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11/06/2024 | FRANCE | N°23/00049

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 11 juin 2024, 23/00049


ARRET







[N]





C/



S.A.S. MON ALBUM PHOTO HOLDING



























































copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

Me Gilles

Me Ventejou

CB/MR/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 11 JUIN 2024



***********

**************************************************

N° RG 23/00049 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUKC



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 24 NOVEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00038)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté, concluant et plaidant par Me Jean-Marie GI...

ARRET

[N]

C/

S.A.S. MON ALBUM PHOTO HOLDING

copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

Me Gilles

Me Ventejou

CB/MR/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 11 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/00049 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUKC

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 24 NOVEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00038)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté, concluant et plaidant par Me Jean-Marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. MON ALBUM PHOTO HOLDING agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Gonzague DE LIMERVILLE de la SCP GONZAGUE DE LIMERVILLE - AVOCAT, avocat au barreau d'AMIENS, postulant et substitué par Me Amélie ROHAUT, avocat au barreau d'AMIENS,

Concluant et plaidant par Me Camille VENTEJOU de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 11 avril 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 11 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [N], né le 27 mars 1991, a été embauché à compter du 23 octobre 2017 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Mon album photo, ci-après dénommée la société ou l'employeur, en qualité de chef de projet.

La société Mon album photo compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des entreprises du commerce à distance.

Le 1er janvier 2020, M. [N] a été placé en arrêt de travail. Il a repris le travail le 5 février 2020.

A compter du 14 octobre 2020, le salarié a de nouveau été placé en arrêt de travail.

Par avis d'inaptitude du 4 janvier 2021, le médecin du travail a déclaré M. [N] inapte à tout poste dans l'entreprise sans possibilité de reclassement.

Par courrier du 12 janvier 2021, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 25 janvier 2021.

Le 28 janvier 2021, il a été licencié pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil le 24 février 2021.

Par jugement du 24 novembre 2022, le conseil a :

fixé le salaire moyen de M. [N] à la somme de 3 770 euros brut ;

jugé la convention de forfait jours inopposable ;

jugé que M. [N] n'avait pas été victime de harcèlement moral ;

jugé que la société Mon album photo n'avait pas failli dans son obligation de sécurité

jugé le licenciement pour inaptitude fondé ;

condamné la société Mon album photo à payer à M. [N] les sommes suivantes :

- 14 792 euros au titre des heures supplémentaires ;

- 1 479 euros au titre des congés payés afférents ;

- 4 805 euros au titre des repos compensateurs ;

- 489 euros au titre des congés payés afférents ;

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [N] à rembourser à la société Mon album photo la somme de 3 728,38 euros au titre des jours de congés pris ;

débouté M. [N] du surplus de ses demandes ;

ordonné à la société Mon album photo de remettre à M. [N] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire conformes au jugement sans qu'il apparaissait nécessaire de l'assortir de l'astreinte sollicitée ;

rappelé qu'en application de l'article R.1454-28 du code du travail, la décision était de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

dit que chaque partie conserverait ses dépens.

M. [N], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 août 2023, demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a :

- fixé son salaire mensuel moyen à 3 770 euros brut ;

- jugé la convention de forfait jours inopposable ;

- condamné la société Mon album photo au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents, repos compensateurs, congés payés afférents (confirmation du principe) ;

- condamné la société Mon album photo à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé qu'il n'avait pas été victime de harcèlement moral ;

- jugé que la société Mon album photo n'avait pas failli dans son obligation de sécurité ;

- jugé le licenciement pour inaptitude fondé ;

- condamné la société Mon album photo à lui payer les sommes suivantes (contestation du quantum uniquement) :

14 792 euros au titre des heures supplémentaires ;

1 479 euros au titre des congés payés afférents ;

4 805 euros au titre des repos compensateurs ;

489 euros au titre des congés payés afférents ;

- l'a condamné à rembourser à la société Mon album photo la somme de 3 728,38 euros au titre des jours de congés pris ;

- l'a débouté du surplus de ses demandes (dommages-intérêts pour harcèlement moral, dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, dommages-intérêts pour licenciement nul à titre principal, sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, préavis, congés payés afférents, dommages-intérêts pour non-respect de la durée légale, dommages-intérêts pour travail dissimulé, intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil, remise des documents de fin de contrat sous astreinte) ;

- dit que chaque partie conserverait ses dépens.

