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11/06/2024 | FRANCE | N°22/05472

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 11 juin 2024, 22/05472


ARRET







[P]





C/



E.U.R.L. RICHARD SANGUINETTE



























































copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

M. [R]

Me Carpentier

CB/MR/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 11 JUIN 2024



**************

***********************************************

N° RG 22/05472 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUFI



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAINT QUENTIN DU 24 OCTOBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/100)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [I] [P]

[Adresse 3]

[Localité 1]



représenté et concluant par M. [U] [R] (Délégué syndic...

ARRET

[P]

C/

E.U.R.L. RICHARD SANGUINETTE

copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

M. [R]

Me Carpentier

CB/MR/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 11 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 22/05472 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUFI

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAINT QUENTIN DU 24 OCTOBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/100)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [I] [P]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté et concluant par M. [U] [R] (Délégué syndical ouvrier)

ET :

INTIMEE

E.U.R.L. RICHARD SANGUINETTE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 6]

[Localité 2]

concluant par Me Nathalie CARPENTIER de la SCP ANAJURIS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

DEBATS :

A l'audience publique du 11 avril 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 11 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [P], né le 7 juin 1968, a été embauché à compter du 25 janvier 2001 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée par la société Richard Sanguinette, ci-après dénommée la société ou l'employeur, en qualité d'ouvrier du bâtiment. La relation contractuelle s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2005.

La société Richard Sanguinette compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des ouvriers du bâtiment.

Par courrier du 19 juin 2018, le salarié s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 28 juin 2018.

Le 4 juillet 2018, il a été licencié pour fautes graves, par lettre ainsi libellée :

« Nous sommes contraint de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de notre entretien préalable de jeudi dernier, vous vous êtes rendu responsable dans le courant du premier semestre écoulé de nombreux actes d'insubordination et de plusieurs manquements professionnels qui s'avèrent incompatibles avec la poursuite de notre collaboration.

C 'est ainsi que le 12 mars dernier, vous avez pris votre poste avec une demi-heure de retard sur le chantier de Lavalim à [Localité 4].

Vous êtes ainsi arrivé à 13 heures 30 alors que vous deviez commencer à 13 heures.

Sur ce même chantier, il nous a été révélé que le lendemain, alors que vous étiez parti de l'entreprise avant 8 heures pour prendre votre poste, vous êtes revenu dans l'atelier à 9 heures 30 pour prendre du matériel que vous aviez oublié.

Cet aller-retour injustifié révèle à nouveau un manque de sérieux et de professionnalisme de votre part.

Le 26 avril 2018, le représentant de la société Bonduelle, l'un de nos importants clients, nous reprochait le fait que vous ayez pris une pause-café de 45 minutes, ce qu'il jugeait inadmissible.

Le 24 mai, le cabinet d'architecte avec lequel nous travaillons sur le chantier [T] nous reprochait que vous n'aviez été présent sur celui-ci que de 10 heures à 15 heures 30, et ce de façon récurrente, ce qui avait généré un retard important dans la réalisation des travaux nous incombant, mécontentant ainsi notre client commun.

Ce manque d'implication de votre part dans l'exercice de vos fonctions s'est à nouveau manifesté le 11 juin écoulé lorsque vous avez dit à l'un de vos collègues qui venait d'être embauché le 6 juin précédent, que sur le chantier des 4 vents à [Localité 5] il était hors de question que vous fassiez des heures supplémentaires même si le coulage des semelles béton n'était pas fini.

À votre laxisme, s'est ajouté à plusieurs reprises, un comportement révélateur d'une insubordination inacceptable à l'origine d'un climat devenu délétère au sein de l'entreprise.

Plusieurs personnes amenées à collaborer régulièrement avec vous nous ont en effet confirmé que, de façon habituelle, vous n 'appliquiez pas les consignes de travail qui vous étaient données et que vous provoquiez souvent des tensions parmi les salariés de l'entreprise, ceci s'expliquant par votre manque d'esprit d'équipe, les nombreux conflits de personnes générés par vos critiques répétées et votre agressivité permanente et le dénigrement régulier de vos supérieurs tant devant vos collègues que des clients.

