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22/05/2024 | FRANCE | N°23/02797

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 22 mai 2024, 23/02797


ARRET







[T]





C/



S.A.R.L. HYDRO 80



























































copie exécutoire

le 22 mai 2024

à

Me HAMEL

Me ANTON

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 22 MAI 2024



******************************

*******************************

N° RG 23/02797 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IZVY



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERONNE DU 02 JUIN 2023 (référence dossier N° RG 22/00026)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [M] [T]

né le 13 Juillet 1967 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]



représenté et...

ARRET

[T]

C/

S.A.R.L. HYDRO 80

copie exécutoire

le 22 mai 2024

à

Me HAMEL

Me ANTON

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 22 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/02797 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IZVY

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERONNE DU 02 JUIN 2023 (référence dossier N° RG 22/00026)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [M] [T]

né le 13 Juillet 1967 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté et concluant par Me Christine HAMEL de la SELARL CHRISTINE HAMEL, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Laurine DESCAMPS, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. HYDRO 80

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée et concluant par Me Laurent ANTON de la SELARL ANTON LAURENT, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Faustine LEVEL, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 27 mars 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 22 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Hydro 80 (la société ou l'employeur) a embauché M. [T], né le 13 juillet 1967, à compter du 19 mars 2008 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de technico-commercial.

La convention collective applicable est celle de la métallurgie de la Somme.

M. [T] a fait l'objet d'un avertissement le 5 juillet 2021, puis d'un rappel à l'ordre le 12 juillet 2021.

Il a été placé en arrêt-maladie à compter du 11 septembre 2021.

Le 8 février 2022, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude avec dispense de reclassement.

Le 4 mars 2022, il a été licencié pour inaptitude.

S'estimant victime de harcèlement moral et contestant la licéité de son licenciement, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Péronne le 20 mai 2022.

Par jugement du 2 juin 2023, le conseil a :

- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté la société Hydro 80 de ses demandes ;

- condamné M. [T] aux dépens.

M. [T], régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2024, demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 juin 2023, sauf en ce qu'il a débouté la société Hydro 80 de ses demandes,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- annuler l'avertissement du 17 juin 2021,

- condamner la société Hydro 80 à lui payer à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi, la somme de 1 000 euros,

- annuler l'avertissement du 12 juillet 2021,

- condamner la société Hydro 80 à lui payer à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi, la somme de 1 000 euros,

- dire les faits de harcèlement moral commis par la société Hydro 80 parfaitement constitués,

- dire nul le licenciement intervenu le 4 mars 2022 pour inaptitude consécutive aux faits de harcèlement moral,

- condamner la société Hydro 80 à lui payer :

- 58 389,24 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié aux faits de harcèlement moral,

- 9 731,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 973,15 euros à titre des congés payés afférents,

- 1 348,50 euros à titre de rappels d'indemnités de repas,

- 29 194,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de travail dissimulé,

- ordonner la remise sous astreinte non comminatoire de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir de l'ensemble des documents de fin de contrat et bulletins de paie conformes à ladite décision,

- dire que l'ensemble des condamnations mises à la charge de la société Hydro 80 porteront intérêt au taux légal à compter de la première saisine du bureau de conciliation,

- condamner la société Hydro 80 au paiement de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouter la société Hydro 80 de l'ensemble de ses demandes, y compris celle formulée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Hydro 80, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2024, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 juin 2023, en ce qu'il a débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes, en ce compris :

' dommages et intérêts pour réparation du préjudice moral subi du fait d'une sanction disciplinaire injustifiée,

' dommages et intérêts à titre de licenciement nul,

' dommages et intérêts pour harcèlement moral,

' indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents,

' rappels d'indemnité de repas,

' indemnité compensatrice de travail dissimulé,

' demande afférente à la remise sous astreinte des documents de fin de contrat et de bulletins de paie modifiés,

- condamner M. [T] à lui payer 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur la demande de rappel d'indemnité de repas

M. [T] soutient que l'employeur a abusivement réduit son indemnité de repas de moitié à compter du 21 janvier 2021.

L'employeur répond qu'en signant l'avenant proposé, le salarié a accepté cette modification qui était, par ailleurs, justifiée par un redressement fiscal.

