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04/07/2024 | FRANCE | N°23/03898

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 04 juillet 2024, 23/03898


ARRET







[K]





C/



Me WAUTO T

Me MARTI N

S.A.S. SO FRA DE

UNEDIC AGS CGEA







































































copie exécutoire

le 04 juillet 2024

à

Me Daime

Me Gautier - 3

Me Camier

CPW/IL/BT/BG



COUR

D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 04 JUILLET 2024



*************************************************************

N° RG 23/03898 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I3ZQ



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 24 AOUT 2023 (référence dossier N° RG 21/00278)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [S] [K]

[Adresse 7]

[Adresse 7...

ARRET

[K]

C/

Me WAUTO T

Me MARTI N

S.A.S. SO FRA DE

UNEDIC AGS CGEA

copie exécutoire

le 04 juillet 2024

à

Me Daime

Me Gautier - 3

Me Camier

CPW/IL/BT/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 04 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 23/03898 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I3ZQ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 24 AOUT 2023 (référence dossier N° RG 21/00278)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [S] [K]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Aurelien DAIME, avocat au barreau de COMPIEGNE

ET :

INTIMEES

Selarl AJ UP prise en la personne de Me [D] [H] ès qualité de commissaire au plan de redressement de la SAS SO FRA DE

[Adresse 5]

[Localité 2]

Selarl AJ UP prise en la personne de Me [O] [E] ès qualité de commissaire au plan de redressement de la SAS SO FRA DE

[Adresse 5]

[Localité 2]

S.A.S. SO FRA DE

[Adresse 11]

[Localité 1]

concluants par Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, avocat au barreau de LYON

UNEDIC AGS CGEA [Localité 4]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 4]

représentée et concluant par Me Hélène CAMIER de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 23 mai 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 04 juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 04 juillet 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [K] a été embauchée à compter du 23 août 1999 en qualité de directrice de magasin dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Nedis, devenue la société So Fra De, (la société ou l'employeur), qui emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des maisons à succursales de vente au détail d'habillement.

Le 28 septembre 2020, Mme [K] s'est vue notifier un avertissement.

Le 3 février 2021, la société So Fra De a fait l'objet d'un redressement judiciaire décidé par jugement du tribunal de Roanne, fixant la date de cessation des paiements au 28 décembre 2020. La procédure d'observation, dont le terme était initialement fixé au 6 août 2021, a été prolongé jusqu'au mois de février 2022.

Dans l'intervalle, Mme [K] a été placée en arrêt de travail à compter du 20 février 2021.

Par courrier du 7 juin 2021, elle a signalé à l'employeur être victime d'un harcèlement moral subi depuis de nombreuses années par sa hiérarchie, auquel l'employeur a répondu par courrier du 28 juin suivant en contestant le harcèlement moral allégué.

Par décision du 16 décembre 2021, la Caisse primaire d'assurance maladie a reconnu la maladie professionnelle de Mme [K].

Demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de son exécution, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 4 novembre 2021.

Par avis du 20 janvier 2022, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à tout emploi avec dispense de recherche de reclassement, en précisant que le maintien dans l'emploi était préjudiciable à sa santé.

Par courrier du 31 janvier 2022, elle a été convoquée à un entretien préalable, fixé au 10 février 2022 et a été licenciée pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement par lettre du 15 février 2022.

La société So Fra De bénéficiait d'un plan de redressement par continuation d'une durée de 10 ans arrêté par le tribunal de commerce de Roanne, par jugement du 15 avril 2022 désignant la société AJ UP en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par jugement du 24 août 2023, le conseil de prud'hommes saisi a :

- donné acte à l'association Unedic AGS CGEA de [Localité 4] de son intervention ;

- dit qu'il n'y avait pas eu harcèlement moral ;

- en conséquence, a considéré que la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail par Mme [K] était mal fondée ;

- débouté Mme [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [K] à payer à la société So Fra De la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes et contraires.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 septembre 2023, dans lesquelles Mme [K], qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de la dire et juger recevable et bien fondée en toutes ses demandes, d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas harcèlement moral, jugé que la demande de résiliation judiciaire n'était pas justifiée et mal fondée, l'a déboutée de toutes ses demandes, et en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société So Fra De la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, de :

- annuler l'avertissement du 28 septembre 2020 ;

- dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral ;

- dire et juger que la société So Fra De a manqué à son obligation de sécurité,

- à titre principal, dire et juger que la demande de résiliation judiciaire était justifiée et dire et juger le licenciement nul, à titre subsidiaire, dire et juger que la demande de résiliation judiciaire était justifiée et qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- fixer sa créance au redressement judiciaire de la société So Fra De (boutique Devernois) aux sommes suivantes :

- à titre principal, 63 746 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (23 mois), ou à titre subsidiaire 45 731 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (16,5 mois),

- 30 000 euros net à titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat,

- 1 000 euros net à titre des dommages et intérêts pour sanction disciplinaire illicite,

