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13/06/2024 | FRANCE | N°23/02097

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 13 juin 2024, 23/02097


ARRET







S.A.S. VERESCENCE FRANCE





C/



[I]



























































copie exécutoire

le 13 juin 2024

à

Me BURTHE

Me FUENTES

CPW/SP/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 13 JUIN 2024



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N° RG 23/02097 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IYIW



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ABBEVILLE DU 27 MARS 2023 (référence dossier N° RG 21/00050)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.S. VERESCENCE FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette quali...

ARRET

S.A.S. VERESCENCE FRANCE

C/

[I]

copie exécutoire

le 13 juin 2024

à

Me BURTHE

Me FUENTES

CPW/SP/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 13 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/02097 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IYIW

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ABBEVILLE DU 27 MARS 2023 (référence dossier N° RG 21/00050)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. VERESCENCE FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 7]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée, concluant et plaidant par Me Stéphane BURTHE de la SELARL IGMAN CONSEIL, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Isabelle CONDE de la SELARL IGMAN CONSEIL, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

Madame [K] [I]

née le 02 Décembre 1967 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée, concluant et plaidant par Me Julie FUENTES, avocat au barreau de BEAUVAIS

DEBATS :

A l'audience publique du 18 avril 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 13 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 13 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [I] a été embauchée à compter du 26 juillet 2016 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société SGD parfumerie France, devenue Verescence France (la société ou l'employeur), en qualité d'adjointe ressources humaines. Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [I] occupait la fonction de directrice adjointe du site de Mers.

La société Verescence France compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des industries de la fabrication mécanique du verre.

Mme [I] a été placée en arrêt de travail du 26 septembre au 6 octobre 2017.

Le 9 octobre 2017, le médecin du travail l'a déclarée apte à son poste de travail avec un aménagement consistant à poursuivre son activité professionnelle en télétravail deux jours par semaine.

A compter du 7 décembre 2017, la salariée a été placée en arrêt de travail régulièrement prolongé.

Le 19 novembre 2020, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à tout poste dans l'entreprise.

Par courrier du 3 décembre 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, fixé au 11 décembre 2020. Son licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement lui a été notifié par lettre du 16 décembre 2020.

Contestant la légitimité de la mesure et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Abbeville le 26 juillet 2021, qui par jugement du 27 mars 2023, a :

- dit et jugé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Verescence France à verser à la salariée les sommes suivantes :

9 425,90 euros au titre d'un reliquat d'indemnité compensatrice de préavis outre 942 euros au titre des congés payés afférent ;

1 233,79 euros au titre d'un reliquat d'indemnité spéciale de licenciement ;

211 681,44 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

52 920 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire ;

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R.1454-14 du code du travail, dans la limite de 9 mois de salaire, calculées sur la moyenne des trois derniers mois de salaire étaient de droit exécutoires en application de l'article R.1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élevant à la somme mensuelle brute de 8 820,06 euros ;

- ordonné à la société de remettre à Mme [I] un certificat de travail, un solde de tout compte, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire rectificatif dans les 30 jours suivant la réception de la notification à l'employeur, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard jusqu'à complète exécution ;

- dit que le conseil de prud'hommes se réservait le pouvoir de liquider ladite astreinte provisoire ;

- débouté Mme [I] de sa demande en paiement de formation ;

- débouté la société de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société Verescence France aux dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 mars 2024, dans lesquelles la société Verescence France, qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :

- déclarer recevable sa pièce n°1 ;

- débouter Mme [I] de son appel incident et de toutes ses demandes ;

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de paiement de formation, et statuant à nouveau, de :

- à titre principal, débouter Mme [I] de l'intégralité de son appel incident et de ses demandes, et la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance ;

- à titre subsidiaire :

- fixer le salaire de référence de Mme [I] à la somme de 8 800,41 euros,

- sur le licenciement : réformer le montant des dommages et intérêts alloués à Mme [I] et le réduire à due proportion du préjudice établi par l'intimée,

- en conséquence, fixer le montant des dommages et intérêts, à titre principal, au maximum à 44 002,05 euros (5 mois) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire, au maximum à 52 802,46 euros (6 mois) pour licenciement nul,

- débouter Mme [I] de sa demande au titre de l'indemnité spécifique de rupture, de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents et de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

- à titre infiniment subsidiaire : réformer le quantum des dommages et intérêts alloués à ce titre et leur montant à due proportion du préjudice distinct qui serait établi par l'intimée,

