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05/06/2024 | FRANCE | N°23/02099

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 05 juin 2024, 23/02099


ARRET







[H]





C/



S.A.S. STELLANTIS & YOU FRANCE

























































copie exécutoire

le 05 juin 2024

à

Me HAMEL

Me TALVARD

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 05 JUIN 2024



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*****************************************

N° RG 23/02099 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IYI2



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 03 AVRIL 2023 (référence dossier N° RG 21/00132)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [B] [H]

née le 16 Décembre 1975 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]
...

ARRET

[H]

C/

S.A.S. STELLANTIS & YOU FRANCE

copie exécutoire

le 05 juin 2024

à

Me HAMEL

Me TALVARD

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 05 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/02099 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IYI2

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 03 AVRIL 2023 (référence dossier N° RG 21/00132)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [B] [H]

née le 16 Décembre 1975 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Christine HAMEL de la SELARL CHRISTINE HAMEL, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Laurine DESCAMPS, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. STELLANTIS & YOU FRANCE (ANC. PSA RETAIL FRANCE)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparante en la personne de M. [Y] [N], directeur, dûment mandaté

assistée, concluant et plaidant par Me Gonzague TALVARD de la SELARL CAPSTAN NORD EUROPE, avocat au barreau de LILLE

DEBATS :

A l'audience publique du 10 avril 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Mme [D] [Z] en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme [D] [Z] indique que l'arrêt sera prononcé le 05 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [D] [Z] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 05 juin 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [H], née le 16 décembre 1975, a été embauchée à compter 3 janvier 2000 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Citroën, aux droits de laquelle vient désormais la société Stellantis & you France (la société ou l'employeur), en qualité de caissière facturière.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait les fonctions de chef de service.

La société Stellantis & you France compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des services de l'automobile.

Mme [H] a été placée en arrêt de travail à compter du 2 décembre 2019.

Suivant avis d'inaptitude du 2 février 2021, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste avec dispense de reclassement pour le motif suivant : « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Par courrier du 8 février 2021, elle a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 18 février 2021.

Par lettre du 24 février 2021, elle a été licenciée pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement.

Ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail et contestant la licéité de son licenciement, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 19 avril 2021.

Par jugement du 3 avril 2023, le conseil a :

- dit et jugé que le licenciement de Mme [H] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- débouté Mme [H] de ses demandes :

- de reconnaissance du licenciement en un licenciement nul ;

- de reconnaissance du licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

- de versement de rappel de salaire au titre de l'augmentation générale des salaires à compter du 1er mars 2020 et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente ;

- de versement de rappel de salaire au titre de l'augmentation individuelle à compter du 1er septembre 2020 et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente ;

- pris acte de ce que la société Stellantis & you France avait effectivement versé l'indemnité spéciale de licenciement à Mme [H] ;

- condamné la société Stellantis & you France au versement d'une indemnité de retrait de véhicule de société de 4 564 euros ;

- condamné la société Stellantis & you France à remettre à Mme [H] les documents de fin de contrat actualisés ;

- dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte ;

- dit que les sommes versées au titre des créances de nature salariale porteraient intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de la partie défenderesse à l'audience de conciliation ;

- dit que seules les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail relatives à l'exécution provisoire de droit recevraient application ;

- débouté la société Stellantis & you France de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Mme [H] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé aux parties la charge de leurs propres dépens.

Mme [H], régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023, demande à la cour de :

- la déclarer tant recevable que bien fondée en son appel ;

- infirmer en toutes se dispositions le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Stellantis & you France à lui verser une indemnité de retrait de véhicule de société de 4 564 euros, et débouté la société Stellantis & you France de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

A titre principal,

- dire les faits de harcèlement moral fondés et son licenciement nul ;

- en conséquence, condamner la société Stellantis & you France à lui payer :

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

- 65 130,75 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire,

- dire son licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

- par conséquent, condamner la société Stellantis & you à lui payer :

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi et du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ;

- 65 130,75 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

- condamner la société Stellantis & you France à lui payer :

- 521,05 euros à titre de rappel d'augmentation générale de salaire à compter du 1er mars 2020 ;

- 52,10 euros au titre des congés payés afférents ;

- 364,73 euros à titre de rappel de salaire pour augmentation individuelle de salaire à compter du 1er septembre 2020 ;

- 36,47 euros au titre des congés payés afférents ;

- débouter la société Stellantis & you France de son appel incident ;

- ordonner en outre à la société Stellantis & you France de lui remettre, sous astreinte non comminatoire de 200 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, l'ensemble des documents de fin de contrat et bulletins de paie rectifiés conformes à ladite décision ;

