Sur le licenciement :

3-1/ Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement qui lie les parties et le juge est ainsi rédigée : « Lors de ma visite sur le chantier (maison des syndicats), le jeudi 21 avril 2016 à 10h30, j'ai constaté que vous étiez attablé à lire le journal pendant les heures du travail, alors que le travail que vous deviez faire n'était pas terminé.

En effet, 1 butée de porte n'était pas fixée et le nettoyage autour de la plupart des butées n'était pas fait, travail que j'ai du terminer moi-même.

De plus, je vous rappelle que le jeudi 17 mars 2016, vous avez quitté le chantier pendant les heures de travail pour réaliser des achats personnels.

Ces faits sont inadmissibles.

En effet, vous ne pouvez pas vous absenter du chantier à des fins personnelles, ni lire journal pendant les heures de travail. Vous devez accomplir les prestations qui vous sont demandées dans le temps imparti et jusqu'à la fin de journée de travail.

A l'évidence, vous refusez de vous plier aux règles de l'entreprise.

Nous vous demandons donc de justifier votre absence sur le chantier le jeudi 17 mars 2016 et de votre comportement en général.

Selon vos observations professionnelles et conventionnelles, vous devez justifier de toute absence de l'entreprise par écrit. nous vous laissons un délai de 8 jours pour justifier de cette absence.

A défaut de réponse au plus tard le 2 mai 2016, nous prendrons toute mesure appropriée. »

Sur ce,

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

Le doute doit profiter au salarié.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à un engagement de poursuite disciplinaire au-delà d'un délai de deux mois, en application de l'article L. 1332-4 du même code. C'est à l'employeur de prouver qu'il n'a eu connaissance des faits fautifs que dans les deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure.

- Sur les négligences :

La société soutient que les faits reprochés sont caractérisés tant dans leur matérialité que dans leur imputabilité et qu'ils constituent des fautes graves.

M. [E] répond qu'il a simplement différé sa pause de 9 heures en raison d'une difficulté née de la défaillance de l'employeur quant au nombre de butées de porte fournies et que le seul fait qu'il restait un coup de balai à passer alors que cette tâche incombe aussi à M. [N] lequel ne s'est vu infliger qu'un avertissement, ne peut justifier un licenciement pour faute grave.

Il est établi de l'aveu même du salarié qu'il a pris une pause alors que l'intégralité du travail n'était pas terminée puisque toutes les butées de porte n'étaient pas posées et que le balayage du chantier, obligatoire avant toute prise de repos ainsi qu'il en est justifié par plusieurs attestations, n'était pas fait, ce sans référer à l'employeur de la difficulté et sans autorisation. Toutefois, l'employeur ne produit aucune pièce de nature à établir qu'il ne s'agissait pas d'un simple différé de pause et que M. [E] était bien responsable du manque de butée alors que M. [N], collègue de travail, atteste assumer l'entière responsabilité « pour la butée non fixée et le nettoyage non réalisé le jeudi 21 avril 2016 » et confirme les allégations de M. [E] quant au déroulé des faits ce jour-là.

- Sur l'absence injustifiée :

L'employeur affirme qu'il a agi moins de deux mois après avoir reçu l'information, fixant le point de départ du délai à la date d'expiration du délai laissé au salarié pour justifier du motif de son absence par mise en demeure du 22 avril 2016, que la réalité du grief est attestée par un autre salarié de l'entreprise et que la situation d'abandon de poste est caractérisée par le fait que M. [E] n'a jamais justifié des causes de son départ du chantier.

Le salarié soulève la prescription de l'article L.1332-4 du code du travail et nie avoir abandonné son poste le 17 mars 2016.

La société produit une lettre de M. [F], du 4 avril 2016, l'informant de ce que M. [E] avait quitté le chantier le 17 mars « à des fins personnelles avec un camion de l'entreprise ». C'est donc à cette date, au plus tôt que le fait que M. [E] avait cessé son travail par anticipation a été porté à sa connaissance. Au jour de la convocation à l'entretien préalable, moins de deux mois s'étaient écoulé de sorte que la prescription n'est pas encourue.

Au surplus, ce n'est qu'à défaut de justificatif légitime à ce fait, que l'employeur a été informé avec certitude de ce qu'il pouvait constituer un abandon de poste et donc être fautif. Or, le 22 avril 2016, l'employeur a mis en demeure M. [E] de justifier son absence sous 8 jours.