Ce comportement s 'est à nouveau manifesté dans le courant du mois de Juin.

Ainsi, arrivé à l'atelier le 19 Juin 2018, vous avez publiquement annoncé que vous en aviez marre des camions de merde de l'entreprise.

Quelques jours auparavant, a/ors que nous vous demandions de signer une option sur la mutuelle Pro BTP obligatoire, vous avez refusé de le faire, en soutenant que vous ne saviez pas lire.

Le 22 Juin suivant, alors que vous étiez mis à pied à titre conservatoire, vous vous êtes présenté sur votre lieu de travail en prétendant ne pas tenir compte de la procédure dont vous faisiez l'objet et prendre vos fonctions en vous moquant ouvertement et publiquement à cette occasion de la direction.

Ces différents comportements sont d'autant plus intolérables que les 29 mai et 28 juillet 2017, nous avons déjà été dans l'obligation de vous notifier deux avertissements pour des actes d'insubordination de même nature.

L 'accumulation de ces différents manquements est constitutive, selon nous, d'autant de fautes graves. C'est pourquoi nous avons décidé de vous licencier pour ce motif »,

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint- Quentin, le 24 juin 2019.

Par jugement du 24 octobre 2022, le conseil a :

- qualifié le licenciement de M. [P] en un licenciement pour faute grave ;

- débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [P] à verser la somme de 300 euros à la société Richard Sanguinette au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [P] aux entiers dépens de l'instance.

M. [P], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées le 28 février 2023, demande à la cour de :

- débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner l'intimée aux entiers dépens de l'instance ;

- dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Richard Sanguinette à lui verser les sommes suivantes :

* 27 723,36 euros au titre des indemnités pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 3 960,50 euros au titre des indemnités de préavis ;

* 396 euros au titre congés payés sur préavis ;

* 891,10 euros au titre des indemnités de mise à pied conservatoire ;

* 89,10 euros au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire ;

* 11 881,45 euros au titre du préjudice relatif à l'absence de formation valorisante ;

* 270,30 euros au titre de l'indemnité de recherche d'emploi ;

*2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- débouter la société Richard Sanguinette de l'intégralité de ses demandes ;

- prononcer la rédaction et la remise de l'ensemble des documents sociaux de fin de contrat relatif à la décision de justice sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

- prononcer l'exécution provisoire de l'intégralité de son jugement conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile.

La société Richard Sanguinette, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 avril 2023, demande à la cour de :

- juger M. [P] mal fondé son appel ;

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* qualifié le licenciement de M. [P] de licenciement pour faute grave ;

* débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes ;

* condamné M. [P] à lui verser la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Y ajoutant,

- condamner M. [P] à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi aux entiers dépens lesquels comprendront le coût du constat d'huissier en date du 22 juin 2018.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 novembre 2023.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la combinaison des articles 4 et 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, qu'en appel, dans les procédures avec représentation obligatoire, ces prétentions, ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées, doivent être expressément formulés dans les conclusions et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Or, la cour relève que si M. [P] sollicite, dans la discussion de ses écritures, la rectification du coefficient de son emploi selon la classification prévue par la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment, aucune demande en ce sens n'est reprise au dispositif de ses dernières conclusions.

En l'absence de toute prétention énoncée sur ce point au dispositif de ses conclusions, la cour n'est donc pas saisie de cette demande.

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le préjudice tiré du défaut de formation valorisante et de promotion interne

M. [P] expose que l'employeur n'a pas respecté ses obligations prévues par la convention collective tendant à favoriser le déroulement des carrières des ouvriers en leur dispensant des formations valorisantes. Par ailleurs, il soutient avoir fait l'objet d'une discrimination en ce qu'il n'a jamais été promu dans l'entreprise contrairement aux chefs d'équipe qui n'étaient pourtant pas titulaires des diplômes requis.