- condamner la société Stellantis & you France au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- dire que l'ensemble des condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la première saisine du bureau de conciliation du conseil de prud'hommes d'Amiens ;

- débouter la société Stellantis & you France de toute demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Stellantis & you France, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 février 2024, demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au versement d'une indemnité de retrait de véhicule de société de 4 564 euros et à remettre à Mme [H] les documents de fin de contrat actualisés ;

- le confirmer pour le surplus ;

- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [H] à lui verser 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

II est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

MOTIFS

1. Sur l'exécution du contrat de travail

1.1. Sur la demande de rappel de salaire

Mme [H] expose qu'en dépit de la note du 20 mars 2020 établie par la société, elle n'a pas bénéficié des mesures générales et individuelles d'augmentation des salaires prévues lors de la négociation annuelle obligatoire.

La société Stellantis & you France réplique que les augmentations prévues par l'accord de négociation annuelle obligatoire pour l'année 2020 ne s'appliquaient pas à la classification d'emploi de la salariée.

Sur ce,

En l'espèce, il ressort de l'avenant au contrat de travail conclu le 1er septembre 2017 ainsi que des bulletins de salaire présentés à la cour que Mme [H] occupait la fonction de chef de service, statut cadre niveau III A.

S'il est effectivement établi que l'accord conclu entre l'employeur et les organisations syndicales sur les mesures salariales pour l'année 2020 prévoyait des augmentations générales et individuelles en faveur des cadres, l'article 1er de ce même accord précise que seuls les cadres classés IA, IB et IC étaient visés par ces augmentations.

La note du 20 mars 2020, qui a pour seule fonction d'informer les salariés bénéficiaires des augmentations négociées lors de la négociation annuelle obligatoire de l'année 2020 et des modalités de mise en paiement, n'apporte aucun renseignement sur des augmentations salariales accordées aux cadres de niveaux supérieurs.

Ainsi, les demandes de rappels de salaire de Mme [H], dont la classification d'emploi n'était pas visée par les augmentations salariales prévues par l'accord de négociation annuelle obligatoire de l'année 2020, devront, par confirmation du jugement entrepris, être rejetées.

1.2 Sur le retrait du véhicule lié au poste et l'indemnité de retrait

Mme [H] soutient avoir été injustement privée de son véhicule de fonction pendant son arrêt de travail en lien avec l'accident du travail survenu le 2 décembre 2019 en méconnaissance de la note interne sur l'attribution des véhicules liés au poste, sans avoir reçu le paiement de l'indemnité de retrait prévue par cette réglementation interne.

En réponse, la société affirme que le retrait du véhicule est intervenu dans les conditions contractuellement prévues et que l'indemnité visée par la note interne n'est due que dans les situations de retrait définitif, et en aucun cas lorsqu'il intervient en raison d'une suspension du contrat de travail.

Sur ce,

Un véhicule de fonction, dont le salarié conserve l'usage dans sa vie personnelle, ne peut, sauf stipulation contraire, être retiré à l'intéressé pendant une période de suspension du contrat de travail.

En l'espèce, il s'évince de l'avenant conclu le 1er septembre 2017 qu'est mis à la disposition de la salariée un véhicule affecté au poste pour les besoins liés à l'exécution de ses fonctions mais aussi, par exception, à ses déplacements privés en dehors de ses horaires de travail.

Il est également prévu que la salariée s'engage à le restituer, après demande du service des ressources humaines ou de la direction, en cas d'impossibilité d'exercer ses fonctions, notamment en cas d'arrêt maladie d'une durée supérieure à 45 jours sans distinction quant à l'origine de l'arrêt.

Or, étant observé que le contrat de travail prévoit expressément la possibilité pour la société de solliciter la restitution du véhicule lié au poste en cas d'arrêt de travail supérieur à 45 jours, Mme [H], qui observait alors un arrêt de travail ininterrompu depuis le 2 décembre 2019, ne peut utilement soutenir que la demande de restitution du véhicule adressée par la direction le 29 avril 2020, soit près de cinq mois plus tard, présente un caractère abusif.

Au vu des stipulations contractuelles, il importe peu que la suspension de l'arrêt de travail ait une cause professionnelle.

Par ailleurs, si la note du 1er septembre 2018 prévoit un dispositif d'accompagnement à l'achat d'un nouveau véhicule par l'octroi d'une indemnité de retrait, il est relevé que cette aide ne s'adresse qu'aux seuls salariés dont le véhicule lié au poste a été retiré en raison d'une mutation.