Et statuant à nouveau :

juger qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de la société Mon album photo, avec toutes conséquences de droit ;

condamner de ce chef la société Mon album photo à lui payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 5 000 euros ;

juger que la société Mon album photo a failli à l'obligation de sécurité qui pesait sur elle, et la condamner de ce chef à lui payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 5 000 euros ;

déclarer nul, à titre principal, le licenciement intervenu à la suite de l'avis d'inaptitude émis par la médecine du travail ;

en conséquence, condamner la société Mon album photo à lui verser, à titre de dommages-intérêts, la somme de 22 620 euros ;

subsidiairement, déclarer ce licenciement sans cause réelle ni sérieuse et condamner la société Mon album photo à lui verser de ce chef, à titre de dommages-intérêts, la somme de 20 000 euros ;

condamner la société Mon album photo à lui payer, au titre du préavis, la somme de 11 310 euros ;

et au titre des congés payés afférents, la somme de 1 131 euros.

Par ailleurs,

condamner la société Mon album photo à lui verser les sommes suivantes :

- 29 585, 65 euros au titre des heures supplémentaires ;

- 2 958, 56 euros au titre des congés payés afférents ;

- 9 791, 65 euros au titre du repos compensateur afférent aux heures supplémentaires au-delà du plafond ;

- 979, 11 euros au titre des congés payés afférents.

En outre,

condamner la société Mon album photo à lui payer, à titre de dommages-intérêts :

- 5 000 euros au titre du non-respect de la durée légale ;

- 22 620 euros au titre du travail dissimulé ;

juger que l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la société Mon album photo porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Creil ;

ordonner la remise conforme des documents de fin de contrat et bulletins de salaire, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à intervenir ;

débouter la société Mon album photo de son appel incident et, plus largement, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

condamner la société Mon album photo à lui payer, au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 2 000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Mon album photo, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 novembre 2023, demande à la cour de :

A titre principal de,

* confirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé que M. [N] n'avait pas été victime de harcèlement moral ;

- jugé qu'elle n'avait pas failli dans son obligation de sécurité ;

- jugé le licenciement pour inaptitude fondé ;

- débouté M. [N] du surplus de ses demandes ;

** infirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé la convention de forfaits jours inopposable ;

- l'a condamnée à payer à M. [N] les sommes suivantes :

14 792 euros au titre des heures supplémentaires ;

1 479 euros au titre des congés payés afférents ;

4 805 euros au titre des repos compensateurs ;

489 euros au titre des congés payés afférents ;

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- lui a ordonné de remettre à M. [N] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire conformes au jugement sans qu'il apparaissait nécessaire de l'assortir de l'astreinte sollicitée ;

en conséquence, condamner M. [N] à lui rembourser la somme de 14 824,09 euros qui lui a été réglée dans le cadre de l'exécution provisoire de droit du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Creil.

A titre subsidiaire de,

** ramener le montant des sommes demandées à de plus justes proportions ;

** si par extraordinaire la convention de forfait de M. [N] était considérée comme inopposable :

- condamner M. [N] à lui rembourser la somme de 3 728,38 euros au titre des jours de repos ;
- ordonner la compensation entre les sommes que la cour estimerait devoir mettre à sa charge au titre des rappels d'heures supplémentaires, avec les sommes dont M. [N] serait alors redevable envers elle au titre du remboursement des jours de repos.

En tout état de cause,

** condamner M. [N] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

** débouter M. [N] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 novembre 2023 et l'affaire a été fixée pour être plaidée le 11 avril 2024.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur la convention de forfait jours

M. [N] soutient que la convention de forfait jours est inopposable car la convention collective applicable au contrat de travail ne le prévoit pas, que contrairement aux stipulations contractuelles il n'avait pas d'autonomie dans son travail quant à la gestion de son temps, subissant les récriminations de son supérieur hiérarchique en lui reprochant de quitter trop tôt et exigeait sa présence à certains moments ; qu'en outre la société n'a pas organisé d'entretien afin de s'assurer que la charge de travail était compatible avec sa vie familiale et personnelle, ajoutant enfin qu'il ne serait pas soumis à la durée maximale du travail.

La société rétorque qu'un accord d'aménagement du temps de travail du 24 juin 2010 prévoyait la possibilité de conclure des conventions de forfait jours, qu'il importe peu que la convention collective ne le prévoit pas, que l'accord n'écarte pas la durée maximale du travail et ne fait que reprendre les dispositions légales, que le salarié disposait d'une autonomie dans la gestion de son temps ce qui ne signifie pas une liberté absolue dans l'emploi du temps l'employeur pouvant exigé sa présence lors de rendez-vous clientèle. La société ajoute qu'elle rappelle régulièrement aux salariés en forfait jours la nécessité de poser des jours de repos pour des raisons d'équilibre avec la vie privée et que l'accord collectif prévoit que le salarié bénéficie d'un repos quotidien de 11 heures consécutives entre deux jours de travail et du repos hebdomadaire.

