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25/06/2024 | FRANCE | N°22/05414

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 25 juin 2024, 22/05414


ARRET







[K]





C/



S.A.S.U. DELISAVEURS



S.A.S. GOODYEAR FRANCE



S.A. GOODYEAR DUNLOP TIRES OPERATIONS



Société GOODYEAR EUROPE BV















































copie exécutoire

le 25 juin 2024

à

Me RILOV

Me ARTAUD

Me GRANGÉ

CB/MR/SS/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS
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5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 25 JUIN 2024



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N° RG 22/05414 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUBE



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 02 NOVEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 18/00120)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [P] [...

ARRET

[K]

C/

S.A.S.U. DELISAVEURS

S.A.S. GOODYEAR FRANCE

S.A. GOODYEAR DUNLOP TIRES OPERATIONS

Société GOODYEAR EUROPE BV

copie exécutoire

le 25 juin 2024

à

Me RILOV

Me ARTAUD

Me GRANGÉ

CB/MR/SS/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 25 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 22/05414 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUBE

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 02 NOVEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 18/00120)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [P] [K]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Fiodor RILOV de la SCP SCP RILOV, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Sohinee GHOSH, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEES

S.A.S.U. DELISAVEURS (anciennement dénommée RESTAURATION COLLECTIVE CASINO R2C), agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée, concluant et plaidant par Me Pascale ARTAUD de la SELARL TRAJAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me LEPLANOIS, de la SELARL TRAJAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. GOODYEAR FRANCE (anciennement dénommée GOODYEAR DUNLOP TIRES FRANCE), agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 11]

[Localité 4]

S.A. GOODYEAR DUNLOP TIRES OPERATIONS SA, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 8]

[Localité 10] ' Luxembourg

Société GOODYEAR EUROPE BV (anciennement dénommée GOODYEAR DUNLOP TIRES EUROPE BV), agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 9]

[Localité 7] ' Pays-Bas

représentées, concluant et plaidant par Me Joël GRANGÉ de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Valérie BACQUET BREHANT, avocat au barreau D'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 26 mars 2024 l'affaire a été appelée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

et Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui a renvoyé l'affaire au 25 juin 2024 pour le prononcé de l'arrêt par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Malika RABHI

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 25 juin 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Madame Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre, et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Restauration collective Casino R2C est une société de restauration d'entreprise créée par le groupe Casino qui assurait le service restauration auprès de la société Goodyear Dunlop Tires France dite [Localité 6] nord.

Ala suite de la décision de fermeture du site en février 2014 les salariés de la société Restauration collective Casino R2C ont été licenciés pour motif personnel du fait de la cessation d'activité du service restauration de l'usine Goodyear Dunlop Tires France.

Mme [K] a été licenciée le 23 mai 2014.

Mme [K], salariée de la société Restauration collective Casino R2C a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens en contestant notamment la légitimité du licenciement, en arguant d'un coemploi de la société Restauration collective Casino R2C avec les sociétés Goodyear Dunlop tires Frances, Goodyear Dunlop tires operations SA et Goodyear Dunlop tires Europe B.V et en sollicitant le paiement d'une prime d'activité continue.

Par jugement du 2 novembre 2022, le conseil de prud'hommes d'Amiens a :

- Disjoint les procédures enrôlées au répertoire général sous les numéros RGF 18/00118, l8/00119, 18/00120, 18/00121, 18/00122 et 18/00123

- Dit et jugé que la situation de coemploi entre la société R2C et les sociétés Goodyear Dunlop tires France, Goodyear Dunlop tires operations SA et Goodyear Dunlop tires Europe B.V n'est pas reconnue

- Dit et jugé que le licenciement de Mme [K] est justifié par une cause réelle et sérieuse

- Dit et jugé infondée la demande de rappel de salaires au titre de la prime d'activité continue

Par conséquent,

- Débouté Mme [K] de l'ensemble de ses prétentions

- Débouté Mme [K] de sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Débouté Mme [K] de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime d'activité continue et des demandes y afférentes

