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24/06/2024 | FRANCE | N°22/02619

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 24 juin 2024, 22/02619


ARRET







S.A. [7]





C/



[Z]

[Z]

CPAM DE L'ARTOIS









COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE



ARRET DU 24 JUIN 2024



*************************************************************



N° RG 22/02619 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IOTU - N° registre 1ère instance : 20/00123



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (POLE SOCIAL) EN DATE DU 05 MAI 2022





PARTIES EN CAUSE :



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APPELANTE



S.A. [7]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 6]



Représentée et plaidant par Me Alexandre MAJOREL, avocat au barreau de PARIS, subs...

ARRET

S.A. [7]

C/

[Z]

[Z]

CPAM DE L'ARTOIS

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 24 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 22/02619 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IOTU - N° registre 1ère instance : 20/00123

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (POLE SOCIAL) EN DATE DU 05 MAI 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A. [7]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée et plaidant par Me Alexandre MAJOREL, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Julie DE OLIVEIRA de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

Madame [B] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Monsieur [C] [V] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentés et plaidant par Me Simon DUTHOIT de l'ASSOCIATION DUTHOIT ANDRE & SIMON, avocat au barreau de LILLE

CPAM DE L'ARTOIS

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et plaidant par Mme [I] [E], munie d'un pouvoir régulier

DEBATS :

A l'audience publique du 28 Mars 2024 devant M. Pascal HAMON, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Audrey VANHUSE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

M. Pascal HAMON en a rendu compte à la cour composée en outre de :

Mme Jocelyne RUBANTEL, président,

M. Pascal HAMON, président,

et Mme Véronique CORNILLE, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 24 Juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, président a signé la minute avec Mme Diane VIDECOQ-TYRAN, greffier.

*

* *

DECISION

M. [U] [S] [K], salarié de la société [7] (société [7]) en qualité de cadre d'exploitation depuis 2016, a été victime d'un accident mortel le 3 janvier 2017 sur le site de Pierrefite sur Seine. Il a été écrasé par une presse à balles papier en attente de réparation .

Par décision en date du 4 mai 2017, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois (la CPAM ou la caisse) a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Après échec de la procédure de conciliation, les ayants droit de la victime, Mme [B] [Z], sa concubine, et M. [C] [Z], son fils, ont saisi le tribunal judiciaire d'Arras, pôle social, aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur.

Par jugement en date du 5 mai 2022, le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras a :

- dit que l'accident mortel de M. [U] [S] [K] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [7],

- dit que les rentes servies par la CPAM de l'Artois en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale à Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] seront majorées au montant maximum,

- fixé l'indemnisation de Mme [B] [Z] au titre de son préjudice moral, en qualité de concubine de la victime à 30 000 euros,

- fixé l'indemnisation de M. [C] [Z] au titre de son préjudice moral, en qualité de fils de la victime décédée à 30 000 euros,

- fixé l'indemnisation complémentaire de M. [U] [S] [K] au titre des souffrances physiologiques et psychologiques ante-mortem à 10 000 euros,

- dit que cette somme sera versée à M. [C] [Z], en qualité d'héritier de M. [U] [S] [K],

- dit que la réparation des préjudices de Mme [B] [Z] et de M. [C] [Z] sera avancée par la CPAM de l'Artois,

- dit que la CPAM de l'Artois pourra recouvrer les sommes auprès de la société [7], qui est condamnée à la garantir des conséquences de sa faute inexcusable,

- condamné la société [7] à payer à Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision à hauteur des deux tiers des sommes allouées,

- condamné la société [7] aux dépens.

Cette décision a été notifiée à la société [7] le 17 mai 2022, qui en a relevé appel le 23 mai 2022.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 28 mars 2024.

Par conclusions parvenues au greffe le 26 juin 2023 et soutenues oralement à l'audience, la société [7] demande à la cour de :

- déclarer Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] mal fondés en leur appel incident,

- infirmer le jugement rendu le 5 mai 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras en toutes ses dispositions,

A titre principal,

- débouter Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à son encontre,

A titre subsidiaire,

- réduire à de plus justes proportions l'indemnisation des souffrances morales de Mme [B] [Z] et M. [C] [Z],

- débouter Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] de leur demande au titre des souffrances endurées par la victime,

- dire et juger que la CPAM de l'Artois devra faire l'avance des indemnisations le cas échéant allouées, qu'elles relèvent ou non du livre IV du code de la sécurité sociale,

- condamner solidairement Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les ayants droit en tous les dépens.

