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11/06/2024 | FRANCE | N°23/05047

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 11 juin 2024, 23/05047


ARRET







[I]





C/



S.A.S. BIOCODEX











































































copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

Me BIBARD

Me DUPREY

CPW/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE


>ARRET DU 11 JUIN 2024



*********************************************************

N° RG 23/05047 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I6EL



ORDONNANCE DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 12 SEPTEMBRE 2023 (référence dossier N° RG 23/00032)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [G] [I]

né le 05 Août 1984 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localit...

ARRET

[I]

C/

S.A.S. BIOCODEX

copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

Me BIBARD

Me DUPREY

CPW/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 11 JUIN 2024

*********************************************************

N° RG 23/05047 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I6EL

ORDONNANCE DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 12 SEPTEMBRE 2023 (référence dossier N° RG 23/00032)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [G] [I]

né le 05 Août 1984 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne

concluant par Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/2807 du 23/11/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AMIENS)

ET :

INTIMEE

S.A.S. BIOCODEX Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Alexandre DUPREY de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Eva TAVARES, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 16 avril 2024 l'affaire a été appelée et la conseillère rappporteur a été entendu en son rapport,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS,

audience prise en double rapporteurs après accord des avocats

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

qui a renvoyé l'affaire au 11 juin 2024 pour le prononcé de l'arrêt par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Madame Corinne BOULOGNE, présidente de chambre

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 juin 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre, et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Biocodex est spécialisée dans le développement et la commercialisation de produits pharmaceutiques issus soit de ses propres travaux de recherche (Cf : ultra-levure, stimol) soit du rachat de molécules auprès d'autres laboratoires pharmaceutiques.

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 20 février 2017, M. [I] a été embauché par la société Biocodex (la société ou l'employeur) en qualité de technicien fabrication biosynthèse, et affecté à l'usine de [Localité 5] chargée de la fabrication de principes actifs en bioprocess et de médicaments formes sèches et formes liquides, le site industriel étant également un centre logistique du groupe distribuant l'ensemble du portefeuille de produits Biocodex dans plus de 100 pays. Au dernier état de la relation de travail, il travaillait dans l'unité de production biosynthèse (dite UP3) en charge de la fabrication d'une levure probiotique.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

Son licenciement pour insuffisance professionnelle a été notifié à M. [I] par courrier portant la date du 20 octobre 2017, avec dispense d'exécution du préavis.

Le 14 mars 2018, le salarié a contesté le bien-fondé de la mesure auprès de l'employeur, et par courrier du 4 avril suivant, son solde de tout compte, courriers auxquels l'employeur a répondu.

Estimant avoir alerté la société sur des faits de harcèlement moral et discrimination le concernant, d'une discrimination concernant une candidate à l'embauche et de plusieurs dysfonctionnements de traçabilité concernant l'absence de respect de la norme de fabrication BPF, et que ces alertes auraient dû lui procurer le statut de lanceur d'alerte le protégeant d'un licenciement, M. [I] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Beauvais le 4 juillet 2023 afin de contester la rupture de son contrat de travail qu'il estime tant dépourvue de cause réelle et sérieuse que nulle, et de solliciter sa réintégration, des indemnités et rappels divers tant au titre de la rupture qu'au titre de l'exécution du contrat de travail, outre une provision sur les dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du harcèlement moral, de la discrimination et du licenciement qu'il estime discriminatoire.

Par ordonnance de référé réputée contradictoire du 12 septembre 2023, la juridiction prud'homale a constaté la prescription de l'action en contestation du licenciement soulevée d'office, débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes, et laissé les dépens à sa charge.

Des affaires au fond sont par ailleurs pendantes devant le conseil de prud'hommes de Créteil. M. [I] a également déposé diverses plaintes à l'encontre de la société directement entre les mains du procureur de la République pour faux, usage de faux et tentative d'escroquerie au jugement ainsi que des plaintes à l'encontre de salariés de la société pour faux témoignage. Il a aussi saisi le Conseil d'état de deux recours à l'encontre de décisions de la CNIL ayant clôturé ses réclamations au titre du droit d'accès à des pièces détenues par l'employeur, estimant que la société avait répondu à ses demandes liées au droit d'accès, et dans sa décision du 24 juillet 2023, le Conseil d'Etat a rejeté les recours, considérant notamment que le salarié n'apportait «aucun élément laissant suspecter que le courriel [du 12 septembre 2017, pièce n°6 produite par l'employeur en la présente instance] serait un faux».

