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21/06/2024 | FRANCE | N°23/01679

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Tarification, 21 juin 2024, 23/01679


ARRET







Société [8]





C/





CARSAT Hauts-de-France













COUR D'APPEL D'AMIENS



TARIFICATION





ARRET DU 21 JUIN 2024



*************************************************************



N° RG 23/01679 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXNY







PARTIES EN CAUSE :





DEMANDERESSE





Société [8]

agissant poursuites et diligences de ses représenta

nts légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]





Représentée à l'audience par Me Olympe Turpin de la SELARL LX Amiens-Douai, substituant Me Hélène Camier de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d'Amiens



Représentée et plaidant à l'audience par Me H...

ARRET

Société [8]

C/

CARSAT Hauts-de-France

COUR D'APPEL D'AMIENS

TARIFICATION

ARRET DU 21 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/01679 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXNY

PARTIES EN CAUSE :

DEMANDERESSE

Société [8]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée à l'audience par Me Olympe Turpin de la SELARL LX Amiens-Douai, substituant Me Hélène Camier de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d'Amiens

Représentée et plaidant à l'audience par Me Huertas, avocat au barreau de Lille, substituant Me Christine Caron-Debailleul de la SELAS Fidal, avocat au barreau de Lille

ET :

DÉFENDERESSE

CARSAT Hauts-de-France

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée à l'audience par M. [Z] [Y], muni d'un pouvoir

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 mars 2024, devant M. Renaud Deloffre, président assisté de M. Louis-Noël Guerra et Mme Brigitte Denamps, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.

M. Renaud Deloffre a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 21 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Audrey Vanhuse

PRONONCÉ :

Le 21 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Renaud Deloffre, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.

*

* *

DECISION

Monsieur [O] [S] a été salarié de la société [8] de 1988 à 1996.

Il a établi en date du 12 octobre 2020 une demande de reconnaissance de l'origine professionnelle d'un « adénocarcinome bronchique ».

La CPAM de la Nièvre a reconnu l'origine professionnelle de cette maladie liée à l'amiante.

La CARSAT Hauts-de-France indique avoir imputé sur le compte employeur 2020 de l'établissement de la société [8] (SIRET : [N° SIREN/SIRET 3]) un coût moyen d'incapacité temporaire de catégorie 1.

Elle a également imputé sur le compte employeur 2022 de l'établissement de la société [8] (SIRET : [N° SIREN/SIRET 3]) un coût moyen d'incapacité permanente de catégorie 4. 

Le 9 janvier 2023, la société [8] a contesté l'imputation à son compte employeur du coût moyen d'incapacité permanente.

Le 2 février 2023, la CARSAT Hauts-de-France a rejeté ce recours gracieux.

Par assignation délivrée à la CARSAT Hauts-de-France le 31 mars 2023 pour l'audience du 17 novembre 2023, la SA [8] demande à la cour de :

- déclarer mal fondée et ne pouvant produire d'effet la décision en date du 2 février 2023 de la CARSAT des Hauts-de-France, rejetant le recours gracieux de la société [8] relatif à la contestation de l'imputation sur son compte employeur de la maladie professionnelle du 24 avril 2020 de Monsieur [O] [S],

En conséquence,

- juger que le recours gracieux du 9 janvier 2023 de la société [8] n'était pas tardif,

- constater que Monsieur [O] [S] n'a pas été exposé au risque lors de son activité pour le compte de la société [8] ;

- ordonner à la CARSAT des Hauts-de-France de retirer du compte employeur de la société [8] les conséquences financières de la reconnaissance de la maladie professionnelle de Monsieur [O] [S];

- ordonner à la CARSAT des Hauts-de-France de réviser le taux de cotisation de la société [8] en conséquence ;

- condamner la CARSAT des Hauts-de-France à payer à la société [8] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la CARSAT des Hauts-de-France aux entiers dépens.

A l'audience du 17 novembre 2023, la cause a fait l'objet d'un renvoi à celle du 15 mars 2024 lors de laquelle elle a été plaidée.