Sur ce

Aux termes de l'article L3121-58 du Code du travail : « Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3° du I de l'article L. 3121-64 : 1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ; 3/12 2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées . »

Selon l'article L.3121-63, le forfait en jours est « mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche », le texte suivant du code déterminant le contenu de tels accords. Pour valider le recours au forfait jours, les juges ne peuvent donc se borner à constater que le salarié dispose d'une autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et exerce des fonctions ne le conduisant pas à suivre l'horaire collectif applicable dans l'entreprise. Ils doivent rechercher si la convention de forfait jours était prévue par un accord collectif.

La jurisprudence applique ainsi le principe d'effectivité des mesures prévues par l'accord collectif : celles-ci ne doivent pas se présenter comme une pétition de principe, mais être de nature à assurer un suivi effectif et régulier de la charge de travail du salarié afin de mettre l'employeur en mesure d'intervenir réellement et en temps utile si celle-ci s'avère finalement incompatible avec une durée de travail raisonnable. Il appartient à l'employeur d'instaurer des mesures concrètes de suivi et de contrôle des charges de travail et en raison de l'absence de dispositif de nature à en assurer l'effectivité. Cette sanction est écartée lorsque l'accord litigieux fixe des obligations précises et concrètes à la charge de l'employeur.

La convention de forfait conclue sur la base d'un accord collectif qui ne répond pas aux exigences légales et jurisprudentielles est nulle.

Au terme de l'article L.3121-64 II applicable aux seules conventions de forfait en jours, l'accord collectif doit déterminer :

les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié

les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise

(les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu par l'article L. 2242-8 du code du travail.)

Toutefois la loi travail (article 12) a prévu un dispositif de sécurisation des conventions de forfait conclues sur la base d'accords collectifs antérieurs au 10 août 2016 qui ne comportent pas les clauses exigées par la nouvelle législation relatives aux modalités d'évaluation et de suivi de la charge de travail, à la communication périodique et au droit à la déconnexion.

Ainsi : les conventions individuelles de forfait en jours conclues sur leur fondement continuent de s'appliquer, sous réserve pour l'employeur du respect des exigences de contrôle prévues à titre supplétif par l'article L. 3121-65 du code du travail (document de contrôle, entretien annuel, suivi de la charge de travail).

En l'espèce il a été conclu le 24 juin 2010 un accord aménagement du temps de travail au sein de la société Monalbumphoto.fr au terme duquel il était prévu pour les cadres et ingénieurs qui « de par leurs responsabilités et leurs attributions, ont une autonomie qui les amènent à avoir des objectifs à atteindre et des missions à remplir. De ce fait, ils sont conduits à disposer d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et à ne pas suivre l'horaire collectif applicable au sein des équipes auxquelles ils sont intégrés ».

Le nombre de jours de travail est fixé à 218 jours annuels pouvant être dépassé dans la limite de 235 jours en accord avec le salarié concerné, les jours excédent de 218 jours faisant l'objet d'un supplément de rémunération fixé par accord individuel.

Il est enfin prévu que 'chaque année, le personnel visé à l'article 9 aura un entretien avec sa hiérarchie qui portera sur sa charge de travail, l'organisation de son travail dans l'entreprise, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale ainsi que sur sa rémunération.'

Pour échapper à la nullité, il faut que les modalités d'évaluation, de suivi de la charge de travail et de communication périodique prévues par l'accord collectif ou à défaut les modalités supplétives mises en 'uvre par l'employeur soient suffisantes pour assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que les temps de repos. Or en l'espèce, la convention litigieuse ne prévoit qu'un entretien annuel entre le salarié et son supérieur hiérarchique sur la charge et l'amplitude de travail ce qui est insuffisant ; qu'au surplus l'employeur ne verse aux débats aucune pièce justifiant d'un entretien avec le salarié dans le but d'apprécier la charge de travail qu'il supporte.

Au vu de ces éléments, la cour, par infirmation du jugement jugera la convention de forfait jours non pas inopposable mais nulle.

Sur les heures supplémentaires

M. [N] revendique de nombreuses heures supplémentaires, qu'une note de service demandait aux non-cadres de travailler 55 heures par semaine, les contraintes étant pires pour les cadres qui travaillaient plus de 11 heures de travail consécutives, qu'il effectuait des heures de nuit payées sous forme de primes et pendant les week-ends, que de novembre à janvier, période de rush, il était sollicité sans cesse avec très peu de repos étant de permanence y compris les dimanches toujours payés sous forme de primes, cette modalité étant aussi utilisée pour les heures exceptionnelles comme suite à une panne informatique.

Il invoque avoir établi un tableau récapitulatif des heures effectuées sur 3 ans, que s'étant aperçu avoir commis une erreur il en a rédigé un second écartant en outre la période prescrite.

