La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/06/2024 | FRANCE | N°22/05448

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 17 juin 2024, 22/05448


ARRET







S.A.S. [10]





C/



[S]

Etablissement CPAM DE [Localité 11] AFFAIRES JURIDIQUES













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 17 JUIN 2024



*************************************************************



N° RG 22/05448 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUCW - N° registre 1ère instance : 20/00471



Jugement du tribunal judiciaire de beauvais en date du 17 novembre 2022

<

br>


PARTIES EN CAUSE :





APPELANTE





S.A.S. [10], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]





Représentée par Me Jérôme Le Roy de la SELARL LX Amiens-Douai, a...

ARRET

S.A.S. [10]

C/

[S]

Etablissement CPAM DE [Localité 11] AFFAIRES JURIDIQUES

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 17 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 22/05448 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUCW - N° registre 1ère instance : 20/00471

Jugement du tribunal judiciaire de beauvais en date du 17 novembre 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. [10], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Jérôme Le Roy de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d'Amiens, vestiaire : 101, substituée par Me Olympe Turpin, avocat au barreau d'Amiens

Plaidant par Me Marie-Charlotte Diriart, avocat au barreau de Paris, substituée par Me Marie Delmotte, avocat au barreau de Paris

ET :

INTIMES

Monsieur [P] [S]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Non comparant

Représenté par Me Yann Bourhis de la SCP Bourhis et associés, avocat au barreau de Beauvais, substitué par Me Pierre François Ettori, avocat au barreau de Beauvais

Etablissement CPAM de [Localité 11] affaires juridiques, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représenté par Mme [I] [C], dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 12 mars 2024 devant Mme Anne Beauvais, conseillère, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 mai 2024 puis le 17 juin 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Blanche Tharaud

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Anne Beauvais en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe Mélin, président,

Mme Anne Beauvais, conseillère,

et M. Renaud Deloffre, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 17 juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe Mélin, président a signé la minute avec Mme Charlotte Rodrigues, greffier.

*

* *

DECISION

M. [P] [S] était salarié de la société [10] en qualité de chef magasinier, cariste, lorsqu'il a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11] (la caisse ou la CPAM) une déclaration de maladie professionnelle datée du 20 avril 2018, sur le fondement d'un certificat médical inital daté du même jour faisant état d'une 'hernie discale L4 - L5 avec sciatalgie droite, opérée le 27/03/2018' et mentionnant que la première constatation médicale de cette maladie avait eu lieu le 27 mars 2018.

Ladite maladie a été prise en charge après enquête par la caisse au titre de la législation relative aux risques professionnels, dans le cadre du tableau n° 98 : 'Affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes.'

L'état de santé de M. [S] a été déclaré consolidé à la date du 29 mai 2020 et un taux d'incapacité permanente fixé à 10 %, dont 3 % au titre du taux d'incidence professionnelle.

Il est reconnnu travailleur handicapé depuis le 24 janvier 2020 et un avis d'inaptitude définitive à son poste a été rendu par le médecin du travail le 18 juin 2020, conduisant à son licenciement pour inaptitude justifié par l'impossibilité de son reclassement.

Puis, M. [S] a saisi 'la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11]' d'une demande aux fins de voir juger la faute inexcusable de la société [10], son employeur, à l'origine de sa maladie professionnelle, et le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais a été saisi du litige.

Suivant jugement en date du 17 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Beauvais a statué dans les termes suivants :

'Reconnaît la faute inexcusable de l'employeur, la société SAS [10], à l'égard de [P] [S], dans la maladie professionnelle inscrite au tableau n° 98 et déclarée le 20 avril 2018 ;

Ordonne la majoration allouée à [P] [S] de la rente selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale ;

Ordonne sur la demande de réparation des préjudices une expertise médicale judiciaire :

Désigne le docteur [L] [F] - CHU [Localité 8]-service orthopédie - traumatologie [Localité 8] avec pour mission, dans le respect du contradictoire :

- de convoquer les parties, s'adjoindre si besoin tout sapiteur compétent ;

- se faire communiquer par les parties tous documents médicaux relatifs aux lésions subies, en particulier le certificat médical initial ;

- examiner la victime, [P] [S], et recueillir ses doléances, examiner toutes pièces médicales utiles ;

- décrire précisément les troubles dont se plaint la victime et qui sont consécutifs à la maladie professionnelle, à l'effet de :

1° Décrire son état de santé actuel ;

2° Décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;

3° Déterminer, sur une échelle de 0 à 7, les degrés de préjudice subi par [P] [S] en ce qui concerne :

- les souffrances physiques et morales ;

- le préjudice esthétique, temporaire et/ou permanent ;

4° Dire, dans l'hypothèse où la victime allègue des activités sportives ou de loisirs spécifiques antérieures à l'accident, s'il lui sera désormais possible de continuer à les pratiquer régulièrement ;

5° Dire si [P] [S] subit un préjudice sexuel, et dans l'affirmative le définir en précisant si une atteinte des organes sexuels entravant la possibilité mécanique de réaliser un acte sexuel satisfaisant est constatée, s'il s'agit de la perte de la capacité d'accéder au plaisir, si toute procréation est devenue impossible ;

6° Déterminer le déficit fonctionnel temporaire total et/ ou partiel ;

7° Dire si, avant la consolidation, l'état de santé de [P] [S] lui a imposé le recours à l'assistance d'une tierce personne ;

8° Dire s'il existe un préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ;

9° Dire s'il existe un préjudice permanent exceptionnel atypique lié à un handicap permanent ;

10° Dire si une adaptation du véhicule et/ou du domicile sont nécessaires et, dans cette hypothèse, en évaluer le budget à partir des devis qui seraient produits par la victime ;

11° Dire si l'état de [P] [S] est susceptible de modification ou d'aggravation ou d'amélioration ; dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution ainsi que sur la nature des soins, traitement et interventions éventuellement nécessaires dont le coût prévisionnel sera alors chiffré et les délais dans lesquels il devra y être procédé ;

Rappelle que la consolidation de l'état de santé de [P] [S] résultant de la maladie déclarée le 20 avril 2018 a été fixée par la caisse primaire d'assurance maladie à la date du 29 avril 2020 et qu'il n'appartient pas à l'expert de se prononcer sur ce point ;

Dit que l'expert fera connaître sans délai son acceptation, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera aussitôt pourvu à son remplacement par ordonnance du président de la présente juridiction statuant sur simple requête ;