Au vu de ces éléments, la demande de la salariée tendant à l'octroi d'une indemnité de retrait sera, par infirmation du jugement déféré, rejetée.

1.3 Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [H], qui exerce les fonctions de responsable après-vente, soutient avoir subi, avec des conséquences lourdes sur sa santé, un harcèlement moral de la part de M. [N], nommé directeur de la succursale d'[Localité 5] à compter du mois de mai 2019, en ce qu'il lui a refusé des formations et des congés, l'a privée des augmentations qui lui étaient dues, l'a évincée publiquement de certaines réunions concernant son activité, a déconsidéré la qualité de son travail en proposant son accompagnement en doublon dans une autre succursale, lui a brutalement annoncé son éviction de ses fonctions, puis, alors qu'elle était en arrêt de travail, a fouillé son bureau, remis en cause la réalité de sa pathologie, abusivement sollicité une contre-visite médicale à son domicile, et lui a retiré son véhicule de fonction.

Or, il a été précédemment retenu que Mme [H] ne pouvait prétendre aux augmentations salariales générales et individuelles fixées lors de la négociation annuelle obligatoire de l'année 2020 compte-tenu de la classification de son emploi.

Par ailleurs, le témoignage de Mme [U], salariée intérimaire, qui affirme avoir vu, lors d'une visite de courtoisie dans l'entreprise le 4 décembre 2019, M. [N] dans le bureau de Mme [H] « à la recherche de documents », s'avère insuffisamment précis et circonstancié pour caractériser la fouille de son bureau.

Ces faits ne sont donc pas matériellement établis.

En revanche, Mme [H] présente des courriels datés du 1er octobre et du 22 novembre 2019 aux termes desquels M. [N] lui a refusé une formation au sujet des véhicules d'occasion, ainsi que des jours de congés pour la fin de l'année.

Elle verse également un courriel rédigé par M. [N] le 14 octobre 2019 ayant pour objet « l'accompagnement de Mme [H] » dont il ressort que ce dernier a organisé une semaine en doublon avec le responsable après-vente d'une autre succursale.

Concernant les agissements de M. [N] qui l'aurait évincée publiquement de réunions concernant son activité, elle établit avoir été placée, parmi plusieurs directeurs régionaux, en copie d'un courriel du 25 juin 2019 de M. [N] qui était adressé à M. [K], le directeur après-vente de la plaque Normandie, afin d'échanger en « tête à tête » sur l'atelier d'[Localité 5] dont elle avait la charge ;

Elle établit également avoir été destinataire le 2 décembre 2019 d'un courriel rédigé par M. [C], le directeur de la succursale de [Localité 7], et transféré par M. [N] à son adresse indiquant : « Retour cette semaine, et sans dévoiler tout le sujet, on engage la sortie de [B] [Mme [H]], sujet acté semaine dernière avec [Y] [M. [N]] sur d'autres constats », suivi d'une proposition de changement de poste pour devenir conseillère commerciale au sein du service des véhicules d'occasion.

Concernant les faits survenus pendant son arrêt de travail, la salariée présente un message adressé le 3 décembre 2019 à M. [N] aux termes duquel elle l'informait de la prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 11 décembre 2019 et auquel, avant de lui demander de lui envoyer les documents justificatifs nécessaires, il a répondu : « no comment », et justifie du passage du médecin contrôleur le 24 février 2020, pour une contre-visite médicale à son domicile à la demande de l'employeur, ainsi que d'une demande de restitution de son véhicule de fonction par courrier du 29 avril 2020.

Enfin, elle produit l'ensemble de ses certificats d'arrêts de travail motivés par le constat d'une « anxiété réactionnelle suite à un mail professionnel », des rapports de consultation auprès de la médecine du travail, et justifie d'un suivi psychologique et psychiatrique conjugué à la prescription d'un traitement anxiolytique.

La salariée présente ainsi des éléments de fait matériellement établis qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

A ce titre, l'employeur verse aux débats une lettre du 6 juillet 2020 provenant de la direction France indiquant que les données d'évaluation recueillies sur la qualité du service après-vente du site d'[Localité 5] pour le second semestre 2019 étaient très inférieures aux résultats obtenus sur l'ensemble du territoire national, plaçant ce même site parmi les 20 plus mal classés au titre du score « Qualité APV ».

