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12/06/2024 | FRANCE | N°23/03330

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 12 juin 2024, 23/03330


ARRET







[U]





C/



Caisse CRCA PICARDIE



























































copie exécutoire

le 12 juin 2024

à

Me LUMBROSO

Me CARDOSO EZVAN

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 12 JUIN 2024



*************

************************************************

N° RG 23/03330 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2WN



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 10 JUILLET 2023 (référence dossier N° RG 22/00287)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [S] [U]

né le 15 Septembre 1976 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité...

ARRET

[U]

C/

Caisse CRCA PICARDIE

copie exécutoire

le 12 juin 2024

à

Me LUMBROSO

Me CARDOSO EZVAN

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 12 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/03330 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2WN

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 10 JUILLET 2023 (référence dossier N° RG 22/00287)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [S] [U]

né le 15 Septembre 1976 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparant en personne,

assisté, concluant et plaidant par Me Pierre LUMBROSO de la SELARL SELARL L&A, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Leïla DJEBROUNI, avocat au barreau de PARIS,

représenté par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

ET :

INTIMEE

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de BRIE PICARDIE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Ruth CARDOSO EZVAN de la SELEURL RCE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Me Virginie CANU-RENAHY de la SELAS CANU-RENAHY ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 17 avril 2024, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame [P] [G] en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame [P] [G] indique que l'arrêt sera prononcé le 12 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [P] [G] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 12 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [U] a été embauché à compter du 22 janvier 2002 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Brie Picardie (l'employeur), en qualité d'assistant de clientèle grand public. Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait la fonction de directeur de secteur.

La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Brie Picardie compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle du Crédit agricole mutuel.

Le 15 avril 2021, M. [U] a adressé une demande de retrait d'espèces pour un montant total de 12 500 euros et transmis divers bons de commandes liés à des travaux à M. [J], directeur d'agence.

Le 16 avril 2021, il a procédé au retrait de la somme de 12 500 euros.

Par courrier du 28 juin 2021, il a été convoqué à une commission de discipline, fixée au 9 juillet 2021.

Le 18 août 2021, il a été licencié pour faute grave consistant en une violation des règles applicables en matière de prévention et de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et consultation de ses comptes, de celui de son ex-épouse, de ceux de son père et de sa mère en violation du code de déontologie.

Contestant la légitimité de son licenciement, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 4 octobre 2021.

Par jugement du 10 juillet 2023, le conseil a :

dit que le licenciement de M. [U] reposait bien sur une faute grave ;

en conséquence, débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes ;

condamné celui-ci à payer à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Brie Picardie la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

laissé à sa charge des entiers dépens relatifs à l'instance.

M. [U], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 2 octobre 2023, demande à la cour de :

infirmer le jugement.

Statuant à nouveau de,

déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence :

condamner la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Brie Picardie à lui payer les sommes suivantes :

- 76 976,94 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 39 061,77 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 14 896,44 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 496,64 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 79 447,68 euros au titre de dommages et intérêts pour atteinte à son honneur et à sa réputation ;

- 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La Caisse régionale du Crédit agricole Brie Picardie, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 décembre 2023, demande à la cour de :

la dire et juger recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

condamner M. [U] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leurs moyens et argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

En l'espèce, elle est ainsi rédigée :

«  (')Le Service Conformité et Déontologie de la Caisse Régionale a été alerté par l'Unité Sécurité Financière concernant un retrait en espèces de 12.500 euros réalisé à votre demande et à votre profit le 16 avril 2021 à l'agence de [Localité 6], par le Directeur de l'agence de [Localité 6], Monsieur [D] [L], dont vous êtes le supérieur hiérarchique.

Pour justifier votre demande de retrait d'espèces, vous avez indiqué à Monsieur [D] [L] que les fonds retirés étaient destinés au financement en espèces de travaux réalisés dans votre résidence principale. Vous lui avez fourni des documents concernant des dépenses de travaux à hauteur de 95.624 euros. Aucun justificatif sur la destination des espèces retirées n'a été fourni.

