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11/07/2024 | FRANCE | N°22/03086

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 11 juillet 2024, 22/03086


ARRET







[S]





C/



Caisse CIPAV













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 11 JUILLET 2024



*************************************************************



N° RG 22/03086 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IPPC - N° registre 1ère instance :



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (POLE SOCIAL) EN DATE DU 19 MAI 2022





PARTIES EN CAUSE :





APPEL

ANT





Monsieur [V] [S]

[Adresse 1]

[Localité 2]





Représenté par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, substituant Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS







ET :







INTIMEE





CIPAV

agissant poursuites et diligence...

ARRET

[S]

C/

Caisse CIPAV

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 11 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 22/03086 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IPPC - N° registre 1ère instance :

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (POLE SOCIAL) EN DATE DU 19 MAI 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [V] [S]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, substituant Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

CIPAV

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Pascal PERDU, avocat au barreau d'AMIENS, substituant Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 13 Mai 2024 devant Mme Véronique CORNILLE, conseillère, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Juillet 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Christine DELMOTTE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la cour composée en outre de :

Mme Jocelyne RUBANTEL, président,

M. Pascal HAMON, président,

et Mme Véronique CORNILLE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 11 Juillet 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, président a signé la minute avec Mme Diane VIDECOQ-TYRAN, greffier.

*

* *

DECISION

M. [V] [S], affilié à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (ci-après la CIPAV) à compter de 2009 en raison de son activité exercée sous le statut d'auto-entrepreneur, a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV d'une demande de rectification du relevé de situation individuelle qu'il s'était procuré sur le site internet 'info retraite' s'agissant des points de retraite de base et des points de retraite complémentaire.

Statuant sur le recours de M. [S] à l'encontre de la décision implicite de rejet de ladite commission, le tribunal judiciaire de Lille, pôle social, par jugement du 19 mai 2022, a :

- dit M. [S] irrecevable en son recours,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [S] aux dépens.

Par déclaration d'appel du 21 juin 2022, M. [S] a interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 27 mai 2022.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 21 septembre 2023 lors de laquelle l'affaire a été renvoyée à celle du 13 mai 2024 en raison du mouvement de grève des personnels du greffe.

Par conclusions visées par le greffe le 13 mai 2024 auxquelles il s'est rapporté, M. [S] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- déclarer son recours recevable,

- condamner la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaire acquis par lui sur la période 2009-2019 selon le détail suivant :

- 40 points en 2009,

- 40 points en 2010,

- 40 points en 2011,

- 40 points en 2012,

- 36 points en 2013,

- 36 points en 2014,

- 36 points en 2015,

- 36 points en 2016,

- 36 points en 2017,

- 36 points en 2018,

- 36 points en 2019,

- condamner la CIPAV à rectifier les points de retraite de base acquis par lui sur la période 2009-2019 selon le détail suivant :

- 157,4 points en 2009,

- 197,6 points en 2010,

- 149,5 points en 2011,

- 245,1 points en 2012,

- 278,3 points en 2013,

- 210,8 points en 2014,

- 229,5 points en 2015,

- 30,5 points en 2016,

- 80,4 points en 2017,

- 254,9 points en 2018,

- 277,8 points en 2019,

- condamner la CIPAV à lui transmettre et à lui rendre accessible, y compris en ligne, un relevé de situation individuelle conforme, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

Y ajoutant,

- en cas de décision d'irrecevabilité sur les exercices 2016-2019, condamner la CIPAV à verser une indemnité supplémentaire de 3 000 euros par année non renseignée en réparation du préjudice causé par le manquement à l'obligation légale d'information de la caisse, soit 12 000 euros pour les années 2016 à 2019,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que la Cour de cassation a reconnu la recevabilité de la contestation du contenu du relevé de situation individuelle à une date antérieure à la liquidation des droits.

