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20/06/2024 | FRANCE | N°23/02983

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Cidp, 20 juin 2024, 23/02983


DÉCISION



N° 03



















COUR D'APPEL D'AMIENS



JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 20 JUIN 2024



*********************************************************************



A l'audience publique du 16 Avril 2024 tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnances de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 2

1 décembre 2023 et du 25 janvier 2024 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,



Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière,



Dans la ca...

DÉCISION

N° 03

COUR D'APPEL D'AMIENS

JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 20 JUIN 2024

*********************************************************************

A l'audience publique du 16 Avril 2024 tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnances de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023 et du 25 janvier 2024 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,

Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière,

Dans la cause enregistrée sous le N° RG 23/02983 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2AW du rôle général.

Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.

ENTRE :

Monsieur [R] [P], ayant pour curateur l'association tutélaire de l'Aisne, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 4])

né le [Date naissance 2] 1983 à [Localité 7]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représenté et plaidant par Me Caroline LETISSIER de la SCP MATHIEU-DEJAS-LOIZEAUX-LETISSIER, avocat au barreau de LAON

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/001599 du 30/08/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d' AMIENS)

ET :

Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère du budget, direction des affaires juridiques

Sous Direction du droit privé

Bureau 2A,

TELEDOC 353

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté et plaidant par Me Christelle VANDENDRIESSCHE, avocat au barreau d'AMIENS.

EN PRÉSENCE DE :

Mme Fanny SIALI, Substitute générale près la Cour d'Appel d'AMIENS.

Après avoir entendu :

- le Conseil du demandeur en ses requête, plaidoirie et observations,

- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,

- Madame la substitute générale en ses conclusions et observations,

- le Conseil du demandeur ayant eu la parole le dernier.

L'affaire a été mise en délibéré conformément à la loi et renvoyée à l'audience publique du 20 Juin 2024.

A l'audience publique du 20 Juin 2024, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :

Mis en examen du chef de viol en récidive légale, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Laon, M. [R] [P] a été placé en détention provisoire le 1er février 2017. Il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 29 janvier 2019 et a bénéficié d'un acquittement prononcé par la cour d'assises de l'Aisne par arrêt du 27 janvier 2023. Cette décision est définitive.

Durant cette période d'incarcération ont été mises à exécution plusieurs peines ainsi la durée de détention subie du chef de la procédure d'information ayant abouti à l'acquittement est de 429 jours.

Par requête en date du 5 juillet 2023, M. [R] [P] sollicite la somme de 100 000 euros au titre de son préjudice moral.

Il expose, qu'après avoir reconnu dans un premier temps les faits, il s'est rétracté.

S'agissant du préjudice moral, il expose que les conditions de son incarcération ont été particulièrement difficiles en raison du de son statut de majeur protégé, qu'il a tenté de mettre fin à ses jours et qu'il a été injustement détenu durant deux années.

Par conclusions en date du 29 septembre 2023, l'agent judiciaire de l'Etat conclut au sursis à statuer dans l'attente de la production du certificat de non recours et subsidiairement demande qu'il soit constaté que la période d'incarcération concernée est de 429 jours pour laquelle le préjudice moral subi sera évalué à 29 000 euros.

Il relève que l'intéressé a exécuté quatre peines durant la période de détention provisoire, réduisant le temps de détention provisoire de 728 jours à 429 jours, soit :

- du 9 mars au 25 avril 2017 : 2 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 11 mars 2016 du tribunal correctionnel de Soissons pour non justification de son adresse par une personne enregistrée dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles (réduction de peine de 14 jours),

- du 25 avril au 18 juillet 2017 : 4 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 9 mai 2016 du tribunal correctionnel de Soissons pour vol en réunion et vols aggravés (réduction de peine de 38 jours),

- du 26 juin au 22 octobre 2018 : 6 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 10 juillet 2014 du tribunal correctionnel de Soissons pour violence commise en réunion et agression sexuelle sur mineur de plus de 15 ans (réduction de peine de 35 jours),

- du 22 octobre au 8 décembre 2018 : 2 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 8 septembre 2014 du tribunal correctionnel de Soissons pour vol aggravé (réduction de peine de 14 jours).

Il indique que le choc carcéral ne peut être ignoré, de même que la souffrance morale qui l'a conduit à tenter de mettre fin à ses jours.,

Par conclusions en date du 16 octobre 2023, la procureure générale a conclu au rejet de la demande faute de production du certificat de non recours, soutient que la période d'incarcération doit être rectifiée et s'en rapporte sur le montant alloué au titre de l'indemnisation.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 16 avril 2024 de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.

CECI EXPOSE

1.Sur la recevabilité :

L'article 149 du code de procédure pénale dispose : ' Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.

Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3.'

En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.

Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.

Mis en examen du chef de viol en récidive, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Laon, M. [R] [P] a été placé en détention provisoire le 1er février 2017, a été remis en liberté le 29 janvier 2019 et a bénéficié d'un acquittement le 27 janvier 2023 au bénéfice du doute. Cette décision est définitive, un certificat de non recours ayant été établi le 6 décembre 2023.

La lecture de sa fiche pénale permet de constater que M. [R] [P], durant cette période de détention provisoire du 1er février 2017 au 29 janvier 2019, a été détenu pour autre cause :

- du 9 mars au 25 avril 2017 : 2 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 11 mars 2016 du tribunal correctionnel de Soissons pour non justification de son adresse par une personne enregistrée dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles (réduction de peine de 14 jours),

- du 25 avril au 18 juillet 2017 : 4 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 9 mai 2016 du tribunal correctionnel de Soissons pour vol en réunion et vols aggravés (réduction de peine de 38 jours),

- du 26 juin au 22 octobre 2018 : 6 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 10 juillet 2014 du tribunal correctionnel de Soissons pour violence commise en réunion et agression sexuelle sur mineur de plus de 15 ans (réduction de peine de 35 jours),

- du 22 octobre au 8 décembre 2018: 2 mois d'emprisonnement prononcés par jugement du 8 septembre 2014 du tribunal correctionnel de Soissons pour vol aggravé (réduction de peine de 14 jours).

Le conseil de M. [P] et son curateur indique être en accord avec une période de 429 jours à indemniser.

Sa requête formée par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 5 juillet 2023 est donc recevable.

2. Sur l'indemnisation de son préjudice moral :

Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.

Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéressé et peut être minoré lorsque le l'intéressé avait déjà connu la prison auparavant.

Néanmoins le choc psychologique enduré en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont elle se savait innocente n'est pas amoindri par des incarcérations antérieures à l'occasion de procédures correctionnelles.

En l'espèce M. [R] [P] qui avait déjà été incarcéré auparavant au moins à deux reprises, a été mis en examen pour viol en récidive, qu'il a reconnu les faits. Néanmoins, l'existence d'un choc carcéral, sa déficience intellectuelle importante qui a généré chez lui un sentiment de culpabilité et qui a provoqué une tentative d'autolyse, doivent être prises en considération.

Au regard de ces différents éléments et notamment de la durée de 429 jours de la privation de liberté subie, il convient de lui accorder la somme de 29 000 euros en réparation du préjudice moral subi au titre de cette détention.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,

Déclare la requête de M. [R] [P] recevable ;

Alloue à M. [R] [P] la somme de 29 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 20 Juin 2024, assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière,

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Cidp
Numéro d'arrêt : 23/02983
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.02983 ?
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