S'agissant de l'absence de faute inexcusable, elle indique que l'accident résulte du défaut de respect de la procédure de consignation (procédé qui consiste à ce qu'une personne coupe l'alimentation électrique de la presse, cadenasse l'armoire électrique et emporte la clé avec lui) que la victime connaissait pourtant.

Elle ajoute que le salarié bénéficiait d'une expérience de plus de vingt-cinq ans dans le traitement et la valorisation des déchets, qu'il avait bénéficié d'un accompagnement de plus de quatre mois lors de sa prise de fonction, qu'il avait signé les engagements sécurité correspondant à ses fonctions et qu'il s'est vu remettre deux fiches de postes proscrivant notamment de pénétrer dans quelque compartiment que ce soit suite à une anomalie et de ne pas essayer de réparer soit même.

M. [K] était titulaire de plusieurs CACES et habilitations, de plus un exemplaire du règlement intérieur lui a été remis, et les règles de sécurité étaient également affichées directement sur les presses.

La société [7] soutient en outre que M. [J], responsable de M. [K], avait interdit à ce dernier d'intervenir sur la presse juste avant le fait accidentel, ce qui n'a pas empêché le salarié d'utiliser une man'uvre contraire aux règles de sécurité applicables pour retirer le bourrage de papier sans avoir procédé à la consignation électrique de la presse auparavant, le tribunal correctionnel a d'ailleurs relevé le non-respect des consignes de sécurité par M. [K].

Selon la société, la machine était contrôlée régulièrement et que lors des contrôles réalisés après l'accident les mesures de sécurité fonctionnaient, de plus les conditions exactes de la survenance de l'accident ne sont pas établies, elles demeurent en effet incertaines et indéterminées, ce qui ressort de l'expertise diligentée le cadre de l'instance pénale devant le tribunal de grande instance de Bobigny.

D'autre part, si une intervention humaine a permis l'ouverture de la porte pour voir la machine fonctionner, elle était nécessairement imprévisible puisqu'aucune intervention ne devait être faite sur la machine en attente de la maintenance.

La société [7] expose que l'accès à l'armoire électrique de la presse hydraulique était sécurisé et limité, en outre lorsque l'armoire était ouverte, elle était nécessairement hors tension.

Elle soulève également que l'accident, objet du présent litige, est sans rapport avec l'accident mortel intervenu en 2004, dès lors que les causes de cet accident étaient connues et résultaient du shunt volontaire d'une sécurité à cause de problèmes d'humidité sur la machine, ce qui a engendré l'intégration de mesures de prévention claires dans les procédures et règles de sécurité, notamment la procédure de consignation électrique.

Au titre des conséquences de la faute inexcusable, la société [7] soutient qu'en l'absence de faute inexcusable, la demande de majoration de la rente doit être écartée. Elle ajoute que les sommes de 30 000 euros allouées au fils et à la concubine de M. [K] sont excessives en l'absence de preuve de circonstances exceptionnelles et que compte-tenu du caractère quasi instantané du décès, M. [K] n'a pas pu avoir conscience de l'imminence de sa mort comme le démontre l'autopsie qui précise « absence de lésion de prise, de défense et de maintien ».

