La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2024 | FRANCE | N°22/03603

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 25 juin 2024, 22/03603


ARRET







Me [I] [C] - Mandataire de S.A.R.L. [11] ([11])

Me SOCIÉTÉ [10] ADMINISTRATEURS - Administrateur judiciaire de S.A.R.L. [11] ([11])

S.A.R.L. [11] ([11])





C/



Organisme URSSAF NORD PAS DE CALAIS



S.E.L.A.S. [10] ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES

S.E.L.A.R.L. [C] MANDATAIRES & ASSOCIES











COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 25 JUIN 2024



*************************************

************************



N° RG 22/03603 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IQQD - N° registre 1ère instance : 21/00234



Jugement du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer (pôle social) en date du 08 juillet 2022




...

ARRET

Me [I] [C] - Mandataire de S.A.R.L. [11] ([11])

Me SOCIÉTÉ [10] ADMINISTRATEURS - Administrateur judiciaire de S.A.R.L. [11] ([11])

S.A.R.L. [11] ([11])

C/

Organisme URSSAF NORD PAS DE CALAIS

S.E.L.A.S. [10] ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES

S.E.L.A.R.L. [C] MANDATAIRES & ASSOCIES

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 25 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 22/03603 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IQQD - N° registre 1ère instance : 21/00234

Jugement du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer (pôle social) en date du 08 juillet 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Me [I] [C] - mandataire de la S.A.R.L. [11] ([11])

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

Société [10] Administrateurs - administrateur judiciaire de la S.A.R.L. [11] ([11])

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

S.A.R.L. [11] ([11])

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

représentées par Me Frédéric Malingue, avocat au barreau d'Amiens, substituant Me Benoît Callieu de la SELARL Callieu avocats, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer

ET :

INTIMEE

URSSAF Nord-Pas-de-Calais

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Laetita Berezig, avocat au barreau d'Amiens, substituant Me Maxime Deseure de la SELARL Leleu-Demont-Hareng-Deseure, avocat au barreau de Béthune

DEBATS :

A l'audience publique du 26 mars 2024 devant M. Renaud Deloffre, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Blanche Tharaud

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

M. Renaud Deloffre en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe Mélin, président,

Mme Anne Beauvais, conseillère,

et M. Renaud Deloffre, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 25 juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe Mélin, président a signé la minute avec Mme Diane Videcoq-Tyran, greffier.

*

* *

DECISION

Le 27 novembre 2019, la cellule de lutte contre le travail illégal et les fraudes (CELTIF) du groupement de gendarmerie d'[Localité 8] a dressé un procès-verbal n° 2017/602 afin de constater, chez la SARL [11] (ci-après société [11]), un délit de travail dissimulé sur la période du 1er décembre 2015 au 30 septembre 2018.

Sur la base de ce procès-verbal, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Nord-Pas-de-Calais (ci-après l'URSSAF Nord-Pas-de Calais ou l'URSSAF) a adressé une lettre d'observations en date du 24 juillet 2020 faisant état d'un redressement à hauteur de 146 821 €, auquel la société [11] a répondu le 22 septembre 2020.

Par courrier en date du 14 décembre 2020, l'URSSAF lui a confirmé le montant du redressement.

L'URSSAF a ensuite adressé à la société [11] une mise en demeure datée du 13 janvier 2021 d'avoir à lui payer un montant total de 154 569 €, soit la somme de 112 423 € au titre des cotisations, augmentée d'une majoration de redressement de 28 825 € et de majorations de retard de 13 321 €.

Par courrier du 4 mars 2021, la société [11] a saisi la commission de recours amiable de l'URSSAF, laquelle n'a pas répondu dans le délai réglementaire.

Selon une requête expédiée le 28 juin 2021, la société [11] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer en annulation du redressement.

La commission de recours amiable a ensuite rejeté le recours préalable par une décision du 30 septembre 2021.

Par jugement du 8 juillet 2022, le tribunal a décidé ce qui suit :

DÉBOUTE la société [11] de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE la société [11] à verser à l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais la somme de 154 569 €, soit 112 423 € au titre des cotisations, augmentée d'une majoration de redressement de 28 825 € et de majorations de retard de 13 321 €

DÉBOUTE la société [11] de sa demande en condamnation de l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais à lui verser la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [11] au paiement des entiers dépens.

