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11/07/2024 | FRANCE | N°22/00547

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 11 juillet 2024, 22/00547


ARRET







[Z]

[E]

[E]





C/



S.A. [9]

CPAM DES FLANDRES













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 11 JUILLET 2024



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N° RG 22/00547 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IK3J - N° registre 1ère instance : 20/02613



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (POLE SOCIAL) EN DATE DU 20 JANVIER 2022



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PARTIES EN CAUSE :





APPELANTS





Madame [J] [Z] veuve [E]

Domiciliée chez Maitre SABOS Julien

[Adresse 1]

[Localité 5]



Monsieur [Y] [E] agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de ses deux fils [U] [E] e...

ARRET

[Z]

[E]

[E]

C/

S.A. [9]

CPAM DES FLANDRES

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 11 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 22/00547 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IK3J - N° registre 1ère instance : 20/02613

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (POLE SOCIAL) EN DATE DU 20 JANVIER 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS

Madame [J] [Z] veuve [E]

Domiciliée chez Maitre SABOS Julien

[Adresse 1]

[Localité 5]

Monsieur [Y] [E] agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de ses deux fils [U] [E] et [W] [E].

Domicilié chez Maitre SABOS Julien

[Adresse 1]

[Localité 5]

Madame [L] [E] épouse [R] agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [B] [R].

Domiciliée chez Maitre SABOS Julien

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentés et plaidant par Me Nicolas HAUDIQUET, avocat au barreau de DUNKERQUE, substituant Me Julien SABOS de l'AARPI BELVAL & SABOS, avocat au barreau de DUNKERQUE

ET :

INTIMES

S.A. [9]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée et plaidant par Me Vincent DESRIAUX, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Florence MONTERET AMAR de la SCP MACL SCP d'Avocats, avocat au barreau de PARIS

CPAM DES FLANDRES

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée et plaidant par Mme [K] [P], munie d'un pouvoir régulier

DEBATS :

A l'audience publique du 13 Mai 2024 devant Mme Véronique CORNILLE, conseillère, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Juillet 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Christine DELMOTTE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la cour composée en outre de :

Mme Jocelyne RUBANTEL, président,

M. Pascal HAMON, président,

et Mme Véronique CORNILLE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 11 Juillet 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, président a signé la minute avec Mme Diane VIDECOQ-TYRAN, greffier.

*

* *

DECISION

M. [V] [E], né le 8 janvier 1945, salarié de la société [9] SA entre 1970 et 2004, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, a établi une déclaration de maladie professionnelle le 27 février 2014 au titre d'un carcinome urothélial diagnostiqué en juillet 2013 accompagnée d'un certificat médical initial du docteur [M] du 3 décembre 2013.

Après avis favorable du CRRMP , la maladie étant hors tableau, la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres (ci-après la CPAM) a pris en charge la maladie déclarée dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels selon décision en date du 2 octobre 2014.

Par décision du 13 mars 2015, elle a fixé un taux d'IPP de 100% à la date de consolidation du 3 décembre 2013.

M. [V] [E] est décédé des suites de sa maladie le 19 janvier 2015 à l'âge de 70 ans.

Saisi par Mme [J] [Z] veuve [E], M. [Y] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de ses fils [U] et [W], Mme [L] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de son fils [B], le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille a, par jugement du 27 septembre 2018, :

- dit l'action en reconnaissance de la faute inexcusable des consorts [E] recevable pour ne pas être prescrite,

- dit que les consorts [E] ont un intérêt à agir,

- dit qu'il n'y a pas lieu de saisir un second CRRMP,

- avant-dire droit sur le fond, ordonné la réouverture des débats.

La société [8] a formé un appel nullité de ce jugement au motif que le tribunal avait statué notamment sur la non saisine d'un second CRRMP alors qu'aucune demande ne lui avait été présentée, les parties ayant demandé le renvoi, et cet appel a été déclaré irrecevable par la cour d'appel d'Amiens selon arrêt du 18 mai 2021 au motif que les demandeurs avaient fait valoir des demandes et qu'aucune inscription de faux n'avait été faite de sorte que l'excès de pouvoir imputé, manquait en fait.

Statuant au fond, le tribunal judiciaire de Lille, pôle social, par jugement du 20 janvier 2022, a :

- débouté Mme [J] [Z] veuve [E], M. [Y] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de ses fils [U] et [W], Mme [L] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de son fils [B], de l'intégralité de leurs demandes,

- condamné la société [9] SA aux dépens.

