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16/07/2024 | FRANCE | N°23/01086

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 16 juillet 2024, 23/01086


ARRET







[R]





C/



S.A.S. BREZILLON



























































copie exécutoire

le 16 juillet 2024

à

Me GILLES

Me DUFFOUR

CB/BT



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 16 JUILLET 2024



***********************

**************************************

N° RG 23/01086 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IWKJ



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 27 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG F 22/00101)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [F] [R] épouse [B]

[Adresse 2]

[Localité 3]





Concluant par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CA...

ARRET

[R]

C/

S.A.S. BREZILLON

copie exécutoire

le 16 juillet 2024

à

Me GILLES

Me DUFFOUR

CB/BT

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 16 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 23/01086 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IWKJ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 27 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG F 22/00101)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [F] [R] épouse [B]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Concluant par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. BREZILLON agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Concluant par Me Benjamin DUFFOUR de la SCP DUFFOUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 16 mai 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 16 juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Blanche THARAUD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 16 juillet 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [R], épouse [B], née le 29 juin 1974, a été embauchée à compter du 1er juin 2006 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par la société Brezillon, ci-après dénommée la société ou l'employeur, en qualité d'employée administrative.

La société Brezillon compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des employés, techniciens, agents de maîtrise travaillant dans les entreprises de bâtiment.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait la fonction d'assistante administrative.

Mme [B] a été placée en arrêt maladie à compter du 28 février 2017, jusqu'au 13 avril 2018. Elle a repris à mi-temps thérapeutique.

La salariée a de nouveau fait l'objet d'un arrêt maladie à compter du 29 avril 2021.

Par avis d'inaptitude du 2 décembre 2021, le médecin du travail a déclaré Mme [B] inapte avec dispense de reclassement.

Par courrier du 3 décembre 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, fixé au 17 décembre 2021.

Par lettre du 22 décembre 2021, elle a été licenciée pour inaptitude.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne, le 1er avril 2022.

Par jugement du 27 janvier 2023, le conseil a :

- dit que le licenciement de Mme [B] était justifié ;

- débouté la demanderesse de ses demandes au titre de la requalification du licenciement et des conséquences financières attachées ;

- condamné la société Brezillon à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

. 4 606,71 euros au titre d'heures complémentaires ;

. 460,06 euros au titre des congés payés afférents ;

- débouté Mme [B] de toutes ses autres demandes ;

- débouté la société Brezillon de toutes ses demandes,

- condamné la société Brezillon à payer à Mme [B] la somme de 900 euros au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Brezillon aux entiers dépens ;

- ordonné la production d'un bulletin de paie conforme au jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 31ème jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte.

Mme [B], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2023, demande à la cour de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Brezillon à lui payer les sommes suivantes :

. 4 606,71 euros au titre d'heures complémentaires ;

. 460,06 euros au titre des congés payés afférents ;

- condamné la société Brezillon à lui payer la somme de 900 euros au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que son licenciement était justifié ;

- l'a déboutée de ses demandes au titre de la requalification du licenciement et des conséquences financières attachées (dommages-intérêts, préavis, congés payés afférents);

- l'a déboutée de toutes ses autres demandes (fixation du salaire mensuel moyen, non-respect de la durée légale, travail dissimulé, harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité, solde de l'indemnité de licenciement) ;

Et statuant à nouveau,

- fixerson salaire mensuel moyen 2040 euros ;

- juger qu'ellea été victime de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions;

- juger que l'inaptitude prononcée par la médecine du travail est imputable à la société Brezillon ;

En conséquence,

- requalifier le licenciement pour inaptitude prononcé par la société Brezillon à son égard, en licenciement nul à titre principal, ou sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, avec toutes conséquences de droit ;

- condamner dès lors la société Brezillon à lui payer les sommes suivantes :

. 26 520 euros à titre de dommages-intérêts ;

. 4 080 euros au titre du préavis ;

. 408 euros au titre des congés payés afférents ;

- assortir les condamnations prononcées des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Compiègne ;

- condamner la société Brezillon à lui payer les sommes suivantes :

. 1 500 euros au titre du non-respect de la durée légale ;

. 12 240 euros au titre du travail dissimulé ;

ainsi que :

. 5 000 euros au titre du harcèlement moral ;

. 8 000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

- condamner par ailleurs la société Brezillon, du fait de son ancienneté réelle, à lui régler à titre complémentaire sur l'indemnité de licenciement, la somme de 4 080 euros;

- ordonner à la société Brezillon d'établir les bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- débouter la société Brezillon de son appel incident et, plus largement, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Brezillon à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Brezillon aux entiers dépens.