A cette audience, la société [8] a soutenu ses conclusions reçues par le greffe le 4 mars 2024 et au terme desquelles elle demande à la cour de :

- constater que Monsieur [O] [S] n'a pas été exposé au risque lors de son activité pour le compte de la société [8] ;

- ordonner à la CARSAT des Hauts-de-France de retirer du compte employeur de la société [8] les conséquences financières de la reconnaissance de la maladie professionnelle de Monsieur [O] [S];

- ordonner à la CARSAT des Hauts-de-France de réviser le taux de cotisation de la société [8] en conséquence ;

- condamner la CARSAT des Hauts-de-France à payer à la société [8] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la CARSAT des Hauts-de-France aux entiers dépens.

Elle fait pour l'essentiel valoir que :

En ce qui concerne la forclusion qui lui est opposée au titre de la contestation de son taux 2022.

Pour rappel, la société [8] découvrait, sur son compte employeur courant (donc provisoire), que la pathologie de Monsieur [S] avait été imputée sur son compte employeur au titre de l'exercice 2022.

Pièce n°1 : Extrait du compte employeur de la société [8]

La société [8] contestait cette imputation en introduisant un recours gracieux devant la CARSAT.

Pièce n°3 : Contestation de la société [8]

Contre toute attente, la CARSAT notifiait un rejet du recours de la concluante en précisant que le délai de contestation était dépassé !

Pièce n°4 : Courrier de refus de la CARSAT des Hauts-de-France

D'une part, dans la mesure où le sinistre a été imputé sur le compte employeur de la société [8] au titre de l'exercice 2022, il sera comptabilisé sur les années N+2, N+3 et N+4, soit 2024, 2025 et 2026.

Dès lors, c'est à tort que la CARSAT a opposé la forclusion.

D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation précitée que l'employeur est en droit de contester l'imputation des conséquences d'une maladie professionnelle à son compte employeur sans que puisse lui être opposée la forclusion de la contestation du dernier taux de cotisation notifié et sans qu'il ait à attendre la notification des taux à venir.

Dans le cadre des dernières écritures de la CARSAT, malgré un laborieux débat sur les règles entourant les délais de prescription des contestations relatives aux imputations des sinistres sur le compte employeur, la Caisse admet que la contestation de la société [8] est recevable, au vu des incidences pour les taux ultérieurs.

Dès lors, la Cour jugera que la demande de la société [8] n'est pas forclose.

En ce qui concerne l'absence d'exposition au risque du salarié à son service.

Monsieur [O] [S] n'a travaillé au sein de la société [8] que du 02 avril 1990 au 11 avril 1994 en qualité de technicien, soit pendant quatre années.

La société [8] fabrique des éléments de rayonnage, elle n'a jamais eu vocation à recourir à l'amiante dans son processus de fabrication.

Aucun élément ne permet de retenir une quelconque exposition à l'amiante lors de l'activité de Monsieur [S] au sein de la société [8].

En effet, Monsieur [S] était technicien, plus précisément électrotechnicien, et non pas responsable de maintenance comme l'indique le salarié dans sa déclaration de maladie professionnelle.

Pièce n°5 : Bulletin de paie de Monsieur [S]

Il avait la charge de veiller au bon fonctionnement des machines-outils permettant de fabriquer les produits commercialisés par la société [8], c'est-à dire des éléments de rayonnage.

En effet, la requérante est spécialisée dans la fabrication de rayonnages pour les professionnels et propose des solutions d'aménagement sur mesure pour optimiser les espaces de travail et de stockage.

L'amiante n'était présent ni sur les machines-outils (presse-plieuses, poinçonneuses...) ni sur les produits, qui sont 100% métalliques !

De plus, Monsieur [S] n'était pas responsable de la maintenance, mais électrotechnicien, il n'avait aucune qualification en bâtiment et n'était pas chargé d'intervenir sur les bâtiments, uniquement sur les machines-outils.

La requérante s'interroge sur donc les raisons qui ont pu conduire la CARSAT et la CPAM de la Nièvre de décider d'imputer le sinistre de Monsieur [S] sur le compte employeur de la société [8].

D'autant que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Nièvre a confirmé l'absence d'exposition de Monsieur [O] [S] au sein de la société [8].