S'agissant de la matérialité des faits, l'employeur s'appuie sur la lettre et une attestation de M. [F] en reprenant les termes. Ce témoignage est contredit par deux attestations produites par M. [E]. Aucune de ces attestations n'est conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile. Dès lors qu'il n'y a pas de raison d'accorder plus de crédit aux unes qu'aux autres, que la charge de la preuve incombe à l'employeur et que le doute doit profiter au salarié, il apparaît que la preuve de la faute de ce dernier n'est pas rapportée.

Ainsi, au vu des pièces produites de part et d'autre, la cour considère que seul le premier grief est établi mais que celui-ci, au vu des circonstances, ne revêt pas un degré de gravité tel qu'il justifiait une sanction aussi grave qu'un licenciement de M. [E] qui avait une grande ancienneté dans l'entreprise et aucun passé disciplinaire si ce n'est une menace d'avertissement pour absence injustifiée du 25 au 28 août 2015 qui ne s'est pas concrétisée.

3-2/ Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le licenciement étant injustifié, le salarié peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

- Sur le préavis :

L'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires bruts et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé pendant cette période. Elle comprend tous les éléments constituant le salaire notamment les heures supplémentaires structurelles ou s'ajoutant à celui-ci les avantages en nature, gratifications et primes.

En l'espèce, après réintroduction des heures supplémentaires systématiquement accomplies puisqu'elles résultaient de l'amplitude collective de travail, il y a lieu de condamner la société dans les limites de la demande au paiement des sommes de 5 207,96 euros et 520,79 euros au titre des congés payés afférents.

- Sur l'indemnité de licenciement :

L'article R.1234-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, dispose que le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Aux termes de l'article R. 1234-2 du code du travail dans sa version applicable à la cause, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté.

A ce titre, l'employeur sera condamné, dans les limites de la demande, au paiement de la somme de 13 251,35 euros selon calcul communiqué en cours de délibéré et non spécifiquement contesté.

- Sur la mise à pied :

La mise à pied étant injustifiée, M. [E] est en droit de prétendre au paiement de son salaire pour cette période soit 1 238,16 euros plus 123,81 euros au titre des congés payés.

- Sur la demande de dommages-intérêts :

M. [E] ne s'explique pas sur sa situation professionnelle pour la période qui a immédiatement suivi son licenciement mais invoque son âge et sa situation de famille (trois enfants à charge et une épouse sans emploi) dont il justifie.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié au cours des six derniers mois, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise (19 ans et 10 mois préavis inclus) et de l'effectif de celle-ci (plus de dix salariés au moment du licenciement), il y a lieu de condamner la société au paiement de la somme de 24 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur à la date du licenciement.

- Sur les documents de fin de contrat :

La société MPS devra remettre au salarié l'ensemble des documents sociaux et fiches de paies rectifiées. Il n'apparaît pas justifié d'assortir cette obligation d'une astreinte.

- France travail :

M. [E] ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de deux mois de prestations.

4/ Sur les frais du procès :

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En vertu de l'article 639 du même code, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

En application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, les effets de la cassation partielle prononcée s'étendent nécessairement aux condamnations prononcées par la décision cassée au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

En l'espèce, le sens de la présente décision commande de confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens. En outre, il y a lieu de dire que la société sera condamnée aux dépens exposés devant la cour d'appel de l'instance ayant donné lieu à la décision cassée, et à ceux aux dépens exposés devant la cour d'appel de renvoi.

L'équité commande de condamner la société en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement sur renvoi après cassation et dans les limites de la cassation, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [E] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et du travail dissimulé, sur le quantum des sommes allouées au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité légale de licenciement et en ce qu'il a assorti l'obligation de remise des documents de fin de contrat d'une astreinte,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que M. [E] a accompli des heures supplémentaires non-rémunérées sur la période de décembre 2013 au 13 juin 2016,

Condamne la société Menuiserie de [Adresse 5] à payer à M. [J] [E] les sommes suivantes :

-4 315,50 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires et 431,55 euros au titre des congés payés afférents,

-15 623,88 euros au titre du travail dissimulé,

-24 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-13 251,35 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

Ordonne à la société Menuiserie de [Adresse 5] de remettre à M. [E] une attestation France travail, un certificat de travail et un bulletin de paie rectifiés pour tenir compte du présent arrêt,

Rejette la demande d'astreinte,

Ordonne à la société Menuiserie de [Adresse 5] de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à M. [E] depuis son licenciement dans la limite de deux mois de prestations,

Condamne la société Menuiserie de [Adresse 5] à payer à M. [J] [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande

Condamne la société Menuiserie de [Adresse 5] aux dépens engagés devant la cour d'appel de Douai et la cour d'appel de céans.

LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/05045
Date de la décision : 16/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-16;23.05045 ?
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