Dit que l'expert, en cas de difficulté de nature à compromettre le démarrage, l'avancement ou l'achèvement de ses opérations, avisera le président du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en charge du contrôle de la mesure d'instruction ;

Dit que l'expert dressera, au terme de ses opérations, un pré-rapport qu'il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum de six mois à compter de son acceptation de la mission ;

Dit qu'après avoir répondu de façon idoine aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti de deux mois, l'expert devra déposer au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais un rapport définitif en double exemplaire dans le délai de six mois ;

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11] fera l'avance des frais d'expertise ;

Dit que la CPAM de [Localité 11] versera directement à Monsieur [P] [S] toute somme qui pourrait lui être due au titre de l'indemnisation complémentaire à venir ;

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11] pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à [P] [S] à l'encontre de la société SÁS [10] et condamne cette dernière à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise ;

Déclare le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11] ;

Condamne la société SAS [10] à verser à [P] [S] une somme de 1 500 curos sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sursoit à statuer sur les autres demandes ;

Renvoie l'affaire à une audience dont la date sera fixée après le dépôt du rapport par l'expert ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.'

Le 14 décembre 2022, la société [10] a régulièrement interjeté appel dudit jugement, en toutes ses dispositions.

Les parties ont ensuite été convoquées à la première audience du 12 mars 2024, date à laquelle l'affaire a été retenue.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 février 2024 développées oralement à l'audience par son conseil, la société [10] demande à la cour d'appel de :

Infirmer le jugement déféré ;

A titre principal,

Constater que le courrier de M. [S] en date du 13 octobre 2020 ne saurait valoir acte de saisine de la juridiction ;

En conséquence,

Déclarer irrecevable l'action de M. [S] à l'encontre de la société [10] ;

A titre subsidiaire,

Constater que la société [10] n'a commis aucune faute inexcusable ;

En conséquence,

Débouter M. [S] de sa demande de reconnaissance d'une faute inexcusable qui aurait été commise par la société [10] ;

En toute hypothèse,

Débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le condamner aux entiers dépens.

En réponse, M. [P] [S] demande à la cour d'appel, par voie de conclusions notifiées par la voie électroniques le 24 janvier 2024, développées oralement à l'audience, de :

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Condamner la société [10] à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la même aux dépens.

Enfin, par conclusions visées par le greffe le 23 février 2024, la CPAM de [Localité 11] demande à la cour de :

À titre principal :

Donner acte à l'organisme concluant de ce qu'il s'en rapporte à justice en ce qui concerne la recevabilité du recours introduit par M. [S],

À titre subsidiaire

Donner acte à l'organisme concluant de ce qu'il s'en rapporte à justice sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable,

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur :

Confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en ce qu'il a ordonné la majoration de la rente en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

Confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en ce qu'il a ordonné une expertise médicale,

Confirmer que la CPAM de [Localité 11] disposera d'une action récursoire à l'encontre de la société SAS [10] et pourra récupérer auprès de cette dernière :

o le montant des indemnités en réparation du préjudice susceptibles d'être avancées à Monsieur [P] [S] en application des dispositions de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale,

o le capital représentatif de la majoration de la rente de M. [S] évalué sur la base d'un taux d'incapacité de 10 %,

o et les frais d'expertise médicale.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

Motifs

Sur la saisine du tribunal judiciaire de Beauvais et la recevabilité de l'action

L'article R. 142-10-1 du code de la sécurité sociale dispose :

'Le tribunal est saisi par requête remise ou adressée au greffe par lettre recommandée avec avis de réception.

La forclusion tirée de l'expiration du délai de recours ne peut être opposée au demandeur ayant contesté une décision implicite de rejet au seul motif de l'absence de saisine du tribunal contestant la décision explicite de rejet intervenue en cours d'instance.

Outre les mentions prescrites par l'article 57 du code de procédure civile, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande. Elle est accompagnée :

1° Des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé ;

2° D'une copie de la décision contestée ou en cas de décision implicite, de la copie de la décision initiale de l'autorité administrative et de l'organisme de sécurité sociale ainsi que de la copie de son recours préalable.

Elle indique, le cas échéant, le nom et l'adresse du médecin qu'il désigne pour recevoir les documents médicaux.

Puis, l'article 54 du code de procédure civile prévoit :

'La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties.

A peine de nullité, la demande initiale mentionne :

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande ;

3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;

b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;

5° Lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative.'

Et selon l'article 57 dudit code :

'Lorsqu'elle est formée par le demandeur, la requête saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé. Lorsqu'elle est remise ou adressée conjointement par les parties, elle soumet au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.

Elle contient, outre les mentions énoncées à l'article 54, également à peine de nullité :

-lorsqu'elle est formée par une seule partie, l'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;

-dans tous les cas, l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.

Elle est datée et signée.'

Enfin, l'article 114 du code de procédure civile prescrit :

'Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.'

Et l'article 115:

'La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.'

*

En l'espèce, la société [10] fait valoir que le tribunal judiciaire de Beauvais n'a pas été valablement saisi par M. [S] qui a adressé à l'adresse du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais un courrier daté du 13 octobre 2020, ne valant pas requête en ce que ce courrier :

- était expressément adressé au 'directeur général' de la CPAM de [Localité 11] ;

- visait des informations qui à l'évidence, concernaient son dossier auprès de la caisse ('Dossier suivi par (...)', 'Numéro de dossier' ;

- était accompagné pour toute pièce d'une 'notification de décision relative à l'attribution d'une rente' ;

- a été traité devant le tribunal, par le conseil de M. [S] lui-même, comme destiné à la caisse et distinct d'une requête.

Elle ajoute qu'au surplus, ce courrier ne respecte pas les prescriptions de formes requises par les articles 54 et 57 du code de procédure civile :

- absence de visa relatif aux pièces visées par la demande et de bordereau de pièces ;

- absence d'identité de la partie défenderesse (dénomination et siège social) ;

- absence de certaines mentions relatives à l'identité du demandeur (nationalité, date et lieu de naissance, profession) ;

- caractère manifestement incomplet de l'exposé de la demande et des prétentions de l'intéressé, en ce qu'il se contente de viser la 'reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur'.

Elle souligne que le greffe du tribunal judiciaire a manifestement voulu pallier le défaut de saisine régulière de la juridiction en entreprenant les recherches de l'identité et du lieu de la société [10] afin de lui adresser un 'avis de recours', et en interprétant librement les termes dudit courrier pour y lire un recours à l'encontre d'une demande de reconnaissance d'une faute inexcusable, d'une part, et un recours à l'encontre de la décision du 20 avril 2018 par laquelle la maladie de M. [S] avait été reconnue d'origine professionnelle, d'autre part.

