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16/07/2024 | FRANCE | N°23/04975

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 16 juillet 2024, 23/04975


ARRET







S.A.R.L. HORIZON VERT





C/



[V]













































































copie exécutoire

le 16 juillet 2024

à

Me Vanacker

Me Derely-Hanicotte

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMB

RE PRUD'HOMALE



PRUD'HOMMES APRES CASSATION



ARRET DU 16 JUILLET 2024



*************************************************************

N° RG 23/04975 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I6AO



CONSEIL DE PRUD HOMMES de Douai du 05 décembre 2017

COUR D'APPEL de Douai du 25 septembre 2020

RENVOI CASSATION du 18 janvier 2023

SAISINE DE LA COUR D'APPEL D'Amiens du 11 décembre 2023

ORDONNANCE D...

ARRET

S.A.R.L. HORIZON VERT

C/

[V]

copie exécutoire

le 16 juillet 2024

à

Me Vanacker

Me Derely-Hanicotte

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

PRUD'HOMMES APRES CASSATION

ARRET DU 16 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 23/04975 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I6AO

CONSEIL DE PRUD HOMMES de Douai du 05 décembre 2017

COUR D'APPEL de Douai du 25 septembre 2020

RENVOI CASSATION du 18 janvier 2023

SAISINE DE LA COUR D'APPEL D'Amiens du 11 décembre 2023

ORDONNANCE DE LA PREMIERE PRESIDENTE du 22 décembre 2023

La Cour, composée ainsi qu'il est dit ci-dessous, statuant sur l'appel formé contre le jugement du Conseil de Prud'hommes de Douai du 05 décembre 2017, après en avoir débattu et délibéré conformément à la Loi, a rendu entre les parties en cause la présente décision le 16 juillet 2024 par mise à disposition de la copie au greffe de la cour.

PARTIES EN CAUSE

DEMANDEUR A LA SAISINE

S.A.R.L. HORIZON VERT

[Adresse 3]

[Localité 4]

concluant par Me Samuel VANACKER, avocat au barreau de LILLE

représentée par Me Patrice DUPONCHELLE de la SCP VAN MARIS-DUPONCHELLE, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

ET :

DEFENDEUR A LA SAISINE

Monsieur [F] [V]

né le 30 Janvier 1989 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

concluant par Me Alix DERELY-HANICOTTE, avocat au barreau de LILLE

ACTE INITIAL : déclaration de renvoi après cassation du 11 décembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

et Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

PROCEDURE DEVANT LA COUR :

Les parties et leurs conseils ont été régulièrement avisés pour le 21 mai 2024, dans les formes et délais prévus par la loi.

Le jour dit, l'affaire a été appelée en audience publique devant la formation chargée des renvois après cassation en matière sociale.

La Cour a mis l'affaire en délibéré et indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé le 16 juillet 2024 par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 16 juillet 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Madame Laurence de SURIREY, Présidente de chambre, et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [V], né le 30 janvier 1989, a été engagé par la société Horizon vert (la société ou l'employeur), pour une durée indéterminée à compter du 5 janvier 2009 en qualité d'employé qualifié.

Les bulletins de salaire mentionnent une ancienneté au 15 septembre 2008 et un emploi d'ouvrier paysagiste qualifié.

La société emploie moins de 11 salariés.

Par courrier daté du 1er juillet 2016, le salarié a fait l'objet d'un avertissement.

Par courrier du 6 septembre 2016, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement disciplinaire fixé au 15 septembre 2016.

Par courrier du 17 octobre 2016, il a mis un terme au contrat de travail.

Par jugement du 5 décembre 2017, le conseil de prud'hommes de Douai, statuant dans le litige opposant le salarié à son ancien employeur, a notamment requalifié la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société Horizon vert à payer à M. [V] des indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement abusif ainsi qu'une indemnité de procédure, et débouté le salarié du surplus de ses demandes.