La société Richard Sanguinette réplique que les stipulations conventionnelles invoquées par le salarié ne trouvent pas à s'appliquer dans l'entreprise dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un arrêté d'extension. Elle ajoute avoir satisfait à son obligation de formation portant sur l'adaptation à l'emploi de son salarié.

Sur ce,

Conformément aux dispositions prévues à l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales ou mutualistes.

Il résulte de l'article L.1134-1 du même code que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Par ailleurs, l'article 12.1 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment prévoit que les parties signataires se sont entendues sur la nécessité d'une refonte de la classification actuellement applicable aux ouvriers du bâtiment pour adopter un système plus approprié aux nouvelles réalités techniques et sociales de la profession, se dégageant, en les améliorant, des principes de classification antérieurement retenus, compte tenu notamment de l'environnement économique et social européen.

Le présent titre répond à la volonté des organisations professionnelles signataires de valoriser les métiers du bâtiment et d'améliorer l'image de marque de la profession afin notamment d'attirer et de conserver les jeunes qualifiés en utilisant la voie privilégiée de la négociation à tous les niveaux en vue de, notamment, favoriser le déroulement de carrière des ouvriers et l'examen des possibilités d'accès de ceux-ci à des postes relevant de la classification des emplois des ETAM, ce qui suppose notamment une prise en compte accrue par la profession et par les entreprises des impératifs de formation, initiale et continue.

En l'espèce, les stipulations conventionnelles prévues à l'article 12.1 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment ont été étendues par arrêté du 8 février 1991, publié au journal officiel de la République française le 12 février 1991.

Les manquements dénoncés par M. [P], embauché à compter du 25 janvier 2001, étant postérieurs à la publication de l'arrêté d'extension, les stipulations précitées sont bien applicables au présent litige.

Toutefois, il est relevé qu'en reprochant à l'employeur de ne pas lui avoir dispensé de formations valorisantes, le salarié procède à une interprétation erronée de l'obligation incombant à l'employeur, dès lors que celle-ci se borne à favoriser le déroulement de carrière des ouvriers en leur permettant de bénéficier d'une formation initiale et continue.

Or, la société verse aux débats un ensemble d'attestations de présence du salarié, entre 2013 et 2017, aux formations relatives au CACES, à l'intervention sur les sites chimiques et industriels, au sauvetage et secourisme, et à la sécurité des personnels extérieurs, et justifie d'avoir fait bénéficier au salarié d'une formation initiale et continue.

Ainsi, aucun manquement imputable à l'employeur ne peut être retenu de ce qu'il n'aurait pas respecté ses obligations énoncées à l'article 12.1 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment.

Par ailleurs, si M. [P] soutient avoir subi une discrimination de ce qu'il n'a jamais été promu dans l'entreprise à l'inverse des chefs d'équipe qui étaient dépourvus de diplôme, il ne verse aux débats aucun élément de preuve permettant d'étayer ses dires, lesquels relèvent, par conséquent, de pures affirmations.

Les éléments présentés par le salarié, pris dans leur ensemble, ne laissent donc pas supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Dès lors, par confirmation du jugement entrepris, M. [P] est débouté de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de formation valorisante et de promotion interne.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement pour fautes graves

M. [P] expose que l'employeur est mal fondé à lui reprocher des retards sur les chantiers, précisant que, le 12 mars 2018, il devait réceptionner du béton prêt à l'emploi, que son retour à l'atelier le 13 mars 2018 était nécessaire pour récupérer des matériaux propres à assurer la mise en sécurité du chantier et que la pause-café du 26 avril 2018 était justifiée par l'attente de la prise de la dalle en béton qui venait d'être placée. Il ajoute qu'il ne pouvait être présent sur le chantier [T] le 24 mai 2018 dès lors qu'il se trouvait en déplacement sur un autre chantier. Par ailleurs, il affirme que les faits tenant à son refus de réaliser des heures supplémentaires, ses propos sur l'état des camions de la société, ou son refus de signer le contrat de la mutuelle d'entreprise avant de l'étudier relèvent de l'usage normal de sa liberté d'expression au sein de l'entreprise et ne peuvent être retenus comme fautifs. S'agissant de sa présence sur un chantier le 22 juin 2018 pendant sa mise à pied conservatoire, il indique que la notification de cette mesure conservatoire était datée seulement de la veille, qu'il n'avait pas prêté attention aux termes juridiques et que dans le doute il s'était rendu sur son lieu de travail.

