DÉCISION
N° 08
COUR D'APPEL D'AMIENS
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT
STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION
DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 20 JUIN 2024
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A l'audience publique du 16 Avril 2024 tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnances de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023 et du 25 janvier 2024 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,
Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière,
Dans la cause enregistrée sous le N° RG 23/03944 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I34U du rôle général.
Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.
ENTRE :
Monsieur [P] [B]
né le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 6] (ROUMANIE)
[Adresse 4]
[Localité 1]
Comparant en personne
ET :
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Ministère du budget, direction des affaires juridiques
Sous Direction du droit privé
Bureau 2A,
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté et plaidant par Me Christelle VANDENDRIESSCHE, avocat au barreau d'AMIENS.
EN PRÉSENCE DE :
Mme Fanny SIALI, Substitute générale près la Cour d'Appel d'AMIENS.
Après avoir entendu :
- Monsieur [P] [B] en sa requête et ses observations,
- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,
- Madame la substitute générale en ses conclusions et observations,
- M. [P] [B] ayant eu la parole le dernier.
L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 20 Juin 2024.
A l'audience publique du 20 Juin 2024, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :
Mis en examen du chef de viols en réunion, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Laon, M. [P] [B] a été placé en détention provisoire le 11 juin 2018. Il a été remis en liberté le 5 décembre 2019 et a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 15 avril 2021 par le magistrat instructeur.
Par requête en date du 23 septembre 2023, M. [P] [B] sollicite l'indemnisation de son incarcération.
Il expose avoir subi des conséquences lourdes et néfastes au niveau personnel, familial, physique, psychologique, social, psychiatrique et professionnel, se manifestant par une dépression sévère, un repli sur lui-même, des troubles du sommeil, des cauchemars et le regard de la société. Il indique avoir eu l'impression que sa vie s'est arrêtée et subir des souffrances éternelles et gravées dans sa mémoire.
Par conclusions en date du 18 décembre 2023, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à l'irrecevabilité de la requête formée plus de six mois après l'ordonnance et sans qu'il soit justifié du caractère définitif du non-lieu, subsidiairement fait valoir que l'intéressé ne chiffre pas la demande d'indemnisation des 524 jours correspondant à sa période d'incarcération et à titre infiniment subsidiaire offre une indemnisation de 34 000 euros en réparation du préjudice moral.
Par conclusions en date du 2 février 2024, la procureure générale a conclu à l'irrecevabilité et à titre subsidiaire à l'admission de la requête dans les limites proposées par l'agent judiciaire de l'Etat.
M. [B] a confirmé à l'audience n'avoir reçu aucune réponse du juge d'instruction avant sa lettre du 27 avril 2023 lui indiquant que son ordonnance de non-lieu signifie qu'il est considéré comme innocent et sa lettre du 12 avril 2023 lui joignant une copie de l'ordonnance de non-lieu du 15 avril 2021 lui rappelant cependant que cette décision lui a été notifiée par lettre recommandée avec avis de réception le 15 avril 2021. Il a confirmé les termes de son courrier réceptionné par la cour le 29 janvier 2024 par lequel il accepte la somme de 34 000 euros.
L'affaire a été évoquée à l'audience du 16 avril 2024 de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.
CECI EXPOSE
1. Sur la recevabilité :
L'article 149 du code de procédure pénale dispose : ' Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.
Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3.'
En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.
Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.
Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.
Mis en examen du chef de viol en réunion par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Laon, M. [P] [B] a été placé en détention provisoire le 11 juin 2018. Il a été remis en liberté le 5 décembre 2019 et a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 15 avril 2021par le magistrat instructeur.
Il ne ressort pas des éléments du dossier que M. [B] a été informé lors de la notification de l'ordonnance de non-lieu du 15 avril 2021 de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 premier alinéa du code de procédure pénale, qui précisent notamment que la requête aux fins d'indemnisation doit parvenir au greffe dans le délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision est devenue définitive.
A défaut de mention de cette information, le délai de six mois n'a pas commencé à courir. Le contenu des deux courriers du juge d'instruction en date des 12 et 27 avril 2023 permettent de retenir que cette ordonnance est au surplus définitive.
Sa requête formée par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 25 septembre 2023 est donc recevable.
2. Sur l'indemnisation de son préjudice moral :
Il convient de constater que M. [B] accepte l'offre d'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 34 000 euros.
Cette somme lui sera en conséquence allouée en application de l'article 149 de code de procédure pénale précité.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,
Déclare la requête de M. [P] [B] recevable ;
Alloue à M. [P] [B] la somme de 34 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023 siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 20 Juin 2024, assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière.
La Greffière, La Présidente,