La société réplique que le salarié bénéficiant d'un forfait jours ne peut revendiquer des heures supplémentaires, qu'il ne démontre aucunement avoir réalisé ces heures supplémentaires, que le tableau établi pour les besoins de la cause est insuffisant à étayer une telle demande alors qu'il prend en compte le temps de déplacement qui doit être retiré, que les courriels versés émanent du salarié sans qu'aucune demande n'ait été formulée par son supérieur hiérarchique.

Elle rétorque que la période Noël n'est pas représentative de l'activité pour l'année, que les salariés non-cadres ont un temps de travail décompté en heures si bien que M. [N] n'était pas concerné, que des pièces versées sont incohérentes sans établir la réalité du travail effectif, que les primes exceptionnelles pour la période de Noël incitaient les cadres à effectuer des astreintes qui ne correspondent pas à un temps de travail effectif susceptible d'être qualifié d'heures supplémentaires.

Dans l'hypothèse où la cour ferait droit à la demande d'inopposabilité de la convention de forfait jours, l'employeur sollicite le remboursement des jours de RTT dont le salarié a bénéficié.

Sur ce

La convention de forfait jours ayant été jugée nulle la demande au titre des heures supplémentaires peut être examinée.

Aux termes de l'article L.3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L.3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. Enfin, selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Les jours fériés chômés ou les congés payés sont notamment assimilés à du temps de travail effectifs pour le calcul de la rémunération du salarié mais n'entrent pas en compte dans le calcul des heures supplémentaires.

En l'espèce, le temps de travail de M. [N] doit, en conséquence de la nullité de la convention de forfait, être décompté selon le droit commun fixant la durée légale du travail effectif à 35 heures par semaine, que les semaines comprennent ou non des jours fériés chômés ou des congés payés, et le salarié peut donc prétendre au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires et heures non majorées de février 2018 jusqu'à la rupture de son contrat de travail en janvier 2021 pour tenir compte de la prescription.

Il produit aux débats les tableaux récapitulant, pour chaque journée travaillée sur cette période, les horaires d'arrivée et de sortie avec l'amplitude quotidienne. Au vu du détail ainsi évoqué, il présente un élément suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre. Le salarié verse ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

La société conteste l'accomplissement d'heures supplémentaires impayées en faisant état de paiement de primes, la cour rappelle cependant que le paiement de primes ne saurait exonérer l'employeur du paiement des heures supplémentaires qui doivent s'exécuter dans le cadre d'un contingent annuel et ouvrent droit à un repos compensateur. Elles ne peuvent être sérieusement contestées puisque l'employeur reconnaît lui même que l'activité connaissait un « rush » pendant la période de novembre à fin décembre et le salarié produit une note de service certes destinée aux non-cadres indiquant que la société avait obtenu l'autorisation de travailler 55 heures par semaine du 16 novembre au 23 décembre. Si cette note n'est pas destinée aux cadres, il n'y a pas de raison objective pour en déduire que la charge de ceux-ci serait moindre et même si cette note a été émise alors que M. [N] était en arrêt de travail, cette modalité de travail était récurrente du fait de la nature de l'activité.

L'employeur qui considérait que le salarié était sous le régime du forfait jours ne produit pas d'éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, ni aucun élément permettant de contredire les relevés d'heures que celui-ci produit ; les nombreux échanges de mails avec des clients établissant régulièrement un début de journée de travail très tôt (6 heures) et une fin de journée tardive ( 20 heures) même si cette amplitude ne peut être systématiquement retenue.

Toutefois il y a lieu de retirer des heures sollicitées les temps de pause méridienne non reprises aux tableaux et certains temps de trajet.

La cour observe que les heures supplémentaires sont surtout concentrées sur la période dite de rush de mi novembre jusqu'à Noël et il n'est pas pris en compte les astreintes qui ont été réglées sous forme de prime et qui ne correspondent pas à du travail effectif mais à la nécessité de se tenir prêt en cas de nécessité.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'instruction, la cour a acquis la conviction, au sens du texte précité, que M. [N] a bien effectué les heures supplémentaires dont le paiement est réclamé. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [N] de ses demandes au titre des rappels de salaire pour les heures supplémentaires à 25%, pour les heures supplémentaires à 50% et au titre des heures non majorées, outre les congés payés afférents à chacun de ces rappels.

La cour condamnera la société à payer à M. [N] les sommes de :

Pour l'année 2018 ( du 28 février au 31 décembre ) : 55 heures supplémentaires à 25%, telles que reprises par le salarié dans ses conclusions

Pour l'année 2019 : 133 heures supplémentaires à 25% et 45 heures supplémentaires à 50%

Pour l'année 2020 : 135 heures supplémentaires à 25 %

Sur un salaire retenu par les premiers juges et non spécifiquement contesté de 3770 euros brut pour 151,67 mensuels il est dû au salarié les sommes suivantes :

Pour l'année 2018 : 1708,43 euros

Pour l'année 2019 : 5808,68 euros

Pour l'année 2020 jusqu'en octobre date de l'arrêt de travail ininterrompu : 4193,43 euros

Soit un total de 11 710,54 euros.