Pièce n°2 : Décision de rejet du 7 juin 2023 de la Commission de Recours Amiable

Ainsi, la Commission de Recours Amiable a indiqué dans sa décision en date du 7 juin 2023, que l'enquête administrative avait permis d'établir que Monsieur [S] avait notamment :

« Manipulé de l'amiante ou des matériaux en contenant de 1972 à 1976 au sein de la société [9] lors de déplacement dans des faux plafonds ;

Manipulé du calorifugeage lors de réparation de 1976 à 1988 au sein de la société [6] et de 1997 à 2009 au sein de son dernier employeur, la société [7];

Effectué des travaux d'entretien, de réparation ou de maintenance sur des matériaux floqués ou calorifugés de 1976 à 1988 au sein de la société [6] et de 1997 à 2009 au sein de la société [7];

Manipulé des garnitures d'isolation pour de la plomberie, du chauffage, de la réparation automobile, pour l'isolation de gaines .... De 1972 à 2009 durant l'ensemble de sa carrière ».

Il apparaît clairement que la CARSAT aurait dû imputer sur le compte employeur de la société [7], qui est sans conteste le dernier employeur exposant, à défaut inscrire les conséquences financières de la pathologie de Monsieur [S] au compte spécial, conformément aux articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale relatif à la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Par conclusions enregistrées par le greffe à la date du 16 novembre 2023 et soutenues oralement par son représentant, la CARSAT Hauts-de-France demande à la cour de :

In limine litis,

- Juger que la société [8] n'est pas recevable à contester son taux de cotisation de l'année 2022.

Sur le fond

- Débouter la société [8] de sa demande tendant au retrait de sa tarification de la maladie professionnelle de Monsieur [S]

Et par conséquent :

- Rejeter le recours formé par la société [8].

Elle fait en substance valoir que :

Le taux 2022 de l'établissement de la demanderesse est forclos car il a été notifié le 10 janvier 2022 tandis que le recours gracieux est en date du 9 janvier 2023.

Le salarié a été exposé chez la demanderesse car il a travaillé chez elle de 1988 à 1996 comme responsable de maintenance et il résulte d'une brochure de 2007 de l'INRS que la population salariée potentiellement exposée à l'amiante dans les activités d'entretien et de maintenance est estimée entre 1 à 2 missions de personnes.

En outre, la société n'apporte aucun élément venant contredire les déclarations du salarié et ce en violation de son obligation de prévention des risques.

MOTIFS DE L'ARRET.

SUR L'ORDRE D'EXAMEN DES PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES.

Aux termes de l'article 53 du code de procédure civile la demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l'initiative d'un procès en soumettant au juge ses prétentions.

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

On rappellera que sans attendre la notification des taux applicables au risque d'accident du travail ou de maladie professionnelle, l'employeur est en droit de contester l'imputation des conséquences d'une maladie professionnelle à son compte employeur (2e Civ., 13 janvier 2011, pourvoi n° 10-13.975) et que les demandes d'inscription au compte spécial et de retrait de coûts du compte employeur relèvent de la compétence exclusive du juge de la tarification même avant notification du taux de cotisation (2e Civ 28 septembre 2023 pourvoi n° 21-25.719 Publié au Bulletin).

La demande de retrait d'un coût du compte employeur et la demande d'inscription au compte spécial peuvent donc être formées indépendamment et de manière parfaitement distinctes de la contestation des taux et ce n'est que lorsque les trois taux de cotisation dans la base de calcul entrent un coût sont forclos que le recours portant sur le coût ou sur la demande de son inscription au compte spécial est lui-même forclos (en ce sens, semble-t-il, 2e Civ., 7 avril 2022, pourvoi n° 20-18.310 qui pose en toute hypothèse la distinction entre la contestation du coût, qui peut être engagée sans qu'il y ait pour l'employeur à attendre la notification des taux à venir, et la contestation des taux).

Le juge de la tarification étant saisi par l'employeur, il s'ensuit qu'il lui appartient d'examiner en premier lieu la demande de retrait d'un coût ou la demande d'inscription de ce coût au compte spécial, sauf dans l'hypothèse où la CARSAT opposerait au demandeur la forclusion de son recours pour non-respect du délai de recours contentieux dirigé contre une décision de la CARSAT sur son recours gracieux ou la forclusion de sa demande pour le motif tiré du caractère définitif des trois taux impactés par le coût litigieux.