Outre les mauvais résultats obtenus s'agissant des indices de satisfaction client, la société présente le courriel du 17 février 2022 de Mme [X], contrôleuse de gestion pour la zone [Localité 6] Normandie, exposant les résultats validés par les commissaires aux comptes du groupe pour le site d'[Localité 5] et notamment une baisse de 8,5% du chiffre d'affaires net de l'après-vente entre novembre 2018 et novembre 2019, une baisse de 14% du résultat brut d'activité pour l'année 2019, et une baisse de près de 80 % pour le seul mois de novembre 2019. Ces données apparaissent cohérentes avec celles extraites le 4 décembre 2019 présentées à la cour.

Les éléments présentés par Mme [H] sur ce point, qui ne font que mettre en évidence certains résultats positifs de manière très ponctuelle telle que la légère augmentation du résultat brut d'activité du mois d'octobre 2019 par rapport au mois d'octobre de l'année précédente, apparaissent insuffisants pour remettre en cause les éléments particulièrement précis apportés par l'employeur et démontrant ses difficultés rencontrées dans l'accomplissement de ses fonctions sur l'intégralité de l'année 2019.

Partant de ce constat, l'employeur démontre par la production d'éléments objectifs que les difficultés rencontrées par la salariée justifiaient de lui proposer un accompagnement en doublon auprès d'un responsable après-vente d'une autre concession, ou encore de lui refuser le suivi d'une formation à destination des encadrants de la vente d'occasion qui n'était pas cohérente avec son activité.

De surcroît, la lecture de l'intégralité des échanges sur l'attribution des jours de congés pour la fin d'année démontre que le refus de M. [N] d'accorder à Mme [H] les journées du 23 et 24 décembre 2019, et non la semaine entière, était justifié par la règle interne, dont l'existence n'est pas contestée, selon laquelle au minimum deux chefs de services ou directeurs devaient être présents sur le site pendant les périodes de vacances.

S'agissant du retrait de son véhicule de fonction, il a été précédemment retenu que cette restitution était expressément prévue par l'avenant au contrat de travail conclu le 1er septembre 2017 en cas d'arrêt de travail supérieur à 45 jours, et qu'il ne pouvait être caractérisé un agissement fautif de l'employeur qui n'a procédé à cette demande qu'après cinq mois d'arrêt de travail.

En revanche, étant relevé que les nombreux témoignages de salariés présentés par la société se bornent à exposer des considérations d'ordre général sur les qualités humaines et professionnelles de M. [N] sans apporter de précisions utiles sur les faits dénoncés par Mme [H], l'employeur ne présente aucun élément de preuve ni explication sur le choix du directeur de la succursale d'exclure la salariée d'une réunion le 25 juin 2019 portant sur le suivi de l'atelier d'[Localité 5] dont elle avait pourtant la charge, tout en prenant soin de la placer en destinataire parmi de nombreux cadres de direction de la région.

Par ailleurs, si les résultats insuffisants démontrés par l'employeur pouvaient effectivement justifier la proposition d'un poste plus adapté aux compétences de Mme [H], l'argumentation soutenue par la société, selon laquelle l'envoi du courriel du 2 décembre 2019 annonçant sa « sortie » relèverait d'une erreur de manipulation, est impropre à qualifier ce fait d'étranger à tout harcèlement moral alors que l'élément intentionnel n'est pas requis aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail.

L'employeur ne présente pas non plus d'explication sur la réaction particulièrement indélicate de M. [N] en répondant « no comment » à l'annonce de l'arrêt de travail initial de la salariée le 3 décembre 2019.

De plus, la prérogative de l'employeur de solliciter une contre-visite médicale afin de contrôler la justification médicale d'un arrêt de travail n'est pas suffisante à elle seule pour établir que la visite du 24 février 2020 était étrangère à tout fait de harcèlement moral au vu du contexte rappelé ci-dessus.

Les autres explications données par l'employeur, selon lesquelles la durée de l'arrêt de travail initial apparaissait anormalement courte pour un accident du travail, ne sont pas plus pertinentes étant relevé, d'une part, que cette contre-visite est intervenue plus deux mois après la fin de l'arrêt de travail initial, et, d'autre part, que dans son courrier de réserve adressé à la CPAM le 3 mars 2020, il affirmait avoir eu connaissance d'une déclaration d'accident du travail le 25 février 2020, soit postérieurement à la contre-visite.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient, s'agissant de l'exclusion de la salariée d'une réunion sur le suivi de l'atelier dont elle avait la charge, de l'information brutale du 2 décembre 2019 annonçant sa « sortie », de la réaction inadaptée de M. [N] à l'annonce de son arrêt de travail et de la mise en 'uvre d'une contre-visite médicale à son domicile sans raison objective, que l'employeur échoue à démontrer que ces faits répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme [H] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Mme [H] justifie de la prise en charge au titre de la législation professionnelle des lésions psychiques provoquées par la réception du courriel qui lui a été adressé le 2 décembre 2019 et qui ont nécessité un suivi psychiatrique ainsi que la prescription d'un traitement anxiolytique.