Sur la rectification des points de retraite complémentaire, il soutient que l'attribution d'un nombre forfaitaire de points se fait en fonction de la classe de revenu ; que l'allocation de points de retraite complémentaire d'un montant inférieur à ceux de la première classe est impossible ; que l'assiette à retenir pour déterminer la classe de revenu applicable est celle du chiffre d'affaires qui constitue l'assiette spécifique des cotisations ; que si l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale définit l'assiette de cotisation des professionnels libéraux 'classiques' comme étant le revenu retenu 'pour le calcul de l'impôt sur le revenu', cette disposition n'est pas applicable aux auto-entrepreneurs pour lesquels l'article L. 133-6-8 prévoit une assiette de cotisation différente tout en présumant un niveau de cotisations équivalent ; que le BNC théorique auquel a eu recours la CIPAV sur la période 2009-2015 pour le calcul des points de retraite complémentaire est à proscrire.

S'agissant des points de retraite de base, il indique que la CIPAV pratique à tort un abattement de 34% sur le chiffre d'affaires, ce qui conduit à une minoration de ses points de retraite de base.

Enfin, il conclut que son préjudice moral est caractérisé par le stress lié à un sentiment d'impossibilité d'obtenir la rectification de ses droits ; que si la cour de céans déclarait irrecevable la demande de rectification des droits à retraite sur la période de 2016 à 2019 en dépit du paiement des cotisations sur cet exercice, la demande indemnitaire faite au titre du manquement à l'obligation d'information légale de la CIPAV, non soumise à saisine préalable de la commission de recours amiable, devra être déclarée recevable.

Par conclusions, parvenues au greffe le 14 septembre 2023, la CIPAV demande à la cour de :

A titre principal,

- déclarer irrecevable le recours formé par M. [S],

A titre subsidiaire,

- juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de M. [S],

- attribuer à M. [S] les points de retraite de base suivants :

- 103,9 points de retraite de base en 2009

- 130,4 points de retraite de base en 2010

- 98,6 points de retraite de base en 2011

- 161,7 points de retraite de base en 2012

- 183,7 points de retraite de base en 2013

- 139,1 points de retraite de base en 2014

- 151,4 points de retraite de base en 2015

- 21,2 points de retraite de base en 2016

- 54,9 points de retraite de base en 2017

- 170,1 points de retraite de base en 2018

- 185,5 points de retraite de base en 2019

- attribuer à M. [S] les points de retraite complémentaires suivants :

- 10 points de retraite complémentaire en 2009

- 10 points de retraite complémentaire en 2010

- 10 points de retraite complémentaire en 2011

- 10 points de retraite complémentaire en 2012

- 9 points de retraite complémentaire en 2013

- 9 points de retraite complémentaire en 2014

- 9 points de retraite complémentaire en 2015

- 3,02 points de retraite complémentaire en 2016

- 7,55 points de retraite complémentaire en 2017

- 23,02 points de retraite complémentaire en 2018

- 24,87 points de retraite complémentaire en 2019

- débouter M. [S] de ses demandes,

- condamner M. [S] à lui verser la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager.

La CIPAV fait valoir que le recours est irrecevable, le relevé de situation individuelle ne constituant pas une décision de la CIPAV susceptible de recours devant la CRA mais un document indicatif et provisoire, et qu'en l'absence de demande préalable auprès de la CIPAV, M. [S] ne pouvait saisir directement la CRA puis le tribunal. Elle relève que l'absence de mention sur les années 2016 à 2019 ne saurait caractériser une décision de la caisse.