Il appartient dans ces cas de figure et uniquement dans ces cas de figure à la juridiction de la tarification d'examiner la fin de non-recevoir présentée par l'organisme tirée de la forclusion du recours ou de la forclusion du ou des coûts avant d'examiner, dans un second temps, le bien-fondé de la demande portant sur le coût, si cette fin de non-recevoir est rejetée.

Il s'ensuit que, sauf dans l'hypothèse dans laquelle la CARSAT entend faire valoir la forclusion du recours pour tardiveté de la saisine de la cour soit la forclusion de la contestation du coût à raison à raison du caractère définitif des trois taux impactés par ce coût, il appartient au juge de la tarification d'examiner en premier lieu la demande de retrait du coût ou la demande de son inscription au compte spécial et d'y statuer.

Une fois rendue sa décision sur le coût ou sur son inscription au compte spécial, la juridiction de la tarification doit statuer ensuite sur la demande accessoire de l'employeur en rectification des taux impactés, si elle est saisie d'une telle demande sauf à statuer préalablement sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion qui serait opposée par l'organisme à l'employeur .

Il appartient donc en l'espèce à la cour de statuer en premier lieu sur la demande de retrait des coûts litigieux du compte employeur de la société [8] puis, avant de statuer sur la contestation de ce taux, de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la CARSAT à la contestation du taux 2022.

SUR LA DEMANDE DE RETRAIT DES COUTS LITIGIEUX.

Il résulte de l'article 2, 4°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995 pris pour l'application de l'article D. 242-6-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, que la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque avant sa constatation médicale sauf à cet employeur à rapporter la preuve dans les conditions prévues à l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995, que la victime a également été exposée au risque chez d'autres employeurs (2e Civ., 22 novembre 2005, pourvoi n° 04-11.447, Bull. Civ., II, no 302 ; 2e Civ., 23 octobre 2008, pourvoi n° 07-18.986; Civ.2ème, 8 octobre 2009, pourvoi n°08-19.273 Civ. 2ème, 21 juin 2012, pourvoi no 11-17.824; 2e Civ. 3 juin 2021, pourvoi n° 19-24.864; 2e Civ, 23 septembre 2021, pourvoi n° 20-15.724 ; 2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi no 20-13.690, publié/ et très récemment les arrêts du 1er décembre 2022 sur pourvois n° 21-11.252 n° 21-12.523, n° 21-14.779).

Il résulte de ces textes et de l'article D.242-6-17 du code de la sécurité sociale qu'un employeur autre que le dernier employeur exposant peut également se voir imputer la présomption précitée et mettre à sa charge les coûts correspondant s'il est le successeur de ce dernier au sens tarifaire lorsqu'il exerce une activité similaire avec les mêmes moyens de production et a repris au moins la moitié du personnel du précédent établissement (dans le sens que l'établissement exposant et son successeur au sens tarifaire du terme ne sont pas des établissements différents  Civ., 18 juin 2015, pourvoi n° 14-17.154 et, dans le même sens, 2e Civ., 10 mars 2016, pourvoi n° 15-14.156 et dans le sens que lorsqu'une ou à fortiori plusieurs des trois conditions cumulatives liée à la reprise de l'activité, des moyens de production et de la moitié au moins du personnel ne sont pas remplies l'établissement ne peut être considéré comme successeur de celui à l'origine du risque 2e Civ., 24 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.389, Bull. 2013, II, n° 13).

C'est sur le fondement de cette présomption d'imputabilité au dernier employeur exposant ou à son successeur au sens tarifaire prévue par les textes précités et sous le contrôle du juge de la tarification que les CARSAT et la CRAMIF inscrivent les coûts des maladies professionnelles aux comptes des employeurs.