La société [10] considère que le tribunal a reconnu très justement l'ensemble de ces irrégularités de forme affectant l'acte de saisine. Si le tribunal a estimé qu'elle ne rapportait pas la preuve de son préjudice, au visa de l'article 114 du code de procédure civile, elle fait valoir devant la cour d'appel que ce préjudice est constitué par la privation d'une voie de recours amiable prévue à l'article L. 452-1 du code la sécurité sociale.

Si M. [S] soutient que cette saisine est une simple faculté et qu'il n'entendait pas y avoir recours, la caisse relève que le courrier daté du 3 août 2020 de la CPAM qu'il produit aux débats constitue une simple information relative à la possibilité de saisir le tribunal d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et non la preuve qu'il ne souhaitait pas recourir à la conciliation, et présente en revanche selon elle l'intérêt de démontrer que M. [S] avait sollicité la caisse sur la reconnaissance de la faute inexcusable, ce dont elle déduit que nécessairement inscrite dans le cadre de la procédure amiable, cette saisine aurait permis à la société [10] d'en terminer amiablement avec ce litige.

En présence d'un grief, elle conclut que les dispositions de l'article 115 du code de procédure civile ne permettaient pas la régularisation de la saisine du tribunal par l'envoi des conclusions du demandeur datées du 27 janvier 2021.

En réplique, le conseil de M. [S] expose que si la saisine du tribunal judiciaire de Beauvais par son client peut paraître maladroite, c'est bien à cette juridiction qu'il s'est adressé, en exposant clairement les motifs qui l'amenaient à intenter son action, et sans intention de diligenter au préalable de procédure amiable, au caractère facultif ; volonté dont atteste selon lui le courrier de la caisse daté du 3 août 2020 en réponse à une prise de contact préalable de l'assuré, par laquelle elle invitait ce dernier à saisir le tribunal.

Il lui apparaît que les premières conclusions du demandeur ont régularisé les mentions manquantes dans l'acte de saisine du 13 octobre 2020, et que les trois conditions cumulatives prévues à l'article 115 du code de procédure civile sont ainsi remplies, en particulier, eu égard à l'absence de grief démontré par la société [10], à défaut d'intention du demandeur de tenter une conciliation.

Sur ce,

Il ressort des pièces produites aux débats que la saisine du tribunal judiciaire de Beauvais repose sur une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception datée du 13 octobre 2020, ainsi tournée :

- En-tête :

'[S] [P]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[XXXXXXXX02]'

- Destinataire :

'Tribunal Judiciaire-Pôle Social

[Adresse 7]

[Adresse 7]'

- Mentions :

'Lettre recommandée avec accusé de réception,

Ref : [P] [S]

Dossier suivi par [X] [U] / Docteur [V] [A]

N° S.S : [Numéro identifiant 3]

N° dossier: 18042059 8"

- Objet : 'reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur'

- Pièce jointe : 'notification de décision relative à Attribution d'une rente'

- Texte : 'Monsieur Le Directeur Général,

Je soussigné, [P] [S] demeurant [Adresse 4], entends par la présente saisir la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 11], à la suite de la maladie professionnelle à laquelle je suis confronté et qui a été reconnue en date du 20 avril 2018. L'inaptitude a été déclaré le 18 juin 2020 suite à l'arrêt de travail final qui indique la consolidation avec séquelles. L'évaluation de celles-ci a établie le 07 septembre 2020 en vu d'une indemnisation.

En effet, salarié au sein de l'entreprise [10] depuis 2008, j'y ai dans un premier temps travaillé en tant qu'intérimaire, puis j'ai intégré l'équipe en CDI au 1° novembre 2013.

J'ai passé mes Caces avec la boite d'intérim puis j'ai procédé aux recyclages des caces avec [10]. Je n'ai jamais bénéficié d'aucune formation sur les gestes et postures, et l'entreprise n'avait d'aucun aménagement particulier pour le changement des bobines de film (5 machines de mise sous films équipées chacune de 2 bobines à changer unitairement et approximativement toutes les 60-80 minutes. Le poids d'une bobine de film selon les différents types de production était de 25-30kg), afin de faire l'approvisionnement des machines de production qui se fait de façon manuelle et seul d'après mon ancien employeur. Et cela même après avoir fait la remontée d'information de la pénibilité de cette manutention auprès de mon responsable de service ainsi qu'auprès du chef d'atelier.

Une reconnaissance en qualité de travailleurs handicapés m'a été accordé le 24 janvier 2020 et une inaptitude a été déclarée le 18 juin 2020 par la médecine du travail.

C'est pourquoi j'invoque ce jour la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Je reste à votre disposition pour tout complément d'information et vous prie, d'agréer, Monsieur le Directeur Général, mes sincères salutations.

[P] [S]'

Il apparaît que ce courrier du 13 octobre 2020 comporte en lui-même, une contradiction au moins formelle, en ce qu'il est destiné à un tribunal mais a la présentation d'un recours administratif.

Il importe en conséquence de définir, dans un premier temps, l'intention procédurale de M. [S].

A cet effet, M. [S] produit aux débats un courrier antérieur, qui éclaire substantiellement les débat.

Ce courrier de la caisse, daté du 3 août 2020, est ainsi établi :

En-tête :

'l'Assurance

Maladie

[Localité 11]

DEPARTEMENT JURIDIQUE'

Destinataire :

'Monsieur [P] [S]

[Adresse 4]

[Adresse 4]'

Références :

'F.I.E

Assuré : [P] [S]

Mle : [Numéro identifiant 3]

MP du 20/04/2018

@ [D] [T], juriste spécialisée : [XXXXXXXX01]'

'Monsieur,

Suite à votre demande en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur de la maladie professionnelle dont vous avez été victime le 20/04/2018, je vous informe que vous pouvez d'ores et déjà saisir le :

Tribunal Judiciaire - Pôle Social

[Adresse 7] [en police de caractère gras dans le courrier]

A toutes fins utiles, je vous précise qu'il vous appartient d'apporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur. A ce titre, je vous joins une note explicative sur la faute inexcusable.

Par ailleurs, si vous parvenez à concilier amiablement avec l'employeur, je vous remercie de bien vouloir nous en avertir.