La décision déférée sera confirmée en son principe mais infirmée en son quantum et la société est condamnée à payer à M. [N] la somme de 11 710,54 euros au titre des heures supplémentaires outre 1171,05 euros de congés payés afférents.

Sur la demande reconventionnelle de la société

La société sollicite, en cas d'inopposabilité de la convention de forfait, la condamnation de M. [N] à lui rembourser la somme au titre des RTT dont il a bénéficié entre 2018 et 2021. Elle conteste que M. [N] aurait travaillé davantage, comme il le prétend faussement, que le nombre de jours prévus dans son forfait-jours.

Le salarié ne réplique pas sur cette demande.

Sur ce,

En application de l'article 1376 devenu 1302-1 du code civil, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu. Le paiement des jours de repos en application d'une convention de forfait privée d'effet est indu.

En l'espèce, la convention de forfait étant jugée nulle, au vu des développements qui précèdent, il ne peut en être demandé l'application ni par l'employeur, ni par le salarié qui invoque donc de façon inopérante un dépassement du nombre de jours prévus à la convention. L'annulation de la convention individuelle de forfait en jours a pour conséquence que le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de février 2018 à octobre 2020, est devenu indu. La société est donc fondée à en demander le remboursement à hauteur de la somme exactement calculée de 3728,38 euros brut, qui n'est d'ailleurs pas spécifiquement contestée à titre subsidiaire par le salarié. La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle avait condamné M. [N] à rembourser cette somme, soit 3728,38 euros.

Sur le repos compensateur

M. [N] considère que le nombre d'heures supplémentaires effectuées sur l'année étant supérieure à 220 heures, il est fondé à solliciter le paiement du repos compensateur sur les 3 années revendiquées.

La société s'y oppose car les heures supplémentaires demandées ne sont pas justifiées.

Sur ce

C'est à l'employeur qu'incombe la charge de la preuve du respect des seuils et plafonds prévus en matière de temps de travail prévus par le droit de l'Union Européenne ou en droit interne et, de manière générale, du respect des règles de durée du travail lié à la sécurité à la santé des travailleurs. Il en est donc ainsi de la contrepartie obligatoire en repos. Les dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont dès lors pas applicables.

La cour rappelle, par ailleurs, que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine, qu'en application de l'article L. 3121- 30 du code du travail, les heures effectuées au delà du contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos, que les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale et que les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l'article L. 3121- 28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l'article L. 3132-4 ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.

Sont donc prises en compte, pour le calcul de la contrepartie obligatoire en repos, les heures supplémentaires effectivement réalisées et les temps assimilés à du travail effectif, comptabilisés après dépassement du contingent annuel. Les temps de pause ne sont pas des temps de travail effectif même s'ils sont rémunérés sauf disposition conventionnelle contraire.

L'article D. 3121-23 prévoit que le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

Les parties ne discutent pas que le contingent annuel devant être retenu est de 220 heures.

En l'espèce, la cour n'a pas retenu un quota d'heures supplémentaires supérieur à 220 heures annuelles. Il sera donc débouté de cette demande par infirmation du jugement.

Sur le non-respect de la durée légale du travail

M. [N] argue que l'employeur a bafoué la durée maximale du travail à 22 reprises alors que le contrat de travail précise qu'il n'est pas soumis aux dispositions relatives à la durée maximale du travail, ce qui justifie sa demande.

La société conteste cette demande car la clause contractuelle ne fait que viser l'article L 3121-62 du code du travail, que le tableau versé n'est pas probant et la somme demandée disproportionnée.

Sur ce

Selon l'article L.3121-18 du code du travail, la durée quotidienne du travail effectif ne peut excéder 10 heures, sauf dans des cas particuliers détaillés. En application de l'article L.3121-5, la durée du travail hebdomadaire ne peut dépasser 48 heures. Cette limite d'ordre public s'apprécie nécessairement sur une semaine, peu important que le temps de travail soit organisé sur une période plus longue que la semaine.

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

En l'espèce, le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail, en l'occurrence hebdomadaire, ouvre droit à réparation. La société échoue en effet à démontrer qu'elle a respecté les durées maximales du travail et que le salarié a bénéficié du repos auquel il pouvait prétendre. Au contraire, il est établi par les éléments du dossier et les développements qui précèdent que l'amplitude horaire a à plusieurs reprises dépassé la durée maximale hebdomadaire du travail sur la période considérée, et que s'il a bénéficié des repos prévus dans le cadre de la convention de forfait alors appliquée par les parties, M. [N] n'a cependant pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il avait droit du fait des heures supplémentaires accomplies.

