ORDONNANCE
N°65
COUR D'APPEL D'AMIENS
RÉFÉRÉS
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 13 JUIN 2024
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A l'audience publique des référés tenue le 16 Mai 2024 par Mme Chantal MANTION, Présidente de chambre déléguée par ordonnance de Mme la Première Présidente de la Cour d'Appel d'AMIENS en date du 21 décembre 2023,
Assistée de Madame Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
Dans la cause enregistrée sous le N° RG 24/00045 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JB6V du rôle général.
ENTRE :
L'E.A.R.L. VAN HOECKE, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me HY-DENTIN de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 50
Assignant en référé suivant exploit la SCP Corinne SAUNIER et Isabelle GAUTHIER, Commissaires de Justice associées à MERU, en date du 25 Avril 2024, d'un jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BEAUVAIS, en date du 06 Mars 2024, enregistré sous le n° 22/00195.
ET :
Monsieur [N] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté et plaidant par Me Bruno PAVIOT substituant Me Murielle SIMON, avocat au barreau de BEAUVAIS
DEFENDEUR au référé.
Madame la Présidente après avoir constaté qu'il s'était écoulé un temps suffisant depuis l'assignation pour que la partie assignée puisse se défendre.
Après avoir entendu :
- en son assignation et sa plaidoirie : Me Hy-Dentin, conseil de l'Earl Van Hoecke,
- en ses conclusions et sa plaidoirie : Me Paviot, conseil de M. [B]
L'affaire a été mise en délibéré au 13 Juin 2024 pour rendre l'ordonnance par mise à disposition au Greffe.
Vu le jugement en date du 6 mars 2024, le conseil de prud'hommes de Beauvais qui a :
- dit et jugé les demandes de M. [N] [B] recevables et fondées ;
- requalifié la démission intervenue le 24 janvier 2022 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- fixé le salaire de référence de M. [B] à 1603 euros ;
- condamné l'EARL Van Hoecke prise en la personne de son représentant légal à payer à M.[B] 30.000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné l'EARL Van Hoecke prise en la personne de son représentant légal à payer à M.[B] 10.419,50 euros au titre d'indemnité de licenciement ;
- condamné l'EARL Van Hoecke prise en la personne de son représentant légal à payer à M.[B] 1603 euros pour non-respect de la procédure de licenciement ;
- condamné l'EARL Van Hoecke prise en la personne de son représentant légal à payer à M.[B] 3206 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 320,60 euros de congés payés afférents ;
- condamné l'EARL Van Hoecke prise en la personne de son représentant légal à payer à M.[B] 15.111,16 euros au titre de rappel de salaires outre la somme de 1511,11 euros de congés payés afférents ;
- condamné l'EARL Van Hoecke prise en la personne de son représentant légal à payer à M.[B] 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution.
L'EARL Van Hoecke a formé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la cour le 12 avril 2024.
Suivant acte de commissaire de justice en date du 25 avril 2024, l'EARL Van Hoecke a assigné M.[B] à comparaître à l'audience du 16 mai 2024 devant Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens aux fins de voir :
- déclarer recevable et bien fondée ses demandes ;
- à titre principal, l'autoriser à consigner entre les mains du Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau d'Amiens, désigné en qualité de séquestre, la somme de 47.049,10 euros issue des condamnations prononcées à son encontre par jugement en date du 6 mars 2024 du Conseil de prud'hommes de Beauvais jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel à intervenir ;
- à titre subsidiaire, subordonner l'exécution provisoire facultative prononcée par le jugement en date du 6 mars 2024 du conseil de prud'hommes de Beauvais à la constitution par M.[B] d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations, conformément aux articles 517 et 518 du Code de procédure civile, et le cas échéant, prononcer telle garantie qu'il lui plaira ;
- en tout état de cause, réserver les dépens avec la procédure d'appel.
Au soutien de ses prétentions, l'EARL Van Hoecke fait valoir qu'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision de première instance dans la mesure où :
- la démission, n'ayant pas de définition légale constitue un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de manière intègre, consciente, licite, claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail à durée indéterminée ; or en l'espèce, M. [B] n'apporte pas la preuve que son consentement a été vicié ;
- M. [B] s'est toujours prévalu de son analphabétisme au cours de la procédure prud'hommale mais il a tout de même été capable de déposer un dossier d'aide sociale ;
- la jurisprudence considère que la démisssion doit être contestée dans un délai raisonnable, alors que M. [B] a attendu 10 mois pour saisir la juridiction prud'homale ;
- le conseil de prud'hommes a alloué à M. [B] une indemnité maximale prévue au titre du barème des indemnités sans la moindre justification ;
Elle met par ailleurs en avant les conséquences manifestement excessives résultant de la décision de première instance dans la mesure où :
- le montant total des condamnations s'élève à la somme de 63.671,37 euros sur laquelle elle a d'ores et déjà versé 16.622,27 euros au titre d'une acceptation partielle du jugement critiqué ;
- il reste donc la somme de 47.049,10 euros à consigner car M. [B] présente une situation financière précaire qui représente un risque de non remboursement des sommes, en cas d'infirmation du jugement dont appel.