- 3 000 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la remise de l'attestation des bulletins de paie, des documents de fin de contrat conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,

- condamner la société So Fra De (boutique Devernois) aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution du jugement à intervenir,

- ordonner l'anatocisme,

- ordonner l'exécution provisoire,

- fixer le salaire moyen à la somme de 2 771,56 euros brut,

- dire le jugement commun à l'association Unedic AGS CGEA de [Localité 4] ;

- débouter la société So Fra De de ses demandes reconventionnelles.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 décembre 2023, dans lesquelles la société So Fra De, assistée de la société AJ UP en qualité d'administrateur judiciaire, et la société MJ synergie, en qualité de mandataire judiciaire, demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner Mme [K] à lui verser 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 février 2024, dans lesquelles l'association Unedic AGS CGEA demande à la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

- à titre subsidiaire, limiter à 6 mois de salaire les dommages et intérêts dans l'hypothèse d'une résiliation judiciaire emportant les conséquences d'un licenciement nul, et à 3 mois de salaire dans l'hypothèse d'une résiliation judiciaire emportant les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- en tout état de cause, constater que la société So Fra De bénéficie d'un plan de redressement par continuation arrêté par le tribunal de commerce de Roanne par jugement du 15 avril 2022, et en conséquence,

dire qu'elle ne devrait être amenée à garantir les éventuelles créances salariales de Mme [K] que dans la mesure où la société So Fra De justifierait de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de procéder, elle-même, au règlement desdites créances,

dire qu'elle ne peut en aucun cas être condamnée et que sa garantie n'est due que dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, en conséquence, dire qu'elle ne peut en aucun cas garantir la somme sollicitée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

dire que sa garantie n'est également due, toutes créances avancées confondues pour le compte du salarié, que dans la limite des 3 plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D.3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l'étendue et la mise en 'uvre de sa garantie (articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à 24 du code du travail),

dire que, par application des dispositions de l'article L.622-28 du code de commerce, le cours des intérêts a été interrompu à la date de l'ouverture de la procédure collective.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, il convient de préciser que, les arrêts rendus par la cour d'appel étant exécutoires de droit, la demande d'exécution provisoire formulée par Mme [K] est sans objet.

1. Sur la mise hors de cause de la société MJ Synergie

A titre liminaire, il convient de préciser que, si dans les conclusions de l'appelante figure toujours la société MJ Synergie en qualité de mandataire judiciaire, il apparaît qu'elle a été désignée en cette qualité en dernier lieu par le tribunal de commerce dans une décision d'ouverture de la procédure collective du 3 février 2021, alors qu'une décision du tribunal de commerce intervenue le 15 avril 2022 a arrêté un plan, désignant la seule société AJ UP en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société So Fra De.

Il y a donc lieu de mettre hors de cause la société MJ Synergie, et de confirmer sur ce point le jugement déféré.

2. Sur l'annulation de l'avertissement du 28 septembre 2020

Aux termes de l'article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. Au nombre des dites sanctions, figure l'avertissement ou encore la mise à pied.

En cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ce, au vu des éléments fournis par l'employeur ainsi que de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations et après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur ce,

Mme [K] a reçu notification d'un avertissement le 28 septembre 2020 ainsi libellé :

'Nous faisons suite à l'incident relevé mercredi 23 septembre 2020. En effet, il apparaît que vous avez usé d'un ton parfaitement inapproprié lors de vos échanges avec [C] [E], directrice régionale.

Certes, avons-nous bien relevé que vous vous êtes sentie heurtée par un courriel que votre responsable hiérarchique vous avait adressé. Pour autant, nous ne saurions accepter que les collaborateurs de l'entreprise adoptent une attitude irrespectueuse envers leurs collègues. Votre réaction fut brutale, imprévisible et disproportionnée. Nous ne doutons pas de la qualité de votre investissement ; toutefois lorsqu'une consigne n'est pas respectée comme elle le devrait, il est indispensable qu'elle soit rappelée. Comme vous l'avez souligné, au regard des enjeux particuliers de ce lancement de saison, le niveau d'exigence attendu de la part de chacun de nos collaborateurs ne peut être relâché. En conséquence, la demande de Madame [E] était fondée et vos collègues l'ont trouvée parfaitement légitime. Un problème informatique a entravé la bonne réception de tous les documents attendus et donc redemandés par votre directrice régionale. Madame [E] s'en est excusée lors de sa réunion téléphonique. Vous concernant, une partie des documents avait bien été adressée, mais d'autres n'avaient pas été envoyés. Nous relevons que depuis cet incident vous avez bien adressé les listes d'appel, dans les délais impartis.