Sur appel de la société Horizon vert, par un arrêt du 25 septembre 2020, la cour d'appel de Douai a notamment :

- infirmé le jugement déféré en ce qu'il a qualifié la prise d'acte de la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné l'employeur à des indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement abusif ainsi qu'à une indemnité de rupture,

- confirmé le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ses autres demandes.

Sur pourvoi formé par M. [V], la Cour de cassation a, par arrêt du 18 janvier 2023, rendu la décision suivante :

« CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. [V] irrecevable en sa fin de non-recevoir, l'arrêt rendu le 25 septembre 2020 entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ; condamne la société Horizon vert aux dépens ; en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Horizon vert et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros.»

Le 11 décembre 2023, M. [V] a saisi la cour d'appel d'Amiens du renvoi après cassation.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 mai 2024 par lesquelles M. [V] forme les demandes suivantes à la cour :

- débouter la société Horizon vert de l'ensemble des demandes présentées en cause de renvoi sur cassation et reprendre les demandes formulées dans son appel incident,

A titre principal,

- le déclarer recevable en son appel incident,

- constater dire et juger la nullité de la rupture intervenue dans un contexte de harcèlement,

- condamner à titre principal la société Horizon vert aux indemnités suivantes :

o 3 mois de préavis : 3 336.74 euros

o congés payés sur préavis : 333.67 euros

o dommages et intérêts : 20 020.00 euros

- condamner la société Horizon vert à des dommages et intérêts pour absence de prévention de la dégradation des conditions de travail et du harcèlement dont il a souffert dont le montant ne saurait être inférieur à 2 mois de salaire soit la somme de 2 670 euros,

- annuler la sanction injustifiée et condamner la société Horizon vert à des dommages et intérêts : 2 670 euros ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement sur la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, les indemnités de préavis, de congés payés sur préavis de licenciement,

- condamner la société Horizon vert à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse de licenciement,

- condamner la société Horizon vert à des dommages et intérêts pour le harcèlement dont il a souffert correspondant à quatre mois de salaire soit la somme de 6 674 euros,

- enjoindre la société Horizon vert à lui remettre les bulletins de paie rectifiés, l'attestation ASSEDIC rectifié, le certificat de travail modifié sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard,

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la présente saisine ;

- condamner la société Horizon vert au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre infiniment subsidiaire,

- confirmer la décision en toutes ses dispositions

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 mai 2024 par lesquelles la société Horizon vert forme les demandes suivantes à la cour :  

- infirmer le jugement du 5 décembre 2017 en ce qu'il :

' a requalifié la prise d'acte de M. [V] en licenciement,

' l'a condamnée à verser à M. [V] les sommes suivantes :

o 2 669.39 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

o 3 336.74 euros au titre de l'indemnité de préavis

o 333.67 euros au titre des congés payés sur préavis

o 7 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif

o 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle formée par M. [V] devant la cour d'appel de renvoi portant sur la nullité de la rupture du contrat de travail,

Par conséquent,

- débouter M. [V] de sa demande nouvelle de dommages et intérêts de 20 020 euros introduite devant la cour d'appel de renvoi,

Dans tous les cas,

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [V] aux dépens, ainsi qu'au paiement de la somme 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur la recevabilité de la demande en nullité de la rupture

L'employeur soulève l'irrecevabilité de la demande en nullité de la rupture au motif qu'il s'agit d'une demande nouvelle contraire aux dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile qui fait obstacle aux prétentions nouvelles quand bien même elles se rattacheraient aux prétentions initiales pour tendre aux mêmes fins, en être l'accessoire, le complément ou la conséquence.

M. [V] oppose les dispositions de l'article 565 du code de procédure civile.

L'article 910-4 alinéa 1 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

L'article 564 du même code dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En application de l'article 565 de ce code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, en première instance et devant la cour d'appel de Douai, le salarié a demandé la requalification de la rupture du contrat de travail en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, puis à titre principal, dans ses premières conclusions devant la cour de renvoi, la nullité de la rupture intervenue dans un contexte de harcèlement.