Par courrier recommandé expédié le 4 février 2022, Mme [J] [Z] veuve [E], M. [Y] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de ses fils [U] et [W], Mme [L] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de son fils [B] ont interjeté appel du jugement du 20 janvier 2022.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 14 mars 2023 lors de laquelle l'affaire a été renvoyée à celle du 21 septembre 2023 puis à celle du 13 mai 2024.

Par conclusions récapitulatives réceptionnées par le greffe le 20 février 2023 et soutenues oralement à l'audience, les consorts [E] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- dire que la maladie professionnelle dont est décédé M. [V] [E] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [8],

- fixer au maximum la majoration de la rente au profit du conjoint survivant prévue par la loi,

- fixer comme suit les réparations pour les ayants droits en leur nom propre à :

- Mme [J] [E] : 30 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- M. [Y] [E] : 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- [W] et [U] [E] représentés par M. [E] : 10 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral,

- Mme [L] [E] épouse [R] : 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- [B] [R] représenté par Mme [L] [E] : 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- fixer comme suit les réparation au titre de l'action successorale :

- 60 000 euros en réparation des souffrances physiques subies par

M. [V] [E],

- 80 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. [V] [E],

- 30 000 euros en réparation de son préjudice d'agrément,

- 5 000 euros au titre des frais funéraires sauf à parfaire,

- dire que la réparation des préjudices sera avancée par la CPAM de [Localité 5] qui exercera son recours à l'encontre de la société [8],

- déclarer opposable à la société [8] la décision par laquelle la CPAM a reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. [V] [E],

- condamner la société [8] à payer à chacun des requérants la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Ils exposent qu'il résulte du cursus professionnel de M. [V] [E] qu'il a subi 3 sources d'exposition au risque cancerogène, à savoir une exposition au gaz d'échappement de 1974 à 1984, une exposition au trichloroéthane 1.1.1. entre 1986 et 1993, une exposition aux huiles de coupe de façon modérée entre 1974 et 1982 et de façon quotidienne de 1982 à 2004.

Ils font valoir que :

- la société [8] tant sur le site de [Localité 6] entre 1970 et 1986, que sur le site de [Localité 10] entre 1986 et 2004, avait ou aurait dû avoir conscience d'exposer son salarié à un risque pour sa santé ;

- le risque dont l'employeur a ou aurait dû avoir conscience renvoie au risque de développer une maladie professionnelle quelconque et non au risque de contracter une maladie spécifique comme le cancer du rein en l'espèce ;

- l'examen des tableaux des maladies professionnelles (16 bis, 36 bis, 4, 9, 12) confirme que la nocivité des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des huiles de coupe et du tricloroéthane était connue de longue date et au moins depuis 1930 ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu que l'employeur ne pouvait pas avoir conscience du risque auquel elle exposait ses salariés du fait de l'utilisation de ces substances dans le cadre professionnel ;

- l'employeur n'a pas pris les mesures de protection nécessaires pour préserver la santé de ses salariés ;

- il se contente d'indiquer que sur le site de [Localité 10], M. [E] bénéficiait de vêtements de travail, de chaussures, de gants de protection tandis que les ateliers étaient équipés d'installations de chauffage et de ventilation, ce qui ne concerne pas la période antérieure à 1986 ; qu'une campagne concernant les HAP avait été diligentée sur ce même site en 2006, 2007, 2008 alors que M. [E] est parti à la retraite en 2004 ;

- en indiquant que les ateliers bénéficiaient d'un système de ventilation, l'employeur confirme qu'aucun dispositif d'extraction de l'air n'existe ;

- le rapport annuel d'activité du médecin du travail pour l'année 1990 montre que s'agissant des solvants chlorés, des bacs de nettoyage munis d'une fosse d'aspiration ont été mis en place dans les ateliers courant 1990 ;

- le port de masques des filtres a été mis en place au cours de cette année 1990 et il n'y avait aucun système d'extraction de l'air avant cette date ;

- le rapport du CHSCT du 15 septembre 1988 indique "le personnel nettoie les pièces au solvant chloréthane sans protection" ;

- M. [V] [E] racontait qu'il lui arrivait de ne pas voir le bout de l'atelier, évoquait des nappes de fumée ;

- la société [8] qui avait nécessairement conscience des risques liées à l'exposition aux polluants contenus dans les gaz d'échappement, le trichloroéthane 1.1.1., les huiles de coupe , n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés, de sorte que la faute inexcusable est caractérisée.