La perception d'une situation, notamment dans le cadre de relations interpersonnelles peut être influencée par de multiples facteurs. Naturellement, nous regrettons que vous ayez pu être blessée. Tel n'était pas l'objectif. En revanche, lorsque vous ajoutez, qu'à l'inverse de notre enseigne, 'une société qui se respecte' verserait une gratification à ses collaborateurs à l'occasion de la remise d'une médaille du travail, vous dénigrez ouvertement notre entreprise. De la part d'une directrice de magasin, de tels propos ne sont pas acceptables. Face à votre comportement et le ton emporté de vos déclarations, [C] [E] n'a eu d'autre alternative que de renoncer à la poursuite de sa visite.

Nous restons disponibles et souhaitons dissiper tout malentendu. Pour autant, vos écarts de comportement justifient pleinement la notification d'un avertissement qui sera porté à votre dossier.

Nous sommes certains de votre professionnalisme et qu'un nouvel incident de cette nature ne se reproduira pas. ».

En motivant comme il l'a fait l'avertissement, l'employeur a indiqué le fondement précis et vérifiable permettant au juge d'en apprécier le caractère réel et sérieux. En effet l'énonciation suivante 'Nous faisons suite à l'incident relevé mercredi 23 septembre 2020. En effet, il apparaît que vous avez usé d'un ton parfaitement inapproprié lors de vos échanges avec [C] [E], directrice régionale.' contenue dans la lettre de licenciement constitue le grief puisqu'elle indique exactement quels faits suffisamment précis, datés et matériellement vérifiables sont reprochés. Le moyen soulevé par Mme [K] tenant à l'insuffisance de précision du motif de l'avertissement est donc inopérant.

Alors même que Mme [K] conteste vivement les faits reprochés, l'employeur produit uniquement à l'appui de ses allégations un courriel de Mme [E] du 23 septembre 2020 à 20h02 mettant en évidence le ton agressif et le comportement inadapté de Mme [K] à l'occasion de sa visite le même jour dans la boutique dirigée par la salariée. Il ne verse ainsi aucun élément extérieur aux deux protagonistes, étant souligné que l'intéressée avait, dès le 24 septembre 2020, également adressé un courriel à l'employeur mettant en évidence un ton agressif et un comportement inadapté de Mme [E]. Le fait que Mme [K] n'ai pas entendu contester l'avertissement avant la présente procédure est par ailleurs indifférent et ne saurait valoir reconnaissance des faits.

Le doute doit profiter à la salariée, dès lors qu'en l'absence de plus d'éléments, la cour ne peut trancher entre les deux thèses des deux protagonistes. L'avertissement sera donc annulé, par voie d'infirmation.

La sanction injustifiée a causé un préjudice à Mme [K], qui sera intégralement indemnisée par la somme de 500 euros. Cette somme sera fixée au passif de la procédure collective de la société Abbaye central taxis [Localité 8] [Localité 13].

3. Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 [harcèlement moral] et L. 1153-1 à L. 1153-4 [harcèlement sexuel], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge doit ainsi examiner tous les faits de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement invoqués par le salarié, demandeur à l'action, et déterminer, fait par fait, s'ils sont, ou non, matériellement établis par le demandeur, mais n'est pas tenu de discuter chaque élément de preuve produit par le salarié pour démontrer la réalité du fait invoqué. Si un seul fait unique est matériellement établi, il n'est pas constitutif d'un harcèlement moral. Si au contraire, ayant constaté l'existence de faits matériellement établis par le salarié, le juge considère que, pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, il appartient alors à l'employeur défendeur à l'action soit de démontrer, pour chacun des faits matériellement établis, que les agissements ou faits invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sur ce,

Mme [K] reproche à l'employeur un harcèlement moral résultant des agissements répétés suivants :

- elle a subi un management organisationnel autoritaire, humiliant, de pression en matière d'objectifs se traduisant par une dévalorisation de son travail par des remarques négatives et un manque de reconnaissance, par une surveillance et une analyse excessives de ses prestations, avec des intimidations et des courriels quotidiens pour lui donner des directives,

- l'employeur lui a fixé des objectifs irréalistes et irréalisables,

- l'employeur lui a imposé une surcharge de travail, en particulier lorsqu'elle a dû absorbé une charge de travail plus importante à la suite du départ de Mme [P] en juillet 2012, qui n'a pas été remplacée pendant deux ans,

- le chiffre à réaliser était augmenté de mois en mois, ce qui générait un stress important,

- elle a subi le management destructeur des directeurs régionaux qui se succédaient à un rythme important.

Mme [K] n'étaye pas ses allégations quant à une augmentation chaque mois du chiffre qu'elle avait à réaliser. Pour étayer ses allégations quant à l'absorption d'une charge de travail plus importante suite au départ de Mme [P] en 2012 et l'absence de remplacement de cette salariée pendant deux ans, elle vise un courrier daté du 29 avril 2015 produit en pièce 4 dont on ignore à qui il est adressé et s'il a été envoyé, ne faisant en tout état de cause que reprendre ses propres déclarations, et qui ne saurait être pris en compte pour établir matériellement les faits énoncés. Elle n'établit pas matériellement la réalité d'un turn over anormal de ses responsables de région, ne produisant à ce titre aucun élément objectif ou pertinent.