Sur le calcul des points de retraite, elle expose que le statut d'auto-entrepreneur est un statut dérogatoire au régime normal ouvrant droit à un régime de cotisation spécifique ; que pour chaque période d'affiliation, le statut d'auto-entrepreneur permet aux professionnels libéraux, en fonction du chiffre d'affaires déclaré et donc du montant cotisé, de valider des trimestres de retraite et d'acquérir des points de retraite ; que le montant des cotisations est calculé en appliquant au chiffre d'affaires un taux fixé par décret (22% depuis le 1er janvier 2018) ; qu'avant 2016, l'assiette des cotisations est bien le bénéfice non commercial déclaré ; que cependant, l'auto-entrepreneur ne déclare qu'un chiffre d'affaires brut mensuel ou trimestriel (recettes brutes correspondant aux factures effectivement encaissées) sur lesquelles il ne peut déduire ses charges ; que dans ces conditions, afin d'obtenir une assiette de cotisations équivalente au régime de droit commun, les cotisations de l'auto-entrepreneur sont calculées sur le chiffre d'affaires après abattement de 34% reconstituant ainsi un revenu correspondant au bénéfice non commercial en application des articles L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale et 102 ter du code général des impôts ; que ce revenu professionnel reconstitué correspond au bénéfice imposable dans le régime fiscal de la micro-entreprise, et plus précisément du bénéfice imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux pour une activité libérale.

S'agissant du régime de retraite complémentaire, elle opère une distinction entre la période antérieure au 1er janvier 2016 pour laquelle une compensation par l'Etat pour couvrir la perte de recette induite par le régime a été prévue aux articles L. 131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale et celle postérieure à cette date à partir de laquelle cette compensation a pris fin. Ainsi, pour calculer les points de retraite pour la période 2009 à 2015, elle prend en compte le bénéfice non commercial déclaré de l'auto-entrepreneur (chiffre d'affaires - 34%) afin de déterminer la plus faible cotisation non nulle dont il aurait pu être redevable au titre du régime classique en application de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 et conformément à l'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale.

A compter de 2016, elle soutient que le calcul des points acquis par l'adhérent ne résulte que de l'application des dispositions réglementaires applicables au régime de l'auto-entrepreneur et du principe de proportionnalité des droits à la retraite aux cotisations selon lequel le rapport entre le montant des cotisations effectivement payées par l'adhérent et la valeur d'achat du point détermine le nombre de points attribué au titre du régime complémentaire.

Elle ajoute que faire bénéficier à M. [S] de 40 points de retraite complémentaire au titre des années 2009 à 2012, de 36 points au titre des années 2013 à 2019, reviendrait à lui attribuer des points à une valeur d'achat largement inférieure à celle fixée par le conseil d'administration de la CIPAV, et entraînerait une rupture d'égalité vis-à-vis des adhérents de la CIPAV ne relevant pas du régime de l'auto-entreprise, ce qui est inconcevable dans un régime de retraite obligatoire.

Elle s'oppose à la demande de réparation du préjudice moral, faisant valoir que M. [S] ne justifie pas du caractère fautif de la position de la CIPAV.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

Motifs

Sur la recevabilité du recours

Selon les articles R. 142-1 et R. 142-6 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction alors applicable, les réclamations contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale sont, préalablement à la saisine de la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale, soumises à une commission de recours amiable, l'intéressé pouvant considérer sa demande comme rejetée lorsque la décision de la commission n'a pas été portée à sa connaissance dans le délai de deux mois.

Aux termes des dispositions combinées des articles L. 161-17, R. 161-11 et D. 161-2-1-4 du code de la sécurité sociale, le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent, périodiquement ou à leur demande, aux assurés comporte pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants des cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension.

Il en résulte que l'assuré est recevable à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction du contentieux général, le report des durées d'affiliation, le montant des cotisations ou le nombre de points figurant sur ce relevé (Cass. Civ. 2ème, 11 octobre 2018, pourvoi n°17-25.956).

En l'espèce, le relevé de situation individuelle édité le 8 avril 2020 via le site internet info retraite que M. [S] conteste, fait mention de points acquis pour la CIPAV au titre du régime de retraite de base et du régime de retraite complémentaire pour les années 2009 à 2015.

M. [S] a saisi la commission de recours amiable d'une réclamation portant sur le nombre de points attribués au titre des années 2009 à 2015 et sur l'omission de renseignements à ce titre pour les années 2016 à 2019.

Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le relevé litigieux, qui récapitule les droits acquis par l'intéressé au titre du régime de retraite de base et du régime de retraite complémentaire lesquels serviront de base à la liquidation de la pension, procède de décisions prises par les organismes compétents pour la détermination des droits à la retraite d'un assuré social, de sorte que ce dernier est recevable à en contester la teneur devant la commission de recours amiable de l'organisme concerné puis devant la juridiction compétente. Il constitue en effet de la part de l'organisme une véritable prise de position et en tout état de cause est susceptible de faire grief au bénéficiaire de sorte que celui-ci doit être en mesure d'en contester la teneur sans attendre la liquidation de ses droits à la retraite.

En outre, l'absence d'indication au titre d'une année sur le relevé constitue également une décision, soit un refus d'attribution de points acquis au titre de celle-ci, alors que les caisses ont l'obligation d'alimenter le relevé de situation individuelle des assurés.

Dès lors, le recours est recevable et le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions.

Sur le fond

Le régime des cotisations et contributions des travailleurs indépendants auto-entrepreneurs (régime micro-social) est prévu par l'article L.133-6-8 du code de la sécurité sociale.

Il résulte de cet article dans ses versions applicables aux périodes litigieuses de 2009 à 2013, que l'option en faveur du statut d'auto-entrepreneur conduit pour les travailleurs indépendants qui bénéficient des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts à ce que les cotisations dont ils sont redevables soient calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée auxdits articles du code général des impôts.

Dans sa version applicable du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2016 soit pour les points de retraite acquis au titre des années 2013 à 2015, le texte précise que le calcul indiqué comme ci-dessus est effectué 'de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants.'

Dans sa version applicable aux cotisations dues à compter du 1er janvier 2016 soit aux années 2016 à 2018, l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale est rédigé ainsi: 'les cotisations et les contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts sont calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux mêmes articles, de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants ne relevant pas des dispositions du présent article.'

Depuis l'ordonnance n° 2018-470 du 12 juin 2018 procédant au regroupement et à la mise en cohérence des dispositions du code de la sécurité sociale applicables aux travailleurs indépendants, l'article L. 133-6-8 est devenu l'article L. 613-7 du code de la sécurité sociale.

Le taux de cotisation dit forfait social est fixé à 22% depuis le 1er janvier 2018 (article D.131-5-1 du code de la sécurité sociale). Il couvre l'ensemble des cotisations.

En fonction du montant cotisé, des points de retraite de base et de retraite complémentaire sont acquis par l'assuré auto-entrepreneur et le montant de la pension de retraite est égal au produit de la valeur du point par le nombre de points acquis (articles L. 643-1 et L. 643-3 du code de la sécurité sociale).

Il se déduit de la combinaison des textes précités que les cotisations sont assises sur le chiffre d'affaires ou les recettes effectivement réalisés.

Sur les points de retraite de base

Aux termes de l'article D. 643-1 du code de la sécurité sociale, dans ses versions successives applicables sur la période litigieuse, le versement de la cotisation annuelle correspondant au plafond de revenu fixé au 1° de l'article D. 642-3 (plafond annuel de la sécurité sociale ou PASS) ouvre droit à l'attribution de 450 points de retraite de base (tranche 1) et le versement de la cotisation annuelle correspondant au plafond de la tranche des revenus défini au 2° de l'article D. 642-3 (cinq fois le montant du PASS) ouvre droit à 100 points de retraite de base (tranche 2), le nombre de points étant calculé au prorata des cotisations acquittées sur chacune des deux tranches, arrondi à la décimale la plus proche.

Dans sa version applicable à compter de 2015, le nombre de points est de 525 points et 25 points au lieu des 450 et 100 points.

M. [S] conteste le nombre de points de retraite de base figurant sur son relevé de situation individuelle. Il indique dans ses écritures que les parties s'accordent sur la formule de calcul des points de retraite de base des auto-entrepreneurs expliquée aux pages 2 et 3 de la pièce 1-2 et qu'elles sont en désaccord sur l'assiette de revenus à prendre en compte pour le calcul des cotisations, la CIPAV pratiquant un abattement de 34% sur le chiffre d'affaires ce qui conduit à une minoration des points de retraite de base.