- sur les autres demandes : débouter Mme [I] de son appel incident tendant à solliciter sa condamnation à lui verser la somme de 7 069,90 euros à titre de dommages et intérêts que ce soit sur le fondement de l'accord du 10 janvier 2017 ou pour absence de négociation d'un accord GEPP, comme de son appel incident portant sur le montant de l'indemnité allouée au titre des frais exposés pour la première instance et confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à Mme [I] la somme de 1 000 euros à ce titre ;

- débouter Mme [I] de ses autres demandes ;

- fixer le point de départ des intérêts au jour de la notification de l'arrêt de la cour d'appel.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 mars 2024, dans lesquelles Mme [I] demande à la cour de la recevoir en son appel incident et la juger recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions, de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande relative aux frais de formation des salariés déclarés inaptes et a condamné la société à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance, et statuant à nouveau, de :

- dire et juger qu'elle a subi un préjudice du fait de l'absence de négociation obligatoire sur la gestion prévisionnelle des emplois et la prévention des conséquences des mutations économiques portant sur les frais de formation des salariés déclarés inaptes et en conséquence, condamner la société à lui verser la somme de 7 069,90 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- dire et juger que ses frais irrépétibles de première instance excédant la somme de 1 000 euros, il y a lieu d'infirmer le quantum alloué par les premiers juges et en conséquence, de condamner la société à lui verser la somme de 2 400 euros au titre des frais irrépétibles supportés en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant, de :

- déclarer irrecevable la pièce adverse n°1 ;

- dire que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de la société devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce ;

- condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel y compris les éventuels frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 avril 2024.

MOTIFS :

1. Sur la recevabilité de la pièce n°1 de l'employeur

Mme [I] sollicite que la pièce n°1 de l'employeur soit déclarée irrecevable en ce qu'il s'agit d'un document qui figurait dans un dossier intitulé « personnel » dans le réseau informatique de l'entreprise, alors que la société Verescence France réplique que la pièce ne fait qu'attester le suivi par la salariée d'une formation universitaire durant l'exercice de ses fonctions.

Or, Mme [I], qui ne procède que par affirmation, n'apporte aucun élément permettant de démontrer que les documents relatifs au suivi d'une formation universitaire durant l'année 2016/2017 auraient été obtenus irrégulièrement par l'employeur dans un dossier informatique intitulé « personnel » et dont l'accès ne lui était pas autorisé. Il n'y a donc pas lieu d'écarter cette pièce des débats.

2. Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

Sur ce,

Mme [I] soutient avoir subi, avec des conséquences lourdes sur sa santé, un harcèlement moral de la part de son employeur, et tout particulièrement par M. [O], nommé en qualité de directeur des ressources humaines Mers/France à compter du 20 janvier 2017.

Elle estime que ce harcèlement procède d'humiliations publiques, de reproches sur la qualité de son travail, d'une mise à l'écart de l'activité du service RH, ainsi que d'un manque de transparence dans la modification de ses objectifs de l'année 2017. Elle évoque également l'entretien intentionnel par l'employeur d'une confusion entre ses missions et celles confiées à M. [O], une charge de travail excessive, son remplacement alors qu'elle se trouvait en arrêt de travail, et le non-respect des engagements pris à lors de l'embauche sur le montant de sa rémunération.

S'agissant de ce dernier point, la salariée ne verse aux débats que des courriels attestant de l'octroi d'une indemnité d'un montant de 2 000 euros afin de compenser ses frais de déplacement entre août 2016 et janvier 2017, et aucun élément de nature à étayer ses affirmations selon lesquelles l'employeur, lors de son embauche, se serait engagé à indemniser plus largement ses frais de déplacement ou encore à augmenter sa rémunération concomitamment à la prise de fonction du nouveau directeur des ressources humaines. Le fait allégué n'est donc pas matériellement établi.

En ce qui concerne la modification de ses objectifs, la salariée ne critique pas en tant que tel l'ajout d'un objectif relatif au taux d'absentéisme pour l'année 2017, mais uniquement le manque de transparence de la part de M. [O] qui l'en aurait informée tardivement en août 2017. Or, il convient de relever l'absence d'élément produit permettant à la cour de déterminer la date exacte à laquelle elle a concrètement reçu l'information, alors même qu'il ressort de son propre courriel du 11 août 2017, dans lequel elle a souhaité «exprimer une nouvelle fois sa surprise», qu'elle avait été informée dès avant cette date.