La société Brezillon, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 juillet 2023, demande à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [B] des chefs de demande suivants :

. 26520 euros à titre de dommages et intérêts ;

. 4080 euros au titre du préavis ;

. 408 euros au titre des congés payés afférents ;

. 4080 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

. 1500 euros au titre du non-respect de la durée légale ;

. 12240 euros au titre du travail dissimulé ;

. 5000 euros au titre du harcèlement moral ;

. 8000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

A titre incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [B] les sommes suivantes :

. 4606,71 euros au titre d'heures complémentaires ;

. 460,06 euros au titre des congés payés afférents ;

. 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence,

- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner Mme [B] à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger que Mme [B] n'est pas fondée à solliciter une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse supérieure à 3 mois de salaire au titre de l'article L.1235-3 du code du travail, soit 3108,15 euros.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 novembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 16 mai 2024.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur les heures complémentaires

Mme [B] sollicite le paiement d'heures complémentaires exposant qu'à compter du 13 avril 2018 la médecine du travail a préconisé un mi-temps thérapeutique que l'employeur n'a plus respecté à partir de juillet 2019 ce dont elle prouve la réalité par un tableau, des extraits de journal et les nombreux courriels échangés alors qu'elle était censée être en repos.

La société rétorque que le tableau et les cahiers rédigés de la main de la salariée ne peuvent à eux seuls démontrer la réalité des heures revendiquées, que les envois de courriels ne sont pas plus probants du fait de la possibilité d'envois différés ; qu'elle n'a jamais demandé l'exécution d'heures complémentaires et n'a pas formé de demande de paiement de telles heures alors qu'elle n'explique la raison pour laquelle il lui aurait été demandé des heures complémentaires en juillet 2019 et pas auparavant et que des témoins attestent qu'elle était satisfaite de l'organisation du mi-temps thérapeutique avec du télétravail pendant la période Covid 19.

Sur ce

En application de l'article L. 323-3 du code de la sécurité sociale le médecin traitant, avec l'accord du médecin-conseil, qui estime que les capacités du salarié sont altérées, peut recommander un allègement des horaires du salarié. L'employeur est tenu de donner suite à cette recommandation, sauf à motiver son refus.

En l'espèce il est constant que Mme [B] a été placée à mi-temps thérapeutique à compter du 13 avril 2018. Les parties divergent sur la répartition en ce que l'employeur soutient que le planning prévoyait :

Lundi : 8h30-12h 13h30-17h

Mardi : 8h30-12h

Mercredi : repos

Jeudi :8h30-12h

Vendredi :8h30-12h

Alors que ma salariée indique dans son tableau d'heures un planning uniquement le matin de 8h30 à 12 h.

En tout état de cause elle devait effectuer 17,5 heures par semaine soit la moitié de la durée légale du travail.

Aux termes de l'article L. 3123-8 du code du travail, chacune des heures complémentaires accomplies donne lieu à une majoration de salaire.

Aux termes de l'article L. 3123-29 du même code, à défaut de stipulation conventionnelle, le taux de majoration des heures complémentaires est de 10 % pour chacune des heures complémentaires accomplies dans la limite du dixième des heures prévues au contrat de travail et de 25 % pour chacune des heures accomplies entre le dixième et le tiers des heures prévues au contrat de travail.

En outre, selon l'article L. 3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Au soutien de ses demandes, Mme [B] produit un tableau reprenant pour chaque jour de la semaine les horaires de travail entre le 1er juillet 2019 et le 28 avril 2021, des feuilles mentionnant des tâches à effectuer entre le 27 et le 30 avril 2021.

La cour retient donc que ces éléments sont suffisamment précis pour que l'employeur puise y répondre.

La société verse aux débats le témoignage de Mme [H] agent administratif qui indique travailler à proximité de l'entrée du bâtiment (de la société) et qu'elle n'a jamais vu Mme [B] arriver avant 8h45, qu'elle avait pour habitude d'arriver entre 8h45 et 9 heures Si la deuxième partie de son témoignage indiquant qu'elle ne la voyait jamais l'après-midi, est contredite par les éléments ci-dessus repris, la cour observe que les échanges de courriels n'intervenaient pas en début de prise de poste qui était fixé à 8h30.

Si la salariée conteste que Mme [H] ait pu la voir de son bureau et produit un schéma du bâtiment ce document, qui n'est ni complété ni corroboré par un autre élément, n'a aucune force probante émanant d'elle seule.