L'existence d'un harcèlement moral est donc caractérisée.

Au vu des éléments médicaux produits, le préjudice de la salariée sera justement réparé par l'octroi de 5 000 euros de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

2. Sur la rupture du contrat de travail

2.1 Sur la nullité du licenciement

Mme [H] expose que les agissements de son employeur ont eu pour conséquence l'apparition de troubles psychiques graves qui sont la cause de son licenciement pour inaptitude de sorte qu'il doit être déclaré nul.

La société Stellantis & you France réplique qu'en l'absence de tout harcèlement moral, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement prononcé à l'égard de la salariée ne saurait être déclaré nul.

Sur ce,

Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l'article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Pour décider que le licenciement est nul en application de ce texte, il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement l'existence d'un lien de causalité entre les agissements de harcèlement moral et le licenciement.

En l'espèce, Mme [H] a subi un certain nombre d'agissements répétés de la part de son employeur ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, constitutifs d'un harcèlement moral.

Il est établi que, parmi les faits dénoncés par la salariée, figure la réception d'un courriel le 2 décembre 2019 annonçant la volonté de son employeur de modifier ses fonctions dans l'entreprise, événement reconnu comme un accident du travail par la CPAM, et à compter duquel elle a observé un arrêt de travail ininterrompu jusqu'au 17 janvier 2021, soit deux semaines avant le prononcé de son inaptitude à son poste par le médecin du travail le 2 février 2021.

Les certificats d'arrêt de travail en lien avec cet accident du travail évoquent unanimement la constatation médicale de troubles psychiques et notamment d'une anxiété réactionnelle consécutive à cet accident.

Il ressort également des comptes-rendus des 8 examens cliniques réalisés par le médecin du travail du 9 décembre 2019 au 2 février 2021, du bilan psychologique établi le 9 janvier 2020 par Mme [I], psychologue clinicienne, ou encore du rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité réalisé par le médecin conseil de la CPAM le 23 décembre 2020, qu'outre le lien entre les lésions anxieuses et l'évènement du 2 décembre 2019, une correspondance de ces mêmes lésions avec des « man'uvres d'intimidation et d'humiliation », le « sentiment d'être rabaissée », et plus généralement avec la « sphère professionnelle ».

Ces éléments démontrent l'existence d'un lien direct entre le harcèlement moral subi par la salariée dans l'exécution de son contrat de travail et les lésions psychiques qui sont la cause de son licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement.

Dès lors, par voie d'infirmation du jugement déféré, le licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement prononcé à son encontre est nul.

2.2 Sur les conséquences du licenciement nul

Mme [H], se prévalant d'un salaire mensuel brut de référence de 4 342,05 euros, sollicite l'octroi de dommages et intérêts pour licenciement nul à hauteur de 65 130,75 euros, soit 15 mois de salaire.

L'employeur ne répond pas sur ce point.

Sur ce,

Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article, notamment en cas de faits de harcèlement moral, et que le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l'espèce, la lecture des bulletins de salaire versés aux débats permet de déterminer le salaire moyen perçu par Mme [H] lors des 12 mois de travail précédant son arrêt de travail pour un montant de 4 342,05 euros.

Compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'effectif de la société, du montant de la rémunération de Mme [H], alors âgée de 46 ans au jour de son licenciement, et de l'ancienneté de ses services de plus de 20 ans au sein de l'entreprise, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 50 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul.

Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

La salariée ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

3. Sur les autres demandes

Compte-tenu de ce qui précède, il conviendra d'ordonner à la société Stellantis & you France sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte, de remettre à Mme [H] les bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes au présent arrêt.

En application des dispositions prévues aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société Stellantis & you France, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, et à payer à Mme [H] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

La société sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de rappels de salaire de Mme [H],

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme [H] de sa demande tendant à l'octroi d'une indemnité de retrait de véhicule,

Dit que Mme [H] a été victime d'un harcèlement moral dans l'exécution de son contrat de travail,

Dit que le licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement prononcé le 24 février 2021 est nul,

Condamne la société Stellantis & you France à payer à Mme [H] :

- 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,

- 50 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Ordonne à la société Stellantis & you France de remettre à Mme [H] les bulletins de paie et documents de fin de contrat rectifiés conformes au présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Stellantis & you France de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Ordonne à la société Stellantis & you France de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Stellantis & you France aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/02099
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;23.02099 ?
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