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04/07/2024 | FRANCE | N°23/00713

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 04 juillet 2024, 23/00713


ARRET







Organisme CIPAV





C/



[T]













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 04 JUILLET 2024



*************************************************************



N° RG 23/00713 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IVTM - N° registre 1ère instance : 21/00518



Jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en date du 19 janvier 2023





PARTIES EN CAUSE :





APPELANTE





Organisme CIPAV, institution régie par les dispositions du Livre VI, Titre 4, du code de la Sécurité Sociale, sise, [Adresse 4] à [Localité 5], prise en la personne de son Directeur en exercice, domicilié en cette qualité...

ARRET

Organisme CIPAV

C/

[T]

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 04 JUILLET 2024

*************************************************************

N° RG 23/00713 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IVTM - N° registre 1ère instance : 21/00518

Jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en date du 19 janvier 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Organisme CIPAV, institution régie par les dispositions du Livre VI, Titre 4, du code de la Sécurité Sociale, sise, [Adresse 4] à [Localité 5], prise en la personne de son Directeur en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me PERDU, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIMEE

Madame [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Non comparante

Représentée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me DAVID, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 11 Avril 2024 devant M. Pascal HAMON, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Christine DELMOTTE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

M. Pascal HAMON en a rendu compte à la cour composée en outre de :

Mme Jocelyne RUBANTEL, président,

M. Pascal HAMON, président,

et Mme Véronique CORNILLE, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 04 Juillet 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, président a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, greffier.

*

* *

DECISION

Mme [T] a été affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la CIPAV) sous le statut d'auto-entrepreneur à compter de l'année 2015 en raison de son activité de thérapeute.

Elle a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV d'une contestation du relevé de situation individuelle qui lui avait été communiqué s'agissant des points de retraite attribués, puis le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais, lequel a, par jugement en date du 19 janvier 2023 :

- déclaré Mme [K] [T] recevable de ses demandes portant sur ses droits à la retraite de base et complémentaire visant les années 2015, 2018 et 2019,

- déclaré Mme [K] [T] irrecevable de ses demandes portant sur ses droits à la retraite de base et complémentaire visant les années 2016 et 2017,

- condamné la CIPAV à créditer et à renseigner le relevé de situation individuelle de Mme [K] [T] ainsi :

S'agissant de la retraite de base :

- 107 points en 2015 ;

- 315 points en 2018 ;

- 348,7 points en 2019 ;

S'agissant de la retraite complémentaire

- 36 points en 2015 ;

- 36 points en 2018 ;

- 72 points en 2019 ;

- dit que la CIPAV devra remettre, et rendre accessible en ligne, à Mme [K] [T] un relevé de situation individuelle rectifié dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement,

- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

- rejeté la demande de Mme [K] [T] en octroi de dommages et intérêts,

- condamné la CIPAV à verser à Mme [K] [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formulée par la CIPAV fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- mis à la charge de la CIPAV les dépens.

Cette décision a été notifiée à la CIPAV le 20 janvier 2023, qui en a relevé appel le 6 février 2023.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 11 avril 2024.

Par conclusions, visées le 26 février 2024 et auxquelles elle s'est rapportée à l'audience, la CIPAV demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

A titre principal,

- déclarer irrecevable le recours formé par Mme [K] [T],

A titre subsidiaire,

- juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de Mme [K] [T],

- attribuer à Mme [K] [T] les points de retraite de base suivants :

- 70,6 points de retraite de base en 2015 ;

- 110,2 points de retraite de base en 2016 ;

- 225,3 points de retraite de base en 2017 ;

- 210,2 points de retraite de base en 2018 ;

- 232,8 points de retraite de base en 2019 ;

- attribuer à Mme [K] [T] les points de retraite complémentaire suivants :

- 9 points de retraite complémentaire en 2015 ;

- 16 points de retraite complémentaire en 2016 ;

- 31 points de retraite complémentaire en 2017 ;

- 28 points de retraite complémentaire en 2018 ;

- 31 points de retraite complémentaire en 2019 ;

- débouter Mme [K] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [K] [T] à lui verser la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager.