S'agissant en revanche de la charge de travail anormale, des pressions et humiliations subies, de la dévalorisation de son travail, des remarques négatives effectuées à son encontre, dans le cadre d'un management de pression, agressif et autoritaire, elle verse aux débats les éléments suivants :

- de très nombreux courriels se succédant (chaque jour pour certaines périodes) de Mme [L] [Z], responsable régionale de Mme [K] en 2013, destinés à donner des directives et, de manière flagrante, à mettre une pression excessive sur les responsables de boutique pour qu'elles fassent monter les ventes et atteignent les attentes de l'entreprise, dont le contenu est sur un ton très autoritaire (pour exemple : le courriel du 10 octobre 2013 à 06h40 : '(...) Je compte sur vous pour AGIR ASAP afin de réussir votre semaine. Merci de donner en 4 phrases QUI QUOI QUAND COMMENT ce que vous mettez en place de ce jour à samedi. Bien évidemment je reste à votre disposition si besoin. Belle journée remplie de chiffre'), souvent vexatoire pour les responsables de boutique n'ayant pas réussi les nombreux 'challenges' imposés au regard des comparaisons dans le secteur diffusées sous forme de motivation, voire même parfois infantilisant (Cf en particulier pour le ton infantilisant : le courriel du 5 avril 2013: '(...) petit complément d'argument : Qu'est ce qu'une fibre naturelle, végétale et synthétique '''' Je vous donne la réponse vers MIDI...Bonne journée') ; le courriel qu'elle a adressé à Mme [L] en octobre 2014, qui ne fait que reprendre ses propres déclarations, n'est par contre pas, par contre, un élément pertinent ;

- le procès verbal de la réunion du comité d'entreprise du 24 mars 2015, mettant en exergue le comportement inadapté de la directrice régionale parisienne Mme [N], autre responsable régionale de Mme [K] ayant succédé à Mme [L], dont l'autoritarisme est particulièrement souligné par les représentants du personnel, qui ont notamment dénoncé le manque de retenue de ses courriels adressés au personnel, la direction contestant le caractère anormal des 'méthodes de gestion, de merchandising' de l'intéressée, mais précisant néanmoins qu'il a été demandé à cette directrice 'de mettre des formes dans ses mails et propos', reconnaissant par là-même la réalité d'un problème de comportement ;

- un échange de courriel en 2015 avec M. [M] [A], CFO du groupe Devernois, dont il ressort qu'il était reproché à Mme [K] d'avoir un résultat insatisfaisant et n'étant 'pas conforme aux attentes de l'entreprise' ;

- une attestation de Mme [P], employée à la boutique Devernois de [Localité 3] avec Mme [K] qui en était la responsable, ayant quitté l'entreprise en 2012, qui évoque une pression constante en lien avec le chiffre d'affaires, et précisant notamment avoir sollicité une rupture conventionnelle, 'ne supportant plus, lorsque je travaillais seule en boutique, les appels téléphoniques de ma directrice régionale visant à me faire culpabiliser concernant mes résultats de la veille jamais satisfaisant selon elle.' ;

- une attestation de Mme [J], employée pour la société en 2012, et de 2016 à 2020 et affectée à la même boutique que Mme [K], dont il ressort qu'elle a constaté que l'intéressée a assumé une charge de travail excessive, a subi une pression constante concernant la réalisation du chiffre d'affaires, et qu'elle a été témoin de reproches par Mme [L] sur son état d'épuisement en soulignant 'que les clientes doivent le ressentir', et qui témoigne avoir, après le départ de la responsable de région, 'retrouvé Mme [K] en pleurs, dans la réserve, totalement démolie' ;

- une attestation de Mme [U], qui a assuré son remplacement dans le magasin de fin 2020 à mars 2021, dont il ressort qu'alors qu'elle avait été embauchée en qualité de vendeuse, elle a dû exécuter les nombreuses tâches de responsable de boutique et solliciter en conséquence à de nombreuses reprises Mme [K] pendant son arrêt de travail et qu'elle a senti la salariée ' très stressée en anticipation de la réaction de sa hiérarchique. Elle m'expliquait craindre des représailles. Elle m'enjoignait à bien détailler par écrit les moindres particularités de la journée dans mes mails au personnel administratif ou encadrant 'pour éviter les problèmes'.', soulignant encore l'existence de problèmes de management en pointant par exemple des réunions téléphoniques imposées pendant les heures d'ouverture de la boutique, ou encore les ordres se contredisant  'certaines tâches annulaient les précédentes alors même que je venais juste de les terminer (par exemple les changements de prix successifs)'.

