La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2024 | FRANCE | N°23/02634

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Cidp, 20 juin 2024, 23/02634


DÉCISION



N° 01



















COUR D'APPEL D'AMIENS



JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 20 JUIN 2024



*********************************************************************



A l'audience publique du 16 Avril 2024 tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désigné epar ordonnances de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 2

1 décembre 2023 et du 25 jenvier 2024 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,



Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière



Dans la cau...

DÉCISION

N° 01

COUR D'APPEL D'AMIENS

JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 20 JUIN 2024

*********************************************************************

A l'audience publique du 16 Avril 2024 tenue par Madame Graziella HAUDUIN, Présidente désigné epar ordonnances de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023 et du 25 jenvier 2024 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,

Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière

Dans la cause enregistrée sous le N° RG 23/02634 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IZLK du rôle général.

Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.

ENTRE :

Madame [G] [T]

née le [Date naissance 1] 1998 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Comparante

assistée et plaidant par Me Célia ZAPPACOSTA substituant Me Frédéric BEAUFILS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS

ET :

Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère du budget, direction des affaires juridiques

Sous Direction du droit privé

Bureau 2A,

[Adresse 6]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté et plaidant par Me Marion MANGOT, avocat au barreau d'Amiens.

EN PRÉSENCE DE :

Mme Fanny SIALI, Substitute générale près la Cour d'Appel d'AMIENS.

Après avoir entendu :

- le Conseil du demandeur en ses requête, plaidoirie et observations,

- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,

- Madame la substitute générale en ses conclusions et observations,

- le Conseil du demandeur et le demandeur ayant eu la parole en3 dernier.

L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 20 Juin 2024.

A l'audience publique du 20 Juin 2024, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :

Mise en examen du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Soissons, Mme [G] [T] a été placée en détention provisoire le 20 septembre 2019 et mise en liberté par la chambre de l'instruction le 13 décembre 2019. Elle a, à compter du 11 octobre 2019, exécuté une peine prononcée par le tribunal judiciaire de Paris de 6 mois d'emprisonnement. Par jugement du 9 janvier 2023, le tribunal correctionnel de Soissons l'a relaxée des faits de transport et détention non autorisés de stupéfiants et l'a condamnée pour usage de stupéfiants à la peine de 120 jours amendes à 8 euros. Cette décision est définitive.

Par requête en date du 12 juin 2023, Mme [G] [T] sollicite la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice matériel, 10 000 euros au titre de son préjudice moral, 3 600 euros au titre des frais d'avocat liés à la détention et 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose avoir subi un choc carcéral en l'absence d'antécédent d'incarcération, qu'elle avait 21 ans, qu'elle a d'ailleurs fait l'objet d'un suivi psychologique et d'un traitement médical lors de la détention et reste encore marquée par celle-ci, qu'elle a souffert de l'éloignement d'avec sa mère avec qui elle entretient une relation fusionnelle.

S'agissant du préjudice matériel, elle expose avoir entamé avant son incarcération des études d'infirmière en 2018, n'avoir pas validé sa première année mais avoir eu l'intention de se réinscrire, n'avoir pu le faire avant son incarcération le 20 septembre 2019, qu'elle a ainsi perdu une année et par voie de conséquence la chance d'être diplômée dès juillet 2022. Elle fait valoir aussi qu'elle avait une promesse d'embauche à compter du 1er octobre 2019 pour une durée de 6 mois (25 heures par semaine) qu'elle n'a pu honorer.

Enfin, elle indique justifier des frais d'avocat à hauteur de 3 600 euros engagés pour sa détention.

Par conclusions en date du 21 juillet 2023, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à l'irrecevabilité de la requête au motif que Mme [T] a été condamnée par le tribunal correctionnel pour le délit d'usage illicite de stupéfiants, que la détention provisoire était légalement possible pour une durée de 4 mois et que la détention provisoire n'a duré que 21 jours. Subsidiairement, il demande que le préjudice moral subi soit évalué à 5 670 euros. Il invoque le caractère contradictoire des demandes formées au titre du préjudice matériel puisqu'elle sollicite à la fois la perte de chance de suivre une année d'études et aussi de ne pas pouvoir travailler. Il fait valoir que les études d'infirmière ne sont pas compatibles avec un emploi salarié. Il fait observer qu'elle avait la possibilité avant son incarcération de faire procéder à son inscription dans l'école d'infirmières et subsidiairement offre 400 euros. Il s'oppose à l'indemnisation des frais d'avocat à défaut de facture et demande de réduire la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions en date du 18 septembre 2023, la procureure générale s'est associée aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 16 avril 2024 de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.