S'agissant de l'irrecevabilité du recours formé par Mme [T], elle fait valoir que le relevé de situation individuelle dont cette dernière se prévaut n'est pas une décision de la caisse et qu'aucune demande préalable n'a été formée auprès d'elle avant la saisine de la commission de recours amiable puis du tribunal judiciaire. Elle ajoute que le relevé de situation contesté mentionne son caractère indicatif et provisoire, de sorte qu'il ne cause aucun grief.

Elle précise que le relevé de situation ne renseigne aucun trimestre sur les années 2016 à 2019.

Concernant l'assiette des revenus à prendre en compte pour le calcul des points retraite, elle soutient qu'avant 2016 le bénéfice non commercial constituait l'assiette de cotisations.

Elle détaille ensuite le calcul des points retraite de base et complémentaire pour les années 2015 à 2019, avant de préciser que ses statuts, qui s'appliquent à tous ses assurés, justifient que soit appliqué un principe de proportionnalité pour s'assurer que le cotisant s'acquitte de cotisations au moins égales à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables.

Enfin, elle soulève que Mme [T] n'apporte la preuve ni d'une faute, ni d'un dommage qu'aurait causé le refus de procéder à un recalcul des points retraite.

Par conclusions, parvenues au greffe le 9 novembre 2023 et auxquelles elle s'est rapportée à l'audience, Mme [K] [T] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais du 19 janvier 2023, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande en réparation de son préjudice moral,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral,

- en cas de décision d'irrecevabilité sur les exercices 2016-2019, condamner la CIPAV à lui verser une indemnité supplémentaire de 3 000 euros par année non renseignée en réparation du préjudice causé par le manquement à l'obligation légale d'information de la caisse, soit 12 000 euros pour les années 2016 à 2019,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de l'appel abusif,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Concernant la recevabilité de sa contestation, elle rappelle que la recevabilité d'une contestation du contenu du relevé de situation individuelle à une date antérieure à la liquidation des droits est reconnue par le Cour de cassation. La CIPAV ne peut valablement reprocher à ses adhérents de contester devant la commission de recours amiable le relevé de situation individuelle téléchargé sur le site « info retraite », dès lors qu'elle les oriente elle-même vers ce site. Elle dispose d'un intérêt à agir sur la comptabilisation de ses droits à la retraite, puisqu'elle a réglé ses cotisations.

Elle expose également que la CIPAV, membre du groupement d'intérêt public Info Retraite, participe à la décision que constitue le relevé de situation individuelle et qu'elle a encaissé ses cotisations sans créditer ses droits en ce qui concerne les années 2016 à 2019.

S'agissant de la revalorisation des points de retraite complémentaire, elle soulève que la pratique de la CIPAV consistant à allouer des points de retraite complémentaire d'un montant inférieur à ceux prévues par les différentes classes viole les dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979, qui prime sur les statuts de la CIPAV.

De plus, le revenu de référence à retenir pour le calcul des points retraite de base et complémentaire est le chiffre d'affaires, sans qu'il y ait lieu de procéder à un abattement fiscal.

Elle note ensuite que si les parties s'accordent sur la formule de calcul de point de retraite de base, l'abattement de 34% opéré sur le chiffre d'affaires par la CIPAV conduit à une minoration des points de retraite de base attribués.

S'agissant de ses demandes d'indemnisation, elle soutient que le stress provoqué par le sentiment d'impossibilité d'obtenir la rectification de ses droits et l'appel abusif de la CIPAV justifie l'indemnisation de son préjudice moral.

Enfin, la CIPAV ne démontre pas avoir rempli son obligation déclarative dès lors que le relevé de situation obtenu le 8 avril 2020 élude les données concernant les années 2016 à 2019 malgré le versement de cotisations sur cette période.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

*Sur la recevabilité du recours

Il résulte des dispositions des articles R. 142-1 et R. 142-6 du code de la sécurité sociale que les réclamations contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale sont, préalablement à la saisine de la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale, soumises à une commission de recours amiable, l'intéressé pouvant considérer sa demande comme rejetée lorsque la décision de la commission n'a pas été portée à sa connaissance dans le délai de deux mois.