L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En l'espèce, par avenants au contrat de travail signés les 21 janvier et 3 mai 2021, l'exigibilité de la totalité de l'indemnité de repas a été conditionnée à la réalisation d'un chiffre d'affaires moyen supérieur à 50 000 euros pour les mois de janvier à mars 2021, puis pour les mois d'avril à septembre 2021.

Aucune des pièces produites par M. [T] ne permettant d'établir que son consentement a été vicié lors de la signature de ces avenants, l'employeur était légitime à appliquer ces nouvelles stipulations.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de rappel d'indemnités du salarié.

2/ Sur la demande au titre du travail dissimulé

M. [T] fait valoir qu'il a dû constamment se tenir à la disposition de l'employeur alors qu'il était en chômage partiel.

L'employeur conteste avoir fait travailler le salarié pendant les temps de chômage partiel soulignant que les courriels que ce dernier recevait étaient soit informatifs soit sans nécessité de réponse immédiate, et qu'il lui a été rappelé à plusieurs reprises qu'il ne devait pas travailler pendant ces périodes.

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [T] a été placé en chômage partiel le vendredi du 15 janvier au 19 mars 2021, puis les jeudi et vendredi à compter du 25 mars 2021 jusqu'à son arrêt de travail.

A l'exception du 17 juin 2021 pour lequel il a reçu un avertissement, l'activité professionnelle dont il se prévaut sur ces jours chômés consiste en la réception ou l'envoi de courriels ou de textos sans déplacement en clientèle.

Or, l'essentiel de ces messages ne comportent aucune obligation de consultation ni de réponse immédiate imposant au salarié de travailler.

Les quelques exceptions concernant des échanges de textos avec M. [R], gérant de la société, sont insuffisantes à démontrer une mise à disposition permanente du salarié pendant les temps de chômage partiel sur une période de plus de 8 mois, et ce d'autant, qu'il ressort du témoignage de Mme [H], secrétaire-comptable, non utilement contesté, qu'elle a « souvent entendu M.[R] rappeler à plusieurs reprises à M. [T] qu'il ne devait pas travailler les jours où il était en chômage partiel ».

Au vu de ces éléments, si le salarié a pu exercer une partie de son activité professionnelle sur des temps de chômage partiel, l'intention de l'employeur de dissimuler cette activité n'est pas établie.

C'est donc à bon droit que le conseil de prud'hommes a débouté M. [T] de sa demande de ce chef.

3/ Sur la demande d'annulation des sanctions

L'article L.1331-1 du code du travail dispose que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L'article L.1333-1 du même code dispose qu'en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

3-1/ concernant l'avertissement du 5 juillet 2021

M. [T] soutient que l'employeur est malvenu à lui reprocher de s'être rendu chez un client pendant son chômage partiel afin de le dépanner alors qu'il le faisait régulièrement travailler sur ces temps, que ce déplacement lui a permis de facturer une somme de 5 690 euros, et qu'il faisait pression pour qu'il augmente ses résultats.

L'employeur conteste avoir fait travailler le salarié pendant les temps de chômage partiel et répond que ce dernier ayant passé outre les multiples rappels à l'ordre qui lui avaient été faits oralement à ce sujet car il n'acceptait pas d'être placé en chômage partiel, la sanction était parfaitement justifiée.

En l'espèce, par courrier du 5 juillet 2021, M. [T] s'est vu notifier un avertissement pour s'être rendu chez un client de sa propre initiative le 17 juin 2021 pendant une journée de chômage partiel.

La matérialité des faits n'étant pas contestée, il convient d'apprécier si le salarié disposait d'un juste motif pour réaliser un déplacement professionnel sans autorisation sur un jour chômé au mépris notamment des règles d'assurance.

Or, M. [T] ne justifie d'aucun autre déplacement professionnel que l'employeur lui aurait ordonné de faire pendant un jour de chômage partiel ni de menace de sanction pour ne pas avoir répondu immédiatement à la demande d'un client.

Il a même précédemment été retenu qu'il devait régulièrement être rappelé à l'ordre pour ne pas travailler sur ces temps.

Quant à l'existence d'une pression sur les résultats lui imposant implicitement de faire le déplacement reproché, aucun élément ne l'établit alors même que le salarié a accepté de signer les avenants temporaires des 21 janvier et 3 mai 2021 augmentant son objectif mensuel pour percevoir le maximum de sa commission et ne démontre pas y avoir été contraint ou avoir, préalablement à ce déplacement, subi des reproches sur les résultats effectivement réalisés.