La société Richard Sanguinette réplique que le salarié, qui ne conteste pas s'être rendu tardivement sur le chantier le 12 mars 2018 à 13h30, ne peut utilement se prévaloir de la réception de matériel le matin. Pour le retard sur le chantier le 13 mars 2018, elle affirme qu'il s'agit d'un oubli de matériel à son départ de l'atelier et qu'aucun élément de preuve présenté à la cour ne démontre la nécessité d'installer des bastaings plus longs. S'agissant de la pause de 45 minutes sur le chantier de la société Bonduelle, elle indique que ce fait est prouvé par le courriel de réclamation du représentant de cette société et attesté par M. [L], le chef de chantier, qui était présent. Elle évoque aussi le retard de M. [P] sur le chantier [T] qui, selon elle, est attesté par le témoignage de M. [S] et le courriel de plainte de l'architecte en charge du projet de construction. Par ailleurs, elle reproche au salarié son manque de professionnalisme, pour lequel il avait déjà été sanctionné, s'agissant de son refus de réaliser des heures supplémentaires, son refus de signer un document relatif à la mutuelle d'entreprise, et de ses propos sur les véhicules de la société. Enfin, elle soutient que le refus du salarié d'exécuter sa mise à pied conservatoire constitue une preuve de son insubordination.

Sur ce,

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Les faits invoqués comme constitutifs d'une faute grave doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et doivent encore être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail. La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur. S'il subsiste un doute concernant l'un des griefs invoqués par l'employeur, il profite au salarié.

En l'espèce, tandis qu'il ne conteste pas avoir observé un retard de 30 minutes pour rejoindre le chantier Lavalim qui devait débuter le 12 mars 2018 à 13h, fait également attesté par le témoignage de M. [L], le chef de chantier, M. [P] ne peut utilement soutenir que ce retard serait dû au retrait en magasin du béton prêt à l'emploi, alors même que le bon de livraison démontre que ces matériaux avaient été réceptionnés à 10h08 le même jour. La faute est donc constituée.

N'étant pas davantage contesté par le salarié qu'après un passage sur ce même chantier le 13 mars 2018, il est revenu à l'atelier à 9h30, les explications données par l'appelant, de ce qu'il était nécessaire de récupérer des matériaux propres à assurer la mise en sécurité du chantier, n'apparaissent pas pertinents pour disqualifier l'oubli de ces matériaux lors du premier trajet, d'autant que, présent la veille, il connaissait les conditions dans lesquelles il avait laissé le chantier.

Ces éléments matérialisent des négligences sans pour autant qu'il soit caractérisé une mauvaise volonté délibérée du salarié.

Toutefois, le fait reproché au salarié tenant à avoir observé une pause trop longue le 26 avril 2018 en compagnie de ses collègues de travail ne ressort que du seul courriel rédigé par le représentant de la société Bonduelle qui se borne à constater que les maçons n'étaient pas présents sur le chantier pendant 45 minutes sans aucune précision des travaux qui devaient être menés pour la journée.

Les propos du représentant de la société Bonduelle apparaissent, de surcroît, insuffisants pour remettre en cause les explications données par le salarié de ce qu'une dalle en béton venait d'être posée et qu'il était nécessaire de patienter une heure pour poursuivre avec le talochage, ce d'autant que le salarié n'était pas le seul à avoir fait une longue pause, l'équipe étant toute concernée.

Le témoignage de M. [L] qui confirme la durée de la pause observée par les maçons sur ce chantier, n'apporte pas plus de précision sur des tâches qui auraient été laissées en suspens.