Dans ses écritures, la CIPAV distingue dans la formule de calcul les années avant et à compter de 2016.

S'agissant des années 2009 à 2015, elle retient pour calculer le montant de la cotisation due, le chiffre d'affaires dont elle déduit un abattement de 34%, qu'elle intitule bénéfice non commercial et qu'elle divise par la valeur du point d'achat pour obtenir le nombre de points acquis au titre du régime de base.

A compter de 2016, elle retient le chiffre d'affaires correspondant à celui indiqué par M. [S] dans son tableau (pièce 1-2) pour lui appliquer le taux de cotisation dit forfait social qui aboutit toutefois à un total différent de celui mentionné par M. [S] dans la colonne forfait social de son tableau de la pièce 1-2. Elle multiplie ensuite le montant de cotisation obtenu par 25% pour la tranche 1 et par 5% pour la tranche 2, ce qui aboutit à une réduction du montant de cette cotisation qui serait celui versé au titre de la retraite de base. Elle le divise enfin par la valeur du point pour obtenir le nombre de points acquis au titre du régime de base.

- sur les années 2009 à 2015

Pour la période antérieure à 2016, la prétention de la CIPAV d'appliquer au montant du chiffre d'affaires un abattement de 34% est contraire aux dispositions claires de l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale qui se réfère au chiffre d'affaires ou aux recettes effectivement réalisées.

Il ressort du dossier que le chiffre d'affaires de M. [S] s'est établi à 10 200 euros pour 2009, 12 924 euros pour 2010, 9 980 euros pour 2011, 16 837 euros pour 2012, 19 470 euros pour 2013, 14 950 euros pour 2014 et 16 470 euros pour 2015 (attestations sur les recettes déclarées 'presta BNC'aux services de l'Urssaf).

Ainsi pour l'année 2009, la valeur du point étant de 64,80 euros (plafond de la tranche: 29 162 euros) et le chiffre d'affaires de 10 200 euros, il en résulte un nombre de points de 157,4 conforme à la demande de M. [S].

Compte tenu de la valeur du point précisée pour chacune des années précitées dans les écritures de la CIPAV qui ne fait pas l'objet de contestation, la demande de M. [S] est bien fondée et il convient d'y faire droit.

- sur les années 2016 à 2019

Il y a lieu de relever que le montant des cotisations n'apparaît pas dans les pièces produites, que les parties ne s'accordent pas sur le montant du forfait social, que la CIPAV n'explicite pas les réductions de 25% ou 5% sur le montant des cotisations qu'elle opère lors du calcul des points du régime de base, et qu'il ne peut donc être considéré qu'elles s'accordent sur la formule de calcul.

La CIPAV fait référence en page 11 de ses écritures sur la retraite complémentaire aux dispositions de l'article 3.12 de ses statuts, qui prévoient une réduction de la cotisation en fonction du revenu professionnel de l'année précédente. Cependant cette réduction ne peut intervenir que sur demande expresse de l'adhérent, ce qu'elle n'établit pas en l'espèce, de sorte que cette explication ne saurait être retenue.

Elle explique également qu'elle applique le principe de proportionnalité entre le montant des cotisations et la valeur d'achat du point afin d'éviter une rupture d'égalité vis-à-vis des autres adhérents de la CIPAV ainsi que la prise en compte d'une valeur du point inférieure à celle fixée par son conseil d'administration.

Or les objectifs qu'elles revendiquent ne résultent pas des dispositions applicables.

En tout état de cause, les calculs figurant dans ses écritures ne sont pas explicites au regard de ces dispositions.

Il convient donc de faire droit à la demande de M. [S] de rectification de ses points de retraite de base, étant relevé qu'il n'est pas contesté qu'il s'est acquitté de ses obligations contributives en réglant ses cotisations de sorte qu'il est en droit d'obtenir les droits corrélatifs.