Il n'est pas davantage démontré par la salariée, qui ne procède que par affirmation sur ce point, qu'elle se serait trouvée mise à l'écart d'informations et communications provenant de ses collègues de travail et de la société pendant son arrêt de travail, ou encore qu'elle se serait trouvée privée de l'usage de son téléphone professionnel, fait qui n'est d'ailleurs pas évoqué dans la lettre du 1er mars 2019.

Ces faits ne sont donc pas non plus matériellement établis.

En revanche, Mme [I] et l'employeur s'accordent sur le fait qu'à l'occasion de la réunion du 5 avril 2017, M. [O] a publiquement exprimé son opposition avec un engagement pris par la salariée auprès des délégués du personnel sur l'allongement du délai légal de consultation. Il ressort tant du témoignage de M. [T], salarié de la société, que du rapport de l'enquête diligentée par le CHSCT portant sur les causes de la maladie professionnelle de la salariée, d'une part que l'opposition exprimée par M. [O] avait alors été perçue comme étant un désaveu devant l'assemblée des élus, et d'autre part que l'intéressée était sortie de la réunion en pleurs.

Il est aussi justifié par la salariée de la réalité de reproches formulés par M. [O] sur la qualité de son travail, plus précisément sur la présence insuffisante des ressources humaines au comité de direction et au comité de pilotage à l'occasion de son entretien d'évaluation professionnelle de l'année 2017, ou encore sur un défaut d'information relatif à un mouvement de grève en cours dans l'entreprise par courriel du 19 novembre 2017.

La société reconnait par ailleurs que Mme [I] n'a pas participé aux préparatifs des augmentations individuelles au mois de janvier 2018.

Il s'ajoute qu'alors que le médecin du travail a préconisé un aménagement de poste avec l'instauration de deux jours de télétravail par semaine dans son avis d'aptitude daté du 9 octobre 2017, et que les mardis et jeudis ont à ce titre été choisis, il ressort des agendas du service des ressources humaines de septembre à décembre 2017 produits l'organisation régulière de réunions ses jours habituels de télétravail.

La société reconnait également que le nom de la salariée n'a pas été cité dans la note du 6 décembre 2017 sur la remise des cadeaux de noël.

Si sa nomination en qualité de directrice adjointe des ressources humaines pour le site de Mers à compter du 16 janvier 2017 apparaît conforme à la chronologie convenue lors des échanges préalables et concomitants à son entrée dans l'entreprise sans qu'il ne puisse en être déduit une quelconque confusion entre ses fonctions et celles de M. [O], il demeure qu'il ressort du rapport de l'enquête diligentée par le CHSCT daté du 27 septembre 2018, qu'elle a disposé d'une large autonomie dans la gestion des ressources humaines sur le site de Mers durant les premiers mois d'exercice, et que l'arrivée de M. [O] en janvier 2017 a été suivie par « une absence de cadrage » sur l'organisation du travail, et « une perte d'autonomie sur son périmètre fonctionnel », illustrées par des « relations bilatérales avec la direction de l'usine qui se muent en relations tripartites incluant le DRH France » ainsi qu'une « méconnaissance » des personnes interrogées sur l'organisation du travail au sein du service des ressources humaines. Il n'est d'ailleurs pas contesté que les recrutements de Mme [I] et de M. [O] s'inscrivaient dans un contexte de refonte de l'organisation des ressources humaines, tel qu'exposé par Mme [Z], la directrice RH du groupe, dans son courriel adressé à la salariée le 27 juillet 2016.

Mme [I] justifie également avoir alerté sur cette confusion des tâches à l'occasion d'un mal être, lors de son entretien d'évaluation de l'année 2017 de la façon suivante : « Une nouvelle organisation RH managériale confuse qui n'a pas permis de maintenir une stabilité efficace et sereine, ce qui a entraîné un fort mal être voire une souffrance à mon niveau très présent aujourd'hui ».

La charge de travail excessive dénoncée par la salariée est également matériellement établie. Le rapport d'enquête décrit une charge de travail « extrêmement tendue » à sa prise de poste en raison « des vacances de poste, du retard accumulé et de la justesse des effectifs », ce qui est corroboré par les commentaires suivants de M. [V], alors directeur de l'usine, figurant dans le compte-rendu d'évaluation de l'année 2016 de Mme [I] : « [K] [Mme [I]] a pris le poste fin juillet 2016 dans un contexte difficile, pas de responsable RH titulaire depuis novembre 2015 et une équipe amoindrie. Sa prise de fonction a été rapide et efficace. Les objectifs précisés ont été tenus, [K] s'est beaucoup investie pour rattraper le retard accumulé dans des dossiers individuels que dans des problématiques de service ».