Par conclusions visées par le greffe le 13 mai 2024 et soutenues oralement à l'audience, la société [9] SA demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

subsidiairement et en tout état de cause,

- débouter les consorts [E] de leur demande au titre d'un préjudice d'agrément, des frais funéraires,

- ramener les demandes des consorts [E] au titre de l'action successorale à de plus justes proportions qui ne sauraient être supérieures à 20 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées, et 3 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

- ramener les demandes au titre du préjudice moral à de plus justes proportions qui ne sauraient dépasser :

- pour Mme [J] [E], sa veuve, : 20 000 euros,

- pour M. [Y] [E], son fils, : 10 000 euros,

- en sa qualité de représentant légal de [W] et [U], ses petits-enfants : 5 000 euros chacun,

- pour Mme [L] [E], sa fille, : 10 000 euros,

- en sa qualité de représentant légal d'[B], son petit-fils, : 5 000 euros.

Elle soutient que :

- aucune exposition scientifique n'établit le lien entre une exposition ponctuelle aux HAP et le cancer du rein ;

- le seul tableau de maladie professionnelle mentionnant le cancer primitif du rein a été créé en 2021 soit 17 ans après le départ de M. [E] de la société ;

- l'arrêté ministériel considérant comme cancérigènes les travaux exposant aux HAP présents dans la suie, le goudron, la poix, la fumée ou les poussières de houille date du 5 janvier 1993, soit 11 ans après le départ de M. [E] de la société ;

- en outre, ces travaux ne sont pas ceux effectués par M. [E] de sorte que la société ne pouvait avoir conscience entre 1974 et 1982 exposer M. [E] à un danger ;

- il en est de même pour le trichloroéthane dont le lien avec le cancer du rein n'est nullement relaté par les publications scientifiques, qui est interdit de vente aux particuliers depuis janvier 1996 et d'utilisation par ceux-ci depuis 2000 et dont l'utilisation industrielle est fortement réglementée selon la directive du 11 mars 1999 relative aux composés organiques volatiles, de sorte que la société ne pouvait avoir conscience entre 1986 et 1993 exposer M. [E] à un danger ;

- elle a au surplus fait preuve d'une grande prudence dans l'utilisation par son personnel des solvants dont le trichloroéthane, laquelle a cessé selon le rapport annuel d'activité du médecin du travail pour l'année 1990 ou a été très limitée dans l'intervention des machines à laver avec instauration du port d'un masque bi-filtre adapté ;

- le CRRMP ne retient pas l'exposition au trichloroéthane.

Elle conteste l'exposition aux huiles de coupe, M. [E] n'ayant jamais occupé un poste d'opérateur en usinage, admettant toutefois qu'à l'occasion de ses fonctions de technicien process et de technicien d'essai mise au point, il ait été en contact ponctuellement avec des huiles de coupe pour réaliser des gammes de travail, observant que le tableau n° 36 bis relatif aux affections cancéreuses provoquées par les huiles entières n'a été créé qu'en 1989 soit postérieurement à la période d'exposition présumée de M. [E].

Elle considère que la preuve de la conscience du risque n'est pas rapportée et qu'au surplus, elle a pris les mesures de protection collectives et individuelles qui s'imposaient à la fin des années 1980 dans l'usine de [Localité 10] (systèmes de filtration des vapeurs d'huile de coupe au niveau des machines et utilisation quasiment supprimée des solvants).

Par conclusions visées par le greffe le 13 mai 2024 et soutenues oralement, la CPAM des Flandres demande à la cour de :

- lui donner acte qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande de faute inexcusable et sur celle des ayants droit de la victime,

- condamner la société [9] SA à lui rembourser toutes les sommes dont elle aura à faire l'avance,

- dire et juger qu'elle récupèrera immédiatement le capital représentatif de la majoration de rente sur le fondement de l'article D. 452-1 du code de la sécurité sociale.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.