La CPAM de [Localité 11] se tiendra à disposition pour régulariser un protocole de règlement amiable.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sincères salutations.

Le service juridique de la CPAM de [Localité 11]'

Il ressort clairement de la succession des courriers des 3 août et 13 octobre 2020 que M. [S] s'était adressé avant le 3 août 2020, à la CPAM de [Localité 11], afin de lui faire connaître son intention de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur dans la survenue et les conséquences de sa maladie professionnelle, et que c'est en réponse à cette sollicitation dont l'on ignore les termes exacts, en l'absence d'éléments sur ce point, que la caisse a établi son courrier du 3 août 2020 l'informant qu'il devait saisir le tribunal judiciaire d'Amiens, ce que M. [S] a fait au moyen de l'adresse du tribunal renseignée conformément aux préconisations de la caisse.

Or, si le courrier du 3 août 2020 ouvre la porte à la conciliation entre le salarié et l'employeur, c'est exclusivement, dans le cadre d'une action judiciaire, indication d'autant moins équivoque que la caisse attire l'attention du salarié sur les règles de preuve applicables devant le tribunal et ne conçoit son intervention que sollicitée par les parties, une fois le principe d'un règlement amiable acquis, ce qui induit nécessairement qu'il se soit négocié dans un premier temps en-dehors d'elle :

'Suite à votre demande en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur (...) je vous informe que vous pouvez d'ores et déjà saisir le :Tribunal Judiciaire - Pôle Social (...) A toutes fins utiles, je vous précise qu'il vous appartient d'apporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur.(...) Par ailleurs, si vous parvenez à concilier amiablement avec l'employeur, je vous remercie de bien vouloir nous en avertir. La CPAM de [Localité 11] se tiendra à disposition pour régulariser un protocole de règlement amiable.'

Il en résulte que c'est sur cette invitation de l'assuré à régler la question de la reconnaissance inexcusable de l'employeur dans un cadre contentieux, même non exclusif d'une faculté de résolution amiable du litige directement entre les parties, que M. [S] a saisi le tribunal judiciaire de Lille.

Si la présentation formelle de son courrier, adressé à 'Monsieur le Directeur Général' et doté de références administratives, suggère une méconnaissance du fonctionnemment du pôle social d'un tribunal judiciaire, il n'en demeure pas moins que M. [S] a entendu mener une action à l'encontre de son employeur selon les modalités qui lui étaient indiquées par la caisse, et qui ne lui étaient pas familières - contrairement à la procédure administrative dans le cadre de laquelle il avait été partie prenante et actif.

A ce stade du raisonnement, le salarié fait valoir la régularisation de sa saisine initiale du tribunal, dont il ne conteste aucunement les insuffisances relevées par la société appelante, également constatées par les premiers juges, au regard des articles 54 et 57 du code de procédure civile, par l'effet de la notification de ses premières conclusions datées du 27 janvier 2021.

Ces conclusions suffisent en effet, par leur contenu et leur notification, à régulariser la saisine du tribunal, sauf à constater l'existence d'un grief établi, au détriment de l'employeur, défendeur à l'instance devant les premiers juges.

Sur ce point, la société [10] allègue de sa privation d'une voie de recours amiable, du fait de l'enrôlement de l'affaire consécutive au courrier du 13 octobre 2020 du salarié, devant le tribunal judiciaire.

Il ressort pourtant de ce courrier qu'il est adressé au tribunal afin de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur de M. [S] et il a été constaté que ce courrier avait été adressé à la suite d'un échange entre le salarié et la caisse, ayant pour conséquence l'invitation de la caisse à M. [S], d'avoir à saisir directement le tribunal dès le 3 août 2020, sans proposition alternative de recours amiable.

Le grief allégué par la société [10] n'est donc pas démontré.

Il convient donc de rejeter l'exception de procédure soulevée par cette dernière.

Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

L'article L. 452-4 précise :

'A défaut d'accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d'une part, et l'employeur d'autre part, sur l'existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l'article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d'assurance maladie, d'en décider. La victime ou ses ayants droit doivent appeler la caisse en déclaration de jugement commun ou réciproquement.

L'auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci. (...)'

Il appartient à celui qui invoque la faute inexcusable de l'employeur de rapporter la preuve :

- de l'exposition au risque du salarié,

- de la conscience que l'employeur avait ou aurait dû avoir du danger auquel il exposait son salarié, et du fait que fort de cette conscience, il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Enfin, selon l'article R. 4541-6 du code du travail :

'Pour l'évaluation des risques et l'organisation des postes de travail, l'employeur tient compte :

1° Des caractéristiques de la charge, de l'effort physique requis, des caractéristiques du milieu de travail et des exigences de l'activité ;

2° Des facteurs individuels de risque, définis par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture.'

Et selon l'article R. 4541-8 dudit code :

'L'employeur fait bénéficier les travailleurs dont l'activité comporte des manutentions manuelles :

1° D'une information sur les risques qu'ils encourent lorsque les activités ne sont pas exécutées d'une manière techniquement correcte, en tenant compte des facteurs individuels de risque définis par l'arrêté prévu à l'article R. 4541-6 ;

2° D'une formation adéquate à la sécurité relative à l'exécution de ces opérations. Au cours de cette formation, essentiellement à caractère pratique, les travailleurs sont informés sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles.'

*

En l'espèce, M. [S] explique avoir travaillé pour la société [10], d'abord comme intérimaire à compter de février 2008, en qualité de manutentionnaire sur une ligne de production, puis en qualité de magasinier cariste préparateur de commande jusqu'en juillet 2013, avant d'être embauché le 31 octobre 2013 à temps plein dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de chef magasinier cariste.

Il expose qu'en cette qualité il préparait des colis pour le service colisage, hors sol, au moyen d'un chariot préparateur, tâche nécessitant de nombreuses manipulations et par conséquent, de mouvements du tronc cérébral, mais souligne que c'est dans le cadre de ses tâches de chargé d'approvisionnement de cinq machines de mise sous film qu' il était amené à hisser chaque jour, environ 35 à 40 bobines de film plastique pesant chacune de 25 à 30 kilogrammes, à une hauteur située de 70 cm à 1,10 mètre du sol, pour les insérer dans leur mandrin, précisant qu'à raison de deux bobines par machine, la bobine située au plus haut était placée en déport de la première, ce qui rendait la manipulation d'autant plus malaisée.