Il convient, au préalable, de redonner à la demande sa juste qualification juridique en ce qu'il ne peut y avoir nullité de la rupture du contrat de travail actée par le salarié le 17 octobre 2016, mais cette rupture peut, une fois qualifiée de prise d'acte aux torts de l'employeur, produire les effets d'un licenciement nul au regard de la nature des manquements retenus à l'encontre de ce dernier.

L'article 910-4 précité, qui consacre le principe de concentration des demandes, a été respecté puisque le salarié a formé la demande litigieuse dès ses premières conclusions devant la cour d'appel de renvoi.

Cette demande, en ce qu'elle tend aux mêmes fins d'indemnisation des conséquences de la rupture injustifiée du contrat de travail que la demande initiale de qualification de la rupture du contrat de travail en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, n'est pas plus nouvelle au sens de l'article 564 précité.

Elle est donc recevable.

2/ Sur l'exécution du contrat de travail

2-1/ sur la demande d'annulation de l'avertissement

M. [V] souligne la date irrégulière du courrier d'avertissement et conteste le caractère fautif des griefs invoqués expliquant qu'il n'a pas remis ses feuilles d'heures car il était affecté à 100 % à l'atelier sous la surveillance du gérant, et affirme qu'il pouvait habituellement disposer du véhicule de service pour rentrer chez lui comme ses collègues.

L'employeur se réfère à l'arrêt d'appel ayant rejeté la demande.

L'article L.1331-1 du code du travail dispose que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L'article L.1333-1 du même code dispose qu'en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, l'employeur a notifié un avertissement à M. [V] par courrier daté du 1er juillet 2016 dans les termes suivants :

« Depuis le 4 juillet 2016, vous ne nous avez plus fourni de feuille de pointage. Malgré rappel, nous n'avons toujours rien reçu. Ces manquements provoquent une désorganisation dans le contrôle du travail réellement effectué. En effet, il nous est impossible de vérifier que les missions confiées ont été réalisées dans les temps prévus.

De plus, depuis le 26 juillet 2016, vous utilisez un véhicule de la société à des fins personnelles : vous rendre à votre domicile midi et soir. Les véhicules de société sont utilisés pour réaliser les entretiens de plantes ou effectuer les livraisons.

De tels agissements sont préjudiciables au bon fonctionnement de la société.

En conséquence, je me vois dans l'obligation, par cette lettre, de vous adresser un avertissement. »

Au vu du contenu du courrier, la date du 1er juillet 2016 est manifestement erronée sans qu'il en résulte aucune conséquence juridique, M. [V] reconnaissant l'avoir reçu début août 2016.

Ce dernier ne conteste pas que chaque salarié de l'entreprise avait pour consigne de remettre à l'employeur des feuilles de déclaration d'heures et admet ne pas l'avoir fait courant juillet 2016 au motif que cela ne lui semblait pas justifié.

En s'affranchissant de son seul chef d'une consigne claire relevant du pouvoir de direction de l'employeur qu'il ne lui appartenait donc pas d'interpréter, M. [V] a commis une faute justifiant à elle-seule que lui soit notifié un avertissement.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second grief visé dans le courrier de notification de la sanction.

2-2/ sur l'existence d'un harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le salarié affirme avoir subi un harcèlement moral ayant dégradé ses conditions de travail et sa santé caractérisé par la suppression de l'avantage consistant en la possibilité d'utiliser le véhicule de service pour les temps de trajet, une baisse de sa rémunération (blocage de l'épargne salariale, suppression des heures supplémentaires et des primes de panier), des tâches humiliantes, dégradantes et éprouvantes non prévues contractuellement (entretien de l'atelier), un isolement (consigné à l'atelier ou seul sur les chantiers), une modification de son organisation de travail (plus de remise de planning en format papier pour la semaine), des propos mensongers et injustes de l'employeur, un avertissement et une convocation à un entretien préalable injustifiés.

L'employeur conteste la matérialité des faits invoqués.