Par ailleurs, Mme [I] produit une note interne du 16 mai 2018, date à laquelle elle était placée en arrêt de travail, annonçant la nomination de Mme [R] au poste de responsable des ressources humaines pour l'usine de Mers, ainsi que des organigrammes de mars et août 2018 ne la faisant plus apparaître dans les effectifs du service. Elle verse en outre aux débats le procès-verbal de la réunion du CHSCT du 28 mai 2019 à l'occasion de laquelle M. [O] a assumé le fait qu'aucune mesure n'était envisagée pour son retour car « Mme [I] ne reviendrait pas » tout en informant les participants qu'elle faisait «un stage en clinique spécialisée dans les burn out», ces propos tenus publiquement étant, de manière évidente, excessifs et humiliants pour la salariée.

Mme [I] établit également avoir été destinataire, alors qu'elle avait informé l'employeur de son hospitalisation en clinique psychiatrique, d'une lettre recommandée avec avis de réception datée du 1er mars 2019 rédigé par M. [X], le directeur d'usine, l'informant qu'il suspendait ses accès à sa messagerie professionnelle et au serveur de l'entreprise.

Enfin, la salariée, qui a été en arrêt de travail continu à compter du 7 décembre 2017, justifie de documents médicaux constatant l'apparition de troubles psychiques, et de l'avis d'inaptitude «Inaptitude immédiate car danger réel, sérieux et immédiat en cas de reprise du travail. Inaptitude d'origine professionnelle. L'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi de l'entreprise ». Elle produit en outre la décision de prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle après avis du CRRMP de la région des Hauts-de-France.

Mme [I] présente ainsi des éléments de fait matériellement établis qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits ainsi retenus étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

La société établit que M. [O] occupait conjointement les fonctions de directeur des ressources humaines France et de l'usine de Mers et que sa présence était indispensable pour certaines réunions et ateliers, alors que Mme [I] a délibérément choisi d'exécuter ses fonctions de son domicile les mardis et jeudis. Or, l'avis d'aptitude du 9 octobre 2017 préconisant deux jours de télétravail par semaine n'imposait aucun jour précis pour l'exécution du télétravail, et même si Mme [I] avait choisi d'être en télétravail les mardis et jeudis afin de ne pas être en contact avec M. [O] présent sur site à l'usine Mers ces jours-là, il reste qu'elle confirme elle-même qu'il lui arrivait de se rendre volontairement sur le site durant ses jours habituels de télétravail pour des événements qui l'exigeaient. Au regard de ces éléments, il sera retenu que le maintien des réunions ces deux jours est étranger à tout harcèlement moral.

Il ressort par ailleurs de la lettre du 1er mars 2019 informant la salariée de la suspension de ses accès à la messagerie professionnelle et au serveur de l'entreprise, que l'employeur justifiait cette décision par la nécessité qu'elle se déconnecte de son environnement professionnel alors qu'elle venait d'être hospitalisée, ce comportement bienveillant qui n'est pas utilement contesté étant ainsi étranger à tout harcèlement moral.

L'employeur démontre également que la participation de la salariée aux préparatifs des augmentations individuelles au mois de janvier 2018 avait été rendue impossible par son arrêt de travail alors en cours, débuté le 7 décembre 2017.

La mise à l'écart de l'activité de l'entreprise dénoncée par Mme [I] était donc justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En revanche, la société tente vainement de justifier le comportement de M. [O] lors de la réunion du 5 avril 2017 en affirmant qu'il n'avait aucune intention de nuire à Mme [I] lorsqu'il a exprimé son opposition aux engagements qu'elle avait pris à l'égard des délégués du personnel, dès lors que l'élément intentionnel n'est pas une condition exigée par l'article L.1152-1 du code du travail. Cette simple allégation inopérante, ne permet donc aucunement de retenir que ces agissements matériellement établis par la salariée sont étrangers à tout harcèlement moral.

Le fait que M. [O] aurait reconnu son erreur pour ne pas avoir cité le nom de Mme [I] dans la note d'attribution des cadeaux de noël et le fait qu'il aurait tenu à souligner son investissement lors de son entretien d'évaluation, sont également impropres à établir que les faits matériellement prouvés par la salariée étaient étrangers à tout harcèlement moral.