Appel de la totalité des dispositions de ce jugement a été interjeté par la société [11] par déclaration d'appel électronique du 25 juillet 2022.

La cause a été évoquée à l'audience du 12 octobre 2023 lors de laquelle la cause a fait l'objet d'un renvoi à celle du 26 mars 2024, le président d'audience invitant l'URSSAF à mettre en cause pour cette date les organes de la procédure de redressement judiciaire de la société [11] et à justifier de sa déclaration de créance.

Par assignations en intervention forcée délivrées en date du 5 et 6 mars 2024, l'URSSAF a fait citer à l'audience du 26 mars 2024 les sociétés d'administrateurs judiciaires et de mandataires judiciaires désignées en qualité d'organes de la procédure collective de la société [11].

Par conclusions récapitulatives d'appelant reçues par la cour le 19 mars 2024 et soutenues oralement par avocat, la société [11], la société [C] mandataires et associés es qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société précitée et la société [10] administrateurs judiciaires es qualité d'administrateur judiciaire de cette société jusqu'au 7 mars 2024 demandent à la cour de :

Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer le 8 juillet 2022 en ce qu'il a :

débouté la société [11] de l'intégralité de ses demandes,

condamné la société [11] à verser à l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais la somme de 154 569 euros soit 112 423 euros au titre des cotisations, augmentée d'une majoration de redressement de 28 825 euros et de majorations de retard de 1 321 euros,

débouté la société [11] de sa demande en condamnation de l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société [11] aux entiers dépens.

Et, statuant à nouveau,

Débouter l'URSSAF de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

Ramener le montant du redressement dû par la SARL [11] ([11]) à la somme de 62 484,46 euros,

A titre très subsidiaire,

Ramener le montant du redressement dû par la SARL [11] ([11]) à la somme de 142 914,48 euros,

En toutes hypothèses,

Vu les articles L. 622-24, L. 622-26 et L. 631-14 du code de commerce,

Vu la procédure de redressement judiciaire de la société [11] ([11]),

Dire que l'URSSAF ne peut demander aucune condamnation au titre des créances qui ont une origine antérieure, mais éventuellement une fixation au passif, si elle justifie les avoir déclarées,

Mettre hors de cause la société [C] mandataires et associés et la société [10] administrateurs judiciaires, en raison de l'adoption du plan de redressement de la société [11] (GSE),

Condamner l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais à verser à la SARL [11] ([11]) la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais aux entiers frais et dépens.

Elle fait en substance valoir que :

En ce qui concerne la nullité des perquisitions du 17 octobre 2018 et des procès-verbaux de contrôle des 22 mai et 24 juin 2018 et sur la nullité de tous les actes subséquents.

L'absence de prestation de serment de deux personnes requises par les fonctionnaires de police lors des perquisitions entache les opérations de perquisition de nullité.

La présence de M. [T] [X] lors des contrôles des 22 mai et 24 juin 2018, en l'absence de réquisition des enquêteurs et en l'absence de prestation de serment par écrit de cette personne, entache de nullité les procès-verbaux de contrôle correspondants.

Au surplus, le contrôle du 22 mai 2018 et celui subséquent du 24 juin 2018 est d'autant plus entaché de nullité qu'il est intervenu après l'expiration de l'autorisation donnée pour un mois par le procureur de la République de Saint-Omer.

Enfin, les enquêteurs ont procédé à l'audition des salariés présents en violation des prescriptions de l'article 78-2-1 du code de procédure pénale et l'assentiment du représentant de la société [9] aurait dû être recueilli.

A titre subsidiaire, en ce qui concerne l'absence de travail dissimulé et le montant du redressement.

Toutes les heures accomplies par les salariés ont été payées.

Si par ignorance elle n'avait pas conclu d'accords collectifs à ce sujet, la situation est régularisée et aucune intention frauduleuse de sa part n'est établie.

Les heures de travail étaient mentionnées sur le compteur d'heures et étaient récupérées par les salariés, moyennant le paiement des heures non effectuées et le règlement des cotisations afférentes.

Les cotisations dues ne pourraient porter que sur les majorations d'heures supplémentaires à hauteur de 25% soit une somme de 13867,24 € et le montant des majorations de retard rectifié en conséquence à 5546,90 €.