Mme [K] produit également des éléments illustrant une généralisation de la situation décrite aux autres magasins de la société, caractérisant un management organisationnel :

- un courrier anonymisé d'un médecin du travail en charge d'une boutique Devernois non identifiable, adressé le 25 novembre 2013 à l'employeur par le médecin du travail de Loire Nord, faisant état d'une inquiétude au sujet de la santé des salariés et encourage la société à améliorer la prise en compte des risques psychosociaux, ainsi que la réponse de l'employeur du 11 décembre 2013 ;

- une attestation de Mme [W], qui a travaillé comme responsable de boutique Devernois de 2006 à 2017 à [Localité 9], et a été membre du comité d'entreprise, déléguée du personnel et du CHSCT pour le syndicat CFTC de 2013 à 2017, dont il ressort qu'avec ce syndicat 'nous avons sans cesse dénoncé la souffrance morale et physique des salariés et particulièrement les responsables de boutiques face au climat imposé par les directrices régionales.', qui témoigne avoir elle-même subi des pressions de la part de sa hiérarchie ayant engendré un grand stress, et qui témoigne avoir eu à plusieurs occasions Mme [K] au téléphone pour des 'échanges inter-boutiques professionnels' et avoir 'ressenti à des nombreuses reprises le désarroi dans lequel elle se trouvait', reprenant pour le reste les déclarations de la salariée quant à la pression anormale subie ;

- une attestation de Mme [B], en retraite depuis mai 2021, qui évoque certes des éléments non datés quant au management de la société sans préciser dans quel magasin elle travaillait (étant toutefois domiciliée dans un autre département), et sans évoquer à aucun moment le cas précis de Mme [K], mais qui, combinée à l'attestation de Mme [W], sert utilement à illustrer une généralisation de la situation décrite par Mme [K] dans les autres magasins, en ce que cette salariée en retraite témoigne d'une augmentation du nombre de tâches à effectuer mais aussi la réception de courriels 'à longueur de journée' avec des demandes à réaliser immédiatement, et la pression du chiffre d'affaires ;

- une attestation de Mme [T], responsable de boutique [Localité 6] de décembre 2010 à décembre 2020, dont il ressort qu'elle a subi beaucoup de pressions dans le but de la pousser à atteindre des résultats 'sans cesse jamais suffisants', par un management autoritaire et de contrôle, et qu'elle partageait son mal être qui en est résulté avec Mme [K] qu'elle a souvent eu l'occasion de rencontrer dans le cadre de réunions de secteur à [Localité 12], dès lors qu'elle faisait état de la même situation.

Les attestations produites par Mme [K], même si, comme le fait valoir l'employeur, elles émanent pour certaines de personnes qui sont restées peu de temps dans l'entreprise ou qui étaient parties plusieurs années avant l'arrêt de maladie ayant conduit à l'inaptitude, ou encore étaient des responsables d'autres boutiques, sont si convergentes dans les faits qu'elles décrivent, qu'elles présentent une force probante indéniable. Il en ressort que les responsables régionales, en particulier celles dont dépendait Mme [K] au cours de sa carrière, ont usé de 2013 à 2016 puis à compter de 2020, de manière habituelle, d'un management toxique marqué par des humiliations, des pressions insupportables, responsable d'un véritable traumatisme pour certains salariés notamment Mme [K]. Le fait que certains salariés attestent à l'inverse évoluer dans une ambiance de travail agréable et bénéficier d'un management bienveillant au regard des attestations produites par l'employeur, ne suffit pas à invalider les témoignages produits par Mme [K].

Ces conclusions quant à un management toxique sont d'ailleurs appuyées par les éléments versés aux débats par l'intéressée démontrant qu'ont été identifiés en 2015, au sein de l'entreprise, des facteurs de risques psychosociaux, en particulier :

- des procès verbaux de réunion du comité d'entreprise, dont il ressort qu'entre janvier et octobre 2013, les représentants du personnel ont alerté la direction sur un management organisationnel de pression avec une augmentation trop importante des objectifs ;

- l'analyse des risques psychosociaux réaliseé à la demande du CHSCT le 6 mars 2015 par la société 3ème Conseil, duquel il ressort que la société est engagée 'dans un processus contre-productif et délétère pour la santé' par la mise en oeuvre d'un système managérial de plus en plus répressif dans un contexte de difficultés économiques, au motif que le personnel serait résistant au changement et recommandant la mise en place d'actions urgentes pour les salariés en situation de souffrance psychologique, la mise en oeuvre d'actions visant à restaurer la confiance et à donner aux salariés des signes de reconnaissance et construire des actions dans le champ de la prévention,

- le procès verbal de réunion du CHSCT du 23 mars 2015, évoquant ce rapport dont les conclusions et préconisations étaient reprises à leur compte par les représentants au CHSCT, soulignant que des mesures doivent dès lors être envisagées puis adoptées et mises en oeuvre afin d'écarter les risques ;

- le procès verbal de réunion du CSE du 15 mars 2021, dont il ressort qu'un mal être général s'est installé au sein des boutiques face à la crise sanitaire, et qu'il a été remonté aux représentants du personnel que les responsables de boutiques sont confrontées à une 'phase de contrôle en fin de journée, notamment sur ses résultats pour expliquer pourquoi il n'a pas été fait, qu'est-ce que tu vas mettre en place pour le lendemain. A un moment donné dans le magasin, nous mettons tout en place, qu'est ce qu'on peut faire de plus' On ne sait pas.', le cas de Mme [K] étant directement visé dans le cadre de l' 'appel au secours' évoqué.