- Débouté les parties de leurs demandes respectives à titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Le jugement a été notifié à Mme [K] qui en a relevé appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 11 mars 2024, Mme [K] prie la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Condamner les sociétés Delisaveurs, Goodyear France, Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V à verser à l'appelante une indemnité pour licenciement économique sans cause réelle et sérieuse du fait du coemploi de 105 052,85 euros soit 5 années de salaire pour une ancienneté de 39 ans et 10 mois ;

- Condamner la société Delisaveurs à verser à l'appelante une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de l'absence de motif conforme à l'article L1233-3 du code du travail de 105 052,85 euros soit 5 années de salaire pour une ancienneté de 39 ans et 10 mois ;

- Condamner la société Delisaveurs à verser à l'appelante une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de l'inexécution de l'obligation de reclassement de l'article L 1233-4 du code du travail de 105 052,85 euros soit 5 années de salaire pour une ancienneté de 39 ans et 10 mois ;

- Condamner la société à verser à l'appelante la prime d'activité continue, prévue par l'article 40 de la convention collective nationale de la restauration des collectivités soit la somme de 1 600 euros brut au titre de la prime d'activité continue outre la somme de 160 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- Condamner les sociétés Delisaveurs, Goodyear France, Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V à verser à l'appelante la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les sociétés Delisaveurs, Goodyear France, Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V aux entiers dépens, en ce compris les frais liés à l'exécution de la présente décision.

Par conclusions communiquées par RPVA le 9 février 2024 la société Délisaveurs prie la cour de :

confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Amiens du 2 novembre 2022 en ce qu'il a :

* dit et jugé que la situation de co-emploi entre la société R2C et les sociétés Goodyear Dunlop tires France, Goodyear Dunlop tires operations SA et Goodyear Dunlop tires Europe BV n'est pas reconnue,

*dit et jugé que le licenciement de Mme [K] est justifié par une cause réelle et sérieuse,

*dit et jugé infondée la demande de rappel de salaire au titre de la prime d'activité continue

par conséquent, débouter Mme [K] de l'ensemble de ses prétentions, de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de ses demandes de rappel de salaire au titre de la prime d'activité continue et des demandes y afférentes, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens

A titre subsidiaire, de :

- limiter le montant des dommages-intérêts sollicités par Mme [K] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 mois de salaire, soit à 10 349,22 euros

En tout état de cause, de :

- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700du code de procédure civile

- condamner Mme [K] aux entiers dépens.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 1er juin 2023, les sociétés Goodyear France, Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V prient la cour de :

- Confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;

- Débouter l'appelante de sa demande de reconnaissance de la qualité de co-employeurs entre les sociétés Goodyear France, Goodyear Operations, Goodyear Europe et R2C ;

En conséquence, débouter l'Appelante de l'ensemble de ses demandes à l'encontre des sociétés Goodyear France, Goodyear Operations et Goodyear Europe ;

A titre subsidiaire

Si la Cour devait par extraordinaire considérer que les sociétés Goodyear France, Goodyear Operations, Goodyear Europe et R2C sont co-employeurs de l'appelante :

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- Débouter l'appelante de sa demande relative à la prime d'activité continue ;

A titre infiniment subsidiaire

- Limiter le montant des dommages-intérêts à 6 mois de salaires en application de l'article L.1235-3 du Code du travail, soit 9 768,13 euros ;

- Débouter l'appelante de sa demande relative à la prime d'activité continue ;

En tout état de cause

- Débouter l'appelante de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'appelante aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2024 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 26 mars 2024.

MOTIFS

Sur le coemploi

La salariée soutient qu'il existait une situation de coemploi entre les sociétés Delisaveurs, Goodyear France, Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V faisant valoir que l'appréciation de l'existence du coemploi doit se faire sans référence aux qualifications données par les parties à leurs relations juridiques, que les critères de confusion d'activité, de direction et d'intérêt sont réunis pour caractériser le coemploi,

Les sociétés Delisaveurs, Goodyear France, Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V s'opposent à cette demande, rappellent que le coemploi ne peut être retenu qu'en cas d'immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale avec perte totale d'autonomie de la filiale ce qui constitue au dernier stade de la jurisprudence un resserrement de la notion, que la salariée procède par affirmation sans démonstration en fait étayant ses affirmations sur la gestion de la société Delisaveurs par les sociétés Goodyear.