M. [I] a régulièrement interjeté appel de l'ordonnance de référé le 12 décembre 2023, et par ordonnance du 10 janvier 2024, l'affaire a été fixée à bref délai.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 février 2024, dans lesquelles M. [I] demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de :

juger qu'il a saisi sa hiérarchie de signalements concernant des faits de violation des Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF), de harcèlement moral, d'inégalité de traitement et de discrimination perpétrés par ses collègues et sa hiérarchie, que, ce faisant, agissant en toute bonne foi, il devait bénéficier du statut protecteur rattaché au lanceur d'alerte en application de l'article L.1132-3-3 du code du travail, et juger qu'il a fait l'objet, postérieurement aux signalements litigieux, de mesures de représailles en violation de ce statut protecteur (harcèlement moral, discrimination, sanction disciplinaire, sanction financière, humiliation, dénigrement, mise à l'écart, licenciement),

juger que la lettre de licenciement, envoyée par la société le 21 octobre 2017, était antidatée au 20 octobre 2017 et que la mesure de licenciement qui lui a été notifiée le 26 octobre 2017, postérieurement aux différentes alertes lancées, l'a donc été en violation des dispositions de l'article L.1132-3-3 du code du travail,

juger que cette mesure de licenciement ne repose sur aucun motif réel et sérieux et que, partant, elle est nulle en application de l'article L.1132-4 du code du travail,

requalifier la mise à pied conservatoire en sanction disciplinaire, la société ayant épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvant donc pas le sanctionner à nouveau pour des faits identiques,

EN CONSÉQUENCE :

dire et juger son licenciement illicite et nul,

ordonner sa réintégration au sein de la société, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,

condamner la société au paiement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis, soit le 25 janvier 2018, et sa réintégration, sans déduction d'aucune sorte, soit 154 915 euros (à parfaire), outre les congés payés afférent soit 15 491 euros (à parfaire),

condamner la société au paiement de la somme de 21 450 euros au titre des primes sur les exercices de 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022,

condamner la société à lui verser 50 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts résultant du préjudice moral lié au harcèlement, à la discrimination et au licenciement discriminatoire,

condamner la société à lui verser 7 870 euros à titre d'abondement du compte personnel de formation (CPF)

condamner la société à lui verser 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 mars 2024, dans lesquelles la société Biocodex demande à la cour de la recevoir en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée, de juger irrecevables les pièces adverses n° 19 à 24, n°31, n°35, n°37 à 45, en raison de la violation de la confidentialité et du secret des affaires et de :

A titre principal, confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé entreprise,

A titre subsidiaire, débouter M. [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions, et juger n'y avoir lieu à référé,

Y ajoutant, condamner M. [I] à 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, au paiement d'une amende civile de 1 000 euros pour procédure abusive et au paiement de 4 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 avril 2024.

Les deux avocats ont déposé leur dossier de plaidoirie.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, il convient de préciser qu'à l'exception de la demande de dire et juger le licenciement illicite et nul, il ne sera pas statué sur les demandes de M. [I] tendant à « juger » et « dire et juger » qui ne sont pas des prétentions, mais uniquement des moyens.

1. Sur la demande de rejet de pièces

Selon les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, le juge ne peut écarter des pièces des débats que s'il caractérise des circonstances particulières ayant empêché le principe de la contradiction ou un comportement contraire à la loyauté des débats.

L'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.»

En l'espèce, la société demande à la cour d'écarter des débats les pièces n°19 à 24, n°31, n°35, n°37 à 45 produites par M. [I] en ce qu'elles ont été récoltées sans autorisation sans cependant justifier qu'elles portent atteinte, comme elle l'affirme, au secret des affaires et du secret de fabrication en ce qu'il s'agit notamment de pièces révélant l'ensemble des procédés de fabrication ainsi que des captures d'écran détaillées des machines et des outils de production. Elle l'affirme en effet sans élément à l'appui, alors qu'elle n'établit par ailleurs pas l'absence d'utilité de ces pièces dans le cadre de l'examen des demandes du salarié, qui les utilise au contraire à de nombreuses reprises pour étayer diverses affirmations développées dans ses conclusions, ni qu'il disposait d'un autre moyen pour obtenir ces informations. Il appartiendra donc à la cour d'apprécier leur force probante et leur pertinence.