Il est constant que le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent, périodiquement ou à leur demande, aux assurés comportant pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants des cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension, l'assuré est recevable à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction du contentieux général le montant des cotisations ou le nombre de points figurant sur ce relevé.

En revanche, en cas d'absence de données figurant sur le relevé de situation individuelle, cette absence ne peut caractériser une ou des décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite d'un assuré social, à la différence des mentions qui feraient apparaître une absence de droits. Il s'ensuit qu'un assuré social ne saurait former une réclamation en se fondant sur ce relevé individuel de situation en ce qu'il ne matérialise aucune décision prise par la CIPAV (en ce sens, 2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n°21-12.784).

En l'espèce, le relevé de situation individuelle de Mme [T] édité le 8 avril 2020 fait mention de points acquis au titre du régime de retraite de base et du régime de retraite complémentaire pour l'année 2015. La cotisante contestant le nombre de points attribué de 2015 à 2019 a saisi, à cet effet, la commission de recours amiable de la caisse le 1er juillet 2020 puis le tribunal judiciaire de Beauvais.

Il s'ensuit que les mentions figurant sur le relevé de situation individuelle procèdent de décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite de l'assurée et que Mme [T] était donc recevable à les contester, devant la commission de recours amiable de l'organisme, puis devant le juge du contentieux de la sécurité sociale.

En outre, il importe peu que les données se trouvant sur le relevé de situation individuelle présentent « un caractère indicatif et provisoire », lequel a pour seule conséquence de préserver la faculté pour l'organisme de sécurité sociale de rectifier les indications y figurant.

Il y a également lieu de rappeler que l'absence d'indication au titre d'une année sur le relevé constitue également une décision, soit un refus d'attribution de points acquis au titre de celle-ci, alors que les caisses ont l'obligation d'alimenter le relevé de situation individuelle des assurés.

Toutefois, la cour constate que s'agissant des années 2016-2017 le relevé de situation indique « Nous n'avons pas d'information pour cette période », de sorte qu'il ne saurait en être déduit que l'organisme de sécurité sociale a pris une décision au titre de ces années pouvant justifier d'une contestation de l'intéressée, celle-ci étant dès lors irrecevable à former une réclamation sur ces années, ledit relevé ne matérialisant aucune décision prise par la CIPAV.

Ainsi, Mme [T] est donc recevable en son recours pour les années 2015, 2018 et 2019, et irrecevable pour les années 2016 et 2017.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

En outre, Mme [T] sera déboutée de sa demande d'une indemnité supplémentaire, dès lors qu'elle conservait la possibilité de solliciter la CIPAV afin de recueillir des explications concernant les années 2016 à 2017.

Sur le fond

*Sur le calcul des points retraite de base

Il résulte de l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2016, que les cotisations et contributions de sécurité sociale des auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent, un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux mêmes articles.

En l'espèce, les parties ne s'opposent pas sur la formule de calcul pour l'année 2015 mais sur l'assiette de revenu à prendre à compte.

En effet, la CIPAV pratique sur le chiffre d'affaires un abattement de 34 % et la cotisante soutenant qu'elle devait retenir le chiffre d'affaires déclaré.

Les dispositions précitées se réfèrent expressément au chiffre d'affaires ou aux recettes effectivement réalisées, soit aux recettes brutes. L'assiette prise en compte par la CIPAV, qui procède à un abattement de 34 % sur le chiffre d'affaires, conduit à minorer le revenu d'activité, et par conséquent, le nombre de points susceptibles d'être fixés au titre du régime d'assurance vieillesse de base.

Par conséquent, l'assiette des droits à retraite de base doit être le chiffre d'affaires déclaré par l'assurée et non un bénéfice non commercial reconstitué après déduction de 34 %.

Il ressort de ces considérations que la CIPAV n'était pas fondée à faire application d'un abattement forfaitaire de 34 % sur ces périodes.

Il devait donc être attribué 107 points à Mme [T] au titre du régime de base pour l'année 2015.