Les éléments produits par M. [V] ne permettent pas d'établir qu'il disposait d'un avantage lié à l'utilisation du véhicule de service, ni qu'il a effectivement subi un blocage de son épargne salariale, la suppression d'heures supplémentaires structurelles, une situation d'isolement, ou une modification de son organisation de travail, ni que l'employeur a tenu à son encontre des propos mensongers et injustes.

En revanche, il ressort des pièces versées aux débats qu'il n'a pas perçu d'indemnité de repas en juillet-août 2016, a reçu un avertissement en août 2016 et a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement par courrier du 6 septembre 2016 non suivi d'effet.

De plus, l'employeur ne conteste pas que le salarié a exercé l'essentiel de son activité à l'atelier en juillet 2016 alors que son contrat de travail stipule qu'il avait pour fonction d'effectuer l'entretien des plantes chez les clients, la réalisation de nouvelles installations, ainsi que la livraison et la reprise des plantes et décors dans le cadre du service de location de plantes.

M. [V] justifie, par ailleurs, en produisant le certificat médical du Docteur [P] que ses arrêts de travail du 6 juin au 1er juillet 2016 puis du 26 août au 21 octobre 2016 concomitants aux faits dénoncés étaient en lien avec un syndrome anxiodépressif.

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il appartient, dès lors, à l'employeur de combattre cette présomption en prouvant qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur soutient que la démotivation du salarié et sa mauvaise volonté au travail sont à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail qui ne lui sont donc en rien imputables.

Il précise que l'avertissement était justifié, que les indemnités de repas n'étaient pas dues car le salarié rentrait déjeuner à son domicile, que M. [V] n'a fait que participer à la réorganisation de l'atelier comme ses collègues et que la procédure de licenciement disciplinaire engagée le 6 septembre 2016 n'a pu être menée à son terme car le salarié a été placé en arrêt de travail avant l'entretien préalable puis a démissionné le 17 octobre 2016.

S'il a précédemment été jugé que l'avertissement notifié en août 2016 était fondé, l'employeur qui n'explicite pas les griefs qu'il entendait invoquer à l'appui de la nouvelle procédure disciplinaire engagée le 6 septembre 2016, ne justifie pas du bien-fondé de cette procédure, nonobstant l'arrêt de travail intervenu pendant son cours.

De même, l'employeur n'apporte aucune justification probante quant à la disparition des indemnités de repas sur les bulletins de salaire de juillet-août 2016 alors qu'une somme était systématiquement versée à ce titre sur les bulletins de paie de juin 2015 à juin 2016 et qu'il précise lui-même que M. [V] était en déplacement sur des chantiers les 27 juillet, 22, 23, 24 et 25 août 2016.

Concernant les tâches confiées en juillet 2016, l'employeur ne conteste pas avoir affecté le salarié à des travaux d'entretien de l'atelier, notamment de grattage de la peinture du sol, pendant la majeure partie de ce mois.

Les seules photographies non datées ni circonstanciées d'autres salariés grattant le sol de l'atelier ne sauraient suffire à démontrer que ces tâches étaient communément partagées par l'ensemble du personnel et inhérentes à l'emploi d'ouvrier paysagiste qualifié mentionné sur les bulletins de paie de M. [V].

A défaut de preuve que la suppression des indemnités de repas de juillet-août 2016, l'affectation du salarié à des tâches ne relevant pas directement de ses fonctions en juillet 2016, et l'engagement d'une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement en septembre 2016 étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le harcèlement moral est caractérisé.

Un tel harcèlement ne pouvant constituer une réponse à un comportement fautif du salarié, il importe peu que M. [V] ait manifesté de la démotivation ou un mauvais esprit au travail à la suite de la réorganisation de la société comme en atteste M. [G], ancien dirigeant.

Au vu du certificat médical produit par M. [V] et de l'arrêt de travail consécutif aux faits de harcèlement retenus, il y lieu d'indemniser ce dernier à hauteur de 2 000 euros par infirmation du jugement entrepris.