La société, qui n'apporte pas des éléments suffisamment précis sur ce point, ne fait pas la démonstration d'une faute imputable à M. [P] relativement à une pause trop longue.

Le courriel de réclamation de l'architecte en charge du chantier en date du 24 mai 2018, qui affirme que l'équipe en place en début de chantier « commençait à 10h et finissait à 15h30 », s'avère particulièrement imprécis sur les retards qu'il reproche à la société et n'est pas étayé, une nouvelle fois, par des éléments de preuve permettant d'apprécier la manière dont les travaux étaient planifiés et la communication au salarié des heures de travail qu'il devait consacrer à ce chantier.

Le témoignage de M. [S], qui ne fait que décrire le contenu du courriel de l'architecte, n'apporte quant à lui pas d'éclaircissement particulier.

Alors que la présence limitée du salarié sur un chantier ne constitue pas une faute en soi, la société Richard Sanguinette n'apporte aucun élément permettant d'apprécier l'imputabilité au salarié du retard accumulé sur ce chantier et qui, de toute évidence, ne ressort que du seul courriel, imprécis de surcroît, de l'architecte en charge du chantier.

Il convient également d'écarter toute matérialité de faits fautifs imputables au salarié s'agissant de ses propos sur les véhicules de l'entreprise qu'il qualifiait devant les autres salariés de « camions de merde » ou de l'expression de son souhait de ne pas réaliser des heures supplémentaires dès lors que, ne constituant pas des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs et exprimés dans le cadre restreint de l'entreprise, ils ne relevaient pas d'un usage disproportionné de sa liberté d'expression surtout dans le milieu professionnel du bâtiment.

S'agissant de la souscription à une option de la mutuelle PRO BTP, M. [P] était parfaitement en droit de ne pas signer le document de souscription selon le rythme qu'entendait lui imposer l'employeur, d'autant que le document en cause, versé aux débats par la société, précise bien que le salarié pouvait solliciter une dispense.

Les propos qu'il aurait alors tenus à M. Sanguinette selon lesquels il « ne savait pas lire », sont décrits par l'unique témoignage de M. [D] proprement insuffisant à établir leur matérialité, et qui, quand bien même ils seraient avérés, ne relèveraient pas davantage d'un usage disproportionné de la liberté d'expression dont il jouit dans l'entreprise.

Tandis que selon les termes de la lettre de licenciement il est reproché à M. [P] son comportement agressif et ses propos dénigrants à l'origine d'un climat délétère dans l'entreprise, les descriptions rapportées par M. [S], [H] et [C], qui évoquent « un manque de respect », le « foutage de gueule », des « conflits avec les autres salariés », le « dénigrement de la hiérarchie » et son « désaccord avec tout », constituent des appréciations d'ordre général sur l'attitude du salarié sans aucune référence à des propos ou événements précis.

Nonobstant le passé disciplinaire de M. [P] qui s'était vu sanctionner d'un avertissement le 29 mai 2017 pour des propos agressifs tenus à l'égard de M. [L], dont il a toutefois contesté le bien-fondé, les éléments de preuve communiqués à la cour par la société Richard Sanguinette ne permettent pas de matérialiser une faute imputable au salarié. A tout le moins il existe sur ces griefs un doute.

Au vu de ces éléments, quand bien même la cour retient la matérialité et l'imputabilité à M. [P] le retard observé sur le chantier Lavalim le 12 mars 2018 lequel relève d'une négligence fautive, le prononcé d'une mesure de licenciement, a fortiori pour fautes graves, à l'égard d'un salarié qui disposait d'une ancienneté supérieure à 17 ans dans l'entreprise apparait disproportionné à l'importance des fautes commises.

La cour observe par ailleurs que la décision de mise à pied conservatoire décidée le 19 juin 2018 avait été motivée par les propos du salarié sur « les camions de merde de l'entreprise » lesquels ne justifiaient en aucun cas une telle mesure écartant le salarié de l'entreprise, ce d'autant que l'employeur avait toléré depuis longtemps les écarts de langage du salarié. De sorte que le refus du salarié de s'y soumettre ne constitue pas un motif de licenciement.