La demande est rejetée.

2. Sur la prescription de l'action

En application de l'article L.1471-1 du code du travail visé par la société, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Aux termes de l'article L.3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Cette prescription triennale s'applique à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires dus au titre du contrat de travail.

Concernant le harcèlement moral et la discrimination allégués au titre de la provision sollicitée, en application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription de 5 ans est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, le dernier fait invoqué par le salarié au soutien de son action en indemnisation d'un harcèlement moral constituant ce point de départ.

En l'espèce, la notification du licenciement est intervenue le 21 octobre 2017, date d'envoi de la lettre de licenciement par recommandé avec accusé de réception.

La société soutient que les demandes de M. [I], qui a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Beauvais plus de 6 ans après les faits dénoncés au titre de l'exécution et la rupture du contrat de travail, sont prescrites tant sur l'exécution que sur la rupture du contrat de travail.

Or, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil d'une action au fond le 8 octobre 2018 portant sur les demandes qu'il forme en la présente instance de référé relatives à la rupture du contrat de travail et ses conséquences et à l'exécution du contrat de travail, s'agissant en particulier du harcèlement moral et de la discrimination dénoncés, à une date à laquelle elle n'était pas prescrite. Cette saisine a interrompu la prescription jusqu'à la décision à intervenir de ce conseil de prud'hommes qui doit évoquer cette affaire à l'audience du 25 octobre 2024, dès lors que la radiation prononcée, simple mesure d'administration judiciaire, ne met pas fin à l'instance et est sans effet sur la poursuite de l'interruption du cours de la prescription.

Au jour de l'introduction de la présente instance et même au jour de la décision, aucune juridiction ne s'est donc prononcée sur une péremption ou prescription d'une autre instance introduite par M. [I] que l'employeur entend soulever devant le conseil de prud'hommes de Créteil. Il sera retenu que l'interruption de la prescription s'étend à la présente action dès lors que les deux actions en référé et au fond tendent à un seul et même but, de telle sorte qu'aucune prescription ne saurait être ici retenue. L'ordonnance sera de ce chef infirmée.

3. Sur les pouvoirs de la formation de référé

En application des dispositions de l'article R.1455-5 du code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

En application des dispositions de l'article R.1455-6 du même code, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite,

En application des dispositions de l'article R.1455-7, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Toutefois, l'article 12 de la loi n° 2016 1691 du 9 décembre 2016 prévoit qu'en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes, et ce sans distinguer entre le juge des référés et le juge du fond.

Il appartient ainsi au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte.

Il résulte des dispositions de l'article L.1132-3-3 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022 401 du 21 mars 2022, et de celles des articles L.1132 4 et R.1455 6 du même code que, lorsqu'elle constate qu'un salarié présente des éléments permettant de présumer qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016 1691 du 9 décembre 2016, il appartient à la formation de référé de la juridiction prud'homale de rechercher si l'employeur rapporte la preuve que sa décision de le licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.

La protection attachée au lanceur d'alerte ne trouve cependant pas à s'appliquer lorsque le délit ou le crime allégué n'est pas expressément visé par le signalement dont il se prévaut.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

L'article L.1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, applicable au litige, dispose :

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

L'article L.1132-4 du même code prévoit expressément la nullité de toute disposition ou de tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions.

L'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 précitée définit le lanceur d'alerte de la manière suivante : un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.

La bonne foi étant présumée, la preuve de la mauvaise foi incombe à l'employeur, qui ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis, la bonne foi exigeant néanmoins d'avoir procédé au signalement avec honnêteté et loyauté, hors de toute malveillance.

Et l'article 8 dispose :

« I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.

En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.

En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.

II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.»

La protection du lanceur d'alerte a été conçue par le législateur de 2016 sur le modèle de la protection contre les discriminations pour lesquelles l'article L.1134-1 du code du travail prévoit un mécanisme spécifique d'aménagement de la preuve. La mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. La bonne foi étant présumée, la preuve de la mauvaise foi incombe à l'employeur.