Par conclusions parvenues au greffe le 26 mai 2023 et soutenues oralement à l'audience, Mme [B] [Z] et M. [C] [Z] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 5 mai 2022 par le pôle social près le tribunal judiciaire d'Arras en ce qu'il a :

- fixé l'indemnisation de M. [C] [Z], au titre de son préjudice moral, en qualité de fils de la victime décédée à 30 000 euros,

- fixé l'indemnisation complémentaire de [U] [S] [K] au titre des souffrances, physiologiques et psychologiques ante mortem à 10 000 euros,

- condamné la société [7] à payer à Mme [B] [Z] et à M. [C] [Z] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- fixer l'indemnisation de M. [C] [Z] au titre de son préjudice moral en qualité de fils de la victime à 40 000 euros,

- fixer l'indemnisation complémentaire d'[U] [S] [K] au titre des souffrances ante mortem à 12 000 euros,

- condamner la société [7] à payer à Mme [B] [Z] et à M. [C] [Z] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance outre les dépens de première instance,

- confirmer la décision attaquée pour le surplus,

- débouter la société [7] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,

- condamner la société [7] à payer à Mme [B] [Z] et à M. [C] [Z] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les dépens d'appel.

Ils soutiennent qu'une presse à balles papier est par nature dangereuse et que l'employeur a déjà eu à connaître d'un accident mortel le 10 novembre 2004 dans des circonstances proches de celles de l'accident objet du présent litige.

Le tribunal correctionnel avait relevé dans son jugement du 17 juin 2008 qu'il appartenait à l'employeur d'équiper la trappe de la machine de protecteurs complémentaires, ce qui n'a pas été fait.

Ils notent que plusieurs clés permettaient l'accès à l'armoire électrique, que l'une des vis de fixation du contact pouvait être desserrée manuellement et que des traces démontraient l'utilisation d'un outil pour actionner manuellement les contacteurs AG1 et AG2.

Les constats faits par l'expert judiciaire et par l'inspection du travail démontrent que des personnes ont pu procéder à des interventions directement au c'ur de l'armoire électrique qui est restée ouverte et ce, nonobstant l'interdiction théorique d'y accéder.

Mme et M. [Z] précisent également que le parquet a interjeté appel de la décision du tribunal correctionnel de Bobigny qui a prononcé la relaxe de la société [7] des faits de la prévention et que si une condamnation au pénal entraîne la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, l'inverse n'est pas vrai.

Au titre du caractère prétendument indéterminé des causes de l'accident, Mme et M. [Z] notent que sur les trois hypothèses émises par l'expert judiciaire sur les causes de l'accident, l'une a été écartée et une autre a été jugée peu probable. Ils ajoutent qu'il importe peu que la cause de l'accident soit déterminée avec une précision absolue dès lors que les conditions de la faute inexcusable sont réunies et que si l'anormalité d'une situation est établie, les circonstances de l'accident ne sont pas indéterminées.

Il n'est pas rapporté la preuve que M. [K] ait bénéficié d'un accompagnement de quatre mois lors de sa prise de fonction et la signature des procédures et règles de sécurité ainsi que des fiches de postes sont insuffisantes à démontrer que le salarié avait connaissance des règles de sécurité dès lors que le responsable direct de la victime a indiqué au service de police « je pense qu'il les connaissait » s'agissant des règles de sécurité.

Il sera notamment observé que la vis du système de protection était dévissable à la main et que l'accès à l'armoire électrique, qui était ouverte au moment du sinistre, n'était pas strictement encadré, ce qui a permis la neutralisation des contacteurs contrôlant la position fermée des portes et trappes d'accès aux zones dangereuses.

S'agissant des préjudices subis, les ayants droit de M. [K] rappellent que M. [Z] n'était âgé que de 16 ans au moment du décès de son père, provoquant un préjudice affectif important démontré par un certificat médical initial du 21 novembre 2019, et que Mme [Z] a quant à elle était en dépression et n'a pu reprendre son activité professionnelle qu'en mi-temps thérapeutique dans un premier temps avant de repasser à temps complet en nécessitant toutefois un suivi psychologique.

Ils soutiennent enfin que M. [K] avait sans aucun doute compris que la remise en marche de la presse allait causer sa mort et qu'il avait nécessairement eu conscience de la gravité de l'accident et de l'imminence de sa mort.

Par observations présentées oralement à l'audience, la CPAM sollicite le bénéfice de son action récursoire en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur, ou ceux qu'il s'est substitué dans la direction, avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Sur la conscience du danger

En l'espèce, M. [K] a été sectionné au niveau de l'abdomen par le bélier de compactage d'une presse alors qu'il se trouvait à l'intérieur pour tenter de réparer la machine qui présentait un dysfonctionnement suite à un bourrage papier.

