DÉCISION
N° 05
COUR D'APPEL D'AMIENS
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT
STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION
DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 20 JUIN 2024
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A l'audience publique du 16 Avril 2024 tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023 et du 25 janvier 2024 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,
Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière,
Dans la cause enregistrée sous le N° RG 23/03177 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2NB du rôle général.
Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.
ENTRE :
Monsieur [C] [L]
né le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté et plaidant par Me Ghislain FAY, avocat au barreau d'AMIENS
ET :
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Ministère du budget, direction des affaires juridiques
Sous Direction du droit privé
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représenté et plaidant par Me Christelle VANDENDRIESSCHE, avocat au barreau d'Amiens.
EN PRÉSENCE DE :
Mme Fanny SIALI, Substitute générale près la Cour d'Appel d'AMIENS.
Après avoir entendu :
- le Conseil du demandeur en ses requête, plaidoirie et observations,
- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,
- Madame la substitute générale en ses conclusions et observations,
- le Conseil du demandeur ayant eu la parole le dernier.
L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 20 Juin 2024.
A l'audience publique du 20 Juin 2024, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :
Mis en examen du chef d'arrestation, enlèvement et séquestration par le juge d'instruction du tribunal judiciaire d'Amiens, M. [C] [L] a été placé en détention provisoire le 17 décembre 2020. Il a été remis en liberté le 30 avril 2021. Il a été relaxé des fins de la poursuite par le tribunal correctionnel d'Amiens par jugement du 7 février 2023. Cette décision est définitive.
Par requête en date du 21 juillet 2023, M. [C] [L] sollicite la somme de 4 814,90 euros au titre de son préjudice matériel (revenus non perçus), 40 000 euros au titre de son préjudice moral, 10 000 euros au titre de la perte de chance liée au stage interrompu et 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il expose qu'il n'a pas pu travailler le temps de son incarcération, qu'il n'a pas pu suivre une formation programmée avant l'incarcération et ainsi a perdu une chance de progresser professionnellement dans l'activité qui était la sienne à cette période et qu'il venait de se marier.
Par conclusions en date du 6 octobre 2023, l'agent judiciaire de l'Etat conclut que la période d'incarcération concernée est de 135 jours, période pour laquelle le préjudice moral subi sera évalué à 10 000 euros. Il demande à la commission de débouter M. [C] [L] de sa demande de préjudice économique, son contrat de travail ayant pris fin le 15 décembre 2020, soit deux jours avant son incarcération, et les pièces produites relatives à une formation ne comportant pas son nom en sorte que la perte de chance invoquée n'est pas justifiée, de lui allouer la somme de 3 000 euros au titre de frais engagés pour la procédure telle que résultant de la facture produite.
Par conclusions en date du 16 octobre 2023, la procureure générale a conclu à l'admission de la requête dans les limites proposées par l'agent judiciaire de l'Etat.
L'affaire a été évoquée à l'audience du 16 avril 2024 de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.
CECI EXPOSÉ
1. Sur la recevabilité :
L'article 149 du code de procédure pénale dispose : ' Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.
Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3.'
En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.
Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.
Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.
M. [C] [L] a été placé en détention provisoire le 17 décembre 2020, remis en liberté le 30 avril 2021 et a bénéficié d'une relaxe suivant jugement du tribunal correctionnel d'Amiens du 7 février 2023. Cette décision est définitive, un certificat de non recours ayant été établi par le greffier du tribunal judiciaire d'Amiens le 2 mars 2023.
Sa requête formée par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 21 juillet 2023 est donc recevable.
2. Sur l'indemnisation du préjudice matériel :
S'il est constant que le coût correspondant aux frais de défense engagés dans le cadre de la détention provisoire constitue un préjudice matériel susceptible d'être indemnisé, seules les prestations qui sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la liberté peuvent être prises en compte.
Par ailleurs en application de l'article 12 du décret n° 2205-790 du 12 juillet 2005,un compte détaillé d'honoraires doit être délivré par l'avocat à la demande de son client.
La perte de revenus n'est pas démontrée, le contrat à durée déterminée d'insertion ayant pris fin le 15 décembre 2020, soit antérieurement à l'incarcération.
Il n'est pas davantage démontré que l'intéressé n'a pas pu suivre une formation, les documents produits ne comportant pas son nom, comme le révèle justement l'agent judiciaire du Trésor, et aucune pièce ne justifiant qu'il a suivi cette formation qualifiante qui a débuté en septembre 2020.
Il y a lieu donc lieu de le débouter de ses demandes.
3. Sur l'indemnisation de son préjudice moral :
Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.
Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéressé et peut être minoré lorsque le l'intéressé avait déjà connu la prison auparavant.
En l'espèce M. [C] [L] avait déjà été incarcéré auparavant comme le révèle son casier judiciaire, la peine de 2 ans et 6 mois d'emprisonnement dont 1 an avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pour infractions à la législation sur les stupéfiants prononcée par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Amiens le 6 février 2019 ayant été exécutée (mandat de dépôt du 28 septembre 2018) . Il justifie s'être marié le [Date mariage 2] 2020, soit quelques mois avant son incarcération.
Au regard de ces différents éléments et notamment de la durée de 138 jours de la privation de liberté subie, il convient de lui accorder la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi au titre de cette détention.
4. Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué au requérant la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,
Déclare la requête de M. [C] [L] recevable,
Alloue à M. [C] [L] les sommes de :
- 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes formées au titre du préjudice matériel ;
Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnances de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023 et du 25 janvier 2024, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 20 Juin 2024, assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière,
La Greffière, La Présidente,