La mise en 'uvre de la protection suppose que soit démontré le lien entre le licenciement dont la nullité est recherchée et l'alerte lancée.

3.1 ' Sur la qualité de lanceur d'alerte de M. [I]

M. [I] qui se prévaut du statut de lanceur d'alerte pour justifier son action en référé alors que plusieurs affaires sont pendantes au fond sur les mêmes questions, estime que dès lors que le lien entre ses alertes et le licenciement est présumé du fait de la concomitance entre les deux, il appartient au juge des référés de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue cette mesure, et ce même en présence d'une contestation sérieuse.

Or, la mise en 'uvre de la protection du lanceur d'alerte suppose que le salarié puisse être qualifié de lanceur d'alerte et que soit démontré l'existence d'une alerte comme le lien entre le licenciement dont la nullité est recherchée, et l'alerte lancée.

M. [I] soutient en premier lieu avoir signalé à sa hiérarchie des faits de harcèlement moral et de discrimination à son égard les 19 juillet et 11 septembre 2017 sans aucune action adéquate de l'employeur, les faits de harcèlement s'étant ainsi poursuivis jusqu'à son arrêt de travail d'une semaine le 18 septembre 2017, dénonciation d'un harcèlement ou d'une discrimination qu'il n'établit cependant pas. Aucun signalement dans cette période de temps d'un harcèlement, d'une discrimination, d'un crime ou d'un délit n'est justifié.

Il affirme également avoir, le 20 octobre 2017 à 15h59, adressé un courrier électronique intitulé « rappel » à [E] [R] et [H] [S], respectivement responsable des ressources humaines et responsable de production chez Biocodex pour rapporter des faits de harcèlement moral et des propos discriminatoires tenus par M. [D] à son encontre, y décrivant plusieurs incidents et l'absence de réaction de la part de sa hiérarchie pour résoudre cette situation. Or, s'il produit ce courriel intitulé par ses soins 'rappel', il s'abstient cependant de produire de premier courrier qu'il aurait adressé à l'employeur pour signaler un harcèlement moral et ne communique pas d'élément permettant de retenir un premier signalement intervenu antérieurement à cette date du 20 octobre 2017 dans l'après-midi.

Il justifie avoir adressé un courrier le 11 octobre à l'inspection du travail pour dénoncer les faits de harcèlement moral, mais sans en informer l'employeur.

L'appelant considère que, par ces courriers, il a signalé des faits susceptibles de caractériser l'infraction de harcèlement moral, conformément aux articles 222-33-2 et 222-14-3 du code pénal, et de discrimination, conformément à l'article 225-1 du même code et qu'en dénonçant ces comportements illégaux et contraires aux droits des salariés, il a agi en tant que lanceur d'alerte.

Toutefois, tout d'abord, il ressort des développements qui précèdent que M. [I] ne justifie pas avoir, comme il le prétend, signalé à sa hiérarchie ou à l'employeur un harcèlement moral à son encontre de façon claire et explicite avant le 20 octobre 2017, et a donc d'abord porté sa dénonciation directement à l'inspection du travail sans pour autant justifier d'une cause d'exonération de la voie hiérarchique, en violation de l'article 8 précité.

Il sera ensuite rappelé qu'est désintéressé celui qui agit dans l'intérêt général sans en tirer le moindre bénéfice personnel, financier ou non, relevant d'une compensation matérielle ou non.

Or, d'une part, au vu des éléments produits dans le cadre de l'instance de référé, rien ne justifie que le but poursuivi par M. [I] était l'intérêt général, alors qu'il sera relevé qu'en outre ses alertes des 11 (destinée à l'inspection du travail) et 20 octobre 2017 (destinée à l'employeur) sont intervenues postérieurement à l'information reçue par le salarié le 5 octobre 2017 de l'engagement par l'employeur d'une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, et aux reproches lui ayant été adressés par sa hiérarchie quant à la qualité de son travail (Cf notamment le compte rendu d'entretien du 4 septembre 2017), l'intéressé reconnaissant d'ailleurs lui-même dans son courriel du 27 septembre à M. [S], directeur de production, que malgré la formation et l'accompagnement dont il avait bénéficié, il était certes capable d'occuper son poste, mais avec la présence à ses côtés d'un salarié plus expérimenté. La démarche de M. [I] visant au contraire à l'évidence un intérêt personnel, s'oppose par nature au lancement d'une alerte supposant le caractère désintéressé de l'acte.

