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12/06/2024 | FRANCE | N°23/02879

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 12 juin 2024, 23/02879


ARRET







S.A.S. SOCIETE DES EXTINCTEURS ANDRIEU





C/



[B]



























































copie exécutoire

le 12 juin 2024

à

Me PAPAZIAN

Me BEFRE

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 12 JUIN 2024



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N° RG 23/02879 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IZ3R



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 01 JUIN 2023 (référence dossier N° RG F22/00208)





PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.S. SOCIETE DES EXTINCTEURS ANDRIEU

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée, concluant...

ARRET

S.A.S. SOCIETE DES EXTINCTEURS ANDRIEU

C/

[B]

copie exécutoire

le 12 juin 2024

à

Me PAPAZIAN

Me BEFRE

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 12 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/02879 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IZ3R

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 01 JUIN 2023 (référence dossier N° RG F22/00208)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. SOCIETE DES EXTINCTEURS ANDRIEU

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Anahid PAPAZIAN, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

Madame [T] [B]

née le 20 Juin 1992 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparante en personne,

assistée, concluant et plaidant par Me Pierre BEFRE, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Benjamin ETTEDGUI

Me Alina PARAGYIOS de la SELEURL CABINET A-P, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 17 avril 2024, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame [U] [X] en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame [U] [X] indique que l'arrêt sera prononcé le 12 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [U] [X] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 12 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [B], née le 20 juin 1992 a été embauchée à compter du 2 septembre 2019 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la Société des extincteurs Andrieu (la société ou l'employeur), en qualité d'acheteuse approvisionneuse.

La société compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Par courrier du 29 janvier 2021, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé au 9 février 2021.

Le 12 février 2021, elle a été licenciée pour faute grave, par lettre ainsi libellée :

« Nous vous avons convoqué, par une lettre présentée le 29 janvier 2021 à un entretien préalable qui s'est tenu le mardi 9 février 2021. Vous vous y êtes présentée accompagnée de Mme [J] [S] (Conseillère aux salariés de la DIRECTE).

Lors de cet entretien, nous vous avons reçu Mr [I] [E], le responsable certification, et moi-même, et nous vous avons fait part des faits reprochés suivants :

Pour rappel, vous avez été embauchée le 1er septembre 2019 au poste d'acheteuse et approvisionneuse. A ce titre, vous avez notamment pour mission de gérer et suivre les approvisionnements, directement, ou par la fourniture d'instructions auprès de votre assistant achat-approvisionneur, qui effectue sa mission sous votre responsabilité entière.

Nous avons appris le 12 janvier 2021 le premier fait qui vous a été reproché. En effet, sous votre responsabilité, et sur vos instructions, (ce que vous avez fini par reconnaître lors de l'entretien alors que l'aviez nié dans un premier temps) votre assistant achat-approvisionneur Mr [C] [K] a passé quatre commandes au fournisseur Sky le 29 octobre 2020 pour approvisionner les composants nécessaires à la fabrication des extincteurs CO2 2kg.

Vous avez omis de lui demander de commander les tromblons des extincteurs de CO2 2kg, composant majeur de cet extincteur. Cette omission résulte d'un manquement aux procédures réglementaires qui vous ont pourtant plusieurs fois été rappelé par votre formateur. En effet, vous avez reconnu lors de l'entretien avoir passé la commande en vous basant sur le tableau des commandes théoriques de l'entreprise, tandis qu'il vous a toujours été donné comme directive de vérifier l'état des stocks réels et physiques, seule référence réellement fiable pour connaître l'état de ces derniers.

Il en a résulté une rupture du stock, ce qui ne peut pas être admis, cela pouvant engendrer une importante perte de chiffre d'affaires. En effet, les extincteurs CO2 2 KG sont montés et vendus avec un tromblon spécial, certifié par le CNPP et l'AFNOR. En l'espèce, 34800 tromblons DC2 auraient dû être commandés. Nous ne pouvons pas vendre nos extincteurs sans qu'ils soient équipés du tromblon conforme. Sachant que le prix moyen vendu est d'environ 30 € HT par extincteur, cela pourrait engendrer une perte de Chiffre D'affaire d'environ 1 million d'Euros.