Il convient de bien distinguer les deux problématiques tout à fait distinctes des conditions d'application de la présomption, qui suppose que l'employeur soit le dernier employeur ayant exposé le salarié au risque avant la constatation médicale de la maladie ou qu'il soit le successeur de ce dernier employeur , de la preuve contraire à cette dernière, qui suppose lorsqu'est invoqué le 4° de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 que la multi-exposition du salarié soit établie et qu'il soit impossible de déterminer dans quelle entreprise l'affection a été contractée (posant très clairement cette distinction les arrêts du 1er décembre 2022 sur pourvois n° 21-11.252 n° 21-12.523, n° 21-14.779 indiquant que « sans préjudice d'une demande d'inscription au compte spécial, l'employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n'a pas été exposée au risque à son service »). 

L'employeur peut, comme tel est le cas en l'espèce, contester devant le juge l'application même qui lui est faite de la présomption légale en contestant que ses conditions d'application soient remplies.

Il peut également, sans contester que la présomption lui soit applicable, tenter d'en renverser les effets en établissant qu'il est fondé à obtenir l'inscription des coûts litigieux au compte spécial.

Il peut également à la fois contester l'application qui lui est faite de la présomption et s'attacher à y apporter la preuve contraire.

Par ailleurs, les règles de droit substantiel concernant les conditions d'application de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 doivent s'articuler avec les charges processuelles résultant des articles 6 et 9 du code de procédure civile dont il résulte qu'il appartient à l'auteur d'une prétention d'alléguer les faits concluants propres à la fonder puis de les prouver (sur la charge de l'allégation et de la preuve qui constituent les charges processuelles et qui, selon ces auteurs « déterminent le plaideur qui perdra le procès si l'édifice de fait apparaît comme insuffisant » Messieurs [K] et [V] [X] au Dalloz Action droit et pratique de la procédure civile n° 321-101 et 321-82 et suivants édition 2021-2022), sauf à réserver l'hypothèse où la loi fait supporter tout ou partie de la preuve au défendeur à l'action.

Ainsi, s'il résulte des article 6 et 9 du code de procédure civile et 1315 devenu 1356 du code civil qu'en matière de tarification la charge de l'allégation et de la preuve incombe en principe au demandeur, il résulte par exception de ces textes qu'il appartient à l'organisme tarificateur, lorsque l'employeur conteste que la présomption d'imputabilité au dernier employeur ayant exposé le salarié au risque lui soit applicable, de prouver l'existence de cette exposition fondant l'imputation des coûts litigieux au compte de l'employeur (en ce sens les arrêts du 1er décembre 2022 sur pourvois n° 21-11.252 n° 21-12.523, n° 21-14.779 décidant que « sans préjudice d'une demande d'inscription au compte spécial, l'employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n'a pas été exposée au risque à son service. En cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci ») tandis que l'employeur doit pour sa part, si la caisse rapporte la preuve de l'exposition, alléguer et prouver les faits autres que l'absence d'exposition de nature à faire obstacle à l'application qui lui est faite de la présomption d'imputabilité (notamment l'absence de statut de dernier exposant de l'employeur impacté et, en cas d'imputation des coûts à l'employeur en sa qualité de successeur de l'établissement exposant, le caractère d'établissement nouveau de l'établissement impacté) et que lorsque l'employeur prétend apporter la preuve contraire à la présomption d'imputabilité en sollicitant l'inscription des coûts litigieux au compte spécial, il appartient également à la caisse d'établir l'exposition du salarié chez l'employeur demandeur lorsque l'absence d'une telle exposition constitue une des conditions d'application de la règle (en ce sens l'arrêt du 1er décembre 2022 sur pourvoi 20-22.760 publié indiquant que lorsque l'employeur demande l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à une maladie professionnelle, en application de l'article 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, il appartient à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, qui a inscrit ces dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque de la maladie dans l'un de ses établissements et que dans le cas où cette preuve n'a pas été rapportée, il incombe à l'employeur de prouver que la maladie a été contractée soit dans une autre entreprise qui a disparu, soit dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de sécurité sociale), à charge pour l'employeur, sous peine de rejet de sa demande, d'alléguer et de prouver les autres conditions posées à l'inscription du ou des coûts au compte spécial.