En outre, elle ne peut être condamnée à payer une deuxième fois des cotisations puisqu'elle a déjà été condamnée à ce titre par le conseil de prud'hommes de Boulogne-sur-Mer

Par conclusions n° 1 reçues par le greffe le 28 mars 2024 et soutenues oralement par avocat, l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais demande à la cour de :

Confirmer le jugement dont appel,

Y ajoutant, ordonner l'inscription de la créance de l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais au passif du redressement judiciaire de la société [11] pour son montant de 154 569,00 €,

Débouter la société [11] de ses demandes,

Condamner la société [11] et la SELARL [C] mandataires et associés en sa qualité de mandataire judiciaire aux dépens.

Elle fait en substance valoir ce qui suit :

Sur le caractère infondé des demandes de nullité des actes d'enquête et des actes subséquents.

La société fait valoir diverses causes de nullité des actes d'enquêtes réalisés à la demande du ministère public.

La société estime que ces nullités entraînent la nullité de tous les actes subséquents, dont le procès-verbal de travail dissimulé du 27 novembre 2019 visé à la lettre d'observations.

La société en conclut que le redressement est nul.

L'argument sera écarté.

A la suite d'un contrôle réalisé en 2015 et d'une information reçue de l'administration des finances publiques relatant l'existence d'une dissimulation d'heures de travail, un procès-verbal de travail dissimulé a été transmis au procureur de la République faisant état de :

L'existence d'un compte bancaire occulte, n'apparaissant pas dans les grands livres de la société,

Une minoration des heures de travail à l'occasion des heures supplémentaires qui étaient payées, soit par chèque, soit en numéraire au moyen du compte bancaire occulte.

Il est vrai qu'à la suite de cette transmission, une enquête pénale a été diligentée qui a permis de caractériser les faits de travail dissimulé susvisés, ainsi qu'une pratique irrégulière de l'entreprise consistant à reporter et à moduler sur plusieurs mois les heures supplémentaires, en dehors de tout accord d'entreprise.

Les enquêteurs ont établi à partir des fiches de paye des récapitulatifs annuels par salarié du nombre d'heures supplémentaires dissimulées depuis janvier 2015.

C'est sur la base de ces éléments que l'inspecteur du recouvrement a chiffré le redressement en réintégrant dans l'assiette sociale la rémunération afférente au nombre d'heures supplémentaires éludées.

L'inspecteur du recouvrement a également appliqué la majoration de 40 % de l'article L. 243-7-7 et il a procédé à l'annulation des réductions et exonérations de cotisations en application de l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale.

La société sera déboutée de ses demandes de nullité.

Il n'appartient pas à la juridiction civile de statuer sur la régularité des actes de procédure pénale.

Le pôle social a parfaitement retenu que les procès-verbaux du 22 mai 2018 et du 24 juin 2018, qui ont été annulés par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer le 22 juillet 2021, concernent les infractions de prêt de main-d''uvre entre la société [11] et la société [9] et non l'infraction de travail dissimulé.

Le principe d'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil fait obstacle à ce que la juridiction civile annule les actes d'enquête alors que la juridiction pénale a définitivement condamné la société [11] du chef de travail dissimulé par dissimulation des heures supplémentaires sur la période contrôlée.

En effet, il ressort du jugement correctionnel que l'annulation des contrôles effectués les 22 mai 2018 et 24 juin 2018 n'a pas empêché la condamnation de la société du chef de travail dissimulé.

Dans ces conditions, la juridiction civile ne saurait, sans remettre en cause l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, retenir que l'annulation desdits procès-verbaux prive l'URSSAF de toute preuve du travail dissimulé.

Il en va de même s'agissant de la prétendue nullité des perquisitions.

Par ailleurs, il est faux de prétendre que le constat de travail dissimulé repose sur les seuls éléments obtenus à la suite des actes d'enquête litigieux, alors qu'il ressort du procès-verbal de synthèse en pièce adverse n°17 que beaucoup d'autres actes d'enquête ont été réalisés.

On rappellera en outre qu'en vertu de l'article L. 8771-2-2 les inspecteurs du recouvrement URSSAF sont compétents pour rechercher et constater les infractions de travail dissimulé.

Il ressort de la décision pénale que le délit de travail dissimulé fondant le redressement URSSAF est caractérisé en tous ses éléments.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute la société de ses demandes de nullité du redressement.

Sur le montant des demandes de l'URSSAF.

Le redressement est fondé pour les raisons reprises au jugement correctionnel, à la lettre d'observations et à la décision de la commission de recours amiable.