Sur les points de retraite complémentaire

Aux termes des dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979, le régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire, géré par la CIPAV et institué par l'article 1er de ce texte, comporte plusieurs classes de cotisations déterminées en fonction du revenu d'activité de l'intéressé, auxquelles correspond l'attribution d'un nombre de points de retraite dont le montant est fixé par décret sur proposition du conseil d'administration de l'organisme.

Il est constant que les dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 sont seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV (Cass. 2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n°18-15.542).

Il en découle que le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié déterminée en fonction de son revenu d'activité (2ème Civ. , 23 janvier 2020, n°18-15.542), étant précisé que la cotisation s'exprime sous la forme d'un montant fixe (et non d'un pourcentage) dû par l'assuré.

Le nombre de classes de cotisation a été porté de six à huit par le décret n°2012-1522 du 28 décembre 2012, applicable aux cotisations dues à compter du 1er janvier 2013. A chaque classe de cotisation, correspond un montant de cotisations et un nombre de points de retraite. Ce nombre est fixé pour la première des classes (classe A) à 40 points par année pour les années 2009 à 2012 et à 36 points par année à compter de 2013, pour la classe B à 72 points à compter de 2013. Il est prévu que la cotisation due par chaque assujetti est celle de la classe à laquelle correspond, dans les conditions fixées par les statuts prévus à l'article 5, son revenu d'activité tel que défini à l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale.

Aux termes de l'article L. 131-6 dans ses versions successives, l'assiette des cotisations d'assurance maladie et maternité, d'allocations familiales, d'assurance invalidité décès et d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants non agricoles ne relevant pas du dispositif prévu à l'article L. 613-7 du présent code (ou L. 133-6-8 dans les versions antérieures à 2018) est constituée des revenus d'activité indépendante à retenir pour le calcul de l'impôt sur le revenu.

Il résulte de ces dispositions que le renvoi effectué à l'article L. 131-6 n'est pas applicable aux travailleurs indépendants relevant de l'article L. 613-7, soit au micro-entrepreneur comme M. [S].

Pour la détermination du revenu d'activité, il convient de se référer à l'article L. 613-7 énoncé précédemment selon lequel le revenu d'activité correspond au montant du chiffre d'affaires ou des recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent.

Il n'y a donc pas lieu d'appliquer un abattement de 34% sur le chiffre d'affaires, comme cela a été rappelé au paragraphe concernant le régime de base.

Par ailleurs, la CIPAV n'est pas fondée à s'appuyer comme elle le fait sur le mécanisme de la compensation financière de l'Etat pour calculer les droits de l'assuré. Il importe peu que cette compensation soit insuffisante ou inexistante. La CIPAV ne peut ainsi procéder à un calcul de proportionnalité des points attribués en fonction du montant de la cotisation effectivement versée par l'assuré, au motif que les sommes encaissées par celui-ci dans le cadre de son activité d'auto-entrepreneur ne permettent pas de faire jouer la compensation de l'Etat pour les années antérieures à 2016 (article L. 131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale ), ni calculer ces points pour les années ultérieures en appliquant un principe de proportionnalité entre le montant des cotisations et la valeur d'achat du point.

En effet, ces règles de compensation n'intéressent que les rapports entre l'Etat et l'organisme et sont étrangères aux relations entre l'organisme et ses affiliés.

Elles sont donc sans incidence sur la détermination des droits à pension des assurés.

La CIPAV ne peut pas non plus s'appuyer sur les dispositions de l'article 3.12 de ses statuts, qui prévoient une réduction de la cotisation en fonction du revenu professionnel de l'année précédente, dès lors qu'il résulte de ces dispositions que cette réduction ne peut intervenir que sur demande expresse de l'adhérent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En tout état de cause, les statuts de la CIPAV n'ont d'autre vocation que de régir le fonctionnement interne de cet organisme.