D'autre part, même à considérer que le seul but du salarié était alors de dénoncer des faits de harcèlement à son égard, il demeure que le lanceur d'alerte ne doit pas être affecté par le trouble qu'il dénonce, auquel cas il lui appartient de déposer plainte. En l'occurrence, au regard des éléments du dossier, M. [I] est la seule victime des actes qu'il a ici dénoncés sans justifier que l'intérêt général était également en cause, et a donc revendiqué l'existence de faits délictueux non pour les dénoncer dans le souci de l'intérêt collectif ou de l'entreprise mais pour son propre intérêt, les conséquences du signalement des agissements litigieux étant exclusivement destinées à lui bénéficier, étant souligné que pour la victime de tels faits, il existe des garanties attachées au droit fondamental d'agir en justice et les dispositifs particuliers de protection, en particulier ceux institués par les articles L.1152-2 et suivants, et L.1153-2 et suivants du code du travail en matière de harcèlements ou L.1132-2 et suivants du même code en matière de discrimination.

L'appelant soutient en deuxième lieu avoir signalé à l'employeur la violation des bonnes pratiques de fabrication (BPF).

Il se fonde sur la lettre de licenciement lui reprochant d'avoir «plusieurs fois remis en cause le niveau de connaissance et de maîtrise des BPF (Bonnes Pratiques de Fabrication), référentiel applicable dans l'industrie pharmaceutique, chez Biocodex », et estime que les injonctions de l'ANSM à compter de novembre 2018 corroborent les alertes qu'il a lancées et mettent en évidence l'importance de sa vigilance professionnelle, alors que ses critiques n'étaient pas une remise en question de la maîtrise des BPF par l'entreprise, mais une mise en évidence de manquements concrets dans leur application, et qu'en signalant ces manquements, qui constituent une violation grave de l'article L.5121-5 du code de la santé publique et peuvent entraîner un risque grave pour la santé publique (article L.5421-1 du même code), il a agi une nouvelle fois en tant que lanceur d'alerte.

Au cas d'espèce, M. [I] ne justifie cependant pas, au cours de la relation de travail, avoir adressé à son supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l'employeur ou à un référent désigné par celui-ci un signalement portant sur une violation grave de l'article L.5121-5 du code de la santé publique et pouvant entraîner un risque grave pour la santé publique (article L.5421-1 du même code), ce que ne permet pas de retenir la lettre de licenciement, qui vise uniquement des critiques non précisées qu'il a émises à l'encontre de collègues de travail et portant uniquement sur la remise en cause du niveau de connaissance et de maîtrise des bonnes pratiques de fabrication sans plus de précisions. Il sera d'ailleurs souligné que dans son courrier du 14 mars 2018 adressé à l'employeur pour contester son licenciement, il indiquait n'avoir « jamais remis en cause le niveau de connaissance et de maîtrise des BPF chez Biocodex ».

Il s'ajoute que rien au dossier ne démontre non plus que, comme il le prétend, il serait à l'origine des injonctions adressées par l'ANSM à la société Biocodex à compter de la fin de l'année 2018, soit plus d'un an après son licenciement. En tout état de cause, même à retenir ce lien, en l'absence d'élément de nature à établir la réalité d'un signalement du même ordre à l'employeur, il ne pourrait alors qu'être retenu que M. [I] aurait directement porté son signalement à l'ANSM sans justifier d'une cause d'exonération de la voie hiérarchique.

Le salarié soutient en troisième lieu, sans viser de pièces et sans même préciser de date dans ses conclusions, avoir signalé à l'employeur une discrimination à l'égard d'une candidate à l'embauche en raison de ses caractéristiques physiques sans plus de précision, allégation imprécise et non étayée qui est donc tout à fait inopérante.