Dès lors, par voie d'infirmation du jugement déféré, le licenciement prononcé à l'encontre de M. [P] le 4 juillet 2018 est sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [P] sollicite, outre le paiement des salaires pour la période de mise à pied conservatoire injustifiée et du préavis, la condamnation de l'employeur à lui payer une indemnité de recherche d'emploi prévue par la convention collective ainsi qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 27 723,36 euros.

La société Richard Sanguinette ne répond pas sur ce point.

Sur ce,

L'article L.1235-3 du code du travail prévoit l'octroi d'une indemnité à la charge de l'employeur au bénéfice du salarié dont le licenciement est survenu pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse. Lorsque son ancienneté dans l'entreprise est supérieure à 17 années, le montant de cette indemnité est compris entre 3 et 14 mois de salaire.

Selon l'article L.1234-1 du même code, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

L'article 10.2 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment prévoit que pendant le préavis, l'ouvrier licencié ou démissionnaire est autorisé, s'il en fait la demande, à s'absenter de son travail pour pouvoir rechercher un nouvel emploi, dans les limites suivantes :

- délai de préavis égal à 2 jours : 4 heures de travail ;

- délai de préavis égal à 2 semaines : 12 heures de travail ;

- délai de préavis égal ou supérieur à 1 mois : 25 heures de travail.

Pour les ouvriers à temps partiel, les durées ci-dessus sont réduites proportionnellement à la durée de travail qu'ils effectuent, rapportée à la durée légale ou à la durée pratiquée dans l'entreprise, si elle est inférieure.

Les heures pour rechercher un nouvel emploi sont prises groupées, en principe, à la fin du délai de préavis.

En cas de licenciement, ces heures sont indemnisées par l'entreprise sur la base du taux horaire du salaire effectif de l'intéressé.

Aucune indemnité n'est due par l'employeur si les heures pour recherche d'emploi ne sont pas utilisées par l'ouvrier.

En l'espèce, il convient de faire droit à la demande de M. [P] tendant à la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 891,10 euros correspondant au 13 jours de salaire retenus pendant la mise à pied conservatoire injustifiée, outre 89,10 euros de congés payés afférents.

Compte-tenu d'un salaire moyen de référence de 1 980,25 euros, montant non spécifiquement contesté par l'employeur, il conviendra d'allouer au salarié une indemnité de préavis équivalente à deux mois de salaire d'un montant de 3 960,50 euros, outre 396 euros de congés payés afférents.

En revanche, M. [P] n'ayant pas exécuté son préavis et ne démontrant pas la consécration d'heures à la recherche d'emploi, sa demande tendant à l'octroi d'une indemnité de recherche d'emploi est rejetée.

Compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'effectif de la société, du montant de la rémunération dû à M. [P], alors âgé de 50 ans au jour de son licenciement, de son ancienneté de plus de 17 ans au service de l'entreprise, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 20 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

Sur les autres demandes

Compte-tenu de ce qui précède, il conviendra d'ordonner à la société Richard Sanguinette de remettre à M. [P] les bulletins de salaire, les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, sans qu'il n'y ait lieu à prononcer une astreinte.

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société Richard Sanguinette, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, et à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Etant rappelé que les arrêts de la cour d'appel sont directement exécutoires, il n'y a pas lieu de prononcer l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de M. [P] tendant à l'octroi de dommages et intérêts pour défaut de formation valorisante et de promotion interne ainsi que d'une indemnité de recherche d'emploi,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement prononcé à l'encontre de M. [P] le 4 juillet 2018 est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Richard Sanguinette à payer à M. [P] :

- 891,10 euros de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire, outre 89,10 euros de congés payés afférents,

- 3 960,50 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 396 euros de congés payés afférents,

- 20 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,

Ordonne à la société Richard Sanguinette de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

Dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Richard Sanguinette aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/05472
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;22.05472 ?
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