Enfin, il importe peu que la prestation réalisée ce jour ait été validée par l'employeur qui en a donc encaissé les fruits dans la mesure où ce dernier pouvait difficilement, vis-à-vis du client, annuler une commande pour des raisons d'organisation interne.

Le manquement reproché étant établi, sans que M. [T] puisse lui opposer de circonstances lui ôtant tout caractère fautif, l'avertissement était justifié.

M. [T] ne peut donc en demander l'annulation assortie de dommages et intérêts comme justement jugé par le conseil de prud'hommes.

3-2/ concernant le rappel à l'ordre du 12 juillet 2021

M. [T] qualifie le rappel à l'ordre du 12 juillet 2021 d'avertissement et soutient que l'employeur ne peut se prévaloir de données obtenues grâce à un dispositif illicite pour établir le grief, précisant que l'usage du véhicule de fonction à des fins personnelles avait jusqu'alors été toléré.

L'employeur conteste le caractère de sanction du rappel à l'ordre, nie avoir régulièrement autorisé le salarié à utiliser le véhicule de fonction à des fins personnels, et affirme l'avoir informé de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation sur le véhicule soulignant, néanmoins, que le rappel à l'ordre était fondé non pas sur les données de ce dispositif mais sur les déclarations d'un autre salarié.

En l'espèce, le courrier du 12 juillet 2021 ayant en objet « rappel à l'ordre » constate l'usage du véhicule professionnel pour un usage personnel malgré un rappel verbal à ce sujet en début d'année, et énonce de nouveau la règle applicable.

En l'absence de toute mise en garde ou injonction, ce courrier ne saurait valoir sanction.

M. [T] ne peut donc en demander l'annulation assortie de dommages et intérêts comme justement jugé par le conseil de prud'hommes.

4/ Sur l'existence d'un harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [T] s'estime victime d'un harcèlement moral, ayant dégradé ses conditions de travail et nuit à sa santé, caractérisé par :

- une pression sur les résultats par la signature imposée de deux avenants à son contrat de travail conditionnant son taux de commissionnement et d'indemnités de repas à la réalisation d'objectifs inaccessibles au regard de la baisse d'activité et de la période de chômage partiel mais également du manque de moyens mis à sa disposition,

- une politique d'isolement le mettant en difficulté avec les clients,

- une hostilité du chef d'atelier non prise en compte par sa hiérarchie,

- des propos virulents, humiliants et culpabilisants de l'employeur en public et en aparté,

- une surveillance accrue injustifiée,

- des sanctions injustifiées,

- le paiement tardif de ses commissions.

Il produit un bilan psychologique du 25 octobre 2021 faisant état de symptômes liés à des difficultés au travail et des prescriptions d'anxiolytiques de septembre 2021 à mars 2022.

L'employeur conteste la matérialité des faits invoqués rappelant notamment que les modifications temporaires du contrat de travail ont été acceptées par le salarié qui a signé les avenants proposés sans que la preuve de l'existence de pressions soit rapportée, et invoquant le caractère illicite d'un enregistrement fait à son insu.

Concernant la recevabilité du procès-verbal de commissaire de justice retranscrivant la conversation intervenue le 7 septembre 2021 en aparté entre le salarié et le gérant de la société dans le réfectoire de l'entreprise, l'enregistrement clandestin support de ce document constitue un procédé de preuve déloyal.

Néanmoins, l'illicéité ou la déloyauté d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats au regard du droit à la preuve, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en vérifiant que le procédé employé était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte aux droits de l'employeur est strictement proportionnée au but poursuivi.

Or, la cour relève, d'une part, que M. [T] a procédé à l'enregistrement de l'intégralité de la conversation à l'insu de son interlocuteur alors qu'aucun élément probant ne laisse supposer qu'il pouvait se douter de la teneur de l'échange informel qui s'était engagé et donc de l'utilité probatoire du moyen employé, et d'autre part, qu'il n'apporte pas plus d'élément permettant de démontrer que la voie du témoignage d'autres salariés de l'entreprise quant au harcèlement qu'il invoque lui était fermée.

Les conditions de nécessité et de proportionnalité n'étant pas remplies, la pièce n°39 communiquées par M. [T] est écartée des débats.