S'agissant de faits juridiques dans les rapports entre l'employeur en cause et la CARSAT, la preuve impartie à chacune des parties peut être apportée par tous moyens.

Les déclarations du salarié peuvent être retenues à titre d'éléments de preuve mais à condition d'être corroborées par d'autres éléments du débat et notamment des présomptions graves précises et concordantes en application de l'article 1383 du code civil (en ce sens s'agissant d'accidents du travail 2e Civ., 16 septembre 2010, pourvoi n° 09-15.672 2e Civ., 18 novembre 2010, pourvoi n° 09-17.276; 2e Civ., 28 novembre 2013, pourvoi n° 12-26.372 ;2e Civ., 28 mai 2014, pourvoi n° 13-16.968 et en ce sens s'agissant d'une maladie professionnelle 2e Civ., 23 septembre 2021, pourvoi n° 20-15.724).

En l'espèce, la CARSAT Hauts-de-France a inscrit les coûts litigieux sur le compte de la société [8] en sa qualité de dernier employeur exposant du salarié.

Il convient à titre liminaire, pour déterminer quels sont les coûts litigieux, de rappeler qu'il résulte de l'article 4 du code de procédure civile que l'allégation non contestée est tenue pour vrai et que le juge n'a pas à vérifier l'exactitude d'un fait allégué s'il n'est pas contesté (en ce sens parmi de multiples arrêts intervenus le plus souvent au visa de l'article 4 du code de procédure civile Com., 10 octobre 2000, pourvoi n° 98-11.455 ; Com., 9 juillet 2004, pourvoi n° 02-17.107 ; Civ. 2e, 14 décembre 2000, pourvoi n° 99-15.628 ; Soc., 18 janvier 2012, pourvoi n°10-13.572 / et a contrario dans le sens qu'un fait contesté ne peut être considéré comme constant et au visa de l'article 4 précité : 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 14-29.642 ; 2e Civ., 9 mars 2017, pourvoi n° 15-23.267 ; 2e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 16-22.641 ; Soc., 14 juin 2016, pourvoi n° 14-29.293/ sur cette question du fait constant on peut se reporter à l'article « La théorie du fait constant » de [J], JCP 1999, I, 178 et au Dalloz Action «  Droit et Pratique de la procédure civile » édition 2021/2022 n°321-93 p 1061 et la doctrine et la jurisprudence citées sur ce point en notes 1 et 2).

Or, la CARSAT a affirmé sans être contestée qu'elle avait inscrit sur le compte employeur un coût d'incapacité temporaire de catégorie 1 impactant la tarification à partir de 2022 ce dont il résulte qu'elle affirme de manière implicite mais certaine que ce coût a été inscrit par elle sur le compte 2020 de l'établissement de la demanderesse.

N'étant nullement contestée cette affirmation doit être considérée comme établie ce dont il résulte que lorsqu'elle demande à la cour de retirer de son compte employeur les conséquences financières de la reconnaissance de la maladie professionnelle de Monsieur [O] [S], la société [8] sollicite le retrait non seulement du coût d'incapacité permanente de catégorie 4 inscrit sur le compte 2022 de son établissement mais également le coût d'incapacité temporaire de catégorie 1 inscrit sur le compte 2020 de ce dernier.

Cette remarque préliminaire étant faite, il convient de déterminer si la CARSAT, comme la charge de la preuve lui en incombe, apporte la preuve que la demanderesse a exposé au risque Monsieur [S].

Il convient en premier lieu de relever que si Monsieur [S] fait figurer la société [8] dans les employeurs l'ayant exposé au risque dans la rubrique correspondante de sa déclaration de maladie professionnelle, il n'est aucunement justifié par la CARSAT des conditions exactes de travail de ce salarié et encore moins d'éléments extrinsèques à ses déclarations insuffisamment précises.

Le rapport d'enquête de la caisse et notamment le questionnaire du salarié ou ses déclarations à l'enquêteur ne sont pas produites aux débats et ces derniers ne comportent donc pas la moindre description des fonctions du salarié et encore moins des éléments permettant de caractériser son exposition au risque.