S'agissant des années 2018 et 2019, les parties ne retiennent plus la même valeur du point puisque Mme [T] retient :

- en 2018 : un point pour 75,68 euros de revenus en tranche I et un point pour 7 946,40 euros de revenus en tranche II ;

- en 2019 : un point pour 77,18 euros de revenus en tranche I et un point pour 8 104,80 euros de revenus en tranche II ;

Alors que la CIPAV retient :

- en 2018 : un point pour 6, 23 euros de cotisation en tranche I et un point pour 148,60 euros de cotisation en tranche II ;

- en 2019 : un point pour 6,35 euros de revenus en tranche I et un point pour 151,56 euros de revenus en tranche II ;

En effet, pour les années à compter de 2018 la CIPAV n'opère plus d'abattement de 34 % sur le chiffre d'affaires de l'auto-entrepreneur pour calculer le nombre de points à partir d'un bénéfice non commercial reconstitué mais change de mode de calcul du nombre de points, non plus à partir du chiffre d'affaires, mais en prenant pour base le montant des cotisations qui lui ont été effectivement versées par application du forfait social.

La CIPAV se réfère implicitement aux dispositions de l'article D. 643-1 du code de la sécurité sociale applicable à l'assurance vieillesse et invalidité-décès des professions libérales selon lequel :

« Le versement de la cotisation annuelle correspondant au plafond de revenu fixé au 1° de l'article D. 642-3 (ndr : plafond annuel de la sécurité sociale au 1er janvier de l'année considérée) ouvre droit à l'attribution de 525 points de retraite.

Le versement de la cotisation annuelle correspondant au plafond de la tranche des revenus définie au 2° de l'article D. 642-3 (ndr : cinq fois le plafond annuel de la sécurité sociale) ouvre droit à l'attribution de 25 points de retraite.

Le nombre de points acquis est calculé au prorata des cotisations acquittées sur chacune des tranches de revenus définies à l'article D. 642-3, arrondi à la décimale la plus proche. »

L'article D. 642-3 du même code précisant que :

« Le taux de cotisation prévu au sixième alinéa de l'article L. 642-1 est égal :

1° A 8,23 % sur les revenus définis aux articles L. 131-6 à L. 131-6-2 pour la part de ces revenus n'excédant pas le plafond annuel prévu au premier alinéa de l'article L. 241-3 ;

2° A 1,87 % sur les revenus définis aux articles L. 131-6 à L. 131-6-2 pour la part de ces revenus n'excédant pas cinq fois le plafond annuel prévu au premier alinéa de l'article L. 241-3. »

Appliqué à l'année 2018 pour lequel le plafond annuel de la sécurité sociale était de 39 732 euros, le montant maximum de la cotisation en tranche I s'établit à 38 616 euros x 8,23 % = 3 270 euros donnant droit à 525 points de retraite de base.

Le calcul est similaire pour la tranche II du régime de retraite de base correspondant à 5 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (39 732 euros x 5 = 198 660 euros) pour laquelle la cotisation maximale s'établit à 198 660 euros x 1,87 % = 3 611 euros correspondant à 25 points.

La CIPAV considère qu'un point de retraite de base en tranche I correspond  à 3 270 euros/525 soit 6,23 euros de cotisations versées et en tranche II à 3 714 euros/25 = 148,60 euros de cotisations versées.

Elle estime donc que les points de retraite de base d'un auto-entrepreneur doivent être attribués au prorata des cotisations versées à la CIPAV découlant du forfait social.

Ainsi pour l'année 2018, Mme [T] a déclaré un chiffre d'affaires de 23 614 euros soit un montant forfaitaire de cotisations de 22% x 23 614 euros = 5 195,08 euros réparti entre les divers organismes sociaux dont relève l'auto-entrepreneur et, pour ce qui concerne la CIPAV :

- à concurrence de 25 % pour la cotisation d'assurance vieillesse de base tranche 1 soit 5 195,08 euros x 25 % = 1 298,77 euros ;

- à concurrence de 5 % pour la cotisation d'assurance vieillesse de base tranche 2 soit 5 195,08 euros x 5 % = 259,75 euros.