Par suite, l'argument selon lequel le nombre de points revendiqué par l'assuré conduit à lui attribuer des points pour une valeur d'achat largement inférieure à celle fixée par le conseil d'administration de la CIPAV est aussi inopérant.

Le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les auto-entrepreneurs et les autres adhérents formulé par l'organisme est également sans portée, dès lors que le régime applicable aux premiers se veut incitatif et répond à la volonté du législateur de favoriser la création d'entreprises par la mise en place, notamment, d'un régime de déclaration et de paiement fiscal et social simplifié, sans porter atteinte aux droits de ceux qui ont choisi d'opter pour le régime micro-social.

Comme il a été dit précédemment, seules sont applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV les dispositions de l'article 2 du décret du 21 mars 1979 susvisé.

Il ressort du dossier que le revenu d'activité de M. [S], soit le montant de son chiffre d'affaire, s'est établi à 10 200 euros pour 2009, 12 924 euros pour 2010, 9 980 euros pour 2011, 16 837 euros pour 2012, 19 470 euros pour 2013, 14 950 euros pour 2014 et 16 470 euros pour 2015, 2 220 euros en 2016, 5 950 euros en 2017, 19 110 euros en 2018, 21 240 euros en 2019.

Il se situe donc dans la classe A pour toutes ces années.

M. [S] est donc fondé à obtenir 40 points de retraite complémentaire pour chacune des années 2009 à 2012, et 36 points pour chacune des années 2013 à 2019.

Il sera ainsi fait droit à la demande de M. [S] de rectification de ses points de retraite complémentaire, étant observé qu'il n'est pas contesté qu'il s'est acquitté de ses obligations contributives en réglant ses cotisations de sorte qu'il est en droit d'obtenir les droits corrélatifs dépendant de sa classe de cotisation.

Sur la remise d'un relevé de situation personnelle rectifié

La CIPAV devra remettre à l'assurée un relevé de situation individuelle rectifié dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Sur la demande de dommages intérêts pour préjudice moral

Aux termes de l'article 1240 du code civile, toute fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Pour être accordée, la réparation suppose que soit démontrés une faute, un préjudice et un lien entre ces derniers, étant précisé que le préjudice doit être certain et non hypothétique.

En l'espèce, M. [S] invoque un préjudice moral lié à la minoration de ses points de retraite.

Cependant, le différend opposant la CIPAV à son assuré sur les modalités de calcul de ses droits à pension ne suffit pas à caractériser l'existence d'une faute de la part de l'organisme, l'affilié disposant de la faculté de soumettre à un tribunal l'application des textes et de la jurisprudence.

En outre la preuve de la réalité du préjudice n'est pas rapportée.

Dès lors, M. [S] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie succombante, la CIPAV sera condamnée au paiement des entiers dépens et déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [S] l'intégralité des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'engager dans la présente instance. Il lui sera alloué la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déclare la demande recevable,

Condamne la CIPAV à créditer et à renseigner le relevé de situation individuelle de M. [S] sur la période de 2009 à 2019 comme suit :

points de retraite complémentaire :

- 40 points en 2009,

- 40 points en 2010,

- 40 points en 2011,

- 40 points en 2012,

- 36 points en 2013,

- 36 points en 2014,

- 36 points en 2015,

- 36 points en 2016,

- 36 points en 2017,

- 36 points en 2018,

- 36 points en 2019,

points de retraite de base :

- 157,4 points en 2009,

- 197,6 points en 2010,

- 149,5 points en 2011,

- 245,1 points en 2012,

- 278,3 points en 2013,

- 210,8 points en 2014,

- 229,5 points en 2015,

- 30,5 points en 2016,

- 80,4 points en 2017,

- 254,9 points en 2018,

- 277,8 points en 2019,

ce dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt,

Déboute M. [S] de sa demande de condamnation sous astreinte,

Le déboute de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne la CIPAV aux entiers dépens,

La déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la CIPAV à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 22/03086
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;22.03086 ?
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