L'employeur ne produit pas non plus d'éléments objectifs démontrant que les reproches adressés à Mme [I] par M. [O] pour ne pas l'avoir informé d'un mouvement de grève en cours dans l'entreprise, et pour la présence insuffisante des ressources humaines au comité de direction, étaient étrangers à tout harcèlement moral.

Par ailleurs, alors que la seule précision par Mme [Z] dans son courriel du 27 juillet 2016 de ce que la salariée avait en charge le pilotage du site de Mers sous l'autorité hiérarchique du futur directeur des ressources humaines, apparaît insuffisante pour déterminer efficacement les rôles de chacun au sein d'un service des ressources humaines dont l'organisation était de surcroît en pleine refonte, la société ne remet pas utilement en cause la confusion des périmètres d'action entre le directeur et son adjointe, qui a été observée lors de l'enquête diligentée par le CHSCT et qui avait été clairement mise en évidence par Mme [I] lors de son entretien d'évaluation.

Il n'est pas non plus justifié par l'employeur de la remise à la salariée d'une fiche de poste ou même de consignes portant sur la définition de son périmètre d'action.

Même à retenir que sont avérées les affirmations de l'employeur selon lesquelles la mésentente entre Mme [I] et M. [O] trouverait son origine dans l'insatisfaction de la salariée qui n'a pas obtenu le poste de directeur, ou encore ses affirmations selon lesquelles le surmenage ressenti par la salariée serait dû au cumul de son emploi et du suivi d'un cursus universitaire, il n'en demeure pas moins que de telles affirmations n'apportent pas d'information utile permettant de remettre en cause les faits matériellement établis par la salariée tenant à l'absence de définition précise de ses missions et à la charge de travail tendue décrite par l'enquête.

Enfin, l'employeur n'apporte aucune explication pertinente sur le choix d'embaucher Mme [R] en juillet 2018 sur un poste en tous points identiques à celui qu'occupait Mme [I] qui, n'ayant pas encore été déclarée inapte à son poste, était pourtant susceptible de réintégrer l'entreprise, ni sur son éviction de l'organigramme du service des ressources humaines, ni encore sur les spéculations exprimées publiquement et de manière humiliante par M. [O] sur son départ définitif de l'entreprise, et n'établit donc pas non plus que ces faits et agissements étaient étrangers à tout harcèlement moral.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient la matérialité de reproches adressés à la salariée, de vexations publiques, d'une charge de travail excessive, d'un périmètre confus d'exercice de ses fonctions ainsi que de son éviction alors qu'elle se trouvait en arrêt de travail, et que l'employeur échoue à démontrer que ces faits répétés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

L'existence d'un harcèlement moral est donc caractérisée.

3. Sur la rupture du contrat de travail

3.1 - Sur le bien fondé du licenciement

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l'article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul. Pour décider que le licenciement est nul en application de ce texte, il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement l'existence d'un lien de causalité entre les agissements de harcèlement moral et le licenciement.

Sur ce,

Le harcèlement moral subi par la salariée, ci-dessus retenu, a eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et son état de santé.

Il est constant que Mme [I], en arrêt de travail ininterrompu à compter du 7 décembre 2017, a été déclarée inapte à son poste de travail par le médecin du travail par avis du 19 novembre 2020 rédigé en ces termes : « inaptitude définitive à tout poste dans l'entreprise. Inaptitude immédiate car danger réel, sérieux et immédiat en cas de reprise du travail. Inaptitude d'origine professionnelle. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l'entreprise ».

Le compte-rendu de consultation du 13 octobre 2020 établi par le docteur [M], médecin psychiatre, évoque l'historique de la pathologie de la salariée en ces termes : « Syndrome d'épuisement professionnel ayant nécessité un arrêt de travail en septembre 2017. Reprise avec aménagement du poste de travail en octobre 2017 sans résultat significatif sur le syndrome d'épuisement professionnel. Evolution vers l'installation d'un syndrome dépressif majeur avec prescription d'un nouvel arrêt de travail le 07/12/2017. Suivi psychologique à partir de février 2018. Hospitalisation en février 2019 à la Clinique du [5] pour dépression sévère avec idées suicidaires actives. [']

Evolution clinique lentement favorable depuis février 2019 à la faveur du traitement médicamenteux et des ajustements thérapeutiques de l'hospitalisation à la clinique du campus, de la poursuite de la mesure d'arrêt de travail et de la mise à distance professionnelle »