Il fait état de premiers arrêts de travail en lien avec des douleurs vives, passagères, et régulières au dos, à compter de février 2018, d'une détérioration depuis de son état de santé, avec une opération en mars 2018 pour une hernie discale volumineuse et une arthrodèse en octobre 2018 pour une discopathie. Il relate les soins qui s'en sont suivis et des séquelles permanentes

Il lui apparaît que la société [10] avait ou aurait dû avoir conscience du risque dorso-lombaire lié aux gestes et postures adoptés lors de ces opérations.

En réponse aux écritures de l'employeur, il précise que les chariots dotés de cales évoqués par ce dernier n'étaient pas destinés aux bobines de film plastique qu'il manipulait, et il conteste le caractère résiduel de la tâche de chargé d'approvisionnement des machines qui lui incombait.

Il ajoute que les témoignages de Mme [X] [W], chef de groupe, et de M. [H] [Y], chef d'atelier, en ce qu'ils viennent indiquer qu'il ne manipulait les bobines de films qu'en remplacement d'autres salariés, ne correspondent pas à la réalité de son poste et il relève à cet égard que l'un comme l'autre ne se trouvaient jamais dans l'atelier de production machine et stockage, mais au secteur colisage, auquel ils accédaient par une entrée distincte.

Il se prévaut pour sa part de deux témoignages, celui de Mme [M] [K] qui atteste de la configuration des lieux, et celui de M. [Z] [O] qui selon lui, effectuait des tâches identiques aux siennes, sur une plage horaire distincte.

Puis, M. [S] explique que la société [10] n'a organisé à son bénéfice aucune formation pratique et appropriée à la sécurité sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles. Il souligne à cet égard n'avoir pas même suivi de formation 'geste et postures'.

En réponse aux conclusions de la société [10], il indique que la remise d'un livret d'accueil comportant des consignes de sécurité concernant la manutention manuelle ou l'affichage d'un une document de prévention pour l'utilisation de la cercleuse à palettes ne suffisent pas à remplir l'obligation d'information et formation qui pèsent sur l'employeur. Il précise que l'unique formation qu'il a suivie ne portait pas sur les gestes et postures pour le port de charges lourdes, et que la notice 'sécurité changer un film', qui préconise de réaliser la manipulation à deux, produite aux débats en cause d'appel, ne lui avait jamais été remise et n'était pas affichée dans les locaux de l'entreprise.

En réplique, la société [10] souligne que la mission principale de M. [S] consistait à préparer des commandes et non à alimenter des machines de mise sous film, et fait valoir à cet égard sa fiche de son poste, ainsi que ses conditions de travail telles qu'elles ont été apprécriées par le médecin du travail dans le cadre de sa visite de reprise.

Elle précise que si le salarié a effectivement pu être en charge de l'alimentation en bobines des machines de mise sous film, cette tâche était devenue très résiduelle à compter de 2016 et ne figurait même pas dans sa fiche de poste, n'étant exercée que très ponctuellement, en périodes de congés ou de très faible activité.

Au soutien de ces explications, elle fait valoir les attestations établies par deux salariés qu'elle désigne comme étant des collaborateurs de M. [S] affectés au sein des ateliers de l'usine et dont les fonctions respectives assuraient selon elle la connaissance du planning et des activités de ce dernier, d'autant que s'agissant de Mme [W], elle était déléguée syndicale et membre du CHSCT lorsque M. [S] était en poste.

A l'inverse, elle critique le témoignage de Mme [K] qui travaillait dans des bâtiments administratifs, sans contacts avec l'atelier, et celui de M. [O] dont les termes lui apparaissent contradictoires avec les explications de M. [S] et dénuées en outre de caractère probant en ce que ce salarié travaillait en horaires décalés avec ceux de son collègue.

Elle conclut à l'absence de preuve que M. [S] était en charge de changer habituellement les bobines de sorte que selon elle, le caractère non habituel de cette tâche, et le contexte de déclarations contradictoires entre le salarié et M. [O], ne permettent pas au salairé, dans le cadre de la démonstration de la faute inexcusable, de retenir de lien avec sa maladie professionnelle.

Puis, la société [10] souligne avoir pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du risque, au moyen de l'affichage du doctument uniquer d'évaluation des risques (DUER) qui précisait notamment :

- que pour la manipulation des bobines, un chariot avec cale était mis à disposition ;

- que le salarié devait demander de l'aider en cas de manipulation de bobine ;

outre un affichage permanent sur les machines de mise sous film précisant qu'il convenait de faire appel à un collègue lorsqu'une bobine était prête à être déplacée, instruction rappelée dans le DUER.

Elle fait état des nombreuses mesures d'organisation prises pour réduire les risques dorso-lombaires, ajoutant à ces explications :

- que le salarié était d'autant plus au fait de l'ensemble des normes de sécurité qu'il était lui-même tenu de les faire appliquer,

- qu'elle n'a jamais été alertée ou sollicitée par les représentants du personnels ou le médecin du travail en charge du suivi médical de M. [S], d'une quelconque défaillance de sa part,

- sur ce dernier point, que le conseil de prud'hommes de Beauvais, saisi d'un litige par le salarié, n'a pas retenu de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Sur ce,

- Sur la preuve de l'exposition au risque du salarié

Les parties débattent de l'exposition au risque de M. [S], en lien essentiellement, selon les explications de ce dernier, avec la tâche d'alimenter certaines machines en bobines de film, bobines dont l'employeur ne conteste pas le poids de 25 à 30 kilogrammes indiqué par le salarié.

La société [10] ne conteste pas davantage que ces bobines de film, manipulées par un salarié seul, sont susceptibles d'occasionner des pathologies dans le cadre du tableau n° 98 intitulé 'affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes', telle la maladie professionnelle qui affecte M. [S] ; elle souligne d'ailleurs les aides techniques mises à la disposition de ce dernier et la nécessité de faire appel à un second salarié pour procéder aux manipulation desdites bobines, toutes explications qui démontrent la dangerosité liée à leur manutention manuelle.

Le débat s'est ainsi recentré autour du temps de travail effectif consacré par M. [S], à la manipulation des bobines de film.

M. [S] déclare qu'en sa qualité de chef magasinier cariste, sans autres précisions sur ce point, ce qui implique la durée de son contrat de travail avant sa déclaration de maladie professionnelle - soit à compter de novembre 2013, et jusqu'en avril 2018 - il a manipulé des bobines de film une fois par heure, tous les jours, dans le cadre d'un temps de travail de 35 heures.