L'enquête qui a été menée par le Service Conformité et Déontologie a mis en exergue un non-respect délibéré de votre part des règles applicables en matière de prévention et de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme ainsi que le paiement de prestataires de services pour des montants supérieurs à 1000 euros, soit au-delà des plafonds de paiement fixés par l'article D. 112-3 du Code Monétaire et Financier. Le Service Conformité et Déontologie précise que ce paiement a manifestement permis le financement d'un travail dissimulé et est constitutif d'une fraude fiscale.

Il est également apparu lors de ces investigations que vous consultez, à l'aide des outils internes de l'entreprise, vos propres comptes ainsi que ceux de votre entourage, notamment celui de votre ex-femme. (')

(') Comme l'indique le rapport du Service Conformité et Déontologie, préalablement au retrait de fonds, Monsieur [D] [L] vous a rappelé le plafond de retrait d'espèces pour le paiement des artisans et vous a proposé d'utiliser une alternative au retrait d'espèces. Lors de son audition dans le cadre de l'enquête menée, Monsieur [D] [L] a précisé que vous vouliez « absolument des espèces ». A cet effet, vous avez de toute évidence profité de votre ascendant. Monsieur [D] [L] a en effet déclaré que s'il s'était agi d'un autre client ou d'un autre collaborateur, il aurait demandé l'avis du service Sécurité Financière de la Caisse Régionale, mais que votre statut de Directeur de secteur supposait la connaissance des règles relatives à la sécurité financière.

Nous vous rappelons qu'en votre qualité de Directeur de secteur, vous êtes responsable de la 1ère ligne de défense du dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent et financement du terrorisme.

(') Il ressort des éléments réunis au cours de l'enquête et de vos propres déclarations que vous avez délibérément et en parfaite connaissance de cause contrevenu aux règles applicables en matière de prévention et de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme, alors même que vous avez été sensibilisé à de nombreuses reprises à ce dispositif dans le cadre de vos fonctions de Directeur de secteur, et qu'en cette qualité, vous aviez le devoir de les faire appliquer par les collaborateurs sous votre responsabilité

Vous avez également admis que ce retrait d'espèces a conduit au paiement de prestataires de services pour des montants supérieurs à 1000 €, soit au-delà des plafonds de paiement en espèces fixés par la loi, alors que ce paiement a manifestement permis le financement d'un travail dissimulé et constitutif d'une fraude fiscale. Votre impossibilité à justifier de la destination de ces espèces et le caractère peu crédible de vos déclarations le confirment.

En agissant de la sorte, vous avez failli à votre devoir d'exemplarité et aux prérogatives que vous confèrent vos fonctions de Directeur de secteur. Vous avez, de plus, sciemment exposé l'un des collaborateurs sur lequel vous exercez une autorité à une sanction disciplinaire.

Vous engagez également la responsabilité de la Caisse Régionale et de ses dirigeants vis-à-vis de l'ACPR et les exposez à des sanctions pécuniaires, tout en ne pouvant ignorer que vous entachez par là-même l'image de la Caisse Régionale vis-à-vis de ses clients, de ses concurrents et de ses collaborateurs.

Ces agissements ainsi que les manipulations et fausses déclarations auxquelles vous avez eu recours afin d'atténuer votre responsabilité constituent une violation de vos obligations professionnelles et déontologiques, mais également une violation de votre obligation de loyauté au titre de votre contrat de travail.

S'y ajoute le fait que vous avez consulté les comptes de votre ex-femme ainsi que ceux de votre père, ce que vous avez reconnu, ce qui confirme malheureusement votre inconséquence et le mépris ainsi affiché pour les règles et procédures auxquels vous êtes assujetti et que vous vous devez de faire appliquer par les équipes placées sous votre autorité.