Les constatations médicales réalisées à cette date, près d'un mois avant l'avis d'inaptitude, sont les suivantes : « une évolution légèrement favorable avec la persistance d'une tristesse avec asthénie, RPM, anhédonie, apragmatisme. ['] Il est à noter que la dernière expérience professionnelle comporte un indéniable caractère traumatique avec des reviviscences et surtout des cauchemars et troubles du sommeil. Ces éléments demeurent encore très présents en particulier sur axe de dévalorisation et d'auto-accusation. La dévalorisation et la dépréciation de soi s'inscrivent comme des séquelles de cette expérience traumatique », le praticien concluant à l'absence de rémission totale de l'épisode dépressif et préconisant la poursuite du traitement et de l'arrêt de travail.

Ces éléments démontrent une décompensation psychique concomitante et consécutive aux agissements dénoncés par Mme [I] dont il a été retenu qu'ils relevaient d'un harcèlement moral, qui a conduit à un arrêt de travail qui s'est prolongé jusqu'à la déclaration d'inaptitude, ce qui démontre suffisamment l'existence d'un lien direct entre le harcèlement moral subi par la salariée durant l'exécution de son contrat de travail et sa maladie à l'origine de l'inaptitude professionnelle qui a motivé son licenciement.

Ces éléments sont d'ailleurs corroborés par l'avis rendu le 22 mai 2019 par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région des Hauts-de-France, saisi pour avis sur la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de Mme [I], qui a retenu un lien direct et essentiel entre sa maladie et son travail habituel aux motifs « de changements organisationnelles majeurs sans soutien de la hiérarchie » associés « à la détérioration croissante des relations professionnelles », comme par la décision du 24 mai 2019, de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, qui a reconnu le caractère professionnel de la maladie médicalement constatée le 7 décembre 2017.

Il s'ajoute encore que, dans le cadre d'une procédure actuellement pendante devant la juridiction de sécurité sociale, le CRRMP de la Bourgogne-Franche-Comté, par avis du 29 janvier 2024, a confirmé le premier comité aux motifs qu'il était constaté « des éléments susceptibles d'entrainer une souffrance au travail au regard des axes décrits dans le rapport Gollac (surcharge de travail, exigences émotionnelles avérées, peu d'autonomie et de marges de man'uvre, relations de travail très dégradées, insécurité de la situation de travail) ».

En conséquence, par infirmation du jugement déféré, la cour retient la nullité du licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement.

3.2 - Sur les conséquences du licenciement nul

En application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités notamment en cas de faits de harcèlement moral, et que le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Sur ce,

Il est observé que le tableau produit par la salariée pour permettre le calcul de son salaire moyen, comporte des mentions erronées. Ce tableau mentionne notamment un montant du bonus accordé aux cadres dont le paiement de l'intégralité des 12 mois précédant son arrêt de travail n'est étayé ni par les bulletins de salaire, ni par l'attestation remise à Pôle emploi, alors qu'il n'est pas non plus établi qu'il lui était dû. Dans ces conditions, il conviendra de retenir le salaire de référence exactement retenu par l'employeur, à savoir 8 800,41 euros.

Tenant compte des circonstances de la rupture, de l'âge avancé professionnellement de la salariée au moment de la rupture (pour être née le 2 décembre 1967), de son ancienneté de plus de 4 ans, de sa rémunération de référence, et de sa capacité réduite à retrouver un emploi pérenne du fait de son état de santé (alors qu'elle justifie, au 14 janvier 2024, être toujours indemnisée par France Travail), il y a lieu de lui allouer la somme de 158 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Le jugement entrepris est infirmé.

La salariée ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

3.3 - Sur l'indemnité spéciale de licenciement et l'indemnité compensatrice

Selon l'article L.1226-10 du code du travail, les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie, et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

En application de l'article L.1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L.1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

Le montant de l'indemnité compensatrice ne doit pas être calculé en fonction de la durée du préavis conventionnel mais uniquement du préavis légal.

Sur ce,

Mme [I] fait valoir que l'employeur ne lui a pas versé l'indemnité compensatrice de préavis en tenant compte de la durée de préavis prévue par la convention collective qui est de trois mois, et ajoute que, compte-tenu d'un salaire de référence de 8 820,06 euros et d'une ancienneté de 4 ans et 8 mois dans l'entreprise, l'indemnité spéciale de licenciement devait s'élever à 20 550,80 euros.