Sur ce point il verse aux débats le témoignage de M. [Z] [O] qui atteste en ces termes :

'J'ai travaillé avec [P] [S] depuis 2008 sur le site de [Localité 13], puis sur le site de [Localité 12] à partir de 2013.

[P] [S] était chef magasinier-cariste et moi magasinier-cariste.

A partir de 2015, suite à la réduction budgétaire, et donc le départ des intérimaires qui réalisaient cette tâche, [P] [S] et moi-même avons été affectés à la mission, en plus de nos tâches quotidiennes, d'approvisionner les machines de production (mise sous pli - mise sous film).

Nous étions dans des équipes opposées (matin/après-midi) et nous faisions seuls l'approvisionnement des machines dont la manutention et le changement des bobines de film sur les cinq machines de mise sous film et ce pendant nos 7h de travail.

Le remplacement d'une bobine se faisait environ chaque heure (en fonction du poids de la bobine qui pouvait aller de 15 à 30 kg). Cette tâche incombait aux régleurs chef d'équipe, mais nous a été attribuée.

Ceci a été une des causes qui a motivé mon départ de l'entreprise'.

Contrairement à ce que vient indiquer l'employeur, le fait que M. [O] ne travaillait pas aux côtés de M. [S] mais selon un horaire décalé par rapport à celui de son collègue, n'affaiblit en rien son témoignage, au contraire, puisque ce dont M. [O] atteste, c'est du contenu d'un même poste assuré successivement par deux salariés au fil d'une même journée.

M. [O] était donc certainement, avec l'employeur de M. [S], la personne la plus à même dans l'entreprise d'apprécier la nature et la difficulté des tâches accomplies par ce dernier.

En outre, les motifs de son départ de la société [10] étant clairement énoncés, sans que l'employeur fasse état d'un quelconque litige l'ayant opposé à ce salarié, il n'apparaît pas qu'il y ait un enjeu pour M. [O], à venir conforter les explications de son ancien collègue ; son témoignage apparaît en conséquence, particulièrement fiable et pertinent.

Pour autant, l'employeur fait également valoir une contradiction entre les écritures de M. [S] en première instance selon lesquelles il était 'surtout' chargé de l'approvisionnement des machines de production' et l'attestation de M. [O] selon laquelle M. [S] était chargé d'approvisionner les machines 'en plus de ses tâches quotidiennes.'

Poutant, il ne ressort pas des motifs de M. [S] que l'emploi de l'adverbe 'surtout' vienne désigner le caractère prégnant dans son emploi du temps, de l'activité d'approvisionnemment des machines en bobines de film, plutôt que l'intensité des risques de troubles musculo-squelettiques induits par l'exercice de ladite activité.

En outre, en venant exposer que 'si Monsieur [S] a effectivement pu être en charge de l'alimentation des machines de mise sous film en bobine, cette tâche était très résiduelle et ne figurait même pas dans sa fiche de poste', l'employeur ne conteste pas véritablement, quoiqu'en termes prudents, que Monsieur [S] a effectivement été en charge de l'alimentation en bobines des machines de mise sous film, ajoutant même qu' 'en tout état de cause, [cette tâche] est devenue très résiduelle à compter de l'année 2016', ce qui signifie en termes clairs que cette tâche n'était 'pas très résiduelle' avant cette date.

En recoupant ces explications de la société [10], avec celles de M. [O], il apparaît que de 2015 à 2016 au moins, soit, sur une période de plusieurs mois voire un an, M. [S] et M. [O] étaient seuls en charge, en se succédant, selon leurs explications parfaitement concordantes, de l'alimentation des machines en bobines de films.

Il sera rappelé à ce stade du raisonnement que la maladie professionnelle de M. [S] a été déclarée en avril 2018, soit deux ans seulement après cette activité quotidienne, et même horaire, de manutention par un seul homme de charges pouvant peser de 25 à 30 kilogrammes.

M. [H] [Y] et Mme [X] [W], pour leur part, évoquent l'un comme l'autre le contenu du poste de M. [S] en termes non circonstanciés, sans éclairer les débats sur ce qu'ils ont pu éventuellement constater directement, en particulier, au regard de la question posée, qui est circonscrite au caractère habituel du changement des bobines de film par l'intéressée.

Il attestent en outre des circonstances peu fréquentes dans lesquelles M. [S] était amené à changer lesdites bobines de film :

- 'en remplacement des personnes dédiées à ce poste quand ils étaient absents' selon l'une,

- 'très ponctuel[lement] notamment en période de congés' selon l'autre.

Les attestations produites aux débats par l'employeur lui-même, établissent ainsi sans équivoque que la tâche de remplacer les bobines de films était confiée à M. [S] au moins, durant les congés d'autres salariés et vacances de poste, ce dont il découle que ces remplacements étaient installés au fil des mois et des années, en d'autres termes, habituels, peu important à cet égard que leur fréquence ait été plus importante en période de congés.

Il est donc établi qu'en-dehors de la période 2015-2016 sur laquelle M. [S] était, sur ses heures de travail, le seul salarié en charge du remplacement de bobines pouvant peser jusqu'à 30 kilos, selon la cadence qu'il décrit, soit une fois par heure, toutes les heures, sept heures par jour, cinq jours par semaine, l'intéressé était sollicité par son employeur pour assurer le remplacement du ou des salariés habituellement en charge de cette tâche, en cas d'absences ou de congés, sans autres précisions ; l'absence de précisions sur ce point suggérant que tel a été le cas à compter de novembre 2013, date à laquelle M. [S] a été employé en qualité de chef magasinier, cariste, et au-delà de la période courant de 2015 à 2016.

En réponse aux motifs de l'employeur sur ce point, la fiche de poste de M. [S] n'avait pas à détailler par le menu les différentes tâches susceptibles de venir s'ajouter aux fonctions répondant à l'intitulé de son poste, en particulier, s'agissant de pallier des insuffisances en matière de recrutement telles celles évoquées par M. [O] dans son attestation, ou encore les absences d'autres salariés, fussent-elles habituelles ; une fiche de poste ayant pour vocation de mettre en avant les activités principales et les compétences essentielles requises, ce qui exclut qu'elle soit exhaustive.

Si le médecin du travail, en juin 2020, n'a pas pris en compte la tâche d'approvisionner les machines en bobines de films, non inscrite à la fiche de poste, cela peut se concevoir d'abord du fait de l'absence de mention de cette activité dans la fiche de poste ; en outre, en juin 2020, les remplacements qui reposaient sur M. [S] avaient nécessairement été confiés à un ou plusieurs autres salariés, puisqu'opéré du dos fin mars 2018, M. [S] avait déclaré sa maladie professionnelle fin avril 2018, soit plus de deux ans auparavant.