Eu égard au déséquilibre ainsi nécessairement engendré au détriment de la vie personnelle et familiale du salarié et de son droit au repos, mais aussi de l'absence de tout élément produit par l'intéressé pour illustrer le préjudice allégué, et de nature à justifier le montant sollicité, il convient d'évaluer la réparation due pour réparer intégralement son préjudice à la somme de 300 euros. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a intégralement débouté M. [N] de cette demande et la cour condamnera la société à lui verser la somme de 300 euros en réparation de ce préjudice.

Sur le travail dissimulé

M. [N] prétend que toutes les heures de travail réalisées n'ont pas été portées sur les fiches de paie, que le versement de primes pour contourner les obligations légales sont constitutifs de travail dissimulé.

La société conteste tout travail dissimulé et réplique que l'élément intentionnel n'étant pas établi cette demande n'est pas fondée.

Sur ce

Selon l'article L.8221-5 du code du travail, « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. Cette indemnité forfaitaire est cumulable avec des dommages et intérêts du fait du préjudice résultant de la dissimulation de l'emploi.

En l'espèce, la cour a retenu l'existence d'heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée contractuellement fixée et n'apparaissant pas aux bulletins de paie, caractérisant l'élément matériel du travail dissimulé.

S'agissant de l'élément intentionnel, la cour a jugé la convention de forfait jours nulle si bien que des heures supplémentaires étaient dues. Toutefois cette seule circonstance ne saurait justifier que l'employeur ayant opté pour convention de forfait jours ait eu l'intention de dissimuler des salaires, cette circonstance étant due à une négligence juridique.

Il résulte de l'ensemble de ces considérations que le travail dissimulé n'est pas caractérisé.

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé au titre du travail dissimulé.

Sur le harcèlement moral

M. [N] fait valoir que la société l'a harcelée moralement en lui faisant supporter une charge extrême et anormale de travail en ne lui réglant ni les heures supplémentaires ni le repos compensateur afférent ce qui l'a amené à un syndrome anxio-dépressif et à consulter la médecine du travail puis l'hôpital, que les SMS échangés avec son épouse attestent de cette situation qui a généré une importante dégradation de son état de santé et a abouti à l'inaptitude prononcée par le médecin du travail, qu'il produit de nombreuses pièces laissant clairement présumer l'existence du harcèlement moral.

La société nie tout harcèlement moral soutenant que le salarié n'apporte pas d'élément laissant présumer une situation de harcèlement moral notamment sur la charge excessive de travail, qu'il était soumis au forfait jours et n'apporte pas d'élément sur la réalité des horaires qu'il évoque ; que même à supposer que des heures supplémentaires aient été réalisées ce seul élément est insuffisant à démontrer un harcèlement moral alors que M. [N] ne s'était jamais plaint, le dossier médical ne faisant que retranscrire ses ressentis sans que son rédacteur ait été témoin de quoique ce soit.

Sur ce

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l'article L.1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

Si le salarié invoque des sanctions injustifiées, le caractère justifié ou non de la sanction doit s'apprécier au dernier stade.

En l'espèce, le salarié argue d'une surcharge de travail qui a gravement impacté sa santé et a abouti in fine à son inaptitude au poste de travail.

Il verse aux débats un courriel du 24 juillet 2020 envoyé par son supérieur hiérarchique lui demandant de développer des plannings mentionnant les différents intervenants avec des dates butoir, des plans documentés pour chaque projet. Un autre courriel repris sous la catégorie « burnout - harcèlement » daté du 15 septembre 2020 lui demandant quand il doit partir car il y a des meetings dans lesquels il doit être présent, que cela fait deux jours qu'il quitte son poste à 15 heures, qu'étant responsable de l'engineering il doit être présent sur les meetings critiques avec mention pour l'après 'midi de deux réunions, qu'il ne comprend pas ce qu'il se passe mais il faut qu'ils aient une discussion pour comprendre ce qu'il faut faire pour remettre les choses dans l'ordre, qu'il a besoin de lui et pense qu'il doit pouvoir tenir son rôle, qu'il place un meeting le lendemain pour en parler et voir comment avancer. Il se déduit de la catégorie de ce message que le salarié avait alerté sur une situation de burn ' out et demandait à partir en congés ce à quoi l'employeur s'est opposé en raison de la nécessité de sa présence lors de réunions.

Le dossier médical de l'intéressé auprès de la médecine du travail mentionne le manque de relationnel avec l'arrivée d'un nouveau directeur, se plaint d'une surcharge de travail, de manque d'aide de ses collègues'et une souffrance, le document n'étant pas lisible pour le reste.