Il est à noter que le 27 novembre 2020, un avertissement vous avait déjà été remis suite à un autre cas de rupture d'approvisionnement qui faisait suite à votre manque de rigueur, Nous n'avions pas de connaissance à l'époque de ce second cas de rupture d'approvisionnement du 29 octobre 2020.

Par la suite, nous avons également découvert le 1er février 2021 que le 23 octobre 2020 7500 extincteurs CPP2L ont été commandés chez le fournisseur ZHEJIANG WINNER FIRE. Rien ne justifiait cet achat puisqu'il y avait un surstock sur cette référence déjà très peu vendue. Cette erreur a donc engendré une dépense inutile au fonctionnement de l'entreprise pour un montant de 51750€. Nous insistons également sur le fait que ce stock ne pourra probablement pas être écoulé avant de nombreux mois.

Cette dépense qui ne saura donc être compensée entraîne pour nous un impact financier certain, et un trou conséquent dans notre trésorerie

Vos manquements mettent en péril le fonctionnement de l'entreprise et impactent notre économie d'entreprise, d'autant plus que votre expérience et les multiples rappels de votre formateur auraient dû éviter ces erreurs.

Au regard de ces faits et de l'impact substantiel qu'ils entraînent sur notre entreprise, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. Compte tenu de la gravité de la faute, ce licenciement prend effet immédiatement sans préavis ni indemnité de licenciement.

Conformément à l'article 10 de votre contrat de travail, nous vous informons de notre choix de renoncer au bénéfice et à l'application de la clause de non-concurrence qui nous lie. Par conséquent : vous serez libérée de toute obligation en matière de non-concurrence : nous serons libérés de l'obligation de vous verser la contrepartie financière prévue à l'article 10 de votre contrat de travail.

Nous vous rappelons, selon les termes de votre contrat de travail, que vous êtes toujours tenue au secret professionnel, dont les termes sont ci-dessus reproduits : «Madame [B] [T] s'engage expressément par la présente à tenir strictement confidentielles les informations dont elle aura pris connaissance au sein de l'Entreprise et à ne pas les divulguer auprès de quelque tiers que ce soit et surtout auprès des Entreprises concurrentes. Cette clause est valable aussi bien pendant la durée du contrat qu'après l'expiration de celui-ci. »

Nous tenons à votre disposition votre Certificat de Travail, votre attestation Pôle Emploi, votre bulletin de paie ainsi que votre Solde de Tout Compte ».

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Beauvais le 12 mai 2021.

Par jugement du 1er juin 2023, le conseil :

a dit et jugé les demandes de Mme [B] recevables et partiellement fondées ;

a dit que Mme [B] n'avait pas été victime de harcèlement moral ni d'une discrimination en raison de son état de grossesse ;

l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;

a dit que le licenciement de Mme [B] ne reposait pas sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse ;

a condamné la Société des extincteurs Andrieu à verser à Mme [B] les sommes suivantes :

- 5 000 euros brut au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 500 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 050 euros brut au titre de congés payés y afférents ;

- 1 385,50 euros net au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens ;

dit que les sommes ne porteraient pas intérêt ;

dit qu'il n'y avait pas lieu à exécution provisoire du jugement.

La Société des extincteurs Andrieu, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 décembre 2023, demande à la cour de :

réformer le jugement en ce qu'il a :

- dit et jugé que le licenciement de Mme [B] ne reposait pas sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse ;

- l'a condamnée à verser à Mme [B] les sommes suivantes :

5 000 euros brut au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

10 500 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;

1 050 euros brut au titre de congés payés y afférents ;

1 385,50 euros net au titre de l'indemnité de licenciement ;

300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens ;

le confirmer pour le surplus en ce qu'il a :

- dit que Mme [B] n'avait pas été victime de harcèlement moral ni d'une discrimination en raison de son état de grossesse et conséquemment débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ;

- débouté Mme [B] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Statuant à nouveau :

dire et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [B] est justifié ;

débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes ;

condamner Mme [B] aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

Mme [B], par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 février 2024, demande à la cour de :