Motifs

Sur la maladie professionnelle

M. [V] [E] a été salarié de la société [9] de 1970 à 2004 (date de son départ à la retraite), en tant que :

- ouvrier d'entretien des bâtiments de 1970 à 1971,

- technicien en maintenance générale de 1971 à 1973,

- technicien chef d'équipe en maintenance production de 1974 à 1982, période durant laquelle il réalisait essentiellement des dépannages dans l'atelier d'essais de moteurs diesel,

- technicien et chef d'équipe au service qualité en vue de la mise en place d'une nouvelle méthode de contrôle des pièces de 1982 à 1984.

A compter de 1985, il a travaillé non plus sur le site de l'usine automobiles [7] de [Localité 6] mais sur le site de [Localité 10] en qualité de technicien méthode (des méthodes à la recherche de moyens d'amélioration de la production), de technicien process puis de technicien d'essai-mise au point.

En juillet 2013, il a été diagnostiqué un carcinome urothélial (cancer du rein).

Le certificat médical initial du docteur [M], praticien hospitalier dans le service de pathologies professionnelles et environnement du CHU de [Localité 6], en date du 3 décembre 2013 joint à la déclaration de maladie professionnelle du 27 février 2014 mentionne :

"Au total, on retrouve dans ses expositions professionnelles, d'une part, une exposition aux gaz d'échappements diesel entre 1974 et 1982, d'autre part une exposition au trichloroéthane 1.1.1. pendant environ 6 ans entre les années 1986 et 1993 et enfin à des huiles de coupe de façon modérée entre les années 1974 et 1982 et de façon plus quotidienne de 1982 à 2004. Ces huiles étaient des huiles solubles mais également des huiles entières.

Ainsi on retrouve différents facteurs de risque chez un non-fumeur qui peuvent avoir joué un rôle dans la survenue de la pathologie urothéliale, à savoir les gaz d'échappement diesel, ainsi que les huiles entières. Ces deux nuisances de l'environnement professionnel pouvant exposer aux hydrocarbures aromatiques polycycliques. C'est pourquoi une demande de reconnaissance en maladie professionnelle est légitime".

Le caractère professionnel de la maladie a été reconnu par le CRRMP de la région Nord-Pas-de-Calais, s'agissant d'une maladie hors tableau, dans son avis du 10 septembre 2014 motivé ainsi :

" Après avoir entendu le service prévention de la CARSAT et lu les éléments obtenus par le médecin du travail, le CRRMP constate que l'exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques est certaine durant la période d'activité sur le site de [Localité 6]. Il y avait bien une exposition au gaz d'échappement des moteurs diesel dans l'atelier d'essai (48 moteurs en même temps). Il n'y avait pas à cette époque de captation des fumées. Outre une exposition au gaz d'échappement diesel entre 1974 et 1982, il existe une exposition modérée aux huiles de coupe. Il n'y a pas d'autres éléments confondants. Pour toutes ces raisons, il convient de retenir un lien direct et essentiel entre l'affection présentée et l'exposition professionnelle".

Il y a lieu de relever comme en première instance que la société [8], qui n'a jamais formé de recours à réception de la décision de prise en charge de la maladie, ne conteste pas dans le cadre de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, le caractère professionnel de la maladie puisqu'elle indique dans ses écritures au paragraphe "sur l'absence de conscience du danger": " la concluante n'entend pas contester qu'en sa qualité d'ouvrier de maintenance, M. [E], essentiellement durant les premières années de son activité a pu, ponctuellement être exposé aux HAP et au trichloroéthane 1.1.1. Pour autant, il ne saurait être tiré aucune conséquence de cette exposition ancienne et ponctuelle, le caractère professionnel de la pathologie dont a souffert M. [E] restant hautement douteux".

Elle n'a jamais sollicité la désignation d'un second CRRMP et développe des arguments pour établir qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger (notamment l'absence de publication scientifique sur le lien entre une exposition ponctuelle aux HAP et le cancer du rein, création d'un tableau mentionnant le cancer primitif du rein en 2021 soit 17 ans après le départ de M. [E] de la société).

C'est de manière fondée que les premiers juges ont considéré que le caractère professionnel de la maladie était acquis et que seules l'exposition au gaz d'échappement diesel entre 1974 et 1982 et l'exposition modérée aux huiles de coupe (entre 1974 et 1982) étaient visées comme causes possibles de la maladie à la lecture de la motivation du CRRMP.

Sur la faute inexcusable

Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le salarié a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis son salarié et qu'il n'a pas pris les

mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il incombe au salarié de rapporter la preuve de ces deux conditions cumulatives.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage.