Au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Mme [B] a effectué des heures supplémentaires non rémunérées mais seulement dans la limite de 130 heures complémentaires pour la période comprise entre le 1er juillet 2019 et le 28 avril 2021 puisqu'elle indique elle même qu'elle a été placée en arrêt de travail à compter du 29 avril 2021 et mentionne cependant pour la semaine concernée 16 heures d'heures complémentaires.

Ainsi Mme [B] a effectué des heures complémentaires non rémunérées mais seulement dans la limite de 1695,15 euros au titre des heures complémentaires pour la période revendiquée, outre 169,51 de congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera confirmé en son principe mais infirmé en son quantum.

Sur le non-respect de la durée légale

Mme [B] sollicite des dommages et intérêts en réparation du préjudice né du non-respect de la durée légale car elle n'aurait pas du effectuer des heures complémentaires alors qu'elle était à mi-temps thérapeutique.

La société s'y oppose car elle a respecté le cadre du mi-temps thérapeutique, que la salariée ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait travaillé plus de 10 heures par jour, notamment le 23 novembre 2020.

Sur ce

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur. C'est ainsi à l'employeur de prouver que la durée minimale du repos journalier, hebdomadaire et annuel obligatoire a bien été respectée. Le salarié qui a été privé de tout ou partie de son repos peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Le salarié ne peut prétendre à ce titre qu'à des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice résultant pour lui d'un manquement de l'employeur à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En l'espèce, la salariée, qui n'a pas à apporter des éléments de preuve, a présenté au vu des développements qui précèdent des éléments factuels établis unilatéralement par ses soins revêtant un minimum de précision afin que l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail accomplies, puisse y répondre utilement.

En l'espèce ce n'est pas la durée légale du travail qui est concernée mais la durée préconisée par le médecin du travail dans le cadre du mi-temps thérapeutique.

Il n'est pas établi que la salariée ait travaillé plus de 10 heures par jour ou 48 heures par semaine ou que le délai de 11 heures n'a pas été respecté entre la fin d'un poste et la reprise du poste.

La salariée sera, par confirmation du jugement, déboutée de cette demande.

Sur le travail dissimulé

La salariée sollicite la condamnation de l'employeur au titre du travail dissimulé du fait de l'absence de mention sur les fiches de salaire des heures complémentaires réalisées.

La société s'y oppose faute de prouver les heures revendiquées et subsidiairement invoque l'absence d'élément intentionnel de dissimuler des heures complémentaires.

Sur ce

Il résulte de l'article L.8223-1 du code du travail que le salarié dont le travail a été dissimulé par l'employeur a droit en cas de rupture de la relation de travail à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Selon l'article L.8221-5 du même code, le travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié est notamment caractérisé par le fait pour l'employeur de mentionner intentionnellement sur les bulletins de paie, un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, ou encore par le fait pour l'employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. Cette indemnité forfaitaire est cumulable avec des dommages et intérêts du fait du préjudice résultant de la dissimulation de l'emploi.

Enfin, l'attribution par une juridiction au salarié d'heures complémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d'une dissimulation intentionnelle.

En l'espèce, la cour a jugé que Mme [B] avait accompli des heures complémentaires non rémunérées par l'employeur au cours de la relation contractuelle mais seulement à hauteur de 1695,15 euros, soit 130 heures. Cependant, cette circonstance ne suffit pas à établir la dissimulation d'emploi salarié intentionnelle de la part de la société, dont le manquement résulte davantage d'une négligence de l'employeur que d'une volonté délibérée de dissimuler l'emploi du salarié tel que cela ressort des échanges de courriers et courriels entre les parties au cours de la relation contractuelle alors que la salariée n'avait pas formé de demande en paiement avant la procédure.

Il convient donc de rejeter la demande de Mme [B] formée au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par confirmation du jugement entrepris.

Sur le harcèlement moral

Mme [B] soutient avoir été victime de harcèlement moral de l'employeur par surcharge de travail alors qu'elle avait été placée en mi-temps thérapeutique.

L'employeur conteste tout harcèlement indiquant que la salariée en rapporte aucun fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Sur ce

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Selon l'article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [B] s'estime victime de harcèlement moral de la part de l'employeur qui l'a surchargée de travail alors qu'elle relevait d'un mi-temps thérapeutique.

Elle verse aux débats le tableau des heures qu'elle affirme avoir effectuées au delà du mi-temps thérapeutique, les échanges de courriels avec ses collègues à des horaires hors plannings préconisés par la médecine du travail. Ce fait est établi.