En conséquence, au vu des éléments produits dans le cadre de la présente instance de référé, M. [I] ne peut se prévaloir de la protection du lanceur d'alerte pour obtenir l'annulation de son licenciement.

Le trouble manifestement illicite invoqué, en lien avec cette protection, n'est donc pas établi.

3.2 ' Sur les pouvoirs du juge des référés hors statut de lanceur d'alerte du salarié

M. [I], qui fonde son action sur les articles R.1455-6 et R.1455-7 du code du travail, n'évoque pas l'urgence de la situation, qui en tout état de cause ne pourrait être retenue dès lors qu'il n'a saisi la juridiction de référé que plusieurs années après la rupture intervenue en 2017, et n'a évoqué pour la première fois le statut de lanceur d'alerte que dans ses écritures d'avril 2023 dans une autre instance.

Pour le reste, il ne justifie pas qu'il y aurait lieu de prévenir un dommage imminent ou de mettre fin à un trouble manifestement illicite conformément à l'article R.1455-6 du code du travail du fait de son licenciement. S'il soutient qu'un tel trouble existe dès lors que la rupture de son contrat de travail par l'employeur découle d'une part directement de son rôle en tant que lanceur d'alerte et d'autre part de ses dénonciations d'un harcèlement moral et de discriminations qu'il subissait, il demeure qu'il ressort des développements qui précèdent que le statut de lanceur d'alerte n'a pas été retenu, alors par ailleurs que le lien direct entre la procédure de licenciement engagée le 5 octobre 2017 et la dénonciation d'un harcèlement moral et de discrimination le 20 octobre 2017 dans l'après midi, le jour même de la lettre de licenciement postée dès 9h39 le lendemain matin, est très loin d'être évident, et n'est en tout cas pas établi par les éléments versés aux débats.

Il ne ressort pas des pièces en présence que le licenciement a été prononcé au motif de la dénonciation de faits pouvant recevoir une qualification pénale, d'un harcèlement moral ou d'une discrimination. Alors que la lettre de licenciement décline des reproches portant exclusivement sur le travail de M. [I] et son comportement, l'accent étant mis sans équivoque sur des difficultés professionnelles et relationnelles au sein de son service, l'employeur avance quant à lui des moyens et arguments dont l'absence de pertinence n'est pas manifeste, et produit de nombreuses pièces pour contester l'ensemble des demandes (notamment l'enquête réalisée par le CHSCT à la suite de l'alerte du 20 octobre 2017 qui a conclu à l'absence d'élément tangible démontrant des faits à caractère humiliant et/ou insultant, étant souligné que le signalement à l'inspection du travail est resté sans suite).

La cour est juge de l'évidence lorsqu'elle statue en référé, et il existe ainsi une contestation sérieuse opposée par l'employeur tant sur les demandes relatives à la rupture que sur celles relatives à l'exécution du contrat de travail, dont l'examen relève donc du juge du fond, au demeurant déjà saisi. Les demandes du salarié excèdent ainsi les pouvoirs du juge des référés et il sera débouté de sa demande de provision portant sur l'indemnisation d'un préjudice.

4. Sur la procédure abusive

En application des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, l'exercice d'une action en justice est un droit, lequel ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol ; l'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute ;

En l'espèce, la société Biocodex, qui ne rapporte pas la preuve de ce que l'action de M. [I] aurait dégénéré en abus ni qu'il aurait fait dégénérer en abus son droit de former un recours, doit être déboutée de sa demande de condamnation à une amende civile et à des dommages-intérêts.

5. Sur les autres demandes

L'issue du procès justifie d'infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. [I], qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel, et sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles. L'équité et la situation économique des parties commandent en revanche de laisser à sa charge les frais exposés par la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe,

Infirme la décision déférée en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit l'action de M. [I] recevable comme n'étant pas prescrite,

Déboute la société Biocodex de sa demande de rejet de pièces,

Dit que M. [I] n'est pas fondé à se prévaloir du statut du lanceur d'alerte,

Dit que les demandes formées par M. [I] excèdent les pouvoirs de la juridiction des référés,

Déboute M. [I] de sa demande de provision,

Déboute la société Biocodex de ses demandes au titre de la procédure abusive,

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre partie,

Condamne M. [I] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/05047
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.05047 ?
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