La société estime pour autant que le montant du redressement est erroné dès lors que les heures supplémentaires réintégrées dans l'assiette des cotisations ont été récupérées par les salariés. Elle précise que lors des récupérations, les salariés étaient payés de sorte que des cotisations ont été payées. La société estime que le redressement ne pourrait se limiter qu'à la part de majorations des heures supplémentaires.

Au soutien de cette demande, la société produit des attestations de salariés.

Le pôle social a jugé à juste titre que ces attestations n'étaient pas probantes dès lors que certains témoins sont encore sous un lien de subordination avec l'entreprise, tandis que les témoignages sont stéréotypés.

On ajoutera que les témoins indiquent que toutes les heures ont été payées ou récupérées, sans préciser les périodes concernées, de sorte que les témoignages sont inexploitables.

Au demeurant, en l'absence d'éléments comptables probants, l'URSSAF a eu recours à la procédure de taxation forfaitaire de l'article R. 243-59-4 du code de la sécurité sociale pour déterminer l'assiette des cotisations pour la période du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2018. L'organisme a multiplié le nombre d'heures supplémentaires non déclarées par le taux horaire de chaque salarié majoré de 25%.

Dans le cadre de cette procédure de taxation forfaitaire, l'employeur a le droit d'établir l'inexactitude et le caractère excessif de l'évaluation faite par l'organisme de recouvrement. Cette preuve n'est pas apportée par la société.

La société n'apporte aucun document corroborant de manière certaine que les heures mises au compteur de la société ont été soit payées, soit récupérées.

La société ajoute qu'il appartient à l'URSSAF de retrancher du redressement les sommes versées à trois salariés à la suite de condamnations en paiement des heures supplémentaires prononcées par le conseil de prud'hommes de Boulogne-sur-mer.

L'argument sera écarté.

La société ne démontre pas que les heures supplémentaires dont la condamnation au paiement a été ordonnée par la juridiction prud'homale sont les mêmes que celles retenues par l'URSSAF à partir des éléments de l'enquête pénale.

De fait, les montants accordés aux salariés ne correspondent pas aux montants retenus par l'URSSAF. Les jugements du conseil de prud'hommes ne visent pas les périodes à l'occasion desquelles un rappel d'heures supplémentaires a été accordé.

L'édition d'un bulletin de paie à la suite des jugements du conseil de prud'hommes, dont le caractère définitif n'est pas démontré, ne permet pas d'établir le paiement des cotisations à l'URSSAF.

La société se prévaut encore de documents présentés comme une proposition de chiffrage réalisée par son expert comptable (pièces adverses n°14, 15 et 16).

A nouveau, ces éléments déclaratifs, dont la source est douteuse, ne sont pas probants.

La société sera donc déboutée de ses demandes en révision du montant du redressement.

Le jugement dont appel sera confirmé en toutes ses dispositions, sauf à y ajouter l'inscription de la créance de l'URSSAF au passif du redressement judiciaire.

MOTIFS DE L'ARRET.

SUR LA DEMANDE DE MISE HORS DE CAUSE DES MANDATAIRES JUDICIAIRES DE LA SOCIETE [11].

Le jugement du 7 mars 2024 ayant, selon les affirmations non contestées de la société [11], adopté son plan de redressement et lui ayant nommé la SELARL [C] comme commissaire à l'exécution du plan tandis qu'il mettait fin à la mission de la SELAS [10], il convient de débouter la première de sa demande de mise hors de cause et d'ordonner la mise hors de cause de la seconde.

SUR LA DEMANDE EN NULLITE DES PERQUISITIONS DU 17 OCTOBRE 2018 ET DES PROCES VERBAUX DE CONTROLE DES 22 MAI ET 24 JUIN 2018 ET SUR LA DEMANDE AFFERENTE EN NULLITE DES ACTES SUBSEQUENTS ET NOTAMMENT DU PROCES VERBAL DU 27 NOVEMBRE 2019.

Les procès-verbaux de contrôle des 22 mai et 24 juin 2018 ont été annulés par le jugement du 22 juillet 2021 du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer ce que constate expressément la société appelante en page 10/18 de ses conclusions.

Il y a donc lieu de constater cette nullité des deux procès-verbaux de contrôle et non de statuer de ce chef.