La salariée produit l'arrêt de travail du 29 avril 2021 qui indique "syndrome dépressif ", le certificat médical du psychiatre qui la suit qui précise qu'elle présente un syndrome dépressif majeur ayant nécessité une mise en invalidité alors que son état n'étant pas stabilisé elle ne peut reprendre une activité professionnelle.

La cour relève que le médecin précise qu'un traitement a été débuté en février 2017 et le docteur [Y] le médecin traitant précise que la première constatation médicale date de juillet 2016 (la date n'est pas très lisible mais ce ne peut être pas 2017 puisqu'il est établi que le traitement a débuté en février 2017).

Il est constant que la salariée a été placée en mi-temps thérapeutique après un premier arrêt de travail pour un état dépressif.Dans son courrier en 2017 à un confrère, le docteur [Z] psychiatre précise que l'état dépressif majeur caractérisé semble relever plus d'un contexte endogène que réactionnel c'est à dire que la maladie prend naissance à l'intérieur de l'organisme qui est due à une cause interne en dehors de tout apport extérieur.

Aucune pièce de la procédure ne permet de relier la maladie de la salariée à une surcharge de travail, il n'est pas fait référence aux pièces de la procédure d'une origine professionnelle de la maladie, les documents médicaux ne mentionnant pas de plainte de la salariée à ce sujet.

Enfin la réalisation de 130 heures supplémentaires pour la période comprise entre le 1er juillet 2019 et le 28 avril 2021 soit presque deux ans ne saurait être considérée comme caractérisant une surcharge de travail.

Dans ces conditions la cour juge que les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, ne permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail ;

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de la demande à ce titre.

Sur l'obligation de sécurité

Mme [B] argue du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité en ne respectant pas le temps de travail en mi-temps thérapeutique qui a provoqué un burn out.

La société conteste tout manquement affirmant avoir respecté les préconisations de la médecine du travail précisant que la salariée indique elle même dans ses conclusions qu'elle souffre de dépression depuis 2016.

Sur ce

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

" L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protégerla santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour a retenu que la salariée avait effectué 130 heures complémentaires alors qu'elle avait été placée en mi-temps thérapeutique. Si deux salariés respectivement, directrice adjointe du contrôle financier et chef de groupe du contrôle financier attestent que le poste de travail de la salariée avait été adapté pour lui confier des gestions de petites structures à faible enjeu et avait adapté les interactions avec elle en fonction de son temps partiel, la cour constate que l'employeur parfaitement informé du mi-temps thérapeutique n'a pas empêché la salariée d'effectuer des heures complémentaires alors qu'il aurait dû veiller à ce qu'elle n'en effectue pas et qui ont entrainer une rechute de la dépression.

La violation est donc caractérisée et la cour jugera par infirmation du jugement que la société a manqué à son obligation de sécurité envers Mme [B] et la condamnera à lui verser la somme de 3000 euros.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement

Mme [B] sollicite de voir juger le licenciement nul en raison du harcèlement moral et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse suite au manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.

La société s'oppose à ces demandes.

Sur ce

La cour ayant débouté la salariée de sa demande au titre du harcèlement moral, le licenciement ne peut être jugé nul. En revanche la cour ayant retenu un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnisation suite au licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme [B] forme une demande en réparation du préjudice subi à hauteur de 13 mois de salaires outre l'indemnité de licenciement recalculée sur l'ancienneté et le préavis et les congés payés afférents.

La société s'y oppose car le licenciement était bien-fondé ; subsidiairement elle réplique que le salaire retenu par la salariée est incorrect, que la demande en dommages et intérêts correspond au plafond de l'indemnisation du barème alors que la salariée ne justifie par de l'étendue de son préjudice. Elle rétorque que la demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis doit être rejetée car le licenciement a été prononcé pour inaptitude avec dispense de reclassement. Enfin elle souligne que l'ancienneté ne peut prendre naissance à l'issue du contrat d'intérim car il s'est passé plusieurs mois avant qu'elle ne soit embauchée.

Sur ce

Sur l'ancienneté pour le calcul de l'indemnité de licenciement

En application de l'article L 1251-38 du code du travail lorsqu'une entreprise utilisatrice embauche, après une mission, un salarié mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, la durée des missions accomplie au sein de cette entreprise au cours des 3 mois précédents le recrutement est prise en compte pour le calcul de l'ancienneté du salarié.

Mme [B] a été embauchée par la société en intérim à compter du 9 juillet 2004, le dernier contrat prenant fin le 23 décembre 2004. Il s'en est suivi une interruption.