Elle indique qu'il n'existait qu'un contrat classique de prestations de services pour la restauration sans aucune confusion d'intérêt ni immixtion dans la gestion.

La société Delisaveurs rétorque que la salariée ne démontre pas l'existence d'un coemploi avec les sociétés Goodyear.

Sur ce

Hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l'égard du personnel employé par une autre que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

Le critère déterminant du coemploi au sein d'un groupe est l'immixtion de la société dominante, dans la gestion économique et sociale de la filiale ou de la société dominée, se traduisant par la prise en main par la société mère ou la société dominante de la gestion économique, technique et administrative ainsi que de la gestion des ressources humaines de la filiale, avec pour conséquence la perte totale d'autonomie d'action de celle-ci, ne lui permettant plus de se comporter comme le véritable employeur de ses salariés. L'intégration d'une société à un groupe permettant une collaboration et une concertation étant insuffisante à établir l'existence d'un coemploi.

La perte d'autonomie d'action de la filiale, qui ne dispose pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale, est déterminante dans la caractérisation d'une immixtion permanente anormale de la société-mère, constitutive d'un coemploi, justifiant alors que le principe d'indépendance juridique des personnes morales soit exceptionnellement neutralisé.

Le critère déterminant de la caractérisation d'une immixtion permanente anormale justifiant que le principe d'indépendance juridique des personnes morales soit exceptionnellement neutralisé et que le mécanisme du coemploi soit retenu et donc la perte d'autonomie de toute action de la société employeur qui ne dispose pas ou plus du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le

domaine de la gestion économique et sociale, situation dont il revient aux salariés de rapporter la preuve.

Il y a lieu de rechercher s'il existe entre les sociétés Delisaveurs, Goodyear France (anciennement dénommée Goodyear Dunlop tires France), Goodyear Dunlop tires operations et Goodyear Europe B.V (anciennement dénommée Goodyear Dunlop tires europe BV), au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière, avec pour conséquence la perte totale d'autonomie d'action de celle-ci, ne lui permettant plus de se comporter comme le véritable employeur de ses salariés.

En l'espèce, la salariée invoque la situation de coemploi mais ne développe pas de moyen de fait à l'appui de sa demande se contentant de reprendre l'évolution de la jurisprudence sur la notion de coemploi.

Mme [K] sera déboutée de sa demande à ce titre par confirmation du jugement.

Sur le licenciement

Sur le motif du licenciement

Mme [K] soutient que le licenciement avait une cause économique sans qu'il soit possible d'invoquer un motif personnel, que l'employeur indiquait dans le courrier de licenciement qu'il n'était pas possible de la reclasser alors que le reclassement n'incombe à l'employeur qu'en cas de licenciement économique, ajoutant que la raison du licenciement est la fermeture de l'usine Goodyear ce qui ne saurait constituer un motif inhérent à la personne des salariés.

Elle fait valoir que les motifs du licenciement repris dans le courrier de notification fixent les limites du litige, la société ayant justifié dans le courrier d'éclaircissements que le licenciement a pour cause la perte d'un marché alors que dans le même temps l'inspection du travail avertissait une salariée qu'elle aurait dû bénéficier d'un contrat de sécurisation professionnelle car il s'agissait d'un licenciement économique, qu'en tout état de cause la fermeture d'une partie de l'activité ne pouvait fonder un licenciement économique car il s'agissait d'une cessation partielle de son activité.

La société Delisaveurs soutient que le licenciement n'est pas économique car il n'y a pas eu fermeture de l'ensemble des établissements de la société mais seulement celui d'[Localité 6], que seule la cessation totale d'activité ou une nécessaire réorganisation ou l'existence de mutations technologiques afin de sauvegarder la compétitivité peut fonder un licenciement économique, ce qui n'était pas le cas.

Les sociétés Goodyear soulignent que la demande figure à trois reprises dans le dispositif des conclusions de l'appelante comme si elle pouvait prétendre trois fois au montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant au demeurant excède l'indemnisation prévue au barème d'indemnisation.

Sur ce

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que la salariée a été licenciée en raison de la cessation de l'activité de l'usine d'[Localité 6] nord et par voie de conséquence de la cessation totale de l'activité restauration du restaurant d'usine avec refus par la salariée de mutation sur un autre site.