S'agissant de la demande de nullité de la perquisition du 17 octobre 2018 il convient en premier lieu de rappeler les textes applicables, qui sont dans les débats :

L'article 60 du code de procédure pénale dispose que :

« S'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques qui ne peuvent être différés, l'officier de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées. Sauf lorsqu'elles sont inscrites sur une des listes prévues à l'article 157, les personnes ainsi appelées prêtent, par écrit, serment d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et leur conscience... ».

L'article 77-1 du même code prévoit par ailleurs :

« S'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier de police judiciaire, a recours à toutes personnes qualifiées. Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 60 sont applicables. »

Il résulte de ces textes que l'absence de prestation de serment des personnes assistant l'officier de police judiciaire ou requise par lui n'entraîne aucun grief dès lors qu'il ne résulte d'aucune pièce de la procédure que ces agents ont procédé à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, sur réquisition scientifiques, sur réquisition des officiers de police judiciaire chargés de l'exécution de la commission rogatoire" (en ce sens en matière d'application de l'article 60 précité Crim., 18 avril 2000 Bull no148).

En l'espèce, le procès-verbal de perquisition indique que l'officier de police judiciaire est assisté notamment par MM. [X] et [B], ce dont il résulte que l'officier de police judiciaire a eu recours à une personne qualifiée en ce qui concerne chacun d'eux.

Cependant, il ne résulte d'aucune pièce de la procédure que ces agents de l'URSSAF aient procédé à des constatations ou examens techniques.

Leur absence de prestation de serment ne peut donc avoir occasionné un quelconque grief à la société appelante, ce qui justifie le débouté de sa demande d'annulation du procès-verbal de perquisition litigieux.

Il appartient maintenant à la cour de déterminer les conséquences de la nullité des procès-verbaux de contrôle des 22 mai et 24 juin 2018.

En premier lieu, comme le fait remarquer l'URSSAF et comme l'a relevé à juste titre le tribunal, ces procès-verbaux concernent l'infraction de prêt de main-d''uvre entre la société [9] et la société [11] et n'ont donc a priori aucun rapport avec l'infraction de travail dissimulé donnant lieu aux poursuites de l'URSSAF.

Par ailleurs, le procès-verbal du 27 novembre 2019 dressé par les services de gendarmerie et qui fonde les poursuites de l'URSSAF n'est aucunement produit aux débats, privant ainsi de tout fondement l'affirmation de l'appelante selon laquelle les deux contrôles auraient été utilisés pour caractériser la totalité des infractions à l'encontre de M. [M] dans le cadre des questions globales qui lui ont été posées lors de sa garde à vue.

Faute de toute preuve de ce que les procès-verbaux annulés de contrôle des 22 mai et 24 juin 2018 seraient le soutien nécessaire d'actes subséquents, qui ne sont d'ailleurs pas identifiés, ainsi que du procès-verbal du 27 novembre 2019, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré rejetant les demandes de nullité des actes litigieux.

SUR LA CONTESTATION DU BIEN-FONDE DU REDRESSEMENT.

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction modifiée par l'article 73 de la loi n°2011-672 du 16 juin 2011 :

Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Il résulte de ce texte que s'il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur (en ce sens 2e Civ., 26 janvier 2023, pourvoi n° 21-14.049).

Par ailleurs, les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé (en ce sens 2e Civ., 7 avril 2022, pourvoi n° 20-18.284).

En l'espèce, il résulte des énonciations du jugement du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer du 22 juillet 2021 que la société [11] a été reconnue coupable par ce dernier du délit de travail dissimulé commis à l'égard de plusieurs personnes et condamnée pour ces faits à une amende délictuelle de 50 000 € dont 30 000 € avec sursis.

Pour entrer en voie de condamnation, le tribunal a retenu dans ses motifs, qui sont le soutien nécessaire du dispositif du jugement, que la société [11] avait fait volontairement effectuer par plusieurs de ses salariés des heures de travail supplémentaire non déclarées et payées par un compte occulte, caractérisant ainsi la soustraction de cette société aux obligations prévues au 2° et 3° de l'article L. 8221-5 précité du code du travail.

L'autorité de la chose jugée de ce jugement correctionnel établit l'existence du travail dissimulé fondant les poursuites de l'URSSAF, peu important que l'intention frauduleuse de l'appelant ne serait selon elle pas constituée.