Comme rappelé par les premiers juges, la presse hydraulique présente par définition un caractère intrinsèquement dangereux.

Il est d'ailleurs indiqué sur la machine, par le biais d'un autocollant jaune, qu'avant toute intervention sur la chaine de production, une consignation de l'armoire électrique était obligatoire.

En outre, l'employeur démontre avoir remis au salarié dans les suites de son embauche plusieurs documents rappelant cette procédure de consignation avant toute intervention sur la presse.

Enfin, le 10 novembre 2004, l'employeur a dû faire face à l'accident mortel de M. [R], également conducteur de presse, dans des circonstances semblables.

Il se déduit des protocoles de sécurité mis en place et de l'accident mortel de M. [R], une parfaite conscience du risque encourue par les conducteurs de presse de la société [7], ce que cette dernière ne conteste d'ailleurs pas.

*Sur l'absence de mesures prises par l'employeur

M. [O], expert désigné par le tribunal correctionnel de Bobigny, indique que : « le fait à l'origine de l'accident est très certainement une intervention directe et intempestive sur les contacteurs AG1 et AG2 avec, pour conséquence, une neutralisation de l'ensemble des contacts contrôlant la position fermée des portes et trappes d'accès aux zones dangereuses. L'hypothèse d'une intervention sur le contact contrôlant la position fermée de la trappe d'accès paraît très improbable. »

L'inspecteur du travail soulève quant à lui dans son procès-verbal du 11 mai 2018 « les différents constats concluent à une neutralisation intentionnelle de l'asservissement des portes d'accès aux zones dangereuses par intervention sur deux contacteurs dans l'armoire électrique de contrôle de la presse. »

L'employeur indique que compte tenu des différentes hypothèses émises par l'expert les causes de l'accident sont indéterminées et que sa faute inexcusable ne peut donc être retenue.

Toutefois, il apparaît clairement que les causes de l'accident résultent d'un shuntage des contacteurs AG1 et AG2 de l'armoire électrique, l'expert ayant qualifié de très peu probable la neutralisation du contact de la trappe de la presse, cette man'uvre nécessitant qu'un tiers ait eu le sang froid de revisser à la main suite à l'accident le contact à proximité immédiate du corps.

La seule réelle inconnue demeure toutefois le mode de marche de la machine au moment de l'accident, à savoir automatique ou manuelle.

L'expert émet toutefois des hypothèses dans ces deux cas :

- si la machine était en mode automatique, la présence de la victime dans la trappe a pu influer sur le signal photoélectrique provoquant la mise en marche avant du bélier ;

- si la machine était en mode manuel, c'est l'activation du bouton marche avant du bélier par un opérateur au niveau de l'armoire électrique qui a provoqué l'accident.

Cependant, que la machine ait été en mode automatique ou manuel, il est indéniable que l'accident trouve son origine dans la mise en marche du bélier de presse hydraulique par suite d'un shuntage des systèmes de sécurité existants, de sorte que la cause de la mise en marche du bélier de compression était bien déterminée.

L'employeur soulève que M. [K] avait été formé aux différentes règles de sécurité et qu'il bénéficiait d'une expérience non négligeable de plus de vingt ans dans le traitement des déchets tout en possédant plusieurs habilitations.

La cour constate cependant que, comme l'a rappelé le tribunal judiciaire, la signature de documents tels que des fiches de postes ou les engagements sécurité n'est pas de nature à justifier de la mise en 'uvre de mesures suffisantes pour protéger le salarié. En outre, lors de son audition dans le cadre de l'enquête de police, M. [J], supérieur de M. [K], indique qu'il pense que la victime connaissait les règles de sécurité.

La société [7] invoque également, pour s'exonérer, un comportement fautif de M. [K] en indiquant qu'il n'était pas habilité à toucher l'armoire électrique et que l'ordre lui avait été donné d'attendre le service de maintenance, toutefois la faute du salarié ou d'un tiers n'exerce aucune incidence sur la faute inexcusable de l'employeur.