- Sur la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur

Elle doit s'apprécier au regard de l'exposition au gaz d'échappement diesel entre 1974 et 1982 et l'exposition modérée aux huiles de coupe (entre 1974 et 1982), seules visées comme causes possibles de la maladie.

Les consorts [E] doivent donc établir que la société [8] ne pouvait ignorer le risque pour la santé du salarié d'être exposé aux gaz d'échappement diesel et aux huiles de coupe entre 1974 et 1982, soit aux HAP issus du pétrole ou des huiles de coupe.

Il est exact que peu importe que la société [8] n'ait pas fait le lien entre cette exposition et le risque spécifique du cancer du rein, l'absence de publication scientifique sur le lien entre une exposition ponctuelle aux HAP et le cancer du rein arguée par la société [8] est donc inopérante.

Pour établir la conscience du danger de l'employeur, les consorts [E] invoquent en premier lieu les tableaux de maladie professionnelle 16 bis et 36 bis relatifs aux affections cancéreuses provoquées par les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon (tableau 16 bis) et aux affections cancéreuses cutanées provoquées par les dérivés du pétrole (tableau 36 bis).

La cour observe d'une part que ces tableaux ont été créés respectivement en 1988 (décret du 3 mai 1988) et 1989 (décret du 17 septembre 1989) soit postérieurement à la période d'exposition de M. [E] et d'autre part que les produits visés par le tableau 16 bis ne correspondent pas à ceux auxquels M. [E] a été exposé.

En second lieu, les consorts [E] invoquent les tableaux des maladies professionnelles 4, 9 et 12 qui ont été créés antérieurement à la période d'exposition de M. [E].

Cependant le tableau 4 crée en 1931 vise les affections provoquées par le benzène, le tableau 9 créé en 1946 des affections provoquées par les dérivés halogénés des hydrocarbures aromatiques et le tableau 12, des affections provoquées par les hydrocarbures alphatiques halogénés qui sont précisément énumérés.

Or ces produits ne sont pas concernés par les expositions visées dans le cas de M. [E].

Les premiers juges ont justement retenu que si le benzène faisait partie des HAP, il n'était pas un HAP dérivé du pétrole ou des huiles de coupe et que ce n'est pas parce qu'un produit a été identifié comme dangereux tel le benzène que toute la famille chimique à laquelle il appartient doit être considérée comme dangereuse. La preuve attendue est en effet celle de la conscience de la dangerosité du produit dont l'implication dans la maladie a été retenue.

Si le trichloroéthane figure parmi la liste des hydrocarbures concernés par le tableau 12, il ne figure pas parmi les éléments confondants retenus par le CRRMP. Au surplus, le tableau 12 prévoit un lien entre le trichloroéthane et des affections cardiaques, des hépatites aigües cytolytiques et une liste, certes indicative, de travaux nécessitant la préparation, l'emploi la manipulation de cet agent nocif.

Enfin, si le docteur [M] retient une exposition au trichloroéthane alors que M. [E] travaillait sur le site de [Localité 10], elle ne la cite pas comme facteur de risque de la pathologie puisqu'elle retient les gaz d'échappement diesel, ainsi que les huiles entières.

Comme indiqué précédemment, la connaissance de la dangerosité de l'exposition professionnelle aux HAP qui sont très divers ne suffit pas.

Il résulte d'ailleurs des publications scientifiques produites (cancer environnement et HAP) sur les HAP que seuls certains secteurs d'activité ou modalités d'exposition correspondent aux tableaux de maladies professionnelles, à savoir les travaux exposant aux HAP (utilisation de dérivés de houille, suie de combustion du charbon, certains dérivés pétroliers et leurs produits de combustion).

Ces publications sont en outre postérieures à la période d'exposition de M. [E].

Le jugement qui a retenu que les consorts [E] étaient défaillants dans la preuve de la conscience du danger que la société [8] aurait dû avoir pendant la période d'exposition de M. [E] sera confirmé.

Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens seront mis à la charge des consorts [E] qui seront déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [J] [Z] veuve [E], M. [Y] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de ses fils [U] et [W], Mme [L] [E] agissant en son nom et en sa qualité de représentant légal de son fils [B], aux dépens d'appel,

Les déboute de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 22/00547
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;22.00547 ?
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