Par ailleurs, si les attestations de l'ex-épouse et de l'oncle de ce dernier peuvent permettre d'établir un état émotionnel, elles ne sauraient valoir preuve des faits de harcèlement dénoncés à défaut de constatation personnelle directe.

Concernant l'existence d'un vice du consentement lors de la signature des avenants visés et d'une mise à l'écart systématique empêchant M. [T] de satisfaire la clientèle, aucune des pièces produites ne permet d'en rapporter la preuve.

De même, le salarié ne produit aucun échange direct ou témoignage permettant de caractériser une attitude hostile du chef d'atelier à son égard, ni aucune preuve recevable de prise à partie violente, humiliante ou culpabilisante par le gérant en présence d'autres salariés ou en aparté, ou encore d'une surveillance particulière.

La régularisation intervenue en mars 2022 au titre des commissions de septembre et octobre 2021 n'est pas plus la preuve d'un paiement tardif alors que le dispositif contractuel de paiement des commissions tient compte du mois de facturation mais également du règlement de la facture à l'échéance par le client.

Ces faits ne sont donc pas matériellement établis.

En revanche, deux avenants au contrat de travail des 21 janvier et 3 mai 2021ont effectivement temporairement augmenté l'objectif à atteindre pour obtenir le montant maximal de commission et d'indemnité de repas alors que le salarié était placé en chômage partiel, et un avertissement ainsi qu'un rappel à l'ordre lui ont été adressés les 5 et 12 juillet 2021.

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il appartient, dès lors, à l'employeur de combattre cette présomption en prouvant qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur rappelle que le salarié a donné son accord pour les nouveaux objectifs fixés et conteste leur caractère inatteignable au regard des résultats de la société, nonobstant la mise en chômage partiel ; il argue du caractère justifié de l'avertissement ainsi que du rappel à l'ordre.

Il a effectivement été jugé que l'avertissement était justifié et aucun élément probant ne permet de démontrer que le rappel à l'ordre pour avoir utilisé le véhicule de fonction à des fins personnel était fondé sur une surveillance illicite du salarié.

M. [I], dont le témoignage n'est pas utilement contesté, attestant avoir constaté à deux reprises que M. [T] utilisait le véhicule de fonction en fin de semaine pour faire des courses personnelles, alors que le contrat de travail ne le prévoit pas, ce rappel à l'ordre était également justifié.

Par ailleurs, il ressort des avenants modifiant le contrat de travail sur la période de janvier à septembre 2021 que pour maintenir son niveau de rémunération au titre des commissions à 4%, le salarié devait atteindre un chiffre d'affaires de 45 000 euros en moyenne sur 3 mois puis 6 mois, au lieu de 40 000 euros par mois, et que son défraiement au tarif maximum au titre des repas était désormais conditionné à la réalisation d'un chiffre d'affaires moyen de 50 000 euros par mois.

La cour relève que l'objectif concernant les commissions n'avait pas été revu depuis la signature du contrat de travail en 2008 alors que les résultats mensuels moyens du salarié dépassaient les 45 000 euros depuis 2016, et s'établissaient encore à 41 958 euros l'année du confinement total sur plusieurs mois, également marquée par du chômage partiel et précédent l'acceptation des avenants par le salarié en toute connaissance de cause.

Les résultats mensuels moyens de 2021 au 30 septembre sont d'ailleurs de 44 461 euros alors que M. [T] a été en arrêt de travail à compter du 11 septembre et qu'aucun élément ne permet d'établir qu'il a été forcé de travailler pendant les périodes de chômage partiel pour les atteindre ou qu'il a souffert d'un manque de moyens.

Dès lors, les nouveaux objectifs acceptés par le salarié n'apparaissent pas hors d'atteinte dans le temps de travail imparti concernant le taux de commissionnement.

Reste la modification des conditions du défraiement qui à elle seule ne peut caractériser un harcèlement moral.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ainsi que de sa demande en nullité du licenciement pour inaptitude causé par ce harcèlement.

5/ Sur les demandes accessoires

M. [T] succombant en ses demandes, il convient de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens et frais irrépétibles, de mettre les dépens d'appel à sa charge et de rejeter sa demande au titre des frais de procédure.

L'équité commande de rejeter la demande de l'employeur quant aux frais irrépétibles engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [M] [T] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/02797
Date de la décision : 22/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-22;23.02797 ?
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