Quant au témoignage de Mme [M] [K], il ne tend manifestement qu'à fragiliser les attestations de M. [H] [Y] et de Mme [X] [W], en situant géographiquement ces deux salariés dans un local distinct de l'atelier où travaillait M. [S], sans accès commun ; pour en attester, il importe peu que Mme [K] n'ait pas elle-même travaillé, de par ses fonctions, au contact de M. [S].

Enfin il ressort des consignes de sécurité intitulées 'changer un film' versées aux débats par la société [10] elle-même, à l'en-tête d'une entreprise '[9]', qu'en conséquence de 'plusieurs accidents du travail' ayant eu des conséquences diverses pour les salariés concernés dont 'une douleur au bas du dos' - étant rappelé que selon le certificat médical initial, M. [S] a présenté une 'hernie discale L4 - L5 avec sciatalgie droite, opérée le 27/03/2018' - une cause identifiée était les déplacement par une personne seule, d'une bobine, de sorte qu'il convenait, lorsque la bobine était prête à être déplacée, de 'faire appel à un collègue' et de veiller à 'plier les jambes et non le dos pendant la levée et la descente' de la bobine.

Le tribunal a donc fait une exacte appréciation de la situation en retenant que 'la mise à disposition d'un chariot avec cale pour la réalisation de cette tâche, mentionnée dans le document unique d'évaluation des risques, n'écarte pas le risque dorsolombaire dans la mesure où la manutention des bobines demeure principalement manuelle.'

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, c'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont relevé que :

'Il résulte des écritures de la société [10] et des témoignages de [X] [W] et [H] [Y], que l'employeur reconnaît que le salarié a réalisé des activités de manutention de bobines de film plastique en supplément de ses activités de préparateur de commandes. Seule la fréquence de la réalisation de cette activité est débattue.

Il ressort de ces mêmes éléments que si la société [10] ne reconnaît pas que l'activité litigieuse a été réalisée quotidiennement par [P] [S], il n'en demeure pas moins qu'elle admet le caractère habituel et non isolé de la réalisation de la tâche, c'est-à-dire durant des périodes de vacance de poste.

Or, compte tenu de la nature de la tâche à accomplir, à savoir le maniement seul et sans aide mécanique de bobines d'un poids moyen de 25 à 30 Kg à une hauteur de sol de 70 cm et 1m10 et du caractère habituel de la réalisation de cette activité durant une période suffisamment longue, en l'occurrence à partir de l'année 2015, l'employeur ne pouvait ignorer l'exposition du salarié au risque dorsolombaire.

En outre, le témoignage de [Z] [O] dont le tribunal relève le caractère extrêmement circonstancié, permet d'établir qu'à une période déterminée, à partir de 2015 jusqu'à son départ de l'entreprise, il réalisait quotidiennement avec [P] [S] la manutention de bobines de film plastique à raison d'une bobine par heure.

Les témoignages de [X] [W] et de [H] [Y] ne permettent pas d'établir la preuve contraire puisque, dans ses écritures, l'employeur indique que cette tâche est devenue résiduelle mais toujours existante à compter de l'année 2016. Or, [Z] [O] vise également l'année 2015.

Ce faisant, contrairement à ce qu'allègue la société [10], il est établi que [P] [S] a pu effectuer quotidiennement cette tâche, nonobstant son activité principale de préparateur de commandes, et qu'il a effectué habituellement cette activité jusqu'à la survenance de sa maladie professionnelle.'

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'exposition habituelle au risque du salarié est suffisamment établie.

Puis, les premiers juges ont justement relevé 'que contrairement à ce qu'allègue la société [10], il est indifférent pour la caractérisation de la conscience de ce risque que l'employeur n'ait pas été alerté par le salarié, les instances sociales de l'entreprise ou la médecine du travail compte tenu des risques physiques nécessairement induits par cette activité dont l'employeur ne pouvait ignorer l'existence.

En conséquence, la société [10] était consciente du risque auquel a été exposé son salarié, [P] [S].'

Quant au conseil de prud'hommes de Beauvais, s'il n'a pas retenu de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, l'argument, totalement dénué de pertinence, frôle la mauvaise foi puisqu'à lire sa décision, le conseil de prud'hommes n'a jamais été saisi de cette question.

S'agissant des mesures prises par la société [10] pour réduire les risques dorsolombaires :

- affichage du document unique d'évaluation des risques (DUER)

- mise à disposition d'un chariot préparateur ou gerbeur, constatée par le médecin du travail ;

- livret d'accueil comportant des consignes générales de sécurité pour la manutention manuelle :

o 'placez-vous au plus près de la charge lorsque vous devez porter une charge' ;

o 'pliez les jambres avant de soulever la charge'

- affichage des mêmes consignes ;

- diffusion et affichage au sein des locaux d'un document de synthèse intitulé 'Mon dos, je le respecte' et traitant des troubles musculo-squelettiques et de la posture ;

- M. [S] a pu suivre des formations relatives à la santé et à la sécurité, notamment le 6 juin 2016 ;

la cour d'appel relève que les premiers juges ont justement constaté que la société [10] 'a respecté son obligation d'infirmation sur les risques médicaux encourus par la manutention manuelle à l'égard de [P] [S] en lui mettant à disposition le livret d'accueil et le document de synthèse 'Prévention, sensibilisation, sécurité, c'est l'affaire de tous'. Ces documents détaillent les gestes et postures à adopter ainsi que les risques encourus en cas de mauvaise exécution.'

Le document unique d'évaluation des risques (DUER) à jour en février 20217 -pièce n° 12 de la société [10]) précise que pour porter les bobines, un chariot avec cale est mis à disposition. Or, c'est l'activité d'alimentation de la machine par le remplacement des bobines en place qui est en jeu, laquelle relève de la manutention manuelle. D'ailleurs, la société [10] se prévaut d'une mention au DUER affiché précisant que le salarié devait demander de l'aide en cas de manipulation de bobine, ce qui implique une manipulation manuelle, de surcroît délicate, desdites bobines.

Le même document précise qu'il convient de demander de l'aide ; mais il apparaît que cette mention remonte à février 2017 de sorte qu'il ne peut qu'en être déduit qu'entre 2013 et février 2017 au moins, M. [S], ainsi qu'il le déclare, corroboré par l'attestation de M. [O], intervenait seul.