A titre principal,

infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de requalification de son licenciement en licenciement nul et de sa demande de condamnation de la société à lui verser la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Par conséquent,

requalifier son licenciement en licenciement nul ;

condamner la société à lui verser la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

A titre subsidiaire,

confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent,

requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

condamner la société Des extincteurs Andrieu à lui verser la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause,

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

- 1 385,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 10 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 050 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société à lui verser les sommes suivantes :

- 14 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 14 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination ;

Par conséquent,

condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 1 385,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 10 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 050 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents ; - 14 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 14 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination ;

- 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de de leurs moyens et de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [B] soutient qu'à compter de l'annonce de sa grossesse par email du 15 octobre 2020, elle a fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de Mme [V], présidente de la société, ayant eu un impact sur sa santé et son évolution professionnelle.

Elle présente les faits suivants :

-une communication agressive de la part de Mme [V], qualifiée de « personne toxique qui maltraite les salariés », manifestée par des propos et des messages anormalement nombreux au ton sec et irrespectueux, un refus de la saluer, une stratégie visant à la déstabiliser par une recherche systématique de faute ;

-un avertissement abusif prononcé le 27 novembre 2020 sur la base de faits imputables à un tiers, M. [I], ancien responsable achats, sans que ses explications aient été prises en compte ;

-une surveillance accrue de son travail et des critiques injustifiées.

Elle ne rapporte pas la preuve d'une attitude impolie de Mme [V] par refus de la saluer ou la tenue de paroles agressives.

En revanche, elle produit sept messages électroniques de Mme [V] et M. [G] son supérieur hiérarchique direct, adressés entre le 15 octobre et le 29 octobre 2020, dont le ton, s'il n'est pas irrespectueux, est sec et impérieux et le sujet est, pour certains, une mise en cause de ses compétences ou une demande d'explications qui sous-entend une faute de sa part et manifeste un contrôle très rapproché de son travail.

Elle verse également aux débats un avertissement prononcé le 27 novembre 2020 pour une rupture d'approvisionnement concernant les cartouches Zéon 60/90 millésime 2020 qui lui est imputée.

Elle produit enfin une lettre du Dr [H] à la médecine du travail faisant état de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de travailler en raison d'une anxiété importante qu'elle attribue « à un problème au travail » ainsi qu'une lettre du médecin du travail adressée à son médecin traitant mentionnant la nécessité de prolonger son arrêt de travail jusqu'à son congé de maternité « tant que sa situation psychologique ne s'est pas significativement améliorée ».

Les faits ainsi présentés, matériellement établis, pris dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

Il incombe donc à l'employeur de rapporter la preuve qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Or, celui-ci ne justifie pas la soudaine surveillance et demande de comptes dont Mme [B] a fait l'objet à compter du 15 octobre 2020 alors qu'il indique lui-même que la salariée disposait d'une grande autonomie, et qu'elle n'avait jamais en un an de fonction fait l'objet de remarques sur son travail. Il ne rapporte pas la preuve des négligences fautives dont elle aurait fait preuve dans les mois ayant précédé son licenciement qui auraient rendu nécessaire un renforcement du contrôle à compter du 15 octobre 2020, jour de l'annonce de sa grossesse. Il se contredit sur le fait qu'il n'aurait pas éprouvé le besoin d'assurer ce contrôle rapproché de son travail précédemment car elle n'a pas été en pleine possession de ses fonctions pendant la première année, étant principalement en charge des frais généraux de la société, tout en affirmant plus loin qu'elle a occupé seule le poste d'acheteuse/approvisionneuse à compter du mois de septembre 2019.

La cour observe, par ailleurs, qu'au moins l'un des ordres donnés à la salariée au motif que le prix qu'elle présentait était incohérent, s'est avéré injustifié et qu'à le suivre la salariée a mis la société en difficulté. En réaction Mme [V] a écrit « on aurait mieux fait de se taire '! ».