Rapporté à la valeur du point selon son calcul et aux cotisations qu'elle a effectivement perçues, la CIPAV soutient donc que pour l'année 2018, il doit être attribué à Mme [T] au titre de la retraite de base :

- en tranche I : 1 298,77 euros (cotisations perçues) / 6,23 euros (valeur du point) = 208,5 points;

- en tranche II : 259,75 euros (cotisations perçues) / 148,60 euros (valeur du point) = 1,7 points.

La méthodologie adoptée par la CIPAV est la même pour l'année 2019.

Elle est cependant contraire aux dispositions de l'article L. 133-6-8 devenu L. 613-7 du code de la sécurité sociale selon lesquelles :

« Les cotisations et les contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants mentionnés au II du présent article bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux mêmes articles, de manière à garantir, pour des montants de chiffre d'affaires ou de recettes déterminés par décret pour chacune de ces catégories, un niveau équivalent entre le taux effectif global des cotisations et des contributions sociales versées, d'une part, par ces travailleurs indépendants et, d'autre part, par ceux ne relevant pas des dispositions du présent article (...). »

Mme [T] soutient donc à bon droit que pour garantir aux auto-entrepreneurs un niveau de droits équivalents aux autres travailleurs indépendants, le nombre de points retraite qui leur est attribué au titre du régime de base doit être calculé à partir de leur chiffre d'affaires et non du montant du forfait social prélevé sur ce chiffre d'affaires, soit pour l'année 2018 un montant de 23 614 euros de chiffre d'affaires.

Dès lors que comme indiqué précédemment 39 732 euros de chiffre d'affaires (montant du plafond annuel de la sécurité sociale 2018) correspondent à 525 points de retraite de base en tranche I et 198 660 euros (cinq fois le plafond annuel de la sécurité sociale) à 25 points en tranche II, la valeur du point rapporté au chiffre d'affaires en 2018 s'établit à :

- 39 732 euros / 525 = 75,68 euros pour le point de retraite de base tranche I ;

- 198 660 euros / 25 = 7 946,40 euros pour le point de retraite de base tranche II.

Appliqué au chiffre d'affaires 2018 réalisé par Mme [T], elle est en droit de se voir reconnaître :

- 23 614 euros / 75,68 euros = 312 points de retraite de base tranche I ;

- 23 614 euros / 7 946,40 euros = 3 points de retraite de base tranche II ;

- total (arrondi au dixième de point) : 315 points.

Le calcul étant identique pour l'année 2019.

Il conviendra donc d'enjoindre à la CIPAV de rectifier, pour les années 2015, 2018 et 2019, les points de retraite de base de Mme [T] et à procéder à la rectification correspondante de son relevé de situation individuelle.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

*Sur le calcul des points retraite complémentaire

La pension de retraite complémentaire est une pension en points versée à l'affilié qui est à jour de ses cotisations obligatoires auprès de sa section. Le montant de la pension est égal au nombre de points porté au compte de l'affilié, multiplié par la valeur du point, fixé chaque année par le conseil d'administration de chaque section.

Aux termes des dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979, le régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire, géré par la CIPAV et institué par l'article 1er de ce texte, comporte plusieurs classes de cotisations déterminées en fonction du revenu d'activité de l'intéressé, auxquelles correspond l'attribution d'un nombre de points de retraite dont le montant est fixé par décret sur proposition du conseil d'administration de l'organisme.

Le nombre de classes a été porté de six à huit par le décret n°2012-1522 du 28 décembre 2012, applicable aux cotisations dues à compter du 1er janvier 2013. A chaque classe de cotisation, correspond un montant de cotisations et un nombre de points de retraite. Ce nombre est fixé pour la première des classes (classe A) à 36 points par année à compter de 2013.

Il est constant que les dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 sont seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV.

Il en découle que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié en fonction de son revenu d'activité, étant précisé que la cotisation s'exprime sous la forme d'un montant fixe (et non d'un pourcentage) dû par l'assuré dont le revenu, déterminé selon les règles d'assiette appropriées, est compris entre les bornes de la classe de cotisation dont celui-ci le fait relever.