Puis elle a de nouveau été recrutée en intérim le 3 janvier 2005 les contrats s'enchainant jusqu'au 22 décembre 2015. Il s'en est suivi une interruption.

Enfin elle a été embauchée le 2 janvier 2006 au 28 février puis du 1er mars au 28 avril et du 2 mai au 2 juin 2006.

La société n'a pas renouvelé le contrat et elle l'a ensuite embauchée le 11 mai 2006 à effet du 1er juin 2006.

Ainsi Mme [B] a travaillé sans interruption pour la société d'abord en intérim puis en contrat à durée indéterminée le 2 janvier 2006 jusqu'au licenciement le 22 décembre 2021.

L'ancienneté doit donc être calculée à partir du 1er mars 2006 soit en tenant compte des 3 mois précédents le recrutement. Elle doit être fixée à 15 ans et 9 mois.

En application de l'article R. 1234-2 du code du travail, le montant minimum de l'indemnité légale de licenciement varie en fonction de l'ancienneté du salarié. Elle ne peut être inférieure à : ¿ de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à 10 ans et 1/3 de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de 10 ans.

Les 3 mois supplémentaires n'ont pas pour effet de faire gagner une année supplémentaire à la salariée ouvrant droit à un reliquat de l'indemnité de licenciement déjà réglée.

La cour déboutera en conséquence Mme [B] de cette demande.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

La salariée ayant été licenciée pour inaptitude mais dont le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse a droit au paiement d'uneindemnité compensatrice de préavis même si elle était du fait de son inaptitude dans l'impossibilité de l'effectuer ( cass soc 17 nov 2021 n°20-14.848).

La salariée ayant une ancienneté supérieure à deux ans le préavis en application de l'article L 1234-1 du code du travail est de deux mois.

La salariée réclame de retenir un salaire moyen de 2040 euros. Elle ne verse pas les fiches de paie et la cour en se basant sur l'attestation Unedic retiendra un salaire de référence de 1036 euros.

Il est donc dû à la salariée une indemnité compensatrice de préavis de 2072 euros outre 207,20 euros de congés payés afférents.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Il est constant que l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail qui fixe le barème d'indemnisation applicable, conduira à limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse entre un montant minimum de 3 mois de salaire et un montant maximum à 13 mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de Mme [B], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de la salariée doit être évaluée à la somme de 8000 euros.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société à payer à Mme [B] la somme de 8000 euros en réparation.

Sur les intérêts au taux légal

La cour rappelle que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt pour les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts comme sollicité par la salariée.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Mme [B] sollicite de la cour qu'elle prononce la condamnation de l'employeur à lui remettre les documents de fin de contrat sous astreinte comminatoire de 50 euros par jour de retard à compter de la signification.

La société s'y oppose, l'astreinte n'étant pas fondée.

Sur ce

Il y a lieu d'ordonner à la société de remettre à Mme [B] les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt. Toutefois aucun élément en l'état ne laissant supposer un refus d'exécution spontané, elle sera déboutée de la demande d'astreinte.

Sur le remboursement à France travail

En application de l'article L.1235-4 alinéa 1 et 2 du code du travail que le remboursement des allocations de chômage peut être ordonné au profit du France travail lorsque le salarié a deux années d'ancienneté au sein de l'entreprise et que celle-ci emploie habituellement au moins onze salariés lorsque le licenciement est prononcé alors qu'il est sans cause réelle et sérieuse. Les conditions étant réunies en l'espèce, il convient de condamner la société à rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [B] dans la proportion de six mois.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société Brezillon, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, et à payer à Mme [B] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

La société sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition du greffe

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a retenu le principe des heures complémentaires, sur le débouté de la demande consécutive au non-respect de la durée légale du travail, sur le débouté au titre du harcèlement moral et au titre du travail dissimulé et a condamné la société Brezillon aux dépens ainsi qu'à payer au salarié 700 euros au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité

Dit que le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [B] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Brezillon à payer à Mme [F] [B] :

- 1695,15 euros au titre des heures complémentaires pour la période revendiquée, outre 169,51 de congés payés afférents

- 3000 euros de dommages et intérêts en réparation du manquement à l'obligation de sécurité

- 8000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2072 euros d'indemnité compensatrice de préavis outre 207,20 euros de congés payés afférents

- 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne la société Brezillon à rembourser au profit de France travail des allocations versées à Mme [F] [B] dans la limite de six mois d'indemnités

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Brezillon aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01086
Date de la décision : 16/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-16;23.01086 ?
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