La salariée précise que les agissements de l'employeur ont eu pour effet de porter atteinte progressivement à son état de santé, et produit à ce titre plusieurs attestations d'autres salariées l'ayant rencontrée à l'occasion de réunions inter-boutiques, témoignant d'un grand stress manifesté par l'intéressée, avec même une impression de se noyer exprimée à Mme [T], Mme [J] précisant qu'elle l'a quant à elle retrouvée 'démolie' après qu'elle ait expliqué avoir été prise à partie par sa directrice régionale.

Elle communique en outre son courrier du 7 juin 2021 dénonçant le harcèlement moral subi 'au cours de mes années de travail' qui selon elle a conduit à son arrêt de travail prolongé à compter de févier 2021, ainsi que les éléments médicaux suivants :

- un certificat médical de son médecin généraliste du 2 juin 2021 soulignant son état de burn out 'depuis quelques mois', et un état de souffrance psychologique,

- un courrier du 24 juin 2021 du docteur [I] [V], médecin du travail de la vallée de l'Oise, dont il ressort que 'l'état de santé de Mme [K] (...) est lié à une souffrance au travail et justifie de la reconnaissance d'une maladie professionnelle. Cet état de santé est connu depuis de nombreuses années et déjà constaté par l'ancien médecin du travail de l'entreprise, le Dr [X] [G].',

- le courrier de la Caisse primaire d'assurance maladie du 16 décembre 2021 l'informant de l'avis favorable concernant sa maladie 'hors tableau' par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelle et de la reconnaissance en conséquence de son origine professionnelle,

- l'avis d'inaptitude à tout emploi avec dispense de recherche de reclassement du docteur [I] [V], médecin du travail, du 20 janvier 2022, avec la précision que le maintien dans l'emploi était préjudiciable à sa santé.

Le fait que la salariée n'ait pas signalé un harcèlement moral avant son courrier du 7 juin 2021 n'est pas des éléments suffisants pour invalider ces éléments démontrant la réalité d'une altération de son état de santé en lien avec ses conditions de travail à tout le moins à compter de 2021.

De ces éléments, il ressort que Mme [K] établit la matérialité de faits qui, pris ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral entre 2013 et 2016, puis à compter de 2020.

Pour sa part la société précise de façon inopérante que Mme [K] n'établit nullement avoir alerté sa hiérarchie sur une situation de harcèlement moral qu'elle pouvait subir, pas plus que les membres du CHSCT ou le médecin du travail, avant sa lettre du 7 juin 2021, et avait bénéficié d'avis d'aptitude en 2011, 2013, 2015 et en novembre 2019, le médecin du travail n'interpellant aucunement l'employeur sur son état de santé.

Elle produit :

- une lettre de l'inspecteur du travail du 2 octobre 2015 invitant l'employeur à associer plus étroitement les membres du CHSCT à la mise en oeuvre d'un plan de prévention des risques psychosociaux compte tenu de l'enquête d'évaluation menée par le cabinet 3ème Conseil et la réponse de l'employeur indiquant qu'il partage le constat de difficultés relationnelles avec les membres du CHSCT, outre des précisions s'agissant des actions concrètes mises en place ;

- le compte-rendu de la réunion avec l'inspection du travail du 20 novembre 2015, au cours de laquelle il a été prévu diverses mesures visant à la reconnaissance des salariés et la révision de modes de management passant notamment par la mise en oeuvre de formations, la prise en charge des situations de souffrance et des démarches de prévention des risques professionnels, outre la préparation d'une convention avec une société spécialisée pour l'élaboration d'un baromètre social.

Il résulte de ces éléments que fin 2015, l'employeur, reconnaissant ainsi l'existence de difficultés, a entendu déployer, en concertation avec l'inspection du travail, des mesures de nature à y remédier malgré des relations qualifiées de difficiles avec les délégués du CHSCT.