(') Ces faits sont constitutifs d'une violation du Code de déontologie, annexé au règlement intérieur de la Caisse Régionale et aux règles internes de l'entreprise, et de manière plus générale aux devoirs et obligations liés à votre fonction et à votre statut.

Après avoir pris en compte l'ensemble des éléments portés à notre connaissance, nous vous informons que nous avons décidé de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave qui prendra effet dès l'envoi de cette lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement (' ) ».

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

Le doute doit profiter au salarié.

-Sur le premier grief :

Les articles L112-6 et D112-3 du code monétaire et financier prohibent les paiements en espèces à des professionnels pour un montant supérieur à 1 000 euros.

Une note d'instruction « renforcement de la vigilance sur opérations espèces et atypiques » rappelle les obligations des employés de la banque en matière de retrait d'espèces et détaille les règles et procédures à suivre et notamment la nécessité d'apporter des justificatifs probants quant à la destination des fonds.

Or, M. [U] expose en page 4 de ses écritures avoir remis la somme de 8 500 euros sur 12 500 euros retirés pour la donner à une société responsable de la coordination de l'ensemble des corps de métiers intervenant pour des travaux à son domicile qui devait procéder aux achats de matières premières et matériaux auprès des fournisseurs et devait donc régler à chaque artisan et commerçant des acomptes en espèces, jamais supérieurs à 1 000 euros. Il reconnaît ainsi que les espèces retirées étaient destinées à un professionnel pour un montant excédant largement le plafond autorisé, peu important ensuite que l'entreprise ait redistribué l'argent pour des montants inférieurs à 1 000 euros ce qui au demeurant n'est pas établi.

En effet, contrairement à ce qu'il prétend, le salarié ne justifie pas de la destination des fonds retirés, les factures produites, soit ne mentionnent pas de paiements en espèces, soit ne sont pas libellées au nom de la société Acro-bat et, à quelques exceptions près, ne concernent pas des matériaux ou matières premières.

M. [U] ne rapporte pas la preuve de ce que le retrait n'aurait pu s'effectuer dans une autre agence que celle de [Localité 6] dirigée par son subalterne M. [J], dont le dévouement à sa personne transparaît au travers du message de soutien qu'il lui a adressé au moment de son licenciement. Il ne contredit notamment pas utilement les allégations de l'employeur selon lesquelles il aurait pu s'adresser à sa propre agence qui aurait procédé selon un protocole particulier de nature à en assurer la sécurité. Or, M. [J] a déclaré lors de l'enquête interne qu'il n'avait pas subi de pression de la part de M. [U] mais qu'il n'aurait pas agi de la même manière pour un client ordinaire et aurait probablement demandé l'avis de la Sécurité financière.

Le premier grief est donc parfaitement caractérisé.

-Sur la consultation des comptes :

M. [U] reconnaît, tout en en minimisant la gravité, avoir consulté ses comptes, ceux de son ex-épouse et de ses parents pour des raisons pratiques en utilisant les logiciels mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions ce qui est formellement prohibé par le règlement intérieur du Crédit agricole et le code de déontologie qui y est inséré.

Les deux griefs sont donc établis.

Nonobstant l'ancienneté du salarié et l'absence de passé disciplinaire, les faits commis, de surcroît par un salarié de haut niveau hiérarchique chargé de faire appliquer les règles et tenu à un devoir d'exemplarité, qui contreviennent aux dispositions législatives et réglementaires ainsi qu'au règlement intérieur de la banque applicables en matière de prévention et de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, de lutte contre le travail dissimulé et de protection du secret bancaire, revêtent une gravité telle qu'ils ne permettaient pas le maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis.

C'est, par conséquent, à juste titre que le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement était justifié et a rejeté l'ensemble des demandes de M. [U].

2/ Sur les frais du procès :

L'issue du litige conduit à confirmer le jugement de ce chef.

Le salarié, qui perd le procès en appel, sera condamné aux dépens et à payer à l'employeur la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [S] [U] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Brie Picardie la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Le condamne aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/03330
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;23.03330 ?
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