Le dossier médical hospitalier ouvert le 5 octobre 2020 indique que le rendez-vous a été pris par son épouse pour anxiété et insomnies ; le psychiatre précise qu'il est venu pour troubles anxio-dépressifs, troubles du sommeil et de l'humeur avec anxiété depuis mars 2020 sans antécédent psy ou médical.

M. [N] justifie, par ailleurs, de consultations au CMP en rapport avec des troubles anxio-dépressifs concomitantes aux arrêts de travail.

Il est aussi produit les échanges de SMS avec son épouse qui lui écrit «  sur 24 heures, tu passes 16 heures au travail et 8 heures à la maison. Tu rentres, pas d'explications, tu te douches, tu manges, tu regardes la TV tu ne me parles pas tu dors, tu repars. Il n'y a pas un problème là ' » et « la semaine dernière il te disait de faire moins d'heures, je ne comprends pas. Ta santé passe avant des livres photos qui ne feront que prendre la poussière dans une bibliothèque ».

Enfin il est établi que le salarié a fait l'objet d'un avis d'inaptitude délivré le 4 janvier 2021 « inapte à tout poste dans l'entreprise» après deux arrêts de travail dont le dernier à compter du 14 octobre 2020 ininterrompu jusqu'à l'inaptitude.

Ces éléments matériellement établis caractérisent suffisamment une dégradation de l'état de santé de M. [N] à compter de mars 2020 consécutif à une surcharge de travail et qui pris ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il appartient, dès lors, à l'employeur de combattre cette présomption en prouvant qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les éléments médicaux produits aux débats ne font que refléter les dires du salarié puisque les médecins l'ayant examiné n'ont pu que constater l'état médical sans en déterminer l'origine. La cour relève toutefois que le salarié n'avait aucun antécédent dépressif.

Le courriel de l'employeur du 24 juillet 2020 fixe certes des objectifs au salarié mais constitue une demande légitime dans son pouvoir de direction sans pour autant faire peser sur lui une pression excessive que le salarié aurait d'ailleurs pu contester ce qu'il n'a pas fait.

En revanche le courriel du 15 septembre 2020 atteste d'une alerte du salarié sur un épuisement professionnel auquel l'employeur n'a pas répondu en lui enjoignant de ne pas prendre de congés pour assister à des réunions. Si un rendez-vous a été pris pour le lendemain il n'est pas justifié par l'employeur des mesures prises pour répondre à l'alerte du salarié alors qu'une note de service incitait les salariés sous convention de

forfait jours à prendre leurs congés pour respecter l'équilibre entre le travail et la vie privée.

Enfin les échanges avec l'épouse sont le reflet de son inquiétude pour la santé de son conjoint alors que la cour a retenu la réalité d'une charge de travail importante, que l'employeur ne produit aucun élément visant à alléger cette charge de travail alors qu'il était informé de la situation.

Ainsi l'employeur échoue à démontrer que les agissements dont se plaint le salarié ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le préjudice subi par M. [N] sera justement réparé par l'octroi de 4 000 euros de dommages et intérêts par infirmation du jugement entrepris.

Sur l'obligation de sécurité

M. [N] invoque le manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité à son égard car il a été victime de harcèlement moral sans qu'il n'intervienne pour le faire cesser.

La société s'oppose à cette demande niant tout manquement, que les arrêts de travail l'ont été pour maladie simple.

Sur ce

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

Le salarié peut invoquer un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité comme fondement de sa demande d'annulation de la convention de forfait. Manque à son obligation d'assurer le suivi régulier de la charge de travail et à son obligation de sécurité l'employeur qui, d'une part, n'assure pas l'organisation de l'entretien annuel prévu par l'accord collectif pour un salarié soumis à une convention de forfait en jours, et, d'autre part, ne prend pas des mesures de nature à protéger sa santé alors que des alertes lui avaient été transmises sur une situation chronique de surcharge de travail.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la société a manqué à son obligation de sécurité en laissant M. [N] s'épuiser au travail sans se préoccuper de la surcharge de travail qu'il devait supporter en raison de ses fonctions ni prendre aucune mesure au sens de l'article L. 4121-1 du Code du travail alors même que les signes d'alerte étaient émis.

Cependant, faute pour le salarié de rapporter la preuve d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par les dommages et intérêts réparant celui né du harcèlement moral, le salarié sera, par confirmation du jugement, débouté de sa demande d'indemnisation du préjudice né du manquement à l'obligation de sécurité l'employeur.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement

M. [N] sollicite de la cour qu'elle juge le licenciement nul en raison du harcèlement moral dont il a été victime et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.

Il sollicite en outre l'indemnisation de son préjudice en réparation du licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et le préavis de 3 mois prévu par la convention collective et les congés payés afférents.