Il en est de même de l'affichage permanent sur les machines de mise sous film précisant qu'il convenait de faire appel à un collègue lorsqu'une bobine était prête à être déplacée.

D'ailleurs, les consignes de sécurité intitulées 'changer un film' versées aux débats par la société [10], font état de la nécessité de faire appel à un collègue en conséquence de plusieurs accidents du travail, ce qui en l'absence de toutes autres précisions de la part de l'employeur, qui les produit aux débats, les situe naturellement dans le temps à une date postérieurement à la maladie professionnelle du salarié.

Enfin, le recours à une aide suppose la mise à disposition de cette aide, et l'employeur ne précise pas l'organisation mise en place à cet effet au sein de l'entreprise.

A l'inverse, l'information nouvelle relative à la nécessité de faire appel à un collègue pour changer une bobine de film conforte le caractère dangereux de cette manipulation manuelle dont M. [O] indique dans son attestation s'être ému dès 2015, soit trois ans avant la maladie profesionnelle déclarée par M. [S].

L'employeur ne justifie pas d'une information pertinente dès cette époque.

La cour d'appel relève au surplus que le DUER évaluait en février 2017 que l'activité de manipulation de bobine générait un degré de gravité des dommages potentiels évalué à 5/10 soit 'accident ou maladie avec arrêt de travail de 1 à 4 semaines en lien avec l'activité de travail' pour une fréquence d'exposition du salarié au risque d'une à plusieurs fois par jour. Or, il sera rappelé que M. [S] a exercé cette activitié quotidiennement, une fois par heure sept heures durant, sur la période 2015-2016, et qu'il était amené en-dehors de cette période à intervenir régulièrement en remplacement de collègues absents soit, selon la même intensité de travail.

Au demeurant et ainsi que l'a relevé avec beaucoup de pertinence le tribunal, 'aucune pièce versée aux débats ne permet d'établir que l'employeur ait fait bénéficier au salarié d'une formation 'geste et postures', obligation pourtant imposée par le 2° de l'article R. 4541-6 du code du travail.

Contrairement à ce qu'allègue la société [10], la formation effectuée par M. [S] le 6 juin 2016 est dépourvue de lien avec les risques encourus par le changement manuel de bobines. En effet, cette formation ne visait qu'à prévenir les risques afférents aux tâches de préparateur de commandes et ne comportait pas de volet afférent aux troubles musculo-squelettiques.'

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il est établi que la société [10] n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver M. [S] du risque dorso lombaire auquel il était exposé.

Il en résulte que la faute inexcusable de l'empoyeur, dans la survenance de la maladie professionnelle déclarée le 20 avril 2018, est démontrée.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les conséquences de la faute inexcusable de l'employeur

L. 452-2 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions suivantes :

'(...) la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.

Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.

Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.

(...)

La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret.'

En application du texte précité, il y a lieu de confirmer le jugement du 17 novembre 2022 en ce qu'il a 'ordonn[é] la majoration allouée à [P] [S] de la rente, selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale', sauf à rectifier la formulation maladroite qui l'affecte en précisant qu'il s'agit plus exactement de 'la majoration de la rente allouée à [P] [S]', selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale.

Contrairement à ce que suggère l'employeur dans ses écritures, 'ordonner la majoration allouée' au salarié 'de la rente' - reformulé en 'ordonner la majoration de la rente allouée' au salarié - ne vaut pas condamnation de l'employeur à verser directement au salarié la rente majorée.

Sur la demande de réparation des préjudices personnels

Selon les dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :

'Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

(...)

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.'

En l'espèce, le tribunal a jugé nécessaire une expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices personnels de M. [S].

La salarié et la caisse ne formulent aucune observation relative à la mission du tribunal telle que l'ont circonscrite les premiers juges.

L'employeur conclut que cette expertise est sans objet au seul motif qu'il n'a commis aucune faute inexcusable.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné, sur la demande de réparation des préjudices, une expertise médicale confiée à M. [L] [F], médecin, selon la mission et les modalités prévues audit jugement ; ladite expertise ayant, au demeurant, été réalisée et le rapport, déposé le 31 janvier 2023, ainsi qu'en justifie M. [S].

Le conseil du salarié, demandeur à l'instance initiale, concluant que le préjudice de M. [S] devra être liquidé devant le tribunal judiciaire de Beauvais, il lui appartient de faire progresser l'instance devant cette juridiction en demandant réinscription au rôle de l'affaire, en conséquence du dépôt du rapport d'expertise et de la réception de la présente décision.

Sur l'action récursoire de la caisse

En application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale précité et eu égard à l'intervention de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11] à l'instance, les premiers juges ont justement décidé :

- que la CPAM de [Localité 11] verserait directement à M. [S] toute somme qui pourrait lui être due au titre de l'indemnisation complémentaire à venir ;

- qu'elle pourrait recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à [P] [S] à l'encontre de la société [10] et condamné cette dernière à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise ;

- que le jugement était commun à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11].

En conséquence, le jugement déféré sera également confirmé sur ces différents points.

Enfin, en réponse à la caisse, il n'appartient pas à la cour d'appel de confirmer le jugement entrepris au-delà de ce que les premiers juges ont tranché.

Sur les mesures accessoires et le sursis à statuer

C'est à juste titre également que le tribunal a condamné la société [10], partie succombante, à payer à M. [S] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure cvile, avant de sursoir à statuer sur les autres demandes, dont les dépens, dans l'attente de la réalisation de l'expertise judiciaire ordonnée, et ordonné le renvoi de l'affaire, en assortissant sa décision de l'exécution provisoire.

La société [10] succombant en son appel, sera également condamnée en équité à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, non compris dans les dépens exposés par ce dernier dans le cadre de l'instance d'appel ; l'intéressé étant débouté du surplus de sa demande de ce chef.

La société [10] sera enfin déboutée de sa propre demande au titre de ses fais irrépétibles, non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

Rejette l'exception de procédure soulevée par la société [10] ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à préciser que 'la majoration allouée à [P] [S] de la rente', est plus exactement 'la majoration de la rente allouée à [P] [S]' ;

Y ajoutant,

Condamne la société [10] à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, non compris dans les dépens exposés par ce dernier dans le cadre de l'instance d'appel ;

Le déboute du surplus de sa demande de ce chef ;

Déboute la société [10] de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, non compris dans les dépens.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 22/05448
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;22.05448 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award