Le seul fait que Monsieur [S] ait déclaré avoir travaillé en qualité de responsable maintenance, qui est d'ailleurs contesté par la demanderesse qui soutient qu'il était électronicien en invoquant ses bulletins de salaire, tandis que le seul fait que les personnes ayant travaillé dans la maintenance industrielle aient été, selon l'étude invoquée par la CARSAT, exposées potentiellement à l'amiante ne peuvent suppléer l'absence aux débats de tous éléments objectifs permettant de déterminer les conditions exactes de travail de l'intéressé et donc son éventuelle exposition au risque.

A défaut de la moindre preuve des conditions de travail de l'intéressé et de son exposition prétendue au risque, il convient de dire que la CARSAT ne justifie pas du bien fondé de l'imputation des coûts litigieux et d'ordonner leur retrait.

SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR OPPOSEE PAR LA CARSAT A LA CONTESTATION PAR LA SOCIETE [8] DE SON TAUX DE COTISATIONS 2022.

Aux termes de l'article R143-21, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale en vigueur jusqu'au 31 décembre 2018, de l'article R.142-13-2 applicable à partir du 1er janvier 2019 et jusqu'au 30 décembre 2019 et de l'article R.142-1A applicable à partir du 1er janvier 2020, le recours de l'employeur contre la décision fixant le taux brut de ses cotisations AT/MP doit être introduit dans les deux mois suivant la réception de la notification de cette décision et qu'il résulte de ce texte que passé ce délai le taux de cotisation devient définitif et ne peut plus faire l'objet d'un recours.

Il résulte de ces textes que la régularité de la notification suppose qu'elle soit intervenue selon le mode qu'ils prévoient (en ce sens 2e Civ., 20 juin 2019, pourvoi n° 18-17.971 cassant un arrêt d'appel pour ne pas avoir recherché si la décision de refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, fût-elle conservatoire, avait été notifiée par la caisse selon les modalités et dans les délais prévus par le texte) et qu'il appartient à l'organisme qui se prévaut de la forclusion d'établir la date de la réception de la notification du taux (par exemple Soc., 30 novembre 2000, pourvoi n° 99-13.618 / et dans le sens qu'il appartient à celui qui soutient qu'un recours est irrecevable comme tardif de rapporter la preuve de l'inobservation des délais dans lesquels ce recours devait être exercé 2e Civ., 4 février 2010, pourvoi n° 08-20.852).

Les modalités de notification des décisions relatives au taux de cotisations et au classement des établissements ont été totalement modifiées par le décret n° 2020-1232 du 8 octobre 2020 généralisant la dématérialisation des notifications des décisions relatives au taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles et au classement des risques dans les différentes catégories et par l'arrêté du 8 octobre 2020 fixant les modalités de la notification électronique des décisions mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 24 décembre 2019 et qui a remplacé les dispositions de l'article 5 de l'arrêté du 17 octobre 1995 par de nouvelles dispositions, le nouveau dispositif se substituant donc à celui qui était prévu par cet article 5 alors que l'arrêté du 30 décembre 2019 précité qui avait modifié l'article 5 prévoyait quant à lui un régime dérogatoire pour les entreprises de plus de 149 salariés.

Ces nouveaux textes prévoient un dispositif applicable aux entreprises d'un effectif au moins égal à 10 salariés à compter du 1er janvier 2021 et à compter du 1er janvier 2022 à l'ensemble des entreprises.

Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 24 décembre 2019 , après la réalisation des démarches nécessaires à la mise à disposition des décisions, celles-ci sont réputées notifiées à leur date de consultation et au plus tard dans un délai de quinze jours suivant leur mise à disposition.

Il résulte plus précisément de l'arrêté du 8 octobre 2020 fixant les modalités de la notification électronique des décisions mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale que la notification des décisions relatives au taux de cotisations et au classement des établissements s'effectue par voie électronique par l'intermédiaire du téléservice : 'Compte AT/MP' accessible sur le portail : www.net-entreprises.fr, sous réserve que l'employeur ait procédé à son adhésion au téléservice : 'Compte AT/MP', que la caisse adresse à l'adresse électronique de l'employeur, que ce dernier maintient à jour, un avis de dépôt l'informant qu'une décision est mise à sa disposition et qu'il a la possibilité d'en prendre connaissance et que cet avis mentionne la date de mise à disposition de la décision, les coordonnées de l'organisme auteur de la décision et informe l'employeur qu'à défaut de consultation de la décision dans un délai de quinze jours à compter de sa mise à disposition, cette dernière est réputée notifiée à la date de sa mise à disposition.