Il appartient à la cour d'apprécier la réalité du motif du licenciement.

Selon l'article L.1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »

Le licenciement est économique lorsqu'il est prononcé pour un motif qui n'est pas inhérent à la personne du salarié, même s'il n'est pas justifié par des difficultés économiques, une mutation technologique ou une réorganisation ; dans ce cas, il sera alors sans cause réelle et sérieuse, mais ne perdra pas sa nature de licenciement économique.

En l'espèce, la lettre de licenciement précise que le licenciement est justifié par le refus de la mutation nécessitée par la fermeture du site d'[Localité 6] nord, soit un motif qui n'est pas inhérent à la personne de la salariée.

Le licenciement a donc été prononcé pour motif économique.

Sur la cause réelle et sérieuse

Mme [K] soutient que la cessation d'activité était partielle, qu'il n'existait pas de difficultés économiques pas plus que de mutation technologique ou de nécessité de se réorganiser pour sauvegarder la compétitivité, qu'il n'y avait donc pas de cause économique au licenciement qui doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

Elle fait valoir que la mutation qui lui était proposée sur le site de [Localité 12] était trop éloignée d'[Localité 6], située hors zone géographique et constituait une modification de son contrat de travail qu'elle était en droit de refuser.

La société Delisaveurs soutient que la salariée ne peut dire, sans faire preuve d'incohérence, à la fois, que le licenciement a été prononcé pour motif économique et qu'il n'existe pas de motif économique.

Sur ce

L'article L.1233-3 du code du travail dispose notamment que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

Il ressort de l'article L. 1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

L'appréciation de l'inspection du travail sur le motif du licenciement lors de la demande d'autorisation de licenciement des salariés protégés ne saurait s'imposer à la cour, ce d'autant qu'en l'espèce l'employeur n'avait pa s évoqué de motif économique au licenciement mais la cessation totale d'activité sur le site de l'usine d'[Localité 6] nord sans indiquer qu'il s'agissait d'une cessation totale d'activité de la société Délisaveurs.

La société Délisaveurs a licencié la salariée qui était affectée au restaurant de l'entreprise Goodyear qui a fermé. Or pour la société Délisaveurs il s'agissait d'une perte de marché et non d'une cessation totale, définitive de la société, condition exigée pour voir reconnaître le bien-fondé du motif économique du licenciement.

A défaut de preuve de l'existence d'un motif économique justifiant la rupture du contrat de travail, le licenciement de Mme [K] est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme [K] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser des dommages et intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 5 années de salaire.

La société réplique que la salariée ne justifie pas d'un quelconque préjudice qui ne peut être qu'individuel.

Sur ce

L'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable en la cause dispose que si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut prononcer la réintégration du salarié dans l'entreprise avec maintien des avantages acquis. Si l'une ou l'autre partie le refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure aux 6 derniers mois de salaire.

Le préjudice suite au licenciement est un préjudice nécessaire, seule l'appréciation du montant de l'indemnisation s'opère au regard de la situation personnelle du salarié concerné.

En l'espèce Mme [K] avait au moment du licenciement une ancienneté de 39 ans et 10 mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de Mme [K], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de la salariée doit être évaluée à la somme de 42 000 euros soit 24 mois de salaire.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le rappel de salaire

Mme [K] sollicite un rappel de salaire en application de l'article 40 de la convention collective, payable pour les salariés à activité continue astreinte à travailler par roulement 7 jours sur 7, ce qui était le cas au sein de l'usine.

La société Delisaveurs rétorque que si la salariée travaillait les samedis et les dimanches, elle percevait une prime dite de permanence et de week ends qui répond strictement à la prime d'activité continue ; qu'elle n'établit pas avoir rempli les conditions d'octroi de cette prime telle que prévue par la convention collective.

Enfin elle fait valoir que pour la période antérieure au 12 septembre 2012 la prime s'élevait à 40,90 euros et non à 45 euros.

Les sociétés Goodyear s'opposent à cette demande précisant qu'il n'existe pas d'article 40 de la convention collective relative à la prime d'activité continue mais un article 36-1 qui la prévoit, que les conditions pour la percevoir sont cumulatives et que la salariée ne les remplit pas.