CECI EXPOSÉ

1.Sur la recevabilité :

L'article 149 du code de procédure pénale dispose : ' Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.

Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3. '

En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.

Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.

D'une part si la durée de la détention provisoire effectuée par le requérant est supérieure à celle encourue au titre de l'infraction pour laquelle il a été condamné, la commission accueille la demande pour la partie de la détention qui excède la durée compatible avec l'infraction qui a justifié la condamnation. D'autre part, si la durée de la détention provisoire effectuée par le requérant est inférieure ou égale à la durée maximale de la détention provisoire prévue pour l'infraction ayant donné lieu à la condamnation, la personne n'a pas droit à réparation.

En l'espèce, Mme [T] a été relaxée des délits de transport et détention de produits stupéfiants pour lesquels elle a été mise en examen, mais condamnée pour le délit d'usage de ces produits. Le délit d'usage de produits stupéfiants étant sanctionné par une peine d'emprisonnement maximale d'un an, il résulte de l'article L.143-1 du code de procédure pénale que la détention provisoire ne pouvait être ordonnée.

Il ressort des pièces du dossier, notamment de la fiche pénale et du casier judiciaire, que Mme [G] [T] a été placée sous le régime de la détention provisoire durant 21 jours seulement, son incarcération à compter du 11 octobre étant en rapport avec la mise à exécution d'une peine prononcée le 24 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Paris pour des faits de transport, détention, offre ou cession, acquisition non autorisés de stupéfiants, soit 10 mois dont 4 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve durant 2 ans.

Sa requête formée par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens 14 juin 2023 est donc recevable.

2. Sur l'indemnisation du préjudice matériel :

S'il est constant que le coût correspondant aux frais de défense engagés dans le cadre de la détention provisoire constitue un préjudice matériel susceptible d'être indemnisé, seules les prestations qui sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la liberté peuvent être prises en compte.

Par ailleurs en application de l'article 12 du décret n° 2205-790 du 12 juillet 2005,un compte détaillé d'honoraires doit être délivré par l'avocat à la demande de son client.

La facture versée au débat atteste d'honoraires à hauteur de 3 600 euros

Il ressort des pièces versées par la requérante que son absence d'inscription à l'école d'infirmière pour effectuer une deuxième première année d'études relève de sa propre carence. En effet, alors qu'elle avait un rendez-vous le 3 juillet 2019, elle ne l'a pas honoré et n'en a sollicité un autre que par courriel du 29 août suivant ; que l'école étant alors fermée jusqu'au 25 août, il lui a été indiqué par réponse automatique que son message sera lu le 2 septembre mais qu'elle pourrait contacter le secrétariat de l'école dès le 26 août 2019. Il n'est pas justifié qu'elle a effectué une quelconque démarche avant son incarcération le 20 septembre 2019. Sa demande d'indemnisation au titre de la perte de chance d'être inscrite pour l'année 2019-2020 sera donc rejetée.

Ensuite, si la poursuite d'études n'est pas en elle-même incompatible avec l'exécution d'un contrat de travail à temps partiel et que l'intéressée n'a pu se présenter chez son employeur le 1er octobre 2019 puisqu'elle était incarcérée depuis le 20 septembre précédent, son préjudice est limité à la période du 1er octobre au 9 octobre durant laquelle elle était en détention provisoire. L'offre subsidiaire de l'agent judiciaire de l'Etat à hauteur de 400 euros doit être considérée comme suffisante à l'indemniser

Il convient donc d'allouer à Mme [G] [T] la somme totale de 4 000 euros au titre du préjudice matériel et de la débouter du surplus de sa demande.

3. Sur l'indemnisation de son préjudice moral :

Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.

Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéressé et peut être minoré lorsque l'intéressé avait déjà connu la prison auparavant.

Néanmoins le choc psychologique enduré en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont elle se savait innocente n'est pas amoindri par des incarcérations antérieures à l'occasion de procédures correctionnelles.

La période d'incarcération indemnisable de Mme [G] [T] est limitée à 21 jours.

Sa qualité de primo-incarcérée et son âge (20 ans) au moment de l'incarcération sont des éléments à prendre en considération.

Il s'ensuit qu'il lui sera accordé la somme de 5 670 euros en réparation du préjudice moral subi au titre de cette détention.

4. Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,

Déclare la requête de Mme [G] [T] recevable ;

Alloue à Mme [G] [T] les sommes de :

- 5 670 euros en réparation de son préjudice moral,

- 4 000 euros en réparation de son préjudice matériel

- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame graziella HAUDUIN, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 21 décembre 2023, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 20 Juin 2024, assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffière.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Cidp
Numéro d'arrêt : 23/02634
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.02634 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award