En tout état de cause, rien ne justifie le ton et le vocabulaire employés par Mme [V] (« Je répète », « il y a des choses que vous dites qui ne tiennent pas »'), l'utilisation systématique de l'impératif et de peu de formules de politesse à l'inverse de Mme [B], l'avalanche de questions dans le même message, toutes choses qui manifestent une certaine exaspération et exerce incontestablement une forte pression sur son interlocutrice.

Le fait qu'une salariée, Mme [L], se sente bien au sein de l'entreprise n'exclut en rien la possibilité que Mme [B] ait fait l'objet d'un harcèlement moral. De même le message dithyrambique de Mme [A], successeur de Mme [B], à Mme [V], selon lequel elle l'admire et apprécie grandement leurs échanges qui sont cruciaux pour elle, est tout autant dépourvu de valeur probante étant observé que Mme [A] était en période d'essai à la date du message et que celui-ci a été suscité par Mme [V].

S'agissant de l'avertissement du 27 novembre 2020, la salariée affirme qu'elle n'était pas responsable des achats, que l'erreur de commande a été commise par M. [I] et qu'il n'y a en réalité pas eu de rupture de stock.

L'avertissement est motivé par une erreur dans la commande de cartouches Zéon starmousse 6090 destinées à équiper les extincteurs, commise en mars 2020, qui a conduit à une impossibilité pour le fournisseur d'honorer une commande complémentaire du 16 novembre 2020 pour le 26 novembre suivant, provoquant une rupture d'approvisionnement du 17 au 25 novembre, un décalage de la production et un retard de livraison des clients.

Il résulte d'une attestation du fournisseur que celui-ci a reçu une commande le 18 mars 2020 de cartouches millésime 2021 pour une livraison en novembre puis, de manière inhabituelle et imprévisible, une commande 30 000 pièces millésime 2020 le 16 novembre, à une époque où il n'avait plus de stock ce qui ne lui a pas permis de livrer dans les temps. Il souligne que cette pratique ne correspond pas à l'organisation prévalant depuis de très nombreuses années entre la société Andrieu et lui. L'employeur établit donc qu'une erreur a été commise dans les commandes de cartouches qui a entraîné un retard de livraison de pièces nécessaires à sa production d'extincteurs.

Toutefois, il ne rapporte pas la preuve de ce que Mme [B] fût l'auteur de cette erreur à défaut de production d'un bon de commande portant son nom.

En effet, ainsi qu'il a été dit, il résulte de ses propres écritures que la salariée n'a été en pleine possession de ses missions d'acheteuse/approvisionneuse qu'au bout d'un an de fonction soit à compter du mois de septembre 2020, étant avant cela principalement en charge de la gestion de frais généraux de la société et que M. [I], responsable des achats jusqu'au 30 septembre 2019, est resté à ses côtés pour la former et l'assister, faisant preuve d'un grand engagement, ce qui ne permet pas d'exclure qu'il ait passé la commande litigieuse comme l'affirme la salariée. La cour note d'ailleurs que M. [I] n'atteste pas à propos de cette erreur alors qu'il le fait pour celles qui sont visées dans la lettre de licenciement.

La preuve de l'existence de faits imputables à Mme [B] fondant l'avertissement n'est donc pas rapportée.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est donc établi contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes.

Le préjudice qui en est résulté, attesté par les éléments médicaux versés aux débats, sera intégralement réparé par l'octroi de la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts.

2/ Sur la discrimination :

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en raison de sa grossesse.

Selon l'article L.1132-4 du code du travail dans sa version applicable à la cause, tout disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions sur la discrimination est nul.

En application de l'article L. 1134-1, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il revient, alors, à l'employeur de démontrer que la différence de traitement mise en évidence repose sur des raisons objectives, proportionnées au but poursuivi, étrangères à toute discrimination prohibée et que les moyens employés pour atteindre le but poursuivi sont à la fois appropriés et nécessaires.

En l'espèce, Mme [B] soutient que son licenciement est discriminatoire en ce qu'il repose sur le fait qu'elle était enceinte.