Or, la salariée ayant été licenciée pour inaptitude professionnelle, sa situation ouvre droit à l'octroi de l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis légale sans qu'il ne puisse être pris en considération la durée conventionnelle du préavis. Toutefois, compte-tenu d'un salaire moyen de référence de 8 800,41 euros, l'indemnité compensatrice due à la salariée s'élevait à 17 600,82 euros. L'employeur ayant payé à ce titre la somme de 17 034,28 qui figure dans le solde de tout compte communiqué, il sera, par infirmation du jugement déféré, condamné à payer à Mme [I] la somme restant due de 566,54 euros brut. L'indemnité prévue à l'article L.1226-14 du code du travail n'ayant pas la nature de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1234-5, la salariée sera déboutée de sa demande en paiement des congés payés sur préavis.

Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'ancienneté ininterrompue au service du même employeur s'apprécie à la date de notification du licenciement, c'est-à-dire la date d'envoi de la lettre de licenciement et sans tenir compte du préavis. Le paiement par l'employeur de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1226-14 du code du travail n'a pas pour effet de reculer la date de la cessation du contrat de travail de Mme [I], qui est donc le 16 décembre 2020. Compte-tenu d'une ancienneté de 4 ans et 4 mois et d'un salaire moyen de 8 800,46 euros, l'employeur a exactement fixé l'indemnité spéciale de licenciement à la somme de 19 317 euros, qu'il justifie avoir payé à la salariée. Par infirmation du jugement entrepris, Mme [I] sera déboutée de sa demande en paiement d'un solde d'indemnité spéciale de licenciement.

3.4 Sur les circonstances vexatoires du licenciement

La cour rappelle que le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié au caractère abusif et vexatoire de la procédure, mais qu'il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur.

Sur ce,

Il ne ressort pas du dossier que le licenciement est intervenu dans des conditions vexatoires dépassant le cadre normalement difficile d'une procédure de licenciement, étant souligné que les faits invoqués par la salariée au soutien de sa demande précèdent la procédure de licenciement de plusieurs mois voire pour certains de plusieurs années. Il s'ajoute que Mme [I] ne fait pas non plus la démonstration du préjudice qu'elle affirme avoir subi.

En conséquence, la preuve d'une attitude fautive de l'employeur fait défaut autant que celle d'un préjudice de la salariée, qui doit dès lors, par voie d'infirmation, être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

4. Sur la prise en charge des frais de formation

Selon l'article L.2222-4 du code du travail, la convention ou l'accord est conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. A défaut de stipulation de la convention ou de l'accord sur sa durée, celle-ci est fixée à cinq ans. Lorsque la convention ou l'accord arrive à expiration, la convention ou l'accord cesse de produire ses effets.

L'article L.2242-20 du même code prévoit que dans les entreprises et les groupes d'entreprises au sens de l'article L.2331-1 d'au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes d'entreprises de dimension communautaire au sens des articles L.2341-1 et L.2341-2 comportant au moins un établissement ou une entreprise d'au moins cent cinquante salariés en France, l'employeur engage tous les trois ans, notamment sur le fondement des orientations stratégiques de l'entreprise et de leurs conséquences mentionnées à l'article L.2323-10, une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels et sur la mixité des métiers portant sur :

1° La mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, notamment pour répondre aux enjeux de la transition écologique, ainsi que sur les mesures d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, d'abondement du compte personnel de formation, de validation des acquis de l'expérience, de bilan de compétences ainsi que d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés autres que celles prévues dans le cadre de l'article L. 2254-2 ;

2° Le cas échéant, les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise prévue à l'article L. 2254-2, qui doivent, en cas d'accord, faire l'objet d'un chapitre spécifique ;

3° Les grandes orientations à trois ans de la formation professionnelle dans l'entreprise et les objectifs du plan de développement des compétences, en particulier les catégories de salariés et d'emplois auxquels ce dernier est consacré en priorité, les compétences et qualifications à acquérir pendant la période de validité de l'accord ainsi que les critères et

modalités d'abondement par l'employeur du compte personnel de formation ;

4° Les perspectives de recours par l'employeur aux différents contrats de travail, au travail à temps partiel et aux stages, ainsi que les moyens mis en 'uvre pour diminuer le recours aux emplois précaires dans l'entreprise au profit des contrats à durée indéterminée ;

5° Les conditions dans lesquelles les entreprises sous-traitantes sont informées des orientations stratégiques de l'entreprise ayant un effet sur leurs métiers, l'emploi et les compétences ;

6° Le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs fonctions.