Sur ce

L'avenant n° 43 du 20 juillet 2007 de la convention collective applicable prévoit en son article 36.1 « Prime d'activité continue » que : L'évolution des attentes des clients ainsi que du contexte économique amène de plus en plus souvent à exercer l'activité dans des établissements où l'activité est continue.
Ces établissements (unités géographiques distinctes) s'entendent de ceux fonctionnant 7 jours sur 7 :
' dans lesquels sont assurés, dans ces conditions, production et/ou service aux convives ;
' dans lesquels, par voie de conséquence :
' le rythme de travail entraîne son exécution par roulement assorti d'horaires réguliers ou irréguliers, tant en semaine que les samedis, dimanches et jours fériés ;
' le rythme de jours de repos s'applique selon les dispositions de l'article 10 F de la convention collective nationale.

Le salarié affecté dans un établissement défini ci-dessus, où ces obligations s'imposent et auxquelles il est astreint, perçoit, en contrepartie, une prime mensuelle, dite prime d'activité continue (PAC), prime qui ne se cumule pas avec toute autre prime déjà existante ayant le même objet (par exemple : prime de dimanche, prime de week-end, prime de sujétion...).

Cette prime, dont le montant brut est égal à 40,90 euros pour l'horaire mensuel en vigueur et applicable dans l'entreprise, est versée au prorata du temps de travail effectif. Toutefois, elle ne peut être inférieure à 50 % pour les salariés à temps partiel, pour 1 mois complet de travail.

Le montant de la prime a été porté à la somme de 45 euros par avenant n °49 du 4 juin 2012.

Du fait d'une activité continue au sein de l'entreprise Goodyear les salariés travaillaient les samedis et le dimanches et l'employeur versait une prime qui est reprise sur la fiche de paie du mois de décembre 2013 sous la rubrique « prime permanence WE », il s'en déduit que cette prime avait le même objet qu'une prime d'activité continue.

C'est à l'employeur de rapporter la preuve du paiement de la prime prévue par la convention collective et de justifier de l'ensemble des fiches de paie relative à la période revendiquée, soit 3 ans avant la rupture du contrat de travail. La cour ne peut donc que condamner l'employeur à payer à la salariée la somme de 45 euros sur les mois pour lesquels les fiches de paie produites ne mentionnent pas le versement de la prime litigieuse ou son intégralité.

Il n'est produit que 12 fiches de paie d'octobre 2013 à septembre 2014 et seule celle de décembre 2013 indique 20 euros au titre de la prime permanence de WE il est donc dû à la salariée une somme de 1550,80 euros soit 12 mois à 40,90 euros ( pour la période antérieure au 4 juin 2021) et 24 mois à 45 euros ( après le 4 juin 2012) moins 20 euros payée en décembre 2013 outre 155,08 euros de congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] de la demande en rappel de prime et la cour jugera désormais que la société devra verser à la salariée une somme de 1550,80 euros outre 155,08 euros de congés payés afférents à ce titre.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La cour infirme le jugement en ses dispositions relatives aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.

La société Délisaveurs succombant pour l'essentiel en cause d'appel est condamnée aux dépens de l'ensemble de la procédure et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [K], les frais qu'elle a dû exposer pour la présente procédure d'appel. La société Délisaveurs est condamnée à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 2 novembre 2022 sauf en ce qu'il n'a pas reconnu la situation de coemploi ente la société R2C et les sociétés Goodyear

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

Dit le licenciement de Mme [P] [K] sans cause réelle et sérieuse

Condamne la société Délisaveurs à payer à Mme [P] [K] la somme de 42000 euros de dommages et intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamne la société Délisaveurs à payer à Mme [P] [K] la somme de 1550,80 euros au titre du rappel de salaire de primes dite de week-ends outre 155,08 euros de congés payés afférents

Condamne la société Délisaveurs à payer à Mme [P] [K] la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute la société Délisaveurs de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour

Rejette toutes autres demandes plus amples et contraires

Condamne la société Délisaveurs aux dépens de l'ensemble de la procédure.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/05414
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;22.05414 ?
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