Aux termes de l'article L. 242-1-2 dans sa rédaction applicable telle que modifiée par l'article 98 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 :

Pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale et par dérogation à l'article L. 242-1, les rémunérations qui ont été versées ou qui sont dues à un salarié en contrepartie d'un travail dissimulé au sens des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail sont, à défaut de preuve contraire, évaluées forfaitairement à six fois la rémunération mensuelle minimale définie à l'article L. 3232-3 du même code en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé ; Ces rémunérations sont soumises à l'article L. 242-1-1 du présent code et sont réputées avoir été versées au cours du mois où le délit de travail dissimulé est constaté ;

Les modalités de prise en compte de la rémunération forfaitaire prévue au premier alinéa en matière d'ouverture des droits et de calcul des ressources au titre des prestations servies par les organismes de sécurité sociale sont précisées par décret en Conseil d'Etat.

Il résulte de ce texte que pour faire obstacle à l'application de l'évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement, l'employeur doit apporter la preuve non seulement de la durée réelle d'emploi du travailleur dissimulé, mais encore du montant exact de la rémunération versée à ce dernier pendant cette période et qu'il appartient à l'employeur de produire lors des opérations de contrôle les éléments de preuve nécessaires à la détermination de l'assiette des cotisations litigieuses pour faire échec à l'évaluation forfaitaire des cotisations dues.

En l'espèce, l'URSSAF a procédé à la taxation forfaitaire des heures dissimulées par le recours au compteur occulte d'heures à récupérer et elle a maintenu cette taxation à la suite de la réponse de la société [11] à sa lettre d'observations.

La société [11] n'apporte aucune preuve que les heures supplémentaires mises à ce compteur occulte et faisant partie de la base de calcul du redressement aient été en tout ou partie payées ou récupérées.

Les attestations qu'elle produit sont en effet dépourvues de valeur probante suffisante pour être rédigées de manière pratiquement similaire, ce dont il résulte qu'elles ont manifestement été dictées ou recopiées, et pour émaner, pour une bonne partie d'entre elles, de personnes se trouvant toujours dans un lien de subordination avec la société.

Il n'est par ailleurs pas démontré par elle ni que les jugements de condamnation à des rappels d'heures supplémentaires qu'elle produit portent sur des heures supplémentaires faisant partie de l'assiette du redressement litigieux ni, au surplus, que les cotisations correspondant aux bulletins de salaire qu'elle produit en pièce n° 21 aient été réglées.

En outre, le moyen de la société [11] de contestation des majorations de redressement de 40% qui lui sont réclamées et tiré de l'absence d'intention de sa part manque en droit puisqu'il ne résulte aucunement de l'article L. 243-7-7 du code de la sécurité sociale que ce texte suppose la démonstration d'une quelconque intention frauduleuse du cotisant ou d'un quelconque élément intentionnel de sa part pour être appliqué.

Par ailleurs, la société ne conteste pas spécifiquement les majorations de retard auxquelles elle a été condamnée et ne fait valoir de ce chef aucun moyen.

Enfin, il n'est aucunement contesté par la société que l'URSSAF ait justifié d'une déclaration de créance régulière ce qui résulte d'ailleurs de sa pièce n° 10.

Au vu de tout ce qui précède, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré déboutant la société [11] de sa contestation du bien-fondé du redressement et en celles fixant la créance de l'URSSAF sur la société [11] à la somme de 154 569 €, soit 112 423 € au titre des cotisations, augmentée d'une majoration de redressement de 28 825 € et de majorations de retard de 13 321 €, sauf à dire que cette créance ne donne pas lieu à condamnation de la société mais doit être fixée à son redressement judiciaire.

SUR LES DEPENS ET LES FRAIS NON REPETIBLES.

La société [11] succombant en ses prétentions, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et aux frais non répétibles et, ajoutant au jugement, de la condamner aux dépens d'appel en la déboutant de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

Met hors de cause la société [10] administrateurs judiciaires et déboute la société [C] mandataires et associés de sa demande de mise hors de cause.

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à dire que la créance de l'URSSAF Nord-Pas-de-Calais sur la société [11] qui en résulte pour un montant total de 154 569 € ne donne pas lieu à condamnation de la société mais doit être fixée à son redressement judiciaire.

Et ajoutant au jugement,

Déboute la société [11] de sa demande au titre des frais irrépétibles et la condamne aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 22/03603
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;22.03603 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award