La société s'y oppose faute de harcèlement moral ou de violation de l'obligation de sécurité. Elle réplique que la demande au titre du préavis n'est pas fondée car le salarié étant en arrêt de travail pour maladie non professionnelle, l'inexécution du prévis ne donne pas lieu à indemnité compensatrice.

Sur ce

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

La cour a retenu que M. [N] avait subi le harcèlement moral de l'employeur, que cette surcharge de travail est à l'origine d'un syndrome anxio-dépressif qui a provoqué des arrêts de travail à compter du 14 octobre 2020, arrêts ininterrompus jusqu'à l'avis d'inaptitude. La concomitance entre la dégradation de l'état de santé pour un salarié sans antécédent médical et les indications du dossier du salarié auprès de la médecine du travail qui mentionne le 4 janvier 2021, soit le jour de l'avis d'inaptitude, que le salarié se plaint de la charge de travail et du manque de soutien de ses collègues, démontre que l'avis d'inaptitude a été causé directement par le harcèlement moral pour surcharge de travail.

Le licenciement est nul en application des dispositions de l'article L 1152-3 du code du travail.

Le barème d'indemnisation en cas de licenciement entaché de harcèlement moral est écarté et par application de l'article L 1235-3-1 le montant de son indemnisation ne peut être inférieur à 6 mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de M. [N], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 22 620 euros soit l'équivalent de 6 mois de salaire.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande en réparation du licenciement nul et la cour jugera désormais que la société Mon album photo sera condamnée à lui verser la somme de 22 620 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

L'employeur, qui a commis à l'encontre du salarié des faits de harcèlement moral : celui-ci a droit à l'indemnité compensatrice de préavis ayant contribué à l'apparition d'une affection ayant justifié des arrêts de travail pour maladie invoqués au soutien du licenciement, est tenu au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis.

En l'espèce l'article 14 de l'avenant relatif aux ingénieurs et cadres de la convention collective applicable prévoit un préavis de 3 mois.

Il est donc dû au salarié une indemnité compensatrice de 11 310 euros outre les congés payés afférents de 1131 euros et ce par infirmation du jugement sur ce point.

Sur les autres demandes

Sur la demande de remise des documents de fin de contrat

Il convient d'ordonner à la société de remettre au salarié le solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt sans l'assortir de l'astreinte sollicitée, qui ne se justifie pas.

Sur le remboursement des indemnités à Pôle emploi

En application de l'article L.1235-4 alinéa 1 et 2 du code du travail, le remboursement des allocations de chômage peut être ordonné au profit du Pôle Emploi lorsque le salarié a deux années d'ancienneté au sein de l'entreprise et que celle-ci emploie habituellement au moins onze salariés. Les conditions étant réunies en l'espèce, il convient de condamner la société à rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [N] dans la proportion de six mois.

Sur les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les frais irrépétibles et l'infirmer sur les dépens.

La société Mon album photo succombant, sera condamnée aux dépens de l'ensemble de la procédure. Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de M. [N] les frais qu'il a dû exposer en cause d'appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens et il convient donc de lui allouer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, s'ajoutant aux 1 000 euros alloués en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Creil le 24 novembre 2022, sauf en ce qu'il a :

fixé le salaire moyen de M. [N] à 3770 euros

condamné M. [N] à rembourser à la société Mon album photo la somme de 3 728,38 euros au titre des jours de congés pris ;

débouté M. [X] [N] de sa demande au titre du travail dissimulé ;

débouté M. [X] [N] de sa demande en réparation du manquement à l'obligation de sécurité

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la convention de forfait jours est nulle ;

Dit que M. [X] [N] a subi le harcèlement moral de la société Mon album photo ;

Dit que la société Mon album photo a manqué à son obligation de sécurité à l'égard de M. [X] [N] ;

Dit que le licenciement pour inaptitude de M. [X] [N] est nul du fait du harcèlement moral subi en lien avec l'inaptitude ;

Condamne la société Mon album photo à payer à M. [X] [N] les sommes suivantes :

* 11 710,54 euros au titre des heures supplémentaires outre 1171,05 euros de congés payés afférents

* 300 euros en réparation du dépassement de la durée légale du travail

*4000 euros de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi

* 22 620 euros de dommages et intérêts en réparation du licenciement nul

* 11 310 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1131 euros de congés payés afférents

Déboute M. [X] [N] de sa demande au titre de repos compensateur

Condamne la société Mon album photo à remettre à M. [X] [N] les documents de fin de contrat et bulletins de salaire conformes au présent arrêt

Déboute M. [X] [N] de sa demande d'astreinte

Ordonne le remboursement par la société Mon album photo au profit de France travail des allocations versées à M. [X] [N] dans la limite de six mois d'indemnités

Condamne la société Mon album photo à payer M. [X] [N] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamne la société Mon album photo aux dépens de l'ensemble de la procédure.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/00049
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.00049 ?
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