2-3/ sur l'absence de prévention de la dégradation des conditions de travail et du harcèlement

Le salarié estime que l'employeur a manqué à son obligation de prévention en ne prenant aucune mesure à la suite des courriers des 25 août et 12 septembre 2016 dénonçant le harcèlement moral.

L'employeur conteste tout harcèlement moral.

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité.

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de ces textes, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L.1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

En l'espèce, M. [V] a dénoncé des faits de harcèlement moral à son employeur par courrier du 25 août 2016.

L'employeur a répondu par courrier du 6 septembre 2016 en contestant la réalité des faits invoqués et en adressant le même jour une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Cette réponse apparaissant insuffisante à prendre en compte le mal être signalé par le salarié, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.

Néanmoins, en l'absence de preuve d'un préjudice distinct de celui que répare l'indemnité allouée pour harcèlement moral, il convient de rejeter la demande de ce chef par confirmation du jugement entrepris.

3/ Sur la rupture du contrat de travail

3-1/ sur la nature de la rupture

L'employeur entend voir la rupture du contrat de travail qualifiée de démission à défaut de preuve d'un manquement de sa part.

M. [V] prétend qu'il a pris acte de la rupture du contrat de travail en raison du harcèlement moral qu'il subissait.

L'article L.1152-3 du même code, dans sa version applicable au présent litige, dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail 

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, il est constant que M. [V] a mis fin au contrat de travail par courrier du 17 octobre 2016 en faisant notamment référence aux faits de harcèlement moral sus-évoqués pour imputer cette rupture aux manquements de l'employeur.

Au vu des faits de harcèlement moral retenus et de leur concomitance avec la rupture, le manquement de l'employeur apparait suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La rupture du contrat de travail s'analyse donc en une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

3-2/ sur les conséquences pécuniaires

La prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement nul, M. [V] peut prétendre à une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'à des dommages et intérêts dont le montant ne saurait être inférieur aux salaires des 6 derniers mois.

L'indemnité de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis réclamées n'étant pas contestées dans leur quantum, il convient de faire droit à la demande du salarié par confirmation du jugement entrepris.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge et de l'absence d'élément sur sa situation professionnelle actuelle, la cour fixe à 10 500 euros les dommages et intérêts pour prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement nul par infirmation du jugement entrepris.

4/ Sur les demandes accessoires

L'employeur devra remettre au salarié des documents de fin de contrat conformes à la décision rendue sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse justifié.

Les créances indemnitaires produisent de plein droit intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision qui les accordent.

La capitalisation des intérêts dus pour une année entière est ordonnée.

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En vertu de l'article 639 du même code, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

En application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, les effets de la cassation partielle prononcée s'étendent nécessairement aux condamnations prononcées par la décision cassée au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

En l'espèce, le sens de la présente décision commande de confirmer le jugement entrepris quant aux frais de procédure et à condamner l'employeur aux dépens exposés devant la cour d'appel de l'instance ayant donné lieu à la décision cassée, et devant la cour d'appel de renvoi.

L'équité commande de condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, et de rejeter sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement sur renvoi après cassation et dans les limites de la cassation, par mise à disposition au greffe,

Déclare recevable la demande en nullité de la rupture,

Infirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande en annulation de l'avertissement et en indemnisation subséquente, ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour absence de prévention de la dégradation des conditions de travail et du harcèlement et en ce qu'il a accordé 50 euros au salarié au titre des frais de procédure,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que M. [F] [V] a subi des faits de harcèlement moral,

Dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul,

Condamne la société Horizon vert à payer à M. [F] [V] les sommes suivantes :

- 2 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral,

- 10 500 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail,

- 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que les créances indemnitaires produisent de plein droit intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision qui les accordent,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Horizon vert aux dépens exposés devant la cour d'appel de l'instance ayant donné lieu à la décision cassée et devant la cour d'appel de renvoi.

LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/04975
Date de la décision : 16/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-16;23.04975 ?
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