En application de ces textes, lorsque la décision a été consultée pour la première fois plus de quinze jours à compter de sa mise à disposition, c'est à la date de réception du courriel de mise à disposition, à laquelle la décision est réputée notifiée, que court le délai de recours tandis que lorsque la décision a été consultée pour la première fois avant l'expiration du délai de quinze jours, qu'elle soit intervenue ou non dans le cadre du dispositif de l'avis de mise à disposition, c'est à la date de cette consultation effective que court le délai de recours contentieux (en ce sens l'avis de la Cour de Cassation du 5 octobre 2023 n° 15012 B).

En l'espèce, la caisse a produit une « preuve de notification de la décision de cotisation prévue à l'article D.242-6-22 du code de la sécurité sociale dans les conditions requises par l'article 5 de l'arrêté du 17 octobre 1995 » faisant apparaître la notification de la décision du taux 2022 à Monsieur [H] [C] le 10 janvier 2022.

Cette notification est manifestement intervenue en dehors du cadre de l'avis de mise à disposition puisque cette personne habilitée n'a reçu cet avis que le 11 janvier 2022.

La société [8], ayant compris par erreur que la CARSAT lui opposait la forclusion de la contestation des coûts litigieux, ne s'explique aucunement sur la fin de non-recevoir qui lui est opposée par la CARSAT en ce qui concerne son taux de cotisations 2022.

Elle ne conteste donc nullement ni le justificatif produit par la CARSAT de notification du taux à la date du 11 janvier 2022 ni le fait qu'elle n'ait saisi la CARSAT d'un recours gracieux qu'en date du 9 janvier 2023 ( étant d'ailleurs relevé que ce recours ne porte aucunement sur un taux mais uniquement sur le coût d'incapacité permanente litigieux et ne peut donc de toute évidence avoir interrompu la forclusion du taux 2022).

Il convient donc de déclarer que la contestation par la demanderesse de son taux 2022 est atteinte de forclusion et qu'elle est donc irrecevable.

SUR LA CONTESTATION PAR LA DEMANDERESSE DES TAUX 2021, 2023 ET 2024 DE SON ETABLISSEMENT.

Le retrait du coût d'incapacité temporaire 1 inscrit sur le compte employeur 2020 de l'établissement de la société [8] (SIRET : [N° SIREN/SIRET 3]) et du coût d'incapacité permanente de catégorie 4 inscrit sur ce compte au titre de l'année 2022 ayant été ordonné et ces coûts ne faisant donc plus partie pour le premier de la base de calcul des taux 2023 et 2024 et pour le second de la base de calcul du taux 2024 (et des suivants), il convient d'ordonner le recalcul des taux 2023 et 2024 de l'établissement de la demanderesse et, s'il y a lieu aux termes de ce recalcul, la rectification de ces taux.

SUR LES DEPENS ET LES FRAIS NON REPETIBLES.

Les parties succombant toutes partiellement en leurs prétentions respectives, il convient de dire que chacune conservera la charge de ceux qu'elle a exposés et de débouter la société demanderesse de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS.

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

Ordonne le retrait du coût d'incapacité temporaire 1 inscrit sur le compte employeur 2020 de la section 1 de l'établissement de la société [8] portant le numéro de SIRET : [N° SIREN/SIRET 3] et du coût d'incapacité permanente de catégorie 4 inscrit sur ce compte au titre de l'année 2022.

Ordonne le recalcul par la CARSAT des taux 2023 et 2024 de cet établissement et, s'il y a lieu aux termes de ce recalcul, leur rectification .

Déclare irrecevable pour cause de forclusion la contestation par la société [8] du taux 2022 de son établissement précité.

Déboute la société [8] de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Tarification
Numéro d'arrêt : 23/01679
Date de la décision : 21/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-21;23.01679 ?
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