Elle présente les faits suivants :

-le courrier électronique de Mme [V] à réception de l'information sur sa grossesse lui demandant des comptes sur ses objectifs et se posant la question suivante : « Nous voulons savoir comment vous voyez les choses à l'avenir pour Andrieu »,

-les annotations portées sur son CV qui concernent sa vie de famille « jeune maman, petite fille de 5 semaines. Parents en Bretagne/belle-famille, proche », ce qui montre une attention particulière de Mme [V] sur ce sujet,

-la soudaine apparition de critiques, humiliations et sanctions (avertissement et licenciement),

-une attestation de Mme [Z] qui relate avoir essuyé une remarque désobligeante de M. [V] précédent dirigeant de l'entreprise et père de Mme [V], à l'annonce de sa grossesse et subi une « placardisation » à son retour de congé maternité.

Les faits ainsi présentés, matériellement établis, laissent présumer l'existence d'une discrimination à raison de la grossesse.

L'employeur soutient qu'il n'existe aucun lien entre l'annonce de la grossesse de la salariée et son licenciement.

Il se défend d'être coutumier de discrimination envers les femmes enceintes en contestant longuement l'attestation de Mme [Z] et en produisant une attestation de Mme [D], responsable commerciale, selon laquelle elle n'a subi aucune discrimination pour ce motif. Toutefois, si ces éléments permettent d'affirmer que la discrimination en raison de la grossesse n'est pas systématique dans l'entreprise, ils n'excluent pas que Mme [B] ait pu en être victime.

Il fait valoir que rien ne prouve que la mention sur le curriculum vitae de cette dernière ne résulte pas de déclarations spontanées mais ne s'explique pas sur la nécessité que Mme [V] a éprouvé de le noter en marge.

Il ne s'explique pas utilement sur le fait qu'en réponse directe au message d'annonce par Mme [B] de sa grossesse, il lui a été demandé pour la première fois de faire un point sur l'atteinte de ses objectifs, ni sur l'interprétation qu'il convient de faire de la question posée à la salariée dans ce message à propos de l'avenir et n'est pas en mesure de justifier ainsi qu'il a été précédemment démontré, le brusque changement d'attitude de Mme [V] à l'égard de la salariée, la date du 15 octobre 2019 et donc l'annonce officielle de l'état de grossesse, ayant constitué un point de bascule certain.

Ainsi de la chronologie et de la nature des faits, matériellement établis et non justifiés par l'employeur par des éléments objectifs, il se déduit que Mme [B] a été victime d'une discrimination liée à son état, l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave intervenu deux mois et demi plus tard, pour des faits pourtant qualifiés d'erreurs, s'inscrivant dans la continuité de cette discrimination.

Il convient néanmoins, ainsi que le fait valoir l'employeur, de rejeter la demande de dommages-intérêts à défaut de préjudice distinct de celui causé par le harcèlement moral, les faits invoqués au soutien des deux demandes étant identiques.

En revanche, il y a lieu de dire nul le licenciement par application de l'article L.1132-4 du code du travail.

3/ Sur les conséquences de la nullité du licenciement :

Le licenciement étant nul, Mme [B] est en droit de prétendre non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois sur le fondement de l'article L.1235-3-1.

Il convient d'allouer à Mme [B], par confirmation du jugement, les sommes de 10 500 euros au titre du préavis, 1 050 euros au titre des congés payés afférents et 1 385,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement, ces sommes justifiées dans leur principe n'étant pas critiquées dans leur quantum.

Au vu des salaires des six derniers mois, la société sera également condamnée à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts.

4/ Sur les frais du procès :

La société, qui perd le procès devant la cour pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à la salariée la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la Société des extincteurs Andrieu à verser à Mme [B] les sommes de 10 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1 050 euros au titre de congés payés y afférents,1 385,50 euros net au titre de l'indemnité de licenciement et 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens et en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour discrimination,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Mme [B] a été victime de harcèlement moral et de discrimination liée à la grossesse,

Dit que le licenciement de Mme [B] est nul,

Condamne la société des extincteurs Andrieu à payer à Mme [T] [B] les sommes de :

4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société des extincteurs Andrieu aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/02879
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;23.02879 ?
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