Si la société ne produit pas d'élément sur la mise en oeuvre concrète de ces mesures, elle produit en revanche une enquête de satisfaction réalisée à son initiative entre janvier et avril 2016 auprès des salariés, portant notamment sur leur intégration dans l'entreprise, l'environnement et l'ambiance de travail, leur reconnaissance au sein de l'entreprise ou l'écoute hiérarchique et de laquelle il ressort notamment que sur 90 réponses validées, 83 % des salariés interrogés estiment que leur manager les traite avec amabilité et que pour 70 %, le niveau d'exigence posé est approprié. Il se déduit de cette enquête qu'à compter de 2016, une amélioration de la situation était amorcée. Cette conclusion est encore appuyée par l'absence d'évocation de difficultés par Mme [K] dans le cadre de ses entretiens d'évaluation de 2016 et 2019, ou encore le courrier du 1er décembre 2016 dans lequel elle remercie la société pour sa confiance.

Le rapport d'expertise à la demande du CHSCT de décembre 2018 démontre d'ailleurs suffisamment que le management de la société était redevenu exigent sans être inadapté, indiquant que malgré certaines pressions qui ne sont pas qualifiées d'anormales, 'd'un point de vue global, les salariés du groupe DEVERNOIS se sentent plutôt bien dans leur boutique et leur fonction.' et concluant 'En conclusion, les salariées apprécient leur expérience DEVERNOIS mais celle-ci pourrait être largement améliorée car malgré leur contentement, elles se sentent exploitée, stressées et démotivée.'

Pour le reste, la société se borne à contester tout fait de harcèlement sans pour autant démontrer que les agissements à l'égard de Mme [K] seraient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral. Il apparaît au contraire que la société ne justifie pas avoir mis en oeuvre les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et notamment celles permettant d'adapter le travail à l'homme en particulier en ce qui concerne les méthodes de travail entre 2013 et 2015, les premières mesures étant mises en oeuvre uniquement en 2016 malgré les alertes reçues dès 2013, comme à compter de 2020.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par l'appelante sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement sur ces périodes. Les méthodes de gestion mises en place au sein de la société, de pressions, autoritaires et vexatoires, ont ainsi imposé à Mme [K] une pression excessive qui a ainsi eu pour effet d'entraîner une dégradation de ses conditions de travail sur deux périodes, et dont il est avéré qu'elle a conduit, pour la seconde période débutée en 2020, à une altération de son état de santé. L'employeur n'invoquant aucun autre élément ayant pu causer l'inaptitude, cette inaptitude corrélée par le motif de dispense de reclassement visé par le médecin du travail conduit en outre à retenir l'existence d'un lien de causalité entre le harcèlement moral et l'inaptitude.

En conséquence, la cour retient que Mme [K] a été victime d'un harcèlement moral.

La salariée ayant subi un préjudice résultant des conséquences du harcèlement effectivement subi, la société sera condamnée à lui payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article L.1152-1 du code du travail, qui est de nature à assurer la réparation intégrale du préjudice causé. Cette somme sera fixée au passif de la procédure collective de la société Abbaye central taxis [Localité 8] [Localité 13].

Le jugement déféré sera donc infirmé.

4. Sur la demande de dommages-intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Selon l'article L.1152-4 du code du travail, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Il est tenu en la matière d'une obligation de sécurité de résultat. Sa responsabilité ne peut ainsi être écartée que s'il a mis en 'uvre toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, notamment les actions de formation et d'information, et a mis fin au harcèlement dès qu'il en a été avisé.

Les obligations découlant des articles L.1152-4 et L.1152-5 du code du travail sont distinctes de sorte que la reconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne, des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

Sur ce,

Aux termes de ses conclusions, Mme [K] sollicite des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité en se référant à l'absence d'enquête diligentée par l'employeur à la suite de son alerte sur le harcèlement moral subi du 7 juin 2021, sans toutefois établir un préjudice distinct de celui précédemment réparé. Elle sera donc, par voie de confirmation, déboutée de sa demande.

5. Sur la demande de résiliation judiciaire

Lorsqu'un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et que celui-ci le licencie ultérieurement, il y a lieu d'abord de rechercher si la demande de résiliation est justifiée, l'examen du bien fondé de la cause énoncée dans le licenciement ne devant intervenir qu'ultérieurement.

L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail, fondée sur l'inexécution par l'employeur de ses obligations, ne peut aboutir que si la gravité de la violation par l'employeur de ses obligations contractuelles est incompatible avec la poursuite du contrat de travail. La résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l'initiative

du salarié et aux torts de l'employeur produit alors les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ou nul.

Sur ce,

Mme [K] a été licenciée pour inaptitude et absence de possibilité de reclassement le 15 février 2022, alors qu'elle avait formulé une demande de résiliation judiciaire le 4 novembre 2021.

Elle fonde sa demande de résiliation judiciaire sur le harcèlement moral subi, qui est établi sur deux périodes au vu des développements qui précèdent. Si la première période est ancienne, il reste que la seconde période est récente puisqu'elle a débuté en 2020, étant souligné que Mme [K] a été placée en arrêt de travail ininterrompu à compter de février 2021 jusqu'à l'avis d'inaptitude rendu le 20 janvier 2022. Ce harcèlement moral qui a ainsi perduré, et qui est à l'origine de l'inaptitude de la salariée, est à lui seul suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier ainsi la demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur.

En conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres manquements invoqués, Mme [K] est fondée à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Le jugement entrepris sera de ce chef infirmé.

La résiliation judiciaire aux torts de l'employeur s'analyse en un licenciement nul du fait du harcèlement moral, et elle produira ses effets au jour de la notification du licenciement par l'employeur, soit le 15 février 2022.

Mme [K] est dès lors fondée à réclamer des dommages et intérêts. Compte-tenu de son ancienneté de plus de 22 ans, de son âge à la date de la rupture née le 15 janvier 1961, du salaire mensuel moyen brut, des conditions de la rupture, de l'absence d'élément sur sa situation postérieurement au licenciement, la cour dispose des éléments permettant de fixer l'indemnité à même de réparer de façon adéquate son préjudice à la somme de 21 000 euros en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail. Cette somme sera fixée au passif de la procédure collective de la société.

6. Sur la remise des bulletins de salaire et documents de fin de contrat

Il convient d'infirmer la décision déférée sur ce point, et d'ordonner à la société de remettre à Mme [K] les documents de fin de contrat dûment rectifiés, conformes à la présente décision. En revanche, l'astreinte n'apparaissant en l'état aucunement justifiée, sera rejetée.

7. Sur la garantie de l'AGS CGEA

L'AGS garantit les sommes dues en exécution du contrat de travail. La mise en 'uvre de la garantie est indépendante des perspectives de redressement et du patrimoine de l'entreprise. Toutefois, l'étendue de la garantie diffère selon le type et le stade de procédure collective. En redressement et liquidation judiciaires, elle garantit les salaires, primes et indemnités de rupture dus au salarié au jour du jugement d'ouverture. Elle garantit également les indemnités de rupture des salariés dont le contrat de travail est rompu postérieurement au jugement d'ouverture, dans ses périodes de garantie, à l'initiative des organes de la procédure.

Conformément au principe de subsidiarité, la garantie AGS ne peut intervenir qu'en l'absence de fonds disponibles dans l'entreprise et de tout autre dispositif légal, conventionnel ou assurantiel permettant la prise en charge des créances salariales.

Sur ce,

Le 3 février 2021, le tribunal de commerce de Roanne a prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société So Fra De puis a, le 22 avril 2022, arrêté un plan de redressement d'une durée de dix ans.

Les créances dont il a été fixé le montant concernent partiellement des sommes dues à la date de l'ouverture de la procédure collective, mais également des sommes dues postérieurement à cet événement.

Les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant le redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement par cession ou par continuation, au régime de la procédure collective. Dès lors, la garantie de l'AGS. doit intervenir selon les principes énoncés par les articles L.3253-6 et suivants du code du travail.

L'AGS CGEA précise à juste titre, sans être contredit par Mme [K] qui ne formule pas d'observations sur la garantie de l'AGS, que sa garantie n'est due que dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, que dans la limite de l'étendue et des plafonds définis par le code du travail, et qu'en application de l'article L.3253-18-4 du code du travail, sa garantie n'intervenant qu'à titre subsidiaire et dans le cas où les créances ne pourront être payées en tout ou en partie sur les fonds disponibles.

8. Sur les autres demandes

Par application de l'article L.622-28 du code de commerce, le cours des intérêts a été interrompu à la date de l'ouverture de la procédure collective. Mme [K], qui ne forme d'ailleurs pas de demande au titre des intérêts, ne pourra qu'être déboutée de sa demande d'anatocisme.

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles. L'équité et la situation économique de l'employeur commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société sera, en revanche, condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui comprennent, sans qu'il soit besoin de le mentionner, les frais relatifs aux procédures d'exécution, étant souligné que les frais d'exécution forcée, qui sont futurs et éventuels, ne rentrent pas dans les dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Met hors de cause la société MJ Synergie,

Infirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

Le confirme de ce chef ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Annule l'avertissement notifié à Mme [K] le 28 septembre 2020 ;

Dit que Mme [K] a été victime de harcèlement moral entre 2013 et 2016, puis à compter de 2020 ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] aux torts exclusifs de l'employeur, à effet au 15 février 2022 ;

Fixe la créance de Mme [K] au passif de la procédure collective de la société So Fra De aux sommes suivantes :

- 500 euros net à titre de dommages et intérêts pour l'avertissement injustifié,

- 8 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 21 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Ordonne à la société So Fra De de délivrer à Mme [K] des documents de fin de contrat conformes à la présente décision ;

Rejette la demande d'astreinte ;

Rejette la demande de capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA de [Localité 4] dans les limites et plafonds de sa garantie légale et Dit que sa garantie due que dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, n'interviendra qu'à titre subsidiaire et dans le cas où les créances ne pourront être payées en tout ou en partie sur les fonds disponibles ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre partie ;

Condamne la société So Fra De aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/03898
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.03898 ?
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