Il appartenait en effet à l'employeur de limiter l'accès à l'armoire électrique dès lors que plusieurs des salariés de l'entreprise avaient connaissance de la possibilité de procéder au détournement des systèmes de sécurité censés empêcher le fonctionnement de la presse trappe ouverte comme le démontre l'audition de M. [P], salarié de la société [7], de M. [L], prestataire extérieure chargé de la maintenance, ou encore la simple possibilité de dévisser à la main le contact de la trappe d'accès à la presse.

L'accident mortel du 10 novembre 2004 faisait d'ailleurs également suite à un shuntage des systèmes de sécurité par le personnel.

Cette habitude de procéder au contournement des systèmes de sécurité dans un contexte de dysfonctionnement fréquent des presses est également démontrée par les marques figurant sur les contacteurs AG1 et AG2 de l'armoire électrique, marques ne relevant pas d'une utilisation normale de l'appareil mais d'une action manuelle au moyen d'outil pour contrecarrer l'ensemble des sécurités gérées par ces contacteurs.

Ce shuntage fréquent des contacteurs a également été facilité par l'accès à l'armoire électrique, il ressort en effet du procès-verbal de retranscription des images de vidéosurveillances par les services de police que les portes de l'armoire électrique étaient restées ouvertes et que plusieurs personnes s'y sont afférées avant l'accident et pour cause aucune habilitation n'était nécessaire pour accéder à l'armoire électrique selon M. [J].

En outre, la clé permettant d'accéder à l'armoire de commande était accessible dans le local du responsable , étant précisé qu'il s'agissait du même modèle de clé que celles de coupure d'arrêt d'urgence.

Il appartenait à la société [7], d'une part, de limiter l'accès à l'armoire électrique et, d'autre part, d'empêcher toute man'uvre visant à shunter les contacteurs de l'armoire pour contourner les sécurités. Enfin, les jeux de clés n'étaient pas suffisamment différenciés et sécurisés pour neutraliser les accès de la machine.

Il apparaît clairement que les mesures prises à l'issue de l'accident du travail du 10 novembre 2004 se sont révélées insuffisantes pour sécuriser de manière absolue l'accès à la machine en cas de dysfonctionnement de celle-ci.

La simple information sur le mode opératoire à respecter en cas de dysfonctionnement de la presse hydraulique apparaît dès lors insuffisante pour préserver la santé des salariés.

La faute inexcusable de la société [7] est dès lors établie.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur la majoration de la rente

C'est à juste raison, au regard des dispositions de l'article L. 452-1, L. 452-2, L. 434-7 et L. 434-8 du code de la sécurité sociale, que les premiers juges ont ordonné la majoration de la rente servie à Mme [Z] et à M. [Z] suite à l'accident mortel de leur concubin et père.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'évaluation des préjudices

S'agissant des préjudices moraux subis par Mme [B] [Z] et M. [C] [Z], le tribunal a tenu compte des éléments qui sont les mêmes que ceux soumis à notre cour et qui justifient de confirmer les sommes de 30 000 euros allouées à chacun des plaignants.

Enfin, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué la somme de 10 000 euros au titre des souffrances endurées par M. [U] [K] lors de la remise en route de la presse hydraulique aucun élément du dossier ne justifiant la modification de la somme allouée.

Sur l'avance par la caisse et la récupération des sommes avancées

C'est à juste titre que le tribunal judiciaire a jugé que la CPAM de l'Artois assurera l'avance des indemnisations allouées et de la majoration de rente et qu'elle pourra poursuivre le recouvrement de ces sommes à l'encontre de la société [7] sur le fondement des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La société [7], qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

Sur les frais irrépétibles

Mme et M. [Z] sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société [7] à leur payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Toutefois, la cour considère que les premiers juges ont fait une bonne appréciation de l'équité de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

La société [7] sera condamnée à payer à Mme et M. [Z] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel et débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par sa mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ,

Confirme les montants fixés de l'article 700 en première instance,

Condamne la société [7] aux dépens,

Condamne la société [7] à payer à Mme et M. [Z] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Déboute la société [7] de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 22/02619
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.02619 ?
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