S'agissant de l'assiette des cotisations, il résulte de l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, précédemment cité, que les cotisations et les contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts, sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent, un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux mêmes articles.

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, applicable pour les points de retraite acquis au titre des années 2013 à 2015, l'article L. 133-6-8 indique que ce taux est fixé de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants.

Il découle des dispositions qui précèdent que la CIPAV n'est pas fondée à s'appuyer comme elle le fait sur le mécanisme de la compensation financière de l'Etat pour calculer les droits de l'assuré. Elle se prévaut à tort des articles L. 131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale fixant les modalités de la compensation par l'Etat du manque à recouvrer par les organismes sociaux et prévoyant que le montant de cette compensation est égal à la différence entre d'une part le montant des cotisations et contributions dont les travailleurs indépendants auraient été redevables au cours de l'année civile, d'autre part, le montant des cotisations et contributions calculées en application de l'article L. 133-6-8 versées par les intéressés. Elle vise également le dernier alinéa de l'article R. 133-10-10 selon lequel cette compensation doit garantir au régime une cotisation au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont les travailleurs indépendants affiliés à la CIPAV pourraient être redevables en fonction de leur activité.

Toutefois, ces règles de compensation n'intéressent que les rapports entre l'Etat et l'organisme et sont étrangères aux relations organisme/affiliés. Elles sont donc sans incidence sur la détermination des droits à pension des assurés régie par le seul article 2 du décret du 21 mars 1979 susvisé.

La CIPAV ne peut davantage se référer au bénéfice non commercial déclaré par l'auto-entrepreneur correspondant au bénéfice imposable de l'article 102 ter du code général des impôts après application d'un abattement forfaitaire de 34 %, au lieu du chiffre d'affaires, pour déterminer, à la baisse, le revenu d'activité, et par conséquent, la classe de cotisation de l'affilié dont dépend l'attribution des points de retraite.

Mme [T] revendique donc à juste titre qu'il soit tenu compte de son chiffre d'affaires pour déterminer la classe de cotisation, sans appliquer d'abattement.

A partir de 2014, le seuil sera fixé à 26 580 euros pour la classe A, la classe B étant comprise entre 26 580 et 49 280. Dès lors, il devait être attribué à Mme [T] au titre de la retraite complémentaire, en considération de ses revenus 36 points en 2015, 36 points en 2018 et 72 points en 2019.

Il conviendra donc d'enjoindre à la CIPAV de rectifier, pour les années 2015, 2018 et 2019, les points de retraite complémentaire de Mme [T] et à procéder à la rectification correspondante de son relevé de situation individuelle.

La cour confirmera donc le jugement de ce chef.

*Sur les demandes de dommages et intérêts

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Pour être accordée, la réparation suppose que soit démontrés une faute, un préjudice et un lien entre ces derniers, étant précisé que le préjudice doit être certain et non hypothétique.

En l'espèce, il ne résulte pas de la procédure que la CIPAV ait commis une faute de nature à justifier une indemnisation au profit de Mme [T].

Dès lors, Mme [T] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

De plus, la demande en appel de dommages et intérêts au titre du préjudice moral résultant d'un appel abusif, préjudice qui n'est pas démontré autrement que par la production de décisions de justice relatives à des contentieux similaires à celui qui oppose les parties, sera également rejetée.

*Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La CIPAV, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

*Sur les frais irrépétibles

La CIPAV, qui succombe, sera déboutée de sa demande tendant à la condamnation de Mme [T] à lui payer les frais irrépétibles qu'elle a exposés et sera condamnée à lui payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par elle en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par sa mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute Mme [T] de sa demande d'une indemnité supplémentaire au titre des années 2016 et 2017,

Déboute Mme [T] de sa demande en paiement de la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice,

Déboute Mme [T] de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euros en réparation de l'appel abusif,

Condamne la CIPAV aux dépens,

Déboute la CIPAV de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Condamne la CIPAV à payer à Mme [T] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 23/00713
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.00713 ?
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