Par conclusions en réponse en date du 13 mai 2024, M. [B] demande à Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens de bien vouloir :
- débouter l'EARL Van Hoecke de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner l'EARL Van Hoecke à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner l'EARL Van Hoecke aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- sa démission résulte d'un courrier dactylographié en date du 24 janvier 2022 qui correspond mot pour mot au formulaire téléchargeable sur le site de l'administration française 'service-public.fr' ;
- il ne sait ni lire ni écrire et est donc dans l'incapacité la plus totale de se procurer ce formulaire sur internet, celui-ci ayant été téléchargé par son employeur sans lui préciser ce qu'il allait signer ;
- l'employeur savait qu'il était analphabéte puisqu'il gérait ses documents MSA ;
- la dénonciation de sa démission n'est pas tardive puisqu'elle est faite dans le délai d'un an prévu par les textes ;
- il n'existe pas de risque de non remboursement des sommes puisqu'il perçoit 1007,67 euros par mois au titre de l'AAH, et qu'il ne supporte aucune charge, ni loyer, ni crédit à la consommation, qu'il vit dans sa propre maison et qu'il a épargné la somme reçue de son employeur.
A l'audience, les parties ont développé oralement leurs conclusions auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de fait et de droit invoqués au soutien de leurs prétentions.
SUR CE
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Il résulte de l'article R1454-28 du code du travail que sont de droit exécutoires à titre provisoire notamment le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, à savoir les sommes dues à titre de salaires et accessoires du salaire ainsi que les commissions, les indemnités de congés payés, de préavis et de licenciement ; l'indemnité compensatrice et l'indemnité spéciale de licenciement en cas d'inaptitude médicale consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle mentionnées à l'article L. 1226-14 ; l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8 et de l'indemnité de fin de mission mentionnée à l'article L. 1251-32.
Dans le cadre de l'appel formé à l'encontre du jugement du conseil des Prud'hommes de [Localité 4] en date du 6 mars 2024, l'EARL Van Hoecke demande au Premier Président d'ordonner la consignation des sommes mises à sa charge sauf s'agissant de la somme de 16.622,27 euros correspondant aux sommes mises à sa charge à titre de rappel de salaire et indemnités de congés payés y afférent, qu'elle n'entend pas contester en appel.
Pour le surplus, les sommes allouées par le jugement relèvent pour partie de l'exécution provisoire de droit s'agissant de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de congés payés y afférent et pour le surplus, elles relèvent de l'exécution provisoire facultative, le conseil des Prud'hommes ayant estimé que l'exécution provisoire était justifiée et dans tous les cas compatible avec la nature de l'affaire.
Il résulte de l'article 521 du code de procédure civile que la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l'exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation.
Dans le cadre de l'application de l'article 521 du code de procédure civile, le Premier Président apprécie souverainement le bien fondé de la demande de consignation, sans qu'il y ait lieu de faire référence aux conditions de l'arrêt de l'exécution provisoire posées par les articles 514-3 et 517-1 du code de procédure civile.
Par ailleurs, il n'appartient pas au Premier Président de se prononcer sur le bien fondé des prétentions et moyens des parties tels qu'exposés au soutien de l'appel.
Toutefois, il convient en l'espèce de relever que le conseil des Prud'hommes a alloué notamment des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui représentent plus de 12 mois de salaire brut et qu'il existe un risque de non restitution des sommes allouées en cas d'infirmation par la cour sur le principe ou le montant des droits de M. [B] dont la situation est précaire.
Dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner la consignation des sommes allouées à M. [B] auprès de la Caisse des dépots et consignations, pour se conformer aux dispositions d'ordre public de l'article L518-19 du code monétaire et financier.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de réserver les dépens de l'instance en référé, distincte de l'instance d'appel, mais de relever que la demande de consignation a été formée dans l'intérêt de l'EARL Van Hoecke de telle sorte que cette dernière conservera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS,
Ordonnons la consignation auprès de la Caisse des dépôts et consignation des sommes dues en exécution du jugement du conseil des Prud'hommes de [Localité 4] en date du 6 mars 2024, sauf celle de 16.622,27 euros ;
Disons n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile;
Laissons les dépens à la charge de l'EARL Van Hoecke.
A l'audience du 13 Juin 2024, l'ordonnance a été rendue par mise à disposition au Greffe et la minute a été signée par Mme MANTION, Présidente et Mme CHAPON, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,