Un bilan est réalisé à l'échéance de l'accord.

Sur ce,

Alors que l'échéance de trois ans prévue à l'article L.2242-20 du code du travail dont il n'est pas contesté qu'il s'applique à la société Verescence, concerne uniquement l'obligation de l'employeur d'engager de nouvelles négociations pour l'élaboration d'un nouvel accord, il est relevé que l'extrait de l'accord du 10 janvier 2017 communiqué à la cour ne contient aucune information relative à la durée déterminée ou indéterminée de ses stipulations. A défaut d'une telle précision et de tout élément contraire, la durée de l'accord du 10 janvier 2017 devant être retenue est de 5 ans, et il ne peut donc être retenu qu'il avait expiré lorsque Mme [I] avait, le 12 janvier 2021, sollicité la prise en charge de frais de formation.

Or, l'article 3 du chapitre II de la partie 3 de l'accord en faveur de la gestion des emplois et des parcours professionnels et sur la mixité des métiers du 10 janvier 2017 ainsi applicable au moment du départ de la salariée de la société, est rédigé en ces termes : « L'entreprise poursuivra ses efforts en matière de déploiement des actions d'ergonomie tant pour les nouveaux projets d'investissements industriels que pour les postes existants.

Les candidatures des salariés qui relèvent d'inaptitudes médicales sont étudiées préférentiellement en cas de poste disponible et dont les conditions d'emploi sont de nature à prendre en compte de manière durable l'inaptitude.

Pour les salariés qui se verraient notifier une inaptitude médicale définitive ou rendant impossible le maintien dans son emploi pouvant les exposer à une rupture du contrat de travail, la Société s'engage à mettre en 'uvre un accompagnement personnalisé en vue de faciliter la reprise d'une activité professionnelle (Cf. paragraphe « les dispositifs d'accompagnement des transitions professionnelles externes).

En outre, cet accompagnement pourra comprendre, selon les besoins et le souhait du salarié, un financement d'actions de formations et ou l'accompagnement par un cabinet spécialisé dans pour la recherche d'un nouvel emploi. Une enveloppe d'un montant spécifique de 8000€ étant allouée dans ce cadre ».

Si Mme [I] soutient qu'elle demeurait éligible à la prise en charge de ses frais de formation quand bien même elle était sortie des effectifs de l'entreprise, il apparaît au contraire que ces dispositions visent expressément la seule situation des salariés en poste concernés par une inaptitude médicale définitive ou rendant impossible le maintien dans leur emploi avant toute mesure de licenciement. Il s'en déduit que la salariée ne pouvait plus prétendre à l'accompagnement prévu par l'accord en faveur de la gestion des emplois et des parcours professionnels et sur la mixité des métiers du 10 janvier 2017 lorsqu'elle a présenté sa demande de prise en charge le 12 janvier 2021, postérieurement à son licenciement.

Le jugement dont appel, qui a rejeté les prétentions de la salariée sur ce point, est confirmé.

5. Sur les autres demandes

Il convient d'ordonner à la société Verescence France de remettre à Mme [I] les bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte qui ne se justifie pas.

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société Verescence France, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens d'appel sans qu'il soit besoin de mentionner expressément les frais d'exécution forcée qui sont à ce stade futurs et éventuels. Elle sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée à payer à ce titre à Mme [I] la somme de 2 400 euros en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats la pièce n°1 de l'employeur,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [I] en réparation du préjudice subi en raison du refus de l'employeur de prendre en charge des frais de formation, en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance,

Le confirme de ces chefs,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que Mme [I] a été victime d'un harcèlement moral,

Dit que le licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement prononcé à l'égard de Mme [I] le 16 décembre 2020 est nul,

Condamne la société Verescence France à payer à Mme [I] les sommes suivantes :

- 158 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 566,54 euros à titre de solde d'indemnité compensatrice,

Rejette les demandes de Mme [I] en paiement d'un solde d'indemnité spéciale de licenciement, et de dommages et intérêts pour rupture vexatoire du contrat de travail,

Ordonne à la société Verescence France de remettre à Mme [I] les bulletins de paie et documents de fin de contrat rectifiés conformes au présent arrêt,

Rejette la demande d'astreinte,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Verescence France de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Ordonne à la société Verescence France de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

Condamne la société Verescence France à payer à Mme [I] la